jours heureux au paradis des chevaux

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jours heureux au paradis des chevaux
JOURS HEUREUX AU PARADIS DES
CHEVAUX
RESUME :
Matt regardait le Domaine cher à son cœur. Non rien n’a changé !
Des dizaines de chevaux, sauvés de l’abattoir, s'ébattaient dans les
pâtures. Ces animaux seront placés lors du prochain week-end
d’adoption, ils sont en état, pensa-t-il. Mais ou était son tendre
amour ? Sa Lila bien-aimée ? Au loin, il l'aperçut. Elle était dans les
bras d'un homme, à ses pieds, un enfant. Lila ! Ma Lila ! As-tu oublié
ton Matt ? Ton amour ? As-tu renié ta promesse ? Qui est cet
homme ? Cet enfant ?
Les questions s'enchaînent ; questions qui ont des réponses. Mais le
passé ressurgit et avec lui, de grandes craintes pour l'avenir. Le
destin s’en mêle de nouveau et réclame son dû, son écot. Il a permis
les retrouvailles dans la joie et le bonheur, va-t-il reprendre ce qu'il a
offert ? Un lointain retour en arrière s'impose, retour sur les origines
inconnues de Matt. Il faut quitter le cher Domaine et trouver des
réponses ; le bonheur est à ce prix.
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CHAPITRE 1
La vie au Domaine du Loup Blanc se poursuit. Les trains et
les camions amènent leurs lots de chevaux. Le travail ne manque pas.
Les animaux en souffrance sont soignés et finissent leurs jours
tranquillement, loin du couteau du boucher.
Oui, la vie continue mais sans Matt. Il est parti ! Il doit se
reconstruire et oublier ce terrible début d’année. Il reviendra, il l’a
promis, et la vie reprendra comme avant !
Lila se raccrochait à cette promesse, elle lui permettait de ne
pas sombrer dans la folie. Elle s'abrutissait de travail du matin au
soir. Elle voulait oublier la peine qui lui rongeait le cœur. Vivre sans
Matt, son Matti chéri, était une épreuve plus difficile, jour après jour.
Chaque matin, elle patientait devant le portail, espérant la
lettre. Le facteur, d’un signe de tête, brisait son espoir ; il n’apportait
pas les nouvelles promises. Elle rentrait à la maison, un peu plus
effondrée, retrouvait son ordinateur et se consolait en regardant les
photos de son cher amour. Le remède s’avérait pire que le mal et lui
amenait des torrents de larmes. Elle écrivait une longue lettre
désespérée, lettre qu'il ne recevrait pas, ni celle-ci, ni les précédentes.
Elle avait donné sa parole.
Le Général et Paddy étaient très inquiets. Elle ne surmontait
pas le départ de son cher Matti et ils ne savaient comment la motiver
et la sortir de la déprime. Ses craintes du monde extérieur avaient
disparu comme son sourire et son regard pétillant. Seul le travail lui
permettait d’oublier.
Le train venait de s’arrêter. Le Général et Paddy attendaient
tout en vérifiant une dernière fois, les couloirs de tri.
Déjà, les jumeaux Jim et John ouvraient la porte coulissante du
premier wagon. Les animaux, éblouis par la vive lumière, hésitaient
à descendre. L’eau qui remplissait les seaux incita les plus hardis, les
autres suivirent docilement et descendirent dans le paddock. Ils
étaient assoiffés et sans plus attendre, s’engouffrèrent dans
l’entonnoir, à la queue leu leu.
Paddy et le Général examinaient brièvement chaque animal à leur
descente. Les plus mal en point, les blessés et les étalons étaient
marqués d’une croix à la craie sur l’encolure. Ils seraient dirigés vers
l’infirmerie, les autres suivraient le couloir vers le paddock de repos
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et les stabus.
Les cas critiques recevaient une piqûre pour les stimuler, la
piqûre "coup de fouet." Pour ceux qui ne pouvaient plus se lever, le
tracteur était avancé. Une sous-ventrière était glissée sous l’animal et
le tracteur l’aidait à se remettre sur ses sabots. S’il arrivait à se
maintenir et à se déplacer, il suivait les autres, dans le cas contraire,
il était conduit à l’infirmerie où deux vétérinaires assistés de deux
étudiants l’attendaient. Pour les mourants, une piqûre fatale abrégeait
les souffrances.
Pendant ce temps, les premiers descendus s’abreuvaient des deux
litres d’eau réglementaires. Lila attachait sur chaque licol, une fiche
de couleur plastifiée, numérotée, rose pour les juments, jaune pour
les hongres, et rouge pour les étalons.
L’animal recevait son premier repas, une mesure de son humide
mélangé à de la mélasse, de l’aliment vitaminé et des antibiotiques.
Un second vétérinaire examinait les dents qui déterminaient l’âge
approximatif ; il l’annonçait à Lila qui le notait sur la fiche. Après la
vaccination antitétanique et un vermifuge buccal, le cheval
poursuivait le chemin imposé. Il était photographié avant d’être
envoyé vers la stabu prête à l’accueillir.
A l’infirmerie, le plus gros du travail se poursuivait. Lila, les
trois vétérinaires et leurs élèves triaient et séparaient les chevaux
selon l’urgence et la gravité des cas. Les étalons étaient dirigés vers
les onze box ; ils seraient castrés ultérieurement. Les malades et les
blessés étaient installés dans les stalles séparées et attendaient les
soins. Les élèves vétérinaires s’occupaient des plaies de surface,
coup de pieds, embarrures, traumatismes et les petites sutures sous
œil vigilant d’un vétérinaire. Les œdèmes, les abcès, les réparations
et les opérations se succédaient. Les cas désespérés, fractures,
éventration… étaient gérés immédiatement. La pauvre bête était
emmenée par un vétérinaire et euthanasiée à l’extérieur. La piqûre
mortelle devenait une délivrance. Lorsque la porte latérale était
ouverte, le cœur de Lila se déchirait.
Par manque de temps, les problèmes de sabots étaient soignés
superficiellement. Les vétérinaires géraient les cas les plus
douloureux, les hommes du Domaine se chargeraient des soins ; ils
étaient habitués. Les sublimes, les échauffures de la fourchette, les
seimes très douloureuses demandaient des soins sur le long terme. Le
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maréchal ferrant ferait le nécessaire. La plupart des chevaux en avait
besoin. Pour certain, la corne était si longue que de graves problèmes
d’aplomb, de déformation de sabot étaient visibles. Le maréchal
s’occuperait de parer les pieds et de ferrer à l’aide de fers spéciaux et
sur mesure.
Le dentiste serait invité, lui aussi.
Dans la première stabu, le Général et Paddy avaient
commencé les traitements. Les jumeaux les avaient rejoints et
s’attelaient à la tâche. Les plaies étaient lavées, nettoyées,
désinfectées et recouvertes de poudre d'alu. Pour les plus
importantes, des compresses de Bétadine étaient posées.
Dans les jours suivant l’arrivée des animaux, le téléphone
n’arrêta pas. Les propositions d’adoptions et les demandes d’aide
étaient de plus en plus nombreuses. Sauver et placer les équidés en
souffrance restaient la priorité du Domaine, ce que les particuliers ne
comprenaient pas toujours. Les photos, prises à la descente du train
et envoyé sur Internet, choquaient et provoquaient l’effroi chez de
nombreuses personnes. Elles souhaitaient adopter le plus mal en
point et lui assurer une belle fin de vie. Adopter sous le coup de
l’émotion n’était pas raisonnable même si cela partait d'un bon
sentiment. Les frais engagés seraient très lourds et un minimum de
connaissances vétérinaires était nécessaire. Les chevaux seraient
soignés au Domaine, avant d’être adoptés. De nombreux animaux
arrivés avant eux et dans le même état attendaient une adoption. Ils
étaient en bonne santé, parfois boiteux mais feraient le bonheur de
particuliers et certains seraient de bonne monture.
Lila avait repris ses promenades à cheval, parfois accompagnée du
Général ou de Paddy, ses chers papas. Elle rattrapait le temps perdu
et s’entraînait dès qu’elle le pouvait.
