Le magicien des senteurs
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Le magicien des senteurs
TENDANCESMODE FOCUS PARFUM Ecorché Serge Lutens a su tirer parti d’une très grande sensibilité pour imaginer des parfums singuliers et très réfléchis. Esthète Maquilleur, parfumeur, photographe, conteur, dessinateur, Serge Lutens est un artiste polymorphe. Pluriel Dans son écrin du Palais-Royal, qu’il a entièrement conçu, Serge Lutens propose du maquillage et des parfums raffinés et personnalisables. Perfectionniste Il a parfois mis douze ans pour créer un jus. « Je savais que c’était bien, mais ça n’était pas “ça”. Alors, je cherchais encore. » Le magicien des senteurs A vec ses cheveux plaqués, sa chemise blanche amidonnée et son costume de jais qui souligne une fine silhouette, Serge Lutens affiche un physique de prestidigitateur. A 70 ans, ce grand monsieur n’a rien perdu de sa superbe. Pourtant, rien ne prédestinait ce garçon timide à devenir le célèbre parfumeur que l’on connaît. Séparé de sa mère dès son plus jeune âge, il quitte l’école à 14 ans pour un passage éclair dans un salon de coiffure. Sa sensibilité exacerbée le conduit à devenir maquilleur pour Dior, photographe de grand talent, puis parfumeur. 104 | 3 janvier 2013 | Le Point 2103 Depuis plus de vingt ans, cet intello patenté imagine des fragrances mythiques telles que Tubéreuse criminelle, Boxeuses, Vitriol d’œillet, Sa Majesté la rose ou, plus récemment, La Fille de Berlin. « Je me suis passionné pour le parfum au moment où il était proche du néant, à trop vouloir se vendre comme des petits pains. A force de se copier, de mélanger tous les jus, on était arrivé à un inceste commercial », analyse le plus cérébral des parfumeurs. Il y a vingt ans, il imagine Féminité du bois et son écrin du Palais-Royal. Il regrette que l’on associe souvent les femmes à des fleurs et les hommes à du bois. Pour lui, la parfumerie met en émoi les odeurs de l’enfance que l’on va réinterpréter. « Il n’y a pas de disques ou de biscuits pour hommes ou femmes. Alors, du parfum… Faire du marketing d’après-guerre, c’est former des Adam et Eve de la consommation et les séparer pour mieux vendre. La segmentation doit se faire par goût », fustige cet électron libre, à la fois discret et volubile. Une nouvelle fragrance se traduit toujours de façon littéraire avec une histoire qu’il a envie de raconter et de mettre en essence. « Un parfum, c’est comme des mots que vous choisissez pour écrire. Mais c’est beaucoup plus fugace, car ça se déplace », s’enflamme ce formidable conteur. Rêver. Et quand il regarde dans le rétroviseur, il se fait plus grave : « J’ai passé ma vie à rêver. A rêver ma vie plutôt qu’à la vivre », avoue celui pour qui le noir est une couleur récurrente dans son univers. En tout cas, il réussit chaque jour à nous faire voir la vie en rose avec ses fragrances si singulières. Et, pour cela, un simple pschitt suffit. Une fois qu’on a goûté à ce petit supplément d’âme olfactif, on devient vite accro. Et, qu’il le veuille ou non, Serge Lutens n’y peut rien, on l’a dans la peau § MARINE DE LA HORIE www.sergelutens.com. FRANCESCO BRIGIDA - SERGE LUTENS - DR Rare en interview, le parfumeur Serge Lutens nous dévoile un pan de son univers singulier.