Palais-Royal, un rectangle d`or à Paris

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Palais-Royal, un rectangle d`or à Paris
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mercredi 18 juin 2008
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Sébastien Soriano/Le Figaro
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Palais-Royal, un rectangle d’or à Paris
Chargé d’histoire,
résidence du ministère
de la Culture et
de la Comédie-Française,
le Palais-Royal, son jardin,
ses arcades, est devenu
en quelques saisons
une adresse à la mode.
IL Y A les nostalgiques qui disent
que c’était mieux avant. Les sceptiques qui glosent sur l’effet de
mode. Les pragmatiques qui
voient dans ces ouvertures de
boutiques à répétition une manne commerciale. Qu’importe, ces
derniers temps, le Palais-Royal a
la cote auprès des créateurs,
chausseurs, coiffeurs et parfumeurs. Les habitués ont vu les
artisans, les marchands de
médailles ou de soldats de plomb,
les tapissiers et les antiquaires
baisser le rideau, remplacés les
uns après les autres par les escarpins de Pierre Hardy (6), la mode
de Marc Jacobs (8), les jeans
d’Acne (4), les bijoux de Qeelin, le
« Très confidentiel » salon de coiffure de Bernard Friboulet, les
lunettes de Marc Le Bihan…
Plutôt bon joueur, SergeHenry Lupano a décroché ses
tableaux exposés dans la galerie
Siret ce week-end pour laisser
l’espace au parquet grinçant,
superbement défraîchi, à une
marque de vêtement. « Je suis fier
de fermer. En tant que dernier
peintre vivant du Palais-Royal :
j’entre dans l’Histoire ! »
2 000 € le mètre carré annuel
Exit aussi le Prince Jardinier
qui cédera bientôt ses huit
vitrines, côté Valois, à Stella
McCartney : fête d’ouverture le
2 octobre. Ou encore la tapisserie
au point qui a choisi comme successeur un gantier de Millau, la
vénérable Maison Fabre créée en
1924. Cité dans le magazine Paris
Capitale, Serge Lutens (2), créateur des parfums des Salons du
Palais-Royal Shiseido (1), rêvait
encore en 2006 d’un lieu qui rassemblerait de bons fleuriste, boulanger, chocolatier, libraire…
« Tout ce qui fait que cet endroit
pourrait demeurer ainsi. Surtout
ne pas le “brancher”, ce serait le
tuer ! »
Les faits doivent sérieusement contrarier Serge Lutens.
Aussi prestigieuses et intéressantes soient-elles, les griffes qui ont
signé des baux dernièrement ne
fabriquent pas des chocolats. Sollicité par un premier client en
2007, Franck Desnoyers, à la tête
de l’agence F. D. Conseil, spécialiste de l’implantation des marques de luxe, est rapidement
devenu l’interlocuteur privilégié
des commerçants désireux de
vendre. À son palmarès, déjà six
emplacements négociés en un an :
Robert Normand (7), qui a offert à
sa mode rafraîchissante et couture sa première boutique fin avril ;
Corto Moltedo (la marque de sacs
de luxe lancée par le fils des fondateurs de Bottega Veneta), dont
l’inauguration est prévue en octobre pendant les défilés parisiens ;
une société américaine encore
anonyme et trois transactions
encore en cours…
« Le phénomène fait penser à
ce qui se passe dans le quartier du
haut Marais, mais version luxe,
compare Franck Desnoyers. Les
quartiers traditionnels du triangle
d’or, la rue Saint-Honoré et, à une
moindre échelle, Saint-Germain,
sont non seulement saturés mais
hors de prix. Quand il faut compter un loyer annuel de 4 000 à
6 000 € le mètre carré rue SaintHonoré, le Palais-Royal plafonne
à 2000 €. »
L’aubaine était trop belle, les
griffes se sont ruées : il ne resterait que trois places vacantes qui,
a priori, se négocieront âprement… Avec ou sans intermédiaire, l’argent n’est pas le seul
ticket d’entrée. La persévérance
et la qualité du commerce peuvent aussi peser. Guillaume
Brochard, cofondateur de Qeelin,
le joaillier chinois, a arpenté pendant un an les arcades, distribuant inlassablement ses cartes
de visite, avant de pouvoir s’installer en mars 2007, dans « l’une
des plus anciennes galeries commerciales au monde », au n° 26,
côté Montpensier. Même obstination chez Olivier Fabre, codirecteur de Maison Fabre : « J’ai
rencontré une dame de 70 ans qui
tenait une boutique de tapisserie
où les clientes venaient comme
dans un salon de thé. Elle ne vou-
6.