Le Général avait remarqué que les chevaux dressés et montés étaient
adoptés plus facilement. Certains demandaient une remise en
confiance et une promenade quotidienne suffirait. Pour les chevaux
non débourrés, une ou deux semaines de dressage seraient
nécessaires. Il en parla pendant le repas et Lila se proposa pour ce
nouveau travail. Elle en prendrait en main, deux le matin et deux
l’après-midi. Elle décida que les chevaux du Domaine seraient
montés avant d’être adoptés.
Le Général trouvait qu’elle s’attaquait à une entreprise beaucoup trop
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importante. Il n’avait pas prévu un tel programme, mais simplement
réhabituer certains au port d’un cavalier. Lila était enthousiaste et
exaltée par ce projet aussi il laissa faire. Ces deux mois de vacances
seraient bien employés.
Elle commença dès le lendemain matin par les chevaux de la
stabu trois, la stabu des éclopés, des laissés pour compte. Elle les
travaillait, les uns après les autres et obtint de très bons résultats.
Galvanisée, elle continua, encore et encore, réclamant toujours plus.
Elle passait plus de huit heures à cheval. Elle se démenait avec
acharnement et ne perdait pas une minute. Sitôt un cheval travaillé,
elle le bouchonnait, le séchait, le couvrait et passait à un autre.
Paddy et le Général trouvaient qu’elle en faisait trop. Elle s’épuisait
mais retrouvait son courage, son énergie ; ils la sentaient vivante.
Le soir, elle s’écroulait sur son lit mais le sommeil la fuyait et
ses pensées s’envolaient vers Matti, son amour. Elle n’avait aucune
nouvelle ; Matti avait-il oublié sa Lila, sa Princesse ? Il avait eu le
temps de réfléchir, de remonter la pente alors pourquoi ne donnait-il
pas de ses nouvelles ? Il avait promis d’écrire quand il se sentirait
mieux… Il avait promis de revenir mais rien, rien n’annonçait qu’il
tiendrait ses promesses…
Un matin, le Général questionna sur le résultat du
baccalauréat. Elle n’en parlait pas mais la réponse aurait dû arriver
depuis une semaine.
- J’ai oublié.
- Qu’as-tu oublié Princesse ?
- J’ai oublié la date. Le résultat devait être affiché au lycée il
y a quinze jours. J’ai complètement oublié.
- Tu connais le résultat ?
- Non, je n’ai pas surfé sur Internet depuis longtemps. Les
résultats doivent y être. Il faudra que je regarde.
- Tu ne sembles pas pressée de le connaître ?
- Si bien sûr ! Mais je ne sais pas ; de toute façon, les jeux
sont faits, murmura Lila abattue.
- Ne dis pas ça Princesse ! Avec l’arrivée du train, nous avons
été très pris, nous avons négligé ton examen et le regrettons. Paddy a
été plus sérieux que moi, il a acheté le journal ; ton nom est inscrit et
nous aimerions la confirmation. Tu veux bien vérifier sur Internet ?
- Oui, bien sûr. Je le fais tout de suite.
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Lila récupéra son numéro d’inscription et se connecta. La bonne
nouvelle était inscrite sur l’écran ; elle était bachelière avec mention
bien.
- "Mention bien" comme… s’arrêta brutalement Lila.
Le Général la félicita et Lila lui sourit mais le cœur n’y était
pas, elle retenait difficilement ses larmes. Penser à Matti était
toujours si douloureux. Elle se força à sourire et rejoignit Paddy pour
lui annoncer la nouvelle. Le beau diplôme rejoindrait celui de Matti
dans le bureau du Général.
Le fait d’être diplômée ne changea rien, le moral de Lila ne
remonta pas. Elle tenait la maison, soulageait ses deux papas de
toutes les corvées possibles et poursuivait les dressages.
Un animal avait retenu son attention. Une magnifique "furie
noire" fière et puissante qu’elle avait appelé "El Diablo Négro."
C’était un étalon, maintenant hongre, arrivé au Domaine lors du
dernier convoi. Ce magnifique cheval, d’un mètre soixante-dix au
garrot était un mélange d’andalou et d’espagnol. Maltraité, brisé par
les hommes, il était devenu méfiant, pire sauvage et n’acceptait
aucun contact. Il ruait, se cabrait et mordait dès qu’un homme
l’approchait. Le Général ne savait qu’en faire et le laissait enfermer
dans son box. Seule, Belle, la chienne du Général, était acceptée.
L'animal était terrifié, Lila l’avait compris. En cachette de ses
hommes, elle le rejoignait dès qu’elle avait une minute. Elle lui
parlait sans chercher à le toucher. Elle voulait lui réapprendre la
confiance. Elle avait contacté, par Internet, un chuchoteur, "un
homme qui parle aux chevaux" et suivait ses conseils.
C’était son rêve, apprivoiser et monter ce diable noir. Cette beauté
noire, s’il se laissait apprivoiser, il serait une monture idéale pour son
Matti. Elle passait de longs moments avec lui dès que les papas
étaient occupés.
Les premières leçons portaient ses fruits, El Diablo Négro se
calmait dès qu’elle arrivait. Elle pouvait lui caresser les naseaux à
travers les barreaux de sa prison. Elle lui parlait, lui racontait tout ce
qu’elle avait sur le cœur et lui confiait ses peines. Il savait tout du
départ de Matt et de sa tristesse.
Un matin, elle ouvrit la porte du haut et laissa le cheval venir
à elle. Il posa la tête sur son épaule et resta ainsi, quêtant les caresses.
Quelques jours plus tard, une simple corde passée en travers
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de la porte du bas, l’empêchait de sortir et permettait à Lila de le
caresser jusqu’au garrot. Elle passait sur son corps, un foulard blanc
et s’amusait à lui passer devant les yeux, les naseaux et la bouche.
Jamais, le diable noir ne fuyait ou ne répliquait. Lila, en secret,
continua à s’occuper de lui sans jamais le pousser ni le contrecarrer.
Sa persévérance porta ses fruits.
Le Général l’avait surprise alors qu’elle jouait avec lui dans
le paddock de l’infirmerie. Après un moment de crainte, il était resté
les admirer, caché derrière la porte d’un box. Le cheval, en totale
liberté, tournait autour de Lila, pendant qu’elle faisait le poirier, la
tête en bas, les pieds battant l’air. Elle riait et le cheval piaffait
gentiment autour d’elle ; il semblait s’amuser. Lila continua par des
roues, magnifiquement exécutées, d’un bout à l’autre du paddock, il
galopait à ses côtés prenant soin de ne pas la toucher. Des
hennissements de plaisir éclataient dans l’infirmerie. La barrière les
arrêta et Lila caressa la tête fine qui se posait délicatement sur son
épaule. Elle agitait un long foulard blanc devant son nez et il ne
réagissait pas. Elle s’élança le long de la barrière en l’appelant. Il prit
le petit trot et la rejoignit, elle dansait avec le Diable !
Le Général était abasourdi, El Diablo Négro s’était laissé
apprivoiser et Lila retrouvait sa joie de vivre. Elle reconduisit le
cheval dans son box et le brossa. Elle lui prenait les pieds, le
caressait partout, il ne bougeait pas. Lorsque le Général s’approcha,
il coucha les oreilles et recula. Lila continua à lui parler et à le
caresser. Il se calma mais resta sur ses gardes.
Lila sortit du box et attendit l’orage mais le Général, trop
surpris, ne rouspéta pas. Lila lui expliqua qu’elle dressait le cheval
pour Matt. A son retour, il aurait un super compagnon. Elle se sentait
mieux depuis qu’elle avait ce but. Elle demanda son aide et ses
conseils pour dresser El Diablo Négro.
Son papa était prêt à tout pour sortir sa fille de la déprime et
ramener le sourire sur son visage. Elle était si pâle et ses yeux cernés
révélaient ses nuits d’insomnie. Ses jeans flottaient et tenaient grâce
à la ceinture de Matt. Si dresser ce cheval l’aidait à se sentir mieux, il
répondrait présent.
