« Dans un article célèbre, Le cinéma et la mémoire de l`eau, le
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« Dans un article célèbre, Le cinéma et la mémoire de l`eau, le
« Dans un article célèbre, Le cinéma et la mémoire de l’eau, le critique Serge Daney rendait un très bel hommage à Nani Moretti et à son film Palombella Rossa, dans lequel il affirmait que les métaphores à succès qui marqueraient les années 90 et au-delà seraient aquatiques : ‹ Que d’eau, que d’eau ›, se dira-t-on, en se souvenant de ce qui flottait alors en tout sens : du cours des monnaies au flux des images télévisuelles, de la liquidation du communisme à l’Est à la liquéfaction du sujet à l’Ouest. L’homme moderne doit désormais savoir nager. Et l’expression populaire ‹ ça baigne › dit aussi son étonnement de ne pas couler, et malgré maintes tasses bues, de se maintenir à la surface de l’eau. Cruelle métaphore, quand aujourd’hui l’eau charrie les corps de ceux et celles qui ont voulu fuir des pays en guerre pour rejoindre, ici, l’espoir que représentent nos sociétés européennes. Avec en filigrane, ce mouvement paradoxal de jeunes européens effectuant le chemin inverse pour trouver là-bas, la place et l’espoir que l’on n’a pas su leur donner ici. Alors cette eau nous glace, quand sous nos regards les uns se noient au large des côtes de la Méditerranée dans l’indifférence générale, pendant que d’autres font couler à flot le sang de dessinateurs anars ici, ou de jeunes étudiants kenyans là-bas. Elle nous laisse un goût amer quand les partis populistes, jouant de cette confusion, déversent leur flot d’intolérance et de haine partout en Europe, et particulièrement dans notre pays. Dans ces conditions, il faut faire l’effort de sortir la tête de l’eau. L’art, la culture et la pensée qui en découle, peuvent réellement agir à l’endroit de notre imagination et venir irriguer nos cerveaux, afin d’appréhender en conscience la complexité de nos sociétés et échapper ainsi à tous les obscurantismes. Pourtant, face à ces évidences, on a fermé le robinet des fonds publics qui irriguent les institutions dédiées à cet objectif. Le courant dominant leur oppose une marchandisation forcée dans un système où un point de croissance du PIB vaut projet politique, parfait pour couler ! Malgré ce contexte sombre et trouble, notre saison théâtrale nous fera remonter à la surface, grâce aux bulles d’oxygène issues de l’imaginaire des artistes invités. Elle nous maintiendra à flot, nageant à contre-courant, pour déplacer notre regard à l’endroit de nos représentations. Elle le fera en opérant des décloisonnements culturels et esthétiques, et au couple habituel formé dans cette maison par la musique et le théâtre, s’associeront d’autres univers pour danser des pas de deux. En équilibre avec le cirque, tenu en haleine avec le polar, plein champ avec le cinéma, en perspective avec l’histoire, aux petits oignons avec la cuisine, en mouvement avec le football… Autant de dialogues riches et féconds sur le plateau, qui se prolongeront en dehors, grâce à un ensemble de débats, de rencontres, d’imprévus. Autant de propositions qui nous confronteront pleinement au monde qui — à la surprise générale — ne coule pas, mais flotte et flottera toujours, pour peu qu’on y travaille ensemble. » Mathieu Bauer et Fériel Bakouri