7.
lait pas céder à quelqu’un qui ne
comprenait pas cet endroit tellement chargé d’affect. Malgré les
propositions plus élevées que la
nôtre, elle nous a choisis, fière de
passer la main à une maison de
savoir-faire française. »
Saint-Honoré joue
les prolongations
En l’espace de quelques mois,
les galeries de Montpensier et
Valois se sont imposées comme
l’extension naturelle du quartier
Saint-Honoré, « fashionisé » il y a
onze ans par l’arrivée du conceptstore Colette. Les grands noms de
la mode s’égrènent désormais du
Faubourg Saint-Honoré, qui a
opéré récemment une mue
luxueuse, jusqu’aux grilles du
Palais-Royal. Les pionniers (Didier
Ludot, qui a posé ses premières
robes vintage en 1975 ; Serge
Lutens, arrivé avec ses Salons du
Palais Royal Shiseido en 1992 ;
Jérôme L’Huillier, premier créateur de mode installé en 1995 ;
Maison Martin Margiela retranché dans la rue Montpensier
depuis 2002…) regardent arriver
la vague sans ciller, reconnaissant
la valeur des petits nouveaux,
pointus et haut de gamme, mais
craignant que le buzz ne dénature
le lieu. « On est ici dans une bulle,
confirme le chausseur star Pierre
Hardy, présent depuis 2003 et qui
vient d’acquérir une arche supplémentaire pour sa boutique
(inauguration le 20 juin). Ni tout à
fait une rue ni vraiment un jardin,
le Palais-Royal est beau, lent,
silencieux, rare… Aristocratique
dans le sens où il crée une distance
avec le reste de la ville. J’espère que
l’esprit du lieu sera plus fort que ses
occupants. »
Pour ces précurseurs, l’amour
de ces arcades était à la hauteur de
ce pari plus qu’audacieux…
« Quand on est arrivé il y a seize
ans, c’était l’horreur, se souvient
Liliane Ménard, proche collaboratrice de Serge Lutens. Les lampes
étaient cassées, les grilles rouillées,
c’était un endroit oublié. Mais
Monsieur Lutens l’avait choisi parce qu’il n’y avait personne. » Étrangement, à la lumière singulière de
ce jardin, tous les inconvénients
devenaient qualités : impossible
de se garer, boutiques aux horai-
res aléatoires, fermeture des
grilles au moindre rassemblement
d’intermittents
mécontents
devant le ministère de la Culture,
échoppes vieillottes, peu de passage, shopping d’initiés… « La fréquentation est excellente, insiste
Robert Normand au 149-150 galerie de Valois. Il y a une cohérence
entre le propos tenu dans les boutiques et les gens qui viennent ici. »
Amoureux de culture – voir
l’exposition en vitrine au ministère de la Culture (5) –, de luxe discret, flâneurs à fort pouvoir
d’achat, clientèle de fidèles, ceux
qui se déplacent consomment.
Évidemment, ce public averti est
beaucoup plus « mode » depuis
l’arrivée de Marc Jacobs en 2006.
Le créateur new-yorkais a fait école, talonné qu’il est aujourd’hui
par le suédois Acne (124, galerie
de Valois) qui mixe savamment
des jeans bien coupés, des robes
easy chic et des souliers comme on
aime. Ou encore par le tandem
ultrabranché Kitsuné (3) niché à
deux pas de là, rue de Richelieu.
« On touche la boutique de Rick
Owens qui n’est pas grand public
et pourtant il y a un monde fou
chez lui ! », se réjouit Olivier
Fabre. Le créateur américain, qui
a ouvert 100 m² sur deux étages en
août 2006, pense lui aussi que le
Palais-Royal est le meilleur
endroit de Paris. « Il était beau
avant que nous n’arrivions tous,
dit Rick Owens. Il restera beau
longtemps après notre départ.
Nous sommes si chanceux de faire
partie de son histoire. »
HÉLÈNE GUILLAUME
et CAROLINE ROUSSEAU
ROUEN BREST DOUARNENEZ
L’été
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