Quelques heures par semaine, Il la rejoignait et lui donnait de
précieux conseils. Elle poursuivait son dressage, dès qu’elle avait un
instant. C’était loin d’être la panacée, mais c’était un début, elle
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oubliait sa tristesse et ses douleurs quand elle était avec El Diablo.
Elle se sentait si seule, si mal ! Vivre sans son cher amour était si
difficile, la séparation si longue. Quant allait-il rentrer à la maison ?
Ses maux de tête fréquents et ses douleurs abdominales soudaines,
fulgurantes et tenaces, continuaient. Elle n’en parlait pas et préférait
les ignorer. Alors qu’elle travaillait un nouveau cheval, une
souffrance terrible la plia en deux. Couchée sur l’encolure de sa
monture, elle attendit le temps de récupérer. Mais la douleur persista
et elle s’écroula sur le sol, évanouie.
Ce fut le Général qui la trouva sans connaissance. Le cheval,
rentré seul vers sa pâture, l’avait tout de suite alarmé. Rapidement, il
sauta dans la voiture et se dirigea vers le pré aux poulains. Lila gisait
inanimée. Il lui parla, la retourna et la palpa pour déceler
d’éventuelles fractures. Son visage en sueur l'affola et il réitéra ses
appels. Elle reprit connaissance, aperçut le Général et le rassura. La
douleur s’estompait mais elle était toujours présente. Elle n’osait se
redresser. Le Général toujours soucieux, lui demanda si elle avait fait
une chute. Suite à sa réponse négative, il l’aida à se relever. Elle se
tenait le ventre et restait plié. Il la conduisit à la voiture et la ramena
à la maison.
Le médecin arriva et l’ausculta. D’après les explications du
Général, il craignait l’appendicite ou pire la péritonite. Les douleurs
se calmaient et Lila ressentait toujours une gêne. Il la questionna et
elle lui avoua que ses douleurs dataient d’un mois environ. Elle
pensait que c’était dû au départ de Matt puis des courbatures, les
montes quotidiennes en seraient responsables.
Elle n’avait pas les symptômes de l’appendicite et comme les
douleurs dataient de début juillet et persistaient, le médecin l’envoya
aux urgences pour vérifier ses soupçons.
A l’hôpital, le Général ne quitta pas Lila. Elle détestait ces lieux de
souffrances et insista pour qu’il reste près d’elle. L’infirmière apporta
l’échographe et examina l’abdomen de Lila. Elle rassura Lila et sortit
avec le papa. Lila remit son tee-shirt et patienta ; une infirmière
venait lui faire une prise de sang pour un check-up.
En sortant du service, le papa lui proposa un café, à la
cafétéria de l’hôpital.
- Tu as l’air soucieux, l’infirmière n’a pas osé parler devant
moi… C’est si grave que ça ?
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- Grave non, imprévu, surprenant, inattendu !
- Raconte, c’est quoi ? Une maladie grave, un cancer ?
demanda-t-elle calmement.
- Non ! Dieu merci. Tu n’en as aucune idée ?
- La tension, le stress, c’est nerveux ?
- Non ça n’a aucun rapport.
- Alors c’est quoi ?
- Tu vas avoir un petit bébé, murmura le Général.
- Un bébé ? Tu te moques de moi ?
- Je ne me moque pas, tu es enceinte, tu vas avoir un bébé.
- C’est impossible, elle s’est trompé, affirma Lila
catégorique.
- Non, ma Lila, je l’ai vu sur l’écran, elle me l’a montré. Tu
es enceinte de sept mois, l’arrivée de bébé est prévue pour la fin
septembre.
Lila fouillait dans ses souvenirs, sans prêter attention à son papa. Il
était inquiet. Comment Lila allait réagir devant cette grossesse
accidentelle ?
- La date, ça donne janvier… J’ai fait l’amour avec Matti le
soir de nos fiançailles. Le lendemain, j’ai été au médecin pour un
moyen de contraception… Je ne l’ai jamais pris, c’était le jour de
l’enlèvement… Il doit toujours être dans mon sac… Nous n’avons
jamais recommencé, je n’y avais plus pensé. Tu es sûr que j’attends
un bébé ? Ce n’est pas possible, je le saurais, je l’aurais senti, je ne
sais pas… Une femme qui attend un bébé à des soupçons, des
pressentiments, des nausées. Oui ! Elle vomit le matin… Je ne sais
pas. Le poids, j’aurais du prendre des kilos, prendre du ventre, pas
maigrir…
- Tu as subi beaucoup d’épreuves, c’est peut-être pour ça que
tu as eu une grossesse atypique. Je ne peux pas répondre à tes
questions mais si tu veux nous pouvons retourner à l’hôpital.
L’infirmière nous attend ; elle m’a dit que nous pouvions repasser, si
nous avions des questions.
Effectivement, elle attendait. Elle bipa la gynécologue
obstétrique. Lila et le Général eurent quelques réponses à leurs
questions. L’infirmière leur proposa de regarder les photos prises lors
de l’échographie. Lila restait septique, elle avait du mal à croire
qu’un petit être vivait, respirait et bougeait en elle. Elle examina les
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photos de son bébé puis les montra au Général.
La gynécologue lui détailla et leur montra les mains, les pieds
et le visage. Elle lui demanda si elle souhaitait savoir le sexe. Lila se
retourna vers le Général, quêtant son avis. Il haussa les épaules en
souriant, c’était à elle de décider. Elle se tourna vers le médecin et
acquiesça d’un signe de la tête. Elle pointa le doigt sur une des
photos et leur dit :
- Vous voyez, cette petite chose, c’est son pénis, c’est un petit
garçon.
Lila n’en revenait toujours pas. Elle ne comprenait pas, elle
n’avait pas eu de soupçons. Tout était normal, ses règles étaient plus
ou moins faibles, mais elles étaient là… Rien ne lui semblait logique.
Ils quittèrent l’hôpital. Le Général n’osait poser de question.
Il ne savait pas si elle en était heureuse ou non. Sa vie allait changer,
ses études et Matt le papa, il l’avait complètement oubliée…
Arrivée au Domaine, Lila se dirigea directement vers la
maison. Elle s’écroula dans le rocking-chair, souleva son tee-shirt,
regarda son ventre plat et le caressa. Un bébé, elle allait avoir un
bébé, un fils, le fils de son Matti chéri, leur enfant.
Elle pleurait quand le Général entra. Elle lui sourit à travers
ses larmes :
- Je suis déconcertée, perdue, je ne sais pas quoi faire.
- Je crois que tu n’as pas beaucoup de solution, sourit le
Général.
- Tu sais, je crois que je suis heureuse mais j’ai si peur !
- Tu veux le garder, alors ?
- Bien sûr ! Quelle question ! Pourquoi, dis-tu cela ?
- Tu semblais tellement désolée d’être enceinte ! Je me suis
posé la question.
- Je ne m’y attendais pas du tout, c’est vrai. Mais avorter, tuer
le bébé de mon Matti ? Oh non ! Jamais je ne ferais une chose aussi
horrible. Je l’aime mon petit !
Le Général était soulagé, elle acceptait son bébé.
Heureusement, car elle n’avait plus le choix, l’avortement était
impossible à ce stade très avancé.
- Oui, je l’aime mon petit ! Papa, je te présente : Mattis
Junior, Nathanaël Paulin, Quentin Roque Brune Maréchal.
- Tu as déjà choisi ses prénoms ?
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- Ils sont venus tous seuls. Ce sont les prénoms des trois
hommes que j’aime le plus au monde, c’est logique. Je ne veux pas
oublier Quentin, le papa de Matti. Je suis si inquiète, je veux être une
bonne mère, comment faire ? Je ne connais rien aux bébés, s’inquiéta
Lila.
- Ne te fais pas de soucis. Tu seras une très bonne maman,
comme ta maman l’a été. Elle serait si fière de sa fille !
- Tu ne m’en veux pas ? Toi aussi, tu seras fière de moi ?
- Je crois que c’est un signe du destin. Bien sûr, j’aurais
préféré que ce petit bout de chou attende quelques années avant de
montrer le bout de son nez. Tu es jeune et tu n’as pas terminé tes
études mais Paddy et moi nous serons toujours là pour toi et ton petit
; tu pourras compter sur nous. Nous prendrons soin de vous jusqu’au
retour de Matt.
