Maladies professionnelles des conducteurs de bus

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Maladies professionnelles des conducteurs de bus
Médecine du travail
Anna Aznaour
Maladies professionnelles
des conducteurs de bus
Depuis les années 80 et suite aux déclarations d’inaptitudes effectuées
par les médecins du travail, les
plaintes d’atteintes à la santé provenant des conducteurs de bus urbains
ont attiré l’attention des autorités et
des scientifiques sur les maladies liées
à l’exercice de ce métier. Les enquêtes
conduites dès lors, ont mis en évidence le rôle de l’environnement physique (vibration, bruit, thermique) et
l’effet des contraintes (organisation
du travail, conception du poste de
travail, relations avec la hiérarchie et
la clientèle) sur la santé de ces travailleurs (Germain & Dangleterre,
1994).
TMS chez 50% des conducteurs de bus
(Magnusson & coll., 1996). Par ailleurs,
les TMS représentent la principale
cause des absences pour raisons de
santé chez les travailleurs suisses
(Quadrello & coll., 2009). Pour ce qui
est des troubles cardio-vasculaires, ils
sont principalement expliqués par la
nature sédentaire du travail des
conducteurs de bus, associée au tabagisme, à la surcharge pondérale, au
rythme alimentaire perturbé pour
cause d’horaires irréguliers entre
autres, sans oublier le stress lié aux
heures de pointe (Kelfa et coll., 1991).
En outre, selon une étude représentative menée aux Etats-Unis auprès de
123 000 personnes, le taux de mortalité des travailleurs passant plus de six
heures par jour assis est de 20% supérieur par rapport à ceux qui restent
assis moins de trois heures par jour.
Chez les femmes, cette proportion est
même de 40% (Patel & coll., 2010).
Parmi les facteurs de stress professionnel rapportés, les horaires de travail, suivi de la qualité des relations
avec la hiérarchie, les collègues et les
usagers, ainsi que la reconnaissance
du travail tiennent une place prépondérante (Duffy & Mc Goldrick, 1990).
Ces travailleurs vivent aussi un grand
stress chaque jour en devant éviter
des accidents, dont l’issue pourrait
être fatale, face aux usagers de la
route souvent indisciplinés. Les
conséquences de ce stress s’expriment par la consommation de médicaments et d’alcool, des troubles du
sommeil, des troubles digestifs (Beta
& Costa, 1985), des problèmes de
santé physique et mentale (Robertson, 1987), ainsi que d’insatisfaction
du travail ou des accidents (Ragatt &
Cook, 1990).
Les maladies associées à l’activité de
conduite à proprement dite englobent principalement les troubles
musculosquelettiques (TMS) de la colonne vertébrale (Aptel & coll., 2007),
les affections cardio-vasculaires et
gastro-intestinales. En effet, les facteurs d’ordre biomécanique comme la
rotation du tronc, les vibrations ou
encore les faux-mouvements à répétition, aboutissent à long terme à des
Les résultats d’une récente enquête
initiée par le Syndicat du personnel
des transports (SEV) en Suisse, a mis
en évidence le ressenti de 798 conducteurs de bus des trois régions linguistiques, quant à leur état de santé et
leurs conditions de travail (SEV, 2011).
Ces données soulignent les réalités
étayées dans les études scientifiques
précitées. Le fait d’être au volant plus
de quatre heures d’affilée est jugé pénible par deux tiers des participants à
l’enquête, mais 80% des répondants
affirment souffrir lorsque leurs journées de travail ont une amplitude de
plus de dix heures. Plus de la moitié
des conducteurs se plaignent de
troubles musculosquelettiques et de
stress professionnel contrairement
aux travailleurs des autres branches
professionnelles, qui sont 34% à formuler les mêmes types de doléances
(Seco, 2009). Selon Christian Fankhauser, secrétaire syndical et rédacteur
des résultats de cette enquête, la diminution des amplitudes des journées
de travail des conducteurs de bus relève de la santé publique.
Afin de prévenir ou gérer les problèmes de santé des conducteurs de
bus, Martin Waefler, Directeur des
Ressources humaines des Transports
publics genevois (TPG), énumère un
certain nombre d’actions engagées
par l’entreprise. Il s’agit des mesures
d’accompagnement et d’information
comme les séances de massage hebdomadaire dispensées par les masseurs professionnels ou encore les
cours de gym du dos donnés par les
physiothérapeutes. Par ailleurs, les
conducteurs malades ou accidentés
bénéficient du soutien de leur entreprise par le biais de visites de l’homme
de liaison de l’entreprise, dont la mission est d’informer les concernés des
différentes possibilités qui s’offrent à
eux. Ayant une palette de plus de 70
métiers, l’unité spéciale des TPG est à
même de proposer une réorientation
professionnelle
provisoire
aux
conducteurs dans l’incapacité de reprendre le volant. Ceci dans le but
d’éviter des absences de longue durée, qui rendraient le retour à l’emploi
plus difficile, comme le souligne Monsieur Waefler. Dans le cas de problèmes d’addictions, une convention
est signée entre le conducteur et
l’employeur selon laquelle, le premier
s’engage à se faire soigner et le second à ne pas le licencier. Parmi les
plaintes relatives à la santé rapportées par les conducteurs de bus, Monsieur Waefler constate la prépondérance de celles liées au stress et aux
problèmes psychologiques, par rapport à celles liées aux troubles musculosquelettiques.
Le tour d’horizon des études et avis
des professionnels relatés ci-haut démontre l’importance des mesures ergonomiques et organisationnelles
dans l’encadrement de la profession
des conducteurs de bus. En effet, la
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Médecine du travail
pénibilité de ce métier et son influence sur la santé ne sont plus à
prouver. Quand les travailleurs sont
en mauvaise santé, l’entreprise ne
peut remplir son mandat et il est
donc de sa responsabilité de faire en
sorte à ce que les employés aillent
bien, affirme Robert Tanner, responsable projets et processus RH auprès
des TPG.
Aptel, M., Aublet-Cuvelier, A. & Waldura, D.
(2007). Le risque des troubles musculosquelettiques chez les chauffeurs de bus: une réalité.
Documents pour le Médecin du Travail n°111.
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