Extrait

Transcription

Extrait
page pdf extrait 13,5x21
31/01/07
15:35
Page 1
Geneviève Gondouin
Sylvie Rouxel
Les Institutions juridictionnelles
***
Collection « Droit en + »
Presses universitaires de Grenoble
BP 47 – 38040 Grenoble cedex 9
Tél. : 04 76 82 56 52 – [email protected] / www.pug.fr
Première partie
LES INSTITUTIONS
JURIDICTIONNELLES NATIONALES
8/ Dualité de juridictions
La dualité de juridictions en France, ou séparation des juridictions
de l’ordre judiciaire et des juridictions de l’ordre administratif,
découle de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III. Ces textes, pourtant, entendaient seulement réagir
contre les abus des tribunaux de l’Ancien Régime, en séparant les
autorités administratives et judiciaires. Les juges ne « pourront
prendre directement ou indirectement aucune part à l’exercice
du pouvoir législatif » ni « troubler de quelque manière que ce
soit les opérations des corps administratifs ». Affirmer que « les
fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours
séparées des fonctions administratives » n’impliquait pas l’incompétence du juge judiciaire pour connaître du contentieux
administratif. En 1790, il fallait mettre fin à un enchevêtrement des
compétences complexe : sous l’Ancien Régime, le roi avait soustrait une partie du contentieux administratif à la connaissance
des Parlements, en confiant certaines affaires à des juridictions
spéciales ou à des organes administratifs, en particulier Conseil
du roi et intendants. Les constituants, hostiles à la restauration
des juridictions spéciales, ne créent pas dans un premier temps
de juridiction administrative. Une grande partie du contentieux
administratif, au plan local et au plan national, est confiée aux
administrations qui administrent et tranchent les litiges suscités
par leur action (époque du « ministre-juge »). De l’administration
active émergent des organes qui se juridictionnalisent. Le Conseil
Instit. jurid.indd 13
3/01/07 10:54:53
14
LES INSTITUTIONS JURIDICTIONNELLES
d’État, créé en l’an VIII pour conseiller l’exécutif, acquiert peu
à peu les compétences d’un véritable juge. Tout le XIXe marque
la montée en puissance de la juridiction administrative. Entre
ce juge administratif, soucieux de conquérir sa place, et le juge
judiciaire, se posent parfois des problèmes de répartition des
compétences.
9/ Existence du Tribunal des conflits
Pendant quelques années, le règlement des conflits d’attribution entre autorité administrative et autorité judiciaire a été
confié au chef de l’État en Conseil d’État, en réalité surtout à ce
dernier (ord. de 1828). Créé une première fois par la Constitution
de 1848, le Tribunal des conflits est supprimé sous le second
Empire, avant de revoir le jour grâce à la loi du 24 mai 1872,
au moment où la justice déléguée est confiée au Conseil d’État.
Cette histoire mouvementée explique les liens particuliers qu’il
a conservés avec celui-ci.
10/ Composition du Tribunal des conflits
Elle est marquée par le principe de mixité et de parité.
La Cour de cassation désigne trois conseillers et les membres
du Conseil d’État font de même. Ces juges élus élisent deux
titulaires et deux suppléants, traditionnellement un titulaire et
un suppléant parmi des membres du Conseil d’État, les deux
autres, parmi ceux de la Cour de cassation. Tous sont élus pour
trois ans et rééligibles. Le ministre de la Justice, président de
l’institution, n’intervient qu’en cas de partage des voix, rarement donc. La Cour européenne des droits de l’homme risque
malgré tout un jour de déclarer cette situation incompatible
avec l’article 6 de la Convention EDH en vertu duquel « toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue… par un
tribunal indépendant et impartial… ». La présidence réelle de
la juridiction est exercée par le vice-président désigné par les
membres titulaires, au scrutin secret et à la majorité absolue
des voix. La vice-présidence revient tour à tour à un membre
Instit. jurid.indd 14
3/01/07 10:54:53
LES INSTITUTIONS JURIDICTIONNELLES NATIONALES
15
du Conseil d’État et à un membre de la Cour de cassation. Les
commissaires du gouvernement ont des fonctions analogues
à celles exercées devant les juridictions administratives (infra,
n° 246). Deux commissaires et deux suppléants, choisis pour
moitié parmi les maîtres des requêtes du Conseil d’État et pour
moitié parmi les avocats généraux près la Cour de cassation,
sont nommés par décret au début de chaque année judiciaire.