- Matt, je lui ai donné ma parole de ne pas le contacter, ni de
l’appeler, ni lui écrire. Que dois-je faire ? Si je lui dis pour notre
bébé, il va rentrer… Il se sentira obligé de revenir. Il arrêtera ses
études… Que dois-je faire Papa ?
- Tu as le temps de réfléchir. Ne t’inquiète pas et penses à ton
petit. Tu dois rester calme et arrêter de te poser des questions. Tu as
malmené ce bébé, je crois que maintenant tu dois penser à lui et
prendre soin de vous deux.
- Tu as raison. Je n’en ai pas pris soin mais c’est fini. Je vais
veiller sur lui et prendre soin de ma santé. Je ne veux pas te décevoir
une nouvelle fois !
- Tu ne m’as jamais déçu ma Lila ! Ne dis pas une telle chose.
Je sais que cette fois encore, tu trouveras la force en toi et tu feras
tout ce qui est nécessaire pour ton bien-être et celui de ton petit.
- J’ai tant de mal à vivre sans lui, il me manque à chaque
instant. J’ai si mal à l’intérieur ! Les journées et les nuits sont si
longues, il est parti depuis si longtemps maintenant ! J’aimerais tant
qu’il revienne ! murmura-t-elle les larmes aux yeux.
- Je le sais ma Princesse, nous l’attendons avec impatience.
Dès qu’il ira mieux, il rentrera à la maison ; il nous l’a promis. Tu
dois être patiente et penser à toi et à ton petit.
- Tu as raison encore une fois. Je fais preuve d’égoïsme.
Matti est seul, moi je suis entourée et il m’a laissé le plus cadeau du
monde, un merveilleux cadeau, son fils.
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- Maintenant ma fille chérie, c’est ton papa qui te parle et le
papy de mon petit-fils. Terminés les débourrages, les chevauchées,
les dressages… Pour ce qui est de Matt, tu réfléchis, tu as du temps
devant toi.
- C’est vrai, tu vas devenir papy, tu te rends compte, tu vas
être papy. Mon bébé va avoir deux papys. Tu veux bien annoncer la
nouvelle à Paddy.
- J’y vais de ce pas. Il va être très heureux, lui aussi. Je ne
veux plus te voir autour des chevaux, tu dois prendre soin de toi et de
mon petit-fils. Je t’aime ma Princesse chérie !
- Je t’aime papa !
Lila se leva, le Général la serra délicatement contre lui avant
de l’embrasser.
Paddy arriva dix minutes plus tard, il embrassa Lila et la
félicita. Il refusa son aide à la préparation du repas et la traita comme
une précieuse porcelaine.
Lila décida de n’écrire à Matti. Elle attendrait sa lettre et
verrait alors, à ce moment là. Elle avait toujours tenu ses promesses
et lui aussi, donc, il écrirait quand il irait mieux. Elle rapporta sa
décision aux papas et sollicita leur avis. Ils ne l’aidèrent pas. C’était
sa décision et ils la respecteraient.
Lila fut dorlotée et gâtée par les deux hommes. Ils
s’empressaient et elle se retrouva bientôt étouffée. Elle n’avait plus
le droit d’étendre le linge, de s’occuper de Belle et Misère les chiens,
de sortir s’il faisait frais, la vaisselle lui était interdite, passer le
balai… Elle se fâcha et les menaça de ne plus quitter son lit et de
faire la grève de la faim, s’ils poursuivaient leur harcèlement. Elle
eut le dernier mot et retrouva sa place dans la maison, derrière les
fourneaux et au ménage. Etendre le linge était déconseillé aussi elle
laissa la corvée aux hommes.
Elle se rendait aux consultations très sérieusement et suivait
les prescriptions et les conseils de la gynécologue, à la lettre.
Le général et Paddy l’avaient emmenée dans les magasins
pour acheter tout ce qu’il fallait pour l’arrivée du bébé. La voiture fut
vite remplie et ils firent plusieurs tours pour tout ramener.
En tout premier lieu, ils changèrent le papier peint. Lila avait
choisi un papier bleu pâle en faux uni, imprimé d’animaux. Ensuite,
ils s’attaquèrent aux meubles. La salle était encombrée de cartons.
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Les chiens ne savaient plus où mettre les pattes.
Les papas passèrent toute une semaine à monter et installer le
petit lit à barreaux, la table à langer, les nouveaux meubles de
rangement, les étagères, la commode… Puis ce fut le tour du landau
transformable en poussette, de la nacelle, d’un siège enfant et d’un
siège auto, d’une chaise haute convertible en table d’écriture et le
parc en bois.
La chambre de Lila et de Matt fut transformée en chambre de
nourrisson. Rien n’avait été oublié, un abat-jour en forme de lune,
une veilleuse chat, un interphone. Mais aussi, une toise à tête de lion,
un mobile à accrocher au-dessus du lit, des autocollants fluorescents
à mettre sur les murs, un porte-manteau en peluche avec une tête de
cheval. Pour terminer, un joli coffre à jouets remplit de petits
nounours de hochets, la petite table et sa chaise assortie. Lila avait
insisté pour garder les deux gros nounours. Matt et elle les avaient
reçus pour un Noël et les avaient toujours aimés. Elle commença à
remplir les meubles de petits vêtements du premier âge au trois mois,
des petites parures de draps, couvertures, alèses… Elle disposa tous
les accessoires de toilette dans la table à langer placée dans la salle
de bain…
La cuisine n’échappa au changement et il fallut trouver de la
place dans les placards pour le stérilisateur remplit de biberons et
prêt au service, le chauffe biberon, les divers appareils électriques
pour mouliner et mixer les aliments, les petites assiettes, gobelets et
couverts, les bavoirs…
Tout était près pour l’arrivée du bébé.
Lila prenait soin de son petit et ne forçait plus. Elle mangeait
équilibrée mais elle ne prenait pas beaucoup de poids. Elle n’avait
pas d’appétit et s’en inquiétait. Elle dormait peu malgré les tisanes de
Paddy et ses nuits restaient peuplées de cauchemars. Les larmes
coulaient, intarissables et silencieuses pour ne pas inquiéter le
Général.
Matt n’avait toujours pas donné de nouvelle ce qui ne la
rassurait pas. Il ne pouvait oublier sa Lila, ses papas et son cher
Domaine. Elle s’inquiétait de son silence et se demandait si un
accident, un problème grave ne l’empêchait pas d’écrire ou de
téléphoner. Elle refusait d’y croire mais la peur s’accentuait.
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CHAPITRE 2
Lila semblait épanouie et heureuse. Mais le Général et Paddy
ne s’y trompaient pas et savaient qu’elle se languissait toujours de
lui. Ils la surprenaient pensive et mélancolique, les yeux rougis de
larmes. Ils n’avaient aucune nouvelle, l’école avait refusé de leur
donner son adresse, Matt était majeur et seul responsable de sa vie.
Au Domaine, le train-train quotidien se poursuivait pour les
chevaux. Ils ne ressentaient nullement les changements qui
s’opéraient dans la vie de leurs soigneurs. Jim et John leur donnaient
tous les soins nécessaires. Le Général s’occupait de la paperasse et
d’El Diablo, Paddy, des chevaux et des adoptions. Ses poulains
étaient tous partis sauf son chouchou, le petit boiteux qui avait
rejoint la stabu trois, celle des éclopés, des laissés pour compte.
Le mois de septembre se terminait et Lila restait très
surveillée et choyée. Ce fut en fin de matinée que les premières
contractions arrivèrent. Elle poussa un cri et, se tenant le ventre,
appela Paddy. Il préparait le repas et accouru bien vite. Il sonna la
cloche à toute volée. Le Général amena la voiture. Ils s’étaient mis
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d’accord, dès qu’il y avait un problème, la cloche devait tinter et l’un
d’eux amènerait la voiture, prêt à conduire leur Princesse à l’hôpital.
Mieux valait une fausse alerte qu’un problème.
Arrivée à la maternité, Lila supplia son papa de rester avec elle. Elle
souffrait beaucoup, les contractions étaient fréquentes et
rapprochées, mais son fils n’était pas décidé à venir au monde.
Lila avait peur et elle avait mal. Elle fut mise sous perfusion.
Le Général et Paddy se relayaient à son chevet. Ils rentraient dans la
salle, lui essuyaient le front, lui tenaient la main… et souffraient avec
elle.
Ce n’est qu’en fin d’après midi que le bébé se décida à
arriver. L’accouchement fut long et difficile. L’enfant apparu et
poussa son premier cri avant d’être déposé sur le ventre de Lila. Le
gynécologue lui présenta les ciseaux et elle désigna son papa. Emu, il
coupa délicatement le cordon ombilical entre les deux pinces et le
bébé fut libéré du placenta.
Lila embrassait son fils en pleurant, elle regrettait que son
Matti ne soit pas présent. La sage femme s’approcha pour récupérer
Mattis Junior mais Lila lui demanda de le donner à son papa ; ils
devaient faire connaissance. Paddy fut appelé lui aussi et eut la
possibilité de l’embrasser avant qu’il ne soit emmené pour les soins.
Tout cela n’avait duré que quelques minutes.
Lila avait fait du bon travail, Mattis Junior était en bonne
santé. Il mesurait cinquante-deux centimètres et pesait deux kilos et
six cents grammes. C’était un beau bébé.
Lila se posait de nombreuses questions et voulait le meilleur pour
son petit. Elle ne connaissait rien aux bébés et l’avoua. La sage
femme lui donna de nombreux conseils et la rassura. Lila s’inquiétait
du poids de son bébé et souhaitait l’allaiter, c’était conseillé ; ses
seins étaient petits, serait-elle en mesure de le faire ? Elle fut
rassurée, la taille n’a aucune incidence sur le volume de lait ; oui le
lait contenait tout ce qu’il fallait pour le petit. Comment s’occuper
d’un si petit bébé, comment le porter, le changer…?
Toutes ses questions trouvaient des réponses et Lila se rassurait. Elle
portait son bébé directement sur sa peau, "le peau à peau" appelée
encore, "la méthode kangourou" pour faciliter le contact mère-enfant
et servir de couveuse naturelle à son petit.
Quatre jours plus tard, la maman et son fils quittaient la
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maternité et rentraient au Domaine.
Mattis Junior, appelé Mattis et le plus souvent "petit Amour
ou petit Prince" se trouva choyé et entouré par sa maman mais aussi
par ses deux papys. Les premiers mois, il les passa à manger, dormir
et à se faire câliner. Il profitait de longues promenades, avec l’un de
ses papys, bien protégé dans son landau. Ils étaient toujours
disponibles pour la sortie du petit prince.
Lila n’avait pas repris les cours, après l’obtention de son bac.
Elle s’était inscrite au CNED et poursuivait ses études de secrétariat
par correspondance. Elle pouvait s’occuper de son fils tout en
préparant ses examens. Elle rendait de fréquentes visites à EL Diablo
et le sortait à la main. Elle parlait de reprendre l’entraînement.
Elle ne sortait jamais du Domaine et vivait pour ses trois
hommes son fils, le Général et Paddy. Elle n’avait pas oublié Matt
mais n’en parlait plus. Elle n’avait reçu aucune nouvelle et présageait
qu’il l’avait oubliée. Elle portait toujours sa bague de fiançailles et
son alliance. Elle n’en éprouvait aucune gêne, elles faisaient parties
d’elle. Matti portait-il toujours son alliance ?
Sa vie se poursuivait, partagée entre ses hommes, les chevaux
et les études. Elle adorait son fils et s’en occupait avec amour et
sérénité. Elle arrêtait tout pour le prendre dans ses bras à son réveil,
jouer avec lui, le câliner, lui raconter l’histoire d’un "Petit Ours
Brun" qui devait ramasser des fruits. Elle ne se plaignait jamais,
travaillait beaucoup à ses études, dressait à nouveaux les chevaux,
s’occupait de la maison et de ses hommes. Elle semblait heureuse, ce
bonheur simple lui suffisait. Elle souriait souvent mais son regard
s’était éteint et ses yeux ne pétillaient plus. Le nom de Matt n’était
plus prononcé. La dernière fois, le Général avait voulu lui parler d’un
courrier qu’ils avaient reçu ; Lila, à l’évocation du prénom, avait
sangloté pendant des heures sans pouvoir s’arrêter. Le Général avait
compris que la plaie était à vif et avait préféré se taire. Il ne lui
parlait pas des lettres qui arrivaient régulièrement chaque semaine.
Rory, l'ami d'enfance, était passé au Domaine. Il avait un
appartement proche de la faculté. Il ne rentrait pas souvent et
travaillait pour financer ses études. Lila avait discuté avec lui de tout
et de rien. Quand il avait demandé des nouvelles de Matt, Lila avait
réagi de la même façon qu’avec le Général et elle s’était sauvée vers
la maison retrouver son fils et Paddy. Rory, ennuyé, avait questionné
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le Général qui avait répondu succinctement à ses questions. Matt
était parti étudier et Lila n’avait pas accepté leur séparation forcée.
Mieux valait ne pas prononcer son nom. Rory était revenu le
lendemain et avait fait la paix avec Lila.
Les papys restaient béats et s’extasiaient devant le petit
Prince, ses premiers sourires, ses premiers mots, ses éclats de rires…
Ils jouaient avec lui, allongés sur le tapis devant la cheminée, lui
racontaient des histoires et l’écoutaient babiller. Il savait se faire
comprendre et appelait pour attirer l’attention. Il réclamait son petit
morceau de fromage, une tartine beurrée ou un gâteau.
La première fois qu’il avait dit papy, il avait neuf mois. Le
Général était resté figé. Il lui avait demandé de répéter et n'avait
obtenu qu’un éclat de rire. Un mois plus tard, il disait maman en
regardant Lila. Papy, Paddy sortaient naturellement pour l’un ou
l’autre de ses papys, suivant son envie.
L’humeur mélancolique de sa maman se transformait dès
qu’elle retrouvait son petit Prince. Il trottait à quatre pattes et se
déplaçait relativement vite. Il était gai et heureux, riait des facéties de
ses papys. Quand elle préparait le repas, elle le prévenait que les
papys allaient arriver. Il écoutait attentif, relevait son petit index et
regardait en direction de la porte. Par jeu, les hommes frappaient
avant d’entrer, patientaient quelques secondes puis poussaient la
porte. Ils découvraient alors le petit qui les attendait puis se sauvait
en riant. Le jeu l’amusait beaucoup.
Paddy fit la remarque qu’il ne tarderait pas à marcher. Il se
redressait et se tenait debout en s’agrippant aux meubles, à leurs
pantalons… Il ne se trompait pas, à quatorze mois, Mattis s’élança
dans ses bras, il marchait.
C’était un fils et petit-fils de cavalier et il ne déshonorait pas
ses origines. Paddy sellait le brave vieux Noisette et Lila y grimpait
son petit cavalier de fils. Il n’avait peur de rien et était très heureux.
Quand il apercevait son second papy, il applaudissait et éclatait de
rire.
Les visites de Rory devinrent hebdomadaires. Tous les
samedis après-midi, il venait au Domaine. En retrait, il admirait Lila,
la dévorait des yeux. Il aimait la voir débourrer les chevaux et surtout
monter El Diablo Négro. Elle semblait libre et presque… heureuse.
Elle oubliait tout. Sur son visage, les accès de mélancolie et de
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tristesse s’effaçaient, elle revivait. Elle était si belle avec ses cheveux
flottant au vent. Indifférente à toute forme de coquetterie, elle était
restée simple, effacée et ne cherchait pas à plaire. Les amourettes et
les flirts étaient inconnus de Lila.
Il lui avait proposé des sorties, une balade en voiture, aller en
discothèque ou simplement une soirée cinéma. Elle avait toujours
refusé. Il l’aimait et ne savait comment lui avouer. Elle était si
différente des filles qu’il connaissait et de celles qu’il avait
fréquentées ! Il se décida et opéra en douceur.