11/ Compétences du Tribunal des conflits
Le plus souvent, le Tribunal des conflits intervient lors de conflits
d’attribution.
Le conflit négatif est constitué quand, saisis de la même question,
un juge administratif puis un juge judiciaire, ou inversement, se
sont déclarés incompétents. Devant les deux, il doit y avoir identité de parties, de cause (fondement juridique de la demande),
d’objet. Chacun doit s’estimer incompétent au motif que l’affaire relève de l’autre ordre juridictionnel et l’une des deux
déclarations d’incompétence doit être erronée. Le Tribunal des
conflits est saisi directement par les parties intéressées, par
l’intermédiaire d’un avocat aux conseils. Si les conditions du
conflit négatif sont réunies, la décision de la juridiction s’étant
reconnue à tort incompétente est déclarée « nulle et non avenue »
et les parties sont renvoyées devant cette dernière. Sinon, la
requête est rejetée.
Une procédure de prévention (D. 25 juillet 1960) a raréfié ces
conflits. Supposons que le juge judiciaire décline sa compétence
au motif que le litige relève du juge administratif et que celuici, saisi du même litige, estime qu’il ressortit à la compétence
de l’ordre judiciaire. Si la décision du premier juge n’est plus
susceptible de recours, le second doit renvoyer au Tribunal des
conflits et surseoir à statuer jusqu’à la décision de ce dernier qui
peut déclarer nul le jugement d’incompétence rendu à tort, et
renvoyer les parties devant la juridiction qui l’a rendu.
La procédure de conflit positif a été conçue, quant à elle, pour
protéger l’exécutif. Elle est utilisée quand l’administration estime
Instit. jurid.indd 15
3/01/07 10:54:53
16
LES INSTITUTIONS JURIDICTIONNELLES
qu’il revient au juge administratif de régler le litige, ou qu’un
acte doit être soustrait à la connaissance de tout juge. Est compétent pour élever le conflit le préfet du département dans lequel
le litige a pris naissance. L’élévation est possible devant toute
juridiction judiciaire dotée d’un ministère public, et qui statue
au fond. Elle ne l’est pas en toutes matières : largement possible
en matière civile, elle l’est rarement en matière répressive.
Le préfet adresse au ministère public près la juridiction judiciaire
un déclinatoire de compétence. Soit le juge se déclare incompétent, soit il rejette le déclinatoire. Dans ce dernier cas, le préfet
peut admettre le bien-fondé du raisonnement du tribunal, ou,
au contraire, prendre un arrêté de conflit. Cet arrêté doit être
adopté dans les quinze jours, pendant lesquels le juge judiciaire
sursoit en principe à statuer. Si l’arrêté parvient au greffe du
tribunal en temps utile, le dossier est transmis au garde des
Sceaux par le procureur de la République.
Le Tribunal des conflits a trois mois pour statuer à compter de
la réception du dossier. S’il n’a pas statué un mois après l’expiration de ce délai, le juge judiciaire peut reprendre l’instance
en cours. La plupart du temps il statue dans les délais : s’il
confirme l’arrêté de conflit, le juge judiciaire est dessaisi. Au
requérant de saisir le juge administratif, s’il y a lieu, dans les
deux mois de la notification de la décision. S’il annule l’arrêté
de conflit, le juge judiciaire reprend l’affaire en cours devant
lui. Sauf cas particulier, le conflit ne peut plus être élevé dans
la même affaire. La décision du Tribunal des conflits a autorité
absolue de la chose jugée.