- Le samedi est le jour que je préfère. Les semaines sont
longues et difficiles mais il me suffit de penser au samedi et je
reprends courage.
- Le retour au village te fait du bien.
- Ce sont ces après-midi au Domaine qui me remontent le
moral.
- Nanny disait qu’il n’y avait rien de meilleur que l’air pur du
Domaine.
- Ce n’est pas l’air, c’est toi. J’aime être avec toi. J’aime te
retrouver le samedi. J’ai beaucoup d’affection pour toi.
- Je t’aime bien, moi aussi, répondit-elle naïve et naturelle.
- Tu penses ce que tu dis ?
- Oui, c’est vrai. Tu es mon meilleur ami et je t’aime
beaucoup.
Il se méprit sur ses paroles et tenta de l’attirer à lui. Lila,
déconcertée, le repoussa. Rory étonné lui demanda :
- Qu’est ce que tu as ? Tu me dis que tu m’aimes et tu me
rejettes ?
- C’est vrai, mais pas comme ça, enfin…
- Désolé, tu n’as pas compris ce que je voulais dire. Je
t’aime ! Il y a longtemps que j’ai des sentiments pour toi. Je croyais
que tu l’avais compris.
- Je suis désolée, tu es un ami, je te considère comme mon
ami, mais pas ainsi enfin… Je ne sais pas les mots qu’il faut dire, ni
comment se comporter. Je t’aime bien c’est vrai mais je ne voulais
pas, je, tu, enfin non, je… bafouilla Lila.
- Tu ne veux pas sortir avec moi ? C’est ça ?
- Je t’aime bien mais ce n’est pas…
- Ce n’est pas de l’amour. Tu ne penses pas à nous comme un
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couple ?
- Non ! Enfin oui, c’est ça.
- Ce n'est pas de l’amour, c’est ça ?
Lila acquiesça de la tête.
- J’espérais. Tu semblais contente de me voir. Je pensais
qu’avec un peu de temps, tu finirais par m’aimer…
- Je t’aime bien et j’apprécie tes visites. Je suis désolée, je ne
voulais pas te tromper.
- Laisse tomber. C’est Matt ? C’est lui ? Tu l’aimes toujours ?
C’est ça, j’ai bien compris ?
Lila fit un signe de la tête. Elle se détourna, les larmes lui
brûlaient les yeux et coulèrent sur son visage. Rory la prit dans ses
bras et la laissa pleurer. Quand elle s’arrêta enfin, elle se sentit plus
calme et s’excusa, gênée de s’être laissé aller.
- Pas d’excuse, j’aurais du le comprendre. Je me suis mépris.
J’espérais le remplacer dans ton cœur, prendre la place vide. Avec le
temps, je pensais que tu l’oublierais mais je n’y croyais pas
beaucoup.
- Tu ne pouvais pas le savoir ; je ne pourrai jamais oublier
Matti.
- Il y a longtemps que je le sais, mais j’ai tenté ma chance.
J’ai des sentiments pour toi, je t’aime depuis la sixième. Au début,
c’était ta beauté qui m’a attiré, ensuite toi. J’aime tout en toi. Je me
suis toujours dis que tu étais quelqu’un de très spécial. J’étais jaloux
de Matt, tu sais ! Il t’appelait sa Princesse. Vous étiez frère et sœur
sans y être, toujours ensemble, si complices et si proches. Quand
vous vous retrouviez, plus rien n’existait autour de vous. Vous étiez
seuls au monde, dans votre bulle. J’ai vite compris votre système
lorsque vous vouliez vous retrouver tous les deux. Vos yeux parlaient
pour vous. Matt te lançait un regard, tu t’éloignais et il te suivait.
Vous n'aviez pas besoin de parole. Toi, ton regard s’illuminait quand
il arrivait. J’aurais tant aimé qu’il s’illumine pour moi… Bref !
Mattis, ton bébé, c’est son fils ? Il lui ressemble tellement ! J’aurais
du comprendre. Matt a bien de la chance, j’espère qu’il en est
conscient. Il part étudier et laisse derrière lui son fils et la plus jolie
fille que je connaisse. Mais il est parti depuis plus d’une année…
- Il reviendra un jour.
- C’est long un an. Il a de la chance. Je ne connais pas une
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fille qui serait restée fidèle.
- Je l’aime !
- Je sais. C’est énorme ! Il a vraiment de la veine. Tu es belle,
sérieuse et parfaite.
- Ne dis pas ça, tu te trompes. Je ne suis rien de tout ça sinon
il ne serait pas parti.
- Je sais ce que je dis. Je regrette. J’aurais aimé te rencontrer
avant lui. Je peux t’assurer que je ne t’aurais pas quittée. Je ne
t’aurais pas laissée à la merci des copains. Je crois que j’ai compris.
- Tu es fâché ?
- Non, même pas. Vous venez de me briser le cœur, Princesse
Lila mais je m’en remettrai, plaisanta Rory pour détendre
l’atmosphère.
- Nous restons amis ?
- Bien sûr ! Amis, simplement amis, sans arrière pensée.
- Je suis d’accord, j’aime bien ton amitié, tu sais.
- Okay ! N’en dis pas plus, c’est bon, j’ai compris. Je serai et
resterai le bon vieux copain Rory, mieux que ça, l’ami de la belle
Princesse inaccessible. Je prends ça comme un privilège, venant de
toi. Tu as le droit de changer d’avis, si tu veux, et me trouver une
grande place dans ton cœur.
Depuis ce jour, ils étaient devenus amis. Rory venait souvent et ils
discutaient ; Il lui racontait sa semaine. Il lui confiait ses histoires de
cœur devant un café, dans la maison d’accueil.
Rory ne passa jamais le portillon qui interdisait à tous,
l’entrée de la grande maison. C’était le foyer de Lila et de son petit.
La petite maison de Nanny était occupée par le Général, depuis
l’arrivée de l’enfant.
Lila restait protégée par un grillage qui entourait les deux
maisons et le pré de leurs poneys. Tout le long, une haie d’arbustes à
fleurs ne demandait qu’à grandir et le cacher. Le portillon s’ouvrait
sur des arcades qui descendaient jusqu’à la maison. De jeunes rosiers
grimpants les recouvriraient bientôt. Des arbustes, des arbres, des
parterres de fleurs avaient été plantés çà et là et des pas japonais
permettaient de d’y promener, les pieds au sec. Un terrain de jeux,
avec toboggan, balançoire et bac à sable… avait été créé par ses
papys. Une allée cimentée faisait le tour et lui permettait de s’amuser
avec son trotteur et un petit camion rouge.
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A proximité, une tonnelle ronde tout en bois, entourée de pergolas
fleuries de glycines bleues et roses, cachait un salon de jardin. Il les
accueillait l’été, pour les repas familiaux. L’emplacement permettait
de surveiller discrètement l’enclos des poneys, le terrain de jeux de
Mattis et le portillon.
Les papys et les jumeaux, les hommes du Domaine, avaient
créé un petit paradis pour Lila et le petit Prince. Ils y étaient les
seules personnes admises.
Noël était là, le second Noël sans Matt, pensait Lila en
décorant le sapin. Mattis, son petit Prince avait à peine quinze mois.
Il était tout pour elle. Il était vif et éveillé. Il comprenait beaucoup de
choses et souriait en permanence. Ses éclats retentissaient à tout
instant et amusaient les adultes. Lila regrettait que son papa ne le
connaisse pas mais elle avait promis et cette promesse lui coûtait
bien des nuits sans sommeil. Matt l’avait oubliée. Il était parti depuis
si longtemps maintenant, une année et sept mois à peine, presque
dix-neuf mois sans nouvelle. Lila ne l’attendait plus, ne l’espérait
plus. Mais chaque voiture qui s’arrêtait au Domaine lui donnait un
petit espoir. Pendant quelques secondes, elle retenait sa respiration et
guettait la personne, ce n’était jamais l’être rêvé et tant espéré. Son
cœur saignait à chaque déception. Elle s’apercevait alors qu’elle y
pensait toujours, se languissait jour après jour, les désillusions
faisaient si mal.