12/ Autres compétences du Tribunal des conflits
Il peut résoudre des difficultés de compétence. Le Conseil d’État
ou la Cour de cassation, saisi d’un litige qui « présente à juger
une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse
et mettant en jeu la séparation des autorités administratives
et judiciaires » peut renvoyer au Tribunal des conflits le soin
de trancher cette question (D. 25 juillet 1960). Le tribunal dési-
Instit. jurid.indd 16
3/01/07 10:54:53
LES INSTITUTIONS JURIDICTIONNELLES NATIONALES
17
gne l’ordre juridictionnel compétent et, s’il y a lieu, annule les
décisions et actes de procédure survenus au sein de l’ordre
juridictionnel incompétent.
La loi du 20 avril 1932 ouvre un recours devant le Tribunal des
conflits contre les décisions définitives rendues par les juridictions judiciaires et administratives, quand elles présentent
une contrariété aboutissant à un déni de justice. On parle alors
de conflit de décisions. Pour une même affaire et à propos du
même objet, un juge administratif et un juge judiciaire se sont
reconnus compétents et ont rendu des décisions contradictoires. Si un requérant a obtenu deux décisions juridictionnelles
répondant à ces conditions, qu’elles sont définitives, il peut
saisir le Tribunal des conflits, par l’intermédiaire d’un avocat aux
conseils, dans un délai de deux mois à compter de la dernière
des deux décisions.
Le Tribunal des conflits statue au fond, et règle le litige souverainement.
La procédure de revendication des affaires contentieuses par
les ministres est originale, mais n’a jamais été utilisée. « Les
ministres ont le droit de revendiquer devant le Tribunal des
conflits les affaires portées à la section du contentieux et qui
n’appartiendraient pas au contentieux administratif. Toutefois,
ils ne peuvent se pourvoir devant cette juridiction qu’après que
la section du contentieux a refusé de faire droit à la demande en
revendication qui doit lui être préalablement communiquée »
(L. 24 mai 1872, art. 26).
13/ Situation particulière du Tribunal des conflits
Il n’est en rien une Cour suprême, n’appartient ni à l’ordre judiciaire, ni à l’ordre administratif. La même remarque vaut pour le
Conseil constitutionnel mis en place par la Constitution de 1958.
D’ailleurs, tous les principes valables pour les autres juridictions
internes ne leur sont pas forcément applicables. Le Tribunal
des conflits ne doit son existence qu’au principe de séparation
Instit. jurid.indd 17
3/01/07 10:54:53
18
LES INSTITUTIONS JURIDICTIONNELLES
des autorités administratives et judiciaires. Supprimerait-on
la dualité de juridictions que la raison d’être du Tribunal des
conflits disparaîtrait. Celle du Conseil constitutionnel doit être
recherchée ailleurs.
14/ Le Conseil constitutionnel est-il une juridiction ?
Les rédacteurs de la Constitution de 1958 n’entendaient pas
mettre en place une Cour constitutionnelle chargée de protéger
les droits fondamentaux reconnus par la Constitution. Conçu
comme une pièce essentielle du régime parlementaire rationalisé,
le Conseil devait éviter la dérive vers le régime d’assemblée. La
Constitution lui consacre un titre spécial (titre VII) sans jamais
définir sa nature. À la question « le Conseil constitutionnel est-il
une juridiction ? » il vaut sans doute mieux substituer celle-ci :
exerce-t-il des fonctions juridictionnelles ? Car un même organe
peut avoir des fonctions juridictionnelles et non juridictionnelles. Deux éléments essentiels caractérisent l’acte juridictionnel
– réponse en droit à une question de droit – autorité de la chose
jugée (supra, n° 4). Le fait de trancher un litige entre parties n’est
pas déterminant, la fonction juridictionnelle pouvant s’exercer
en dehors de toute contestation. La plupart du temps, le Conseil
est amené à dire le droit avec autorité de la chose jugée : selon
l’article 62 de la Constitution, « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent
aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et
juridictionnelles ». Conseil constitutionnel, Cour de cassation
(Crim., 25 avril 1985) puis Conseil d’État (Ass., 20 décembre 1985,
S.A. Établissements Outters) ont admis officiellement l’autorité
de chose jugée de ses décisions. Mais, à côté de ses attributions
juridictionnelles, il exerce aussi une fonction consultative.
15/ Plan
Si le Conseil est une juridiction, il reste une juridiction particulière
il n’est pas une Cour suprême placée au sommet de la hiérarchie
juridictionnelle. Comme les autres Cours constitutionnelles
Instit. jurid.indd 18
3/01/07 10:54:54
LES INSTITUTIONS JURIDICTIONNELLES NATIONALES
19
étrangères auxquelles il ressemble de plus en plus, il est situé
en dehors de l’appareil juridictionnel ordinaire, indépendant
de celui-ci comme des pouvoirs publics. Ceci explique qu’on
lui consacre un titre spécial, qui succédera à l’étude de l’ordre
judiciaire, et à celle de l’ordre administratif.
Titre I : L’ordre judiciaire.
Titre II : L’ordre administratif.
Titre III : Le Conseil constitutionnel.
Instit. jurid.indd 19
3/01/07 10:54:54
TITRE I
L’ORDRE JUDICIAIRE
16/ Présentation
L’ordre judiciaire englobe l’ensemble des juridictions compétentes
pour régler les litiges de droit privé, c’est-à-dire opposant, le
plus souvent les particuliers. L’État, dans l’exercice de sa mission
de service public, a mis en place et organisé un certain nombre
de juridictions formant l’essentiel de cet ordre. Cependant, les
pouvoirs publics ne sont pas en situation de monopole quant
au règlement des litiges, dont la solution peut être trouvée
en dehors des juridictions étatiques. Un différend, en effet,
est également susceptible d’être résolu ou bien par la seule
volonté des parties, ou bien en faisant appel à des structures
pouvant alors jouer deux rôles distincts : guider les parties dans
la recherche d’un accord ou trancher le litige en constituant
ainsi de véritables juridictions privées. Dans ces différentes
hypothèses, le justiciable s’éloigne dans un premier temps des
juridictions étatiques, mais la saisine de ces dernières devra,
dans un second temps, intervenir lorsqu’il s’agira de donner
force exécutoire à la solution. L’État, s’il accepte de déléguer la
juridictio (pouvoir de dire le droit), répugne en revanche à faire
de même pour l’imperium (pouvoir de contrainte) et rattache
ainsi à l’ordre judiciaire les modes alternatifs de règlement des
litiges de droit privé.
Sous-titre I : Les juridictions étatiques.
Sous-titre II : Les modes alternatifs de règlement des litiges.
Instit. jurid.indd 20
3/01/07 10:54:54
SOUS-TITRE I
LES JURIDICTION ÉTATIQUES
17/ Aperçu et plan
Les juridictions étatiques sont instaurées et structurées par l’État ;