Les week-ends d’adoption réveillaient sa peine. De nombreux
jeunes profitaient des portes ouvertes pour s’y promener. Lila, qui ne
les avait jamais remarqués auparavant, dévisageait les jeunes
hommes grands et bruns. Elle s'approchait, reconnaissait son erreur
et s'enfuyait. Pas une journée sans qu’elle n'espère son retour et
chaque soir fermait un peu plus la porte de l’espoir. La lumière au
bout du tunnel ne s’allumait pas. Elle regardait son petit amour et le
prenait dans ses bras. Il réclamait le sein et elle le lui donnait. Elle
aurait du le sevrer depuis longtemps mais elle ne pouvait si résoudre.
La tétée la rapprochait un peu plus de son fils donc un peu plus de
son papa. Elle en profitait pour lui parler de cet homme qu’il ne
connaissait pas. Elle lui remplissait la tête avec son prénom et leurs
histoires heureuses du passé.
Le petit prince trottait très bien et suivait les hommes autour
des chevaux pendant que sa maman s’occupait du secrétariat ou du
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débourrage.
Ce n’était pas un samedi comme les autres. Il n’y avait pas de
marché ; une course cycliste l’avait annulé. Lila chevauchait EL
Diablo, dans l’enclos. Il était devenu magnifique et le monter était un
vrai plaisir. Lila le détendait en répétant les figures du dressage ;
calme, il répondait aux ordres ; pour tout harnachement, le foulard
blanc autour de l’encolure.
Rory était arrivé et attendait qu’elle termine. Il s’approcha
rapidement, un peu trop rapidement au goût d’El Diablo qui s'énerva.
Lila le reprit mais il risquait de se cabrer à tout moment. Elle le fit
tourner sur lui-même, il se calma, Lila le flatta et le laissa se
détendre. Rory, impatient, revint à la charge et lui cria :
- Lila, j'ai trouvé la femme de ma vie ! Elle s'appelle Julie !
Elle te ressemble, elle est géniale. Elle vient cet après-midi.
J’aimerais te la présenter !
- Si tu veux, sourit Lila heureuse de son bonheur.
Paddy, suivit de Misère, arrivait avec le petit Prince.
- Lila, tu es attendue à l’accueil. Rory ? Peux-tu t’occuper de
ce petit Prince ? Je n'ai aucune confiance en ce canasson.
Paddy lui confia Mattis avant d'ouvrir la barrière. Lila sauta à
terre et ôta le foulard d’El Diablo et le libéra dans le pré aux
poulains. Elle récupéra son fils et dit à Rory :
- Après la sieste de ce petit homme, je t’attendrai avec ton
amie.
Heureux de sa réponse, il les enlaça tous les deux.
- Tu es la meilleure des meilleures, assura-t-il avant de se
sauver. Je dois me préparer pour recevoir ma belle.
Lila s’amusa de sa joyeuse euphorie et expliqua toute
l’histoire, à son fils.
Paddy l’appela :
- Presse-toi, ma Lila ! C'est une bonne nouvelle. Nous deux,
nous reprenons notre promenade interrompue.
L’enfant embrassa sa maman en babillant des "pi ti a ou",
Lila embrassa son petit Amour et se dirigea vers la maison d’accueil
sans se presser. Elle n’attendait pas d’adoptant et n’aimait pas les
visites imprévues.
Devant les marches, elle remarqua la silhouette d’un homme.
Il attendait et regardait dans sa direction. Elle s’approcha et
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s’immobilisa stupéfaite. Son cœur s’accéléra et s’emballa, des
frissons glissaient le long de sa colonne vertébrale pourtant elle
brûlait. Elle ne bougeait plus, figée, pétrifiée sur place, les yeux fixés
sur ce visage.
L’homme qui l’attendait, c’était Matt.
Ils restèrent ainsi de longues minutes, Lila n’osait pas bouger,
l’apparition risquait de devenir mirage. Les larmes ruisselaient sur
ses joues mais elle ne baissa pas les yeux. Matt pourrait disparaître or
la vision était si belle !
Il s’avança et tendit la main vers elle mais n’ouvrit pas les bras. Le
regard de Lila dévia vers cette main et elle y glissa la sienne. Elle se
retrouva propulsée contre son cœur. Plus rien n’existait, elle avait
retrouvé sa place, son refuge. Elle s’accrochait à lui, s’agrippait et se
cramponnait. Matt tremblait et l’étreignait ; elle lui avait tellement
manqué !
Quand il l’avait vue avec Rory et l’enfant, son cœur avait bondi.
Leur enfant ? Lila avait-elle donné un enfant un Rory ? Avait-il pris
sa place dans le cœur de sa Lila ? Avait-il rempli son cœur d’amour ?
La peur s’était insinuée et restait présente.
Il ne voulait plus penser, juste profiter d’elle, du bonheur qu’il
ressentait, il était avec elle et la tenait dans ses bras. Demain, il
verrait. Dans l’immédiat, il profitait de l’instant présent.
Elle restait nichée dans ses bras, en larmes. Matt lui releva le
menton et déposa un léger baiser sur ses lèvres. Il sortit son
mouchoir et lui essuya les yeux. Les paroles n’arrivaient pas à sortir,
n’y d’un coté, n’y de l’autre. Que dire ? Se retrouver était si magique
et si merveilleux…
Ils rentrèrent, enlacés et serrés l’un contre l’autre. Ils prirent
place sur le canapé ; leur main se cherchèrent et s’unirent. Lila
aperçut une jeune femme assise dans le fauteuil. Elle eut un
mouvement de recul et une peur brutale, l'envahit. Matt avait amené
une femme avec lui ! Elle se ramassa sur elle-même. Matt avait
ressenti son mouvement de retrait et la forte pression sur ses doigts.
Machinalement, il retrouva les gestes du passé et lui caressa le pouce
pour l’apaiser.
Le Général, en grande conversation avec la jeune femme, se
tut. Il attendait que Matt présente Lila. Mais son fils restait muet
aussi il reprit la parole :
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- Mon fils semble avoir perdu la parole et manque à ses
devoirs. Il oublie la politesse et les bonnes manières. Je vous
présente ma fille, Lila.
- Je suis désolé. Lila, je te présente Natacha. Tacha, voici
Lila, s’excusa Matt.
Natacha, elle s’appelait Natacha. La femme que Matt avait
ramenée, sa petite amie, sa fiancée, sa femme ? Matt n’avait pas
précisé et laissait Lila dans l’expectative. Elle s’isola dans sa bulle,
silencieuse et discrète.
L’amie de Matt n’était aucunement gênée par le mutisme de
Lila. Elle conversait avec le Général qui essayait d’y associer ses
deux enfants devenus muets. Elle expliquait qu’elle était en
collocation avec Matt et deux autres étudiants. Elle racontait leurs
difficiles études, les emplois du temps surchargés, les dimanches
synonymes de récupération de sommeil… Elle parlait des coups de
cafards, de l’isolement et de la solitude qu’ils ressentaient loin du
pays, de la famille et des amis…
Lila avait réagi au mot colocataire, Matt vivait avec cette
femme depuis plus d'un an. Elle se sentait déboussolée et n’arrivait
pas à suivre leur discussion. Elle éprouvait des sentiments
contradictoires. Il lui tenait la main et son alliance lui blessait les
doigts. Il la portait toujours alors qu’il vivait avec une autre femme.
Paddy rentra avec le petit Prince qui s’élança vers sa maman.
Elle le saisit de sa main libre et se pencha vers lui. Il lui fit un gros
câlin et tendit ses petits bras. Lila lâcha la main de Matt et aida son
petit à grimper sur ses genoux. Il caressa le visage de sa maman et
réclama des bisous avant de se nicher dans son bras. Il regarda Matt,
intrigué et curieux.
Paddy revint avec un plateau contenant des tasses, la cafetière et une
assiette de gâteaux. Le petit Prince réclama un biscuit, le doigt tendu
vers l'assiette. Matt lui en donna un et reçut un très beau sourire. Le
biscuit fut rapidement avalé et l’enfant montra sa petite main vide.
Matt obéit à sa demande et reçut de nouveau, une belle risette.
L’enfant avait trouvé l’adulte coopératif et en profita ; il se pencha et
lui tendit les bras, Matt le reçut en riant. Le petit bonhomme savait ce
qu’il voulait.
Lila était surprise, Mattis avait adopté Matt. Son fils ne se
conduisait jamais ainsi. Il restait avec Paddy, le Général ou elle-
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même mais ne se laissait pas acheter par un biscuit. Rory, qu’il
connaissait bien, n’avait jamais eu de faveurs, le courant ne passait
pas. Elle regarda ses deux amours et se sentit fondre.
Matt la tête penchée vers son fils l’écoutait discuter ou plutôt
baragouiner avec sérieux, l’enfant finit par éclater de rire et frappa
dans ses mains, satisfait de ses explications. Toutes les personnes
présentes s’étaient tues et l’écoutaient. Natacha silencieuse, regardait
son ami. Elle avait compris la situation, Matt était le papa du petit.
La ressemblance était étonnante. Elle l’avait écouté des nuits
entières, il ne parlait que de sa Lila, la plus belle, la plus gentille, la
plus douce… la femme de sa vie, sa femme. Tacha savait tout de leur
vie, les inquiétudes et les peurs de Matt, peur de la perdre, qu'elle
l'oublie, qu'elle se trouve quelqu'un. Matt lui avait confié son
adoption, l’enlèvement de sa chère Lila, son besoin de recul face à
son mal-être, leur amour d’enfant qui avait grandi jour après jour, la
promesse de s’attendre… L’alliance de son père qui ne quittait
jamais son doigt, celle qu'il avait passée au doigt de sa Lila et leur
promesse commune, ces alliances symbole de leur amour… qu'ils
portaient tous les deux.
Mais Matt n'avait jamais parlé d’un enfant…
L’heure du déjeuner avait sonné depuis longtemps et le
Général proposa à Natacha de rester avec eux. Elle refusa, il lui
restait de la route à faire, elle mangerait un sandwich en chemin. Elle
salua tout le monde et Matt la raccompagna à sa voiture. Ils
discutèrent un petit moment avant qu’il ne revienne.
Lila, son fils sur la hanche, se pressa vers la maison ; les
hommes n'allaient pas tarder. Elle s’activa. Le potage fut mis sur le
feu et elle alluma le four pour réchauffer le gratin de choux-fleurs.
Ensuite, elle prépara le repas de son petit.
Matt arriva. Il ne savait pas où se mettre. Lila, en sécurité
dans son cocon, retrouva la parole.
- Tu peux choisir ta chambre, murmura-t-elle en lui indiquant
les deux chambres vides de Paddy et du Général.
Paddy avait retrouvé la maison des poulains et le Général habitait
dans celle de Nanny. Matt prit la plus petite, l'ancienne de Paddy. Il
déposa son sac et rejoignit Lila. Machinalement, il sortit les assiettes
et dressa la table. Lila sourit, le passé revenait, enfin presque, Mattis
avait faim et lui faisait savoir.
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Le repas fut détendu, les papas le questionnaient sur ses dixneuf mois passés loin d’eux. Matt racontait et racontait encore. Il ne
parlait ni de l’avenir ni de sa relation avec son amie. Lila l’écoutait et
buvait ses paroles. Elle se posait de nombreuses questions mais elle
appréhendait trop les réponses pour oser les poser. Elle préférait se
taire et attendre. Elle laissait faire, elle ne se battait plus, son courage
était mort depuis si longtemps ou plutôt réservé à son fils.
Jour après jour, elle avait attendu le retour de Matt, enfin il était là et
elle ressentait un malaise proche de la peur. Elle ne savait plus ce
qu’elle souhaitait et se sentait complètement perdue.
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CHAPITRE 3
Lila débarrassa la table et apporta l’indispensable café. Elle
prépara les trois tasses et en rajouta une supplémentaire. Ses yeux
piquaient et elle resta un peu plus longtemps que nécessaire, dans la
cuisine.
Lila sortit son fils de son rehausseur et le prit sur ses genoux,
pendant qu’elle buvait son café. Mattis, fatigué, se frottait les yeux.
La discussion se poursuivait. Son café terminé, Lila quitta la table
son petit serré contre elle. Elle prit place dans le rocking-chair et
ramena sur eux, la belle couverture tricotée par Nanny. Elle câlinait,
caressait la tête de son fils et lui murmurait des secrets. L’enfant
écoutait, sa petite main caressant la joue de sa maman. C’était leur
moment. Le moment privilégié réunissait ces deux êtres fusionnels,
la maman et son fils.
Les papys depuis le premier jour, respectaient cet instant de
calme et s’imposaient le silence en buvant leur café. Ce sentiment de
paix et de sérénité avait quelque chose de solennel. Matt était ému.
La mère berçant son enfant avait quelque chose d’irréel et de
magique. Lila n’était pas consciente du magnifique tableau qu’elle
représentait avec son petit et s’enfermait dans une bulle de bien-être
et de douceur où seul le petit pouvait accéder. La terre pouvait
s’arrêter de tourner, elle n’en avait cure, rien n’aurait pu les sortir de
cet état de félicité.
Les papys le savaient, il était temps pour eux de retourner au
travail. Le Général enleva les tasses et essuya la table. Matt pouvait
les accompagner ou rester, ils le laissèrent choisir. Il resta. Il
n’arrivait pas à détacher son regard de la "Madone à l’Enfant." Sitôt
les hommes sortis, il s’approcha. Lila, simplement, lui tendit la main.
Il embrassa les doigts, l’un après l’autre et garda sa main dans la
sienne. Il récupéra la chaise la plus proche et s’installa près d’eux. La
quiétude régnait, troublée, de temps à autre, par un léger mouvement
du petit. Délicatement, sa maman déposait un léger baiser sur son
front qui l’apaisait. A l’extérieur, Le temps filait mais dans la maison,
il s'était figé.
Matt eut l’envie subite de caresser la petite joue rebondie
27
mais il n’osa pas et se contenta d’effleurer celle de sa maman. Lila
bloqua sa main de la tête et embrassa la paume. Elle retrouvait un
contact ; il lui avait tant manqué, elle oublia tout et frotta sa joue
dans la grande main.
Matt la glissa derrière le cou et attira son visage pour un baiser
chaste sur ses lèvres. Elle répondit instantanément et frissonna sous
la caresse ; il capta son regard, s'y mêlaient les larmes et
l’inquiétude…
Une petite menotte chatouilla la joue de Lila, elle regarda son fils en
souriant, les adultes l’avaient réveillé. La sieste était finie. L’enfant
se laissa glisser sur le sol. Lila lui prépara son goûter puis l’emmena
dans la salle de bain pour le changer. Matt, appuyé contre la porte, la
regardait s’occuper de l’enfant et s’amuser avec, heureuse. Le
bambin, tout propre, s’échappa de la salle en riant et atterrit dans ses
bras. Il l’éleva dans les airs et l’enfant éclata de rire.
- Tu aimes ça, petit Prince ! Quel est ton prénom joli bébé ?
Pendant quelques secondes, Lila resta muette. Enfin elle
répondit :
- Junior ! Oui, il s'appelle Junior mais nous l'appelons
toujours petit Prince.
L’interphone qui reliait la maison et le bureau, sonna au bon
moment. Le Général prévint Lila, Rory et son amie étaient arrivés.
Lila l’avait complètement oublié. Elle regarda Matt. Lui aussi avait
entendu le Général et il exprima sa joie, il n’avait pas vu son ami
depuis bien longtemps et serait heureux de discuter avec lui. C’était
les premières paroles qu’il échangeait avec Lila. Excepté pour la
chambre et Junior, Lila n’avait pas dit un mot.
L’enfant donnait la main à sa maman et tendit l’autre à Matt.
Il l’enferma dans la sienne. Tous trois prirent le chemin du bureau.
Rory et son amie les attendaient. Les deux jeunes hommes
furent enchantés de se retrouver et évoquèrent son retour. Lila et
Julie se taisaient et les écoutaient. Rory se souvint tout à coup, qu’il
avait une compagne et s