la justice y est rendue au nom du peuple français. Les grandes
lignes de leur organisation actuelle remontent à 1790, même si
depuis, certaines juridictions ont été créées et si de nombreuses
réformes ont affecté les tribunaux alors mis en place, notamment
celles consécutives à la Constitution du 4 octobre 1958 (ord. et
D. 22 décembre 1958).
Aujourd’hui encore, la plupart des dispositions concernant
les juridictions de l’ordre judiciaire figurent dans le code de
l’organisation judiciaire (COJ) dont la partie législative a été
refondue, en principe à droit constant, par une ordonnance du
8 juin 2006. Celle-ci a cependant organisé le transfert, vers les
codes correspondants, des dispositions relatives aux juridictions
spécialisées (code de commerce pour le tribunal de commerce
notamment) et laissé subsister quelques-uns des anciens articles
(anc. COJ). Aujourd’hui, la partie législative du code de l’organisation judiciaire comporte cinq livres. Les quatre premiers
ont trait respectivement : aux dispositions communes aux juridictions judiciaires ; aux juridictions du premier degré ; à celles
du second degré ; à la Cour de cassation. Quant au cinquième
livre, qui ne sera pas étudié ici, il prévoit un ensemble de règles
complexes, applicables dans les différents territoires et collectivités (Mayotte, Wallis-et-Futuna, Nouvelle-Calédonie…), les
règles relatives à certains départements, établies pour des raisons
historiques (Bas-Rhin, Haut-Rhin et Moselle) ou géographiques
Instit. jurid.indd 21
3/01/07 10:54:54
22
LES INSTITUTIONS JURIDICTIONNELLES
(départements d’outre-mer) étant désormais intégrées dans les
livres généraux.
L’étude ne suivra pourtant pas le plan de ce code puisque l’on
opposera ici la structure et le fonctionnement des juridictions.
Chapitre I : La structure des juridictions.
Chapitre II : Le fonctionnement des juridictions.
Instit. jurid.indd 22
3/01/07 10:54:54
CHAPITRE I
La structure des juridictions
18/ Cohérence
La structure des juridictions de l’ordre judiciaire est rendue
cohérente par l’existence d’un certain nombre de principes
conçus comme garants d’une bonne administration de la justice.
Il est donc essentiel de présenter ces principes, avant d’en suivre
l’application aux différentes juridictions.
Section I : Les principes.
Section II : Les différentes juridictions.
SECTION I
LES PRINCIPES
19/ Dualité
La structure des juridictions s’ordonne autour de deux catégories
de principes. Les premiers s’attachent à organiser les juridictions
les unes par rapport aux autres et permettent de comprendre
la forme pyramidale de la structure de l’ensemble de l’ordre
judiciaire. Les seconds s’attachent à chaque juridiction prise
isolement et permettent de dégager des constantes dans leur
structure interne.
Instit. jurid.indd 23
3/01/07 10:54:54
24
LES INSTITUTIONS JURIDICTIONNELLES
Sous-section I : La structure de l’ensemble.
Sous-section II : La structure interne des juridictions.
SOUS-SECTION I
LA STRUCTURE DE L’ENSEMBLE
20/ Pyramide de juridictions
L’organigramme de l’ordre judiciaire présente une forme pyramidale caractéristique. Dans la hauteur se superposent trois
niveaux de juridictions, témoins d’un principe de hiérarchie
(§ 1). En ce qui concerne la base, la multiplicité des juridictions
répond à une nécessaire adéquation (§ 2).
§ 1 – LA HIÉRARCHIE OU STRUCTURE VERTICALE
21/ Double hiérarchie
La présence de trois niveaux de juridictions s’explique par un
double rapport hiérarchique. Le premier résulte du principe du
double degré de juridiction (A). Le second traduit l’opposition
entre les juges du fond et les juges du droit (B).
A. Le double degré de juridiction
22/ Principe
Garantie contre les erreurs possibles des juges du premier
degré, le principe du double degré de juridiction permet à tout
justiciable, s’il n’est pas satisfait par la première décision, de
voir son affaire rejugée par une juridiction supérieure à celle
initialement saisie. La mise en œuvre de ce principe implique
une double conséquence.
La première réside dans l’existence d’une dualité de juridictions.
Les juridictions du premier degré, ou de première instance,
connaissent pour la première fois d’une affaire et statuent en
premier ressort ; les juridictions du second degré statuent en
dernier ressort et ont vocation à rejuger l’affaire.
Instit. jurid.indd 24
3/01/07 10:54:55
LA STRUCTURE DES JURIDICTIONS
25
La seconde conséquence consiste dans l’existence d’un mécanisme propre à permettre la saisine de la juridiction supérieure.
Ce mécanisme prend la forme d’une voie de recours ordinaire,
c’est-à-dire offerte de plein droit au justiciable. Il s’agit de l’appel qui peut être interjeté, en principe devant une cour d’appel,
contre toutes les décisions rendues en premier ressort, autrement
dit à charge d’appel (infra, n° 76 et s.). Cette voie de recours
tend pour l’essentiel à la réformation de la décision attaquée :
« L’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction
d’appel pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit »
(art. 561, NCPC). Comme toutes les voies de recours, elle doit
être exercée dans un délai déterminé : en principe un mois en
matière civile (art. 538, NCPC) et dix jours en matière pénale
(art. 498, al. 1, c. pr. pén.).
L’appel produit un double effet. Tout d’abord, il a un effet
dévolutif puisque tous les points du litige examinés par les
premiers juges sont soumis à la juridiction d’appel ; ensuite, il
a un effet suspensif qui fait obstacle à l’exécution de la décision
frappée d’appel, sous réserve cependant de l’exécution provisoire ordonnée par le juge ou par la loi.
23/ Valeur du principe en droit civil
En droit civil, le principe de l’appel est posé à l’article 543 du
nouveau code de procédure civile. Il a valeur simplement législative puisque la Cour de cassation (Cass. civ. 1re, 21 janvier 1997)
a estimé que l’article 6.1 de la Convention EDH (infra, n° 139)
n’implique pas, en matière civile, un droit au double degré
de juridiction. Le législateur peut donc déroger au principe
et prévoir, par une disposition expresse, qu’une décision est
insusceptible d’appel. Il en est ainsi, spécialement, en raison
d’impératifs économiques, pour les petites affaires. Lorsque le
montant de la demande est inférieur ou égal à un certain chiffre,
appelé taux du ressort et fixé par décret, la décision de première
instance est, en principe, dite en premier et dernier ressort. Elle
ne peut être frappée d’appel et ne peut faire l’objet que d’un
Instit. jurid.indd 25
3/01/07 10:54:55
26
LES INSTITUTIONS JURIDICTIONNELLES
pourvoi en cassation (infra, n° 26). Ce n’est qu’au-delà de ce
taux, ou lorsque la demande est indéterminée, que la décision
est rendue à charge d’appel. Pour les juridictions civiles, le taux
est en principe fixé à 4 000 € (L. 26 janvier et D. 13 mai 2005).
24/ Valeur du principe en droit pénal
En droit pénal, la valeur du principe du double degré de juridiction est ambiguë. L’article 2.1 du protocole n° 7 de la Convention
EDH dispose en effet que « toute personne déclarée coupable
d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité
ou la condamnation ». Cependant, la chambre criminelle de
la Cour de cassation, s’appuyant sur les réserves émises par
la France lors de la ratification de ce protocole, décide que
l’examen par une juridiction supérieure peut se limiter à un
contrôle de l’application de la loi tel que le recours en cassation
(Cass. crim., 19 décembre 1990) et légitime ainsi les exceptions
au principe.
Respecté en matière d’instruction, le principe est parfois écarté au
stade du jugement. L’appel possible en matière correctionnelle,
est en effet limité en matière contraventionnelle (essentiellement
en fonction de l’amende encourue ou de la peine prononcée).
Surtout, jusqu’à la loi du 15 juin 2000, il était impossible en
matière criminelle. Cette dernière exception, qui touchait les
infractions les plus graves et donc les peines les plus lourdes,
était cependant justifiée par la composition de la cour d’assises
incluant un jury populaire : on ne voulait pas qu’une juridiction
supérieure puisse réformer la décision rendue par celui-ci. La
portée de l’exception était en outre limitée : le double degré de
juridiction n’était pas absent en matière criminelle puisqu’il existait obligatoirement dans la phase de l’instruction. Aujourd’hui,
les arrêts rendus par une cour d’assises peuvent être frappés
d’appel. Ce dernier est porté devant une autre cour d’assises,
comprenant un jury composé d’un nombre de jurés supérieur
à celui de la cour ayant statué en premier ressort (douze au lieu
de neuf ; infra, n° 97).
Instit. jurid.indd 26
3/01/07 10:54:55

Documents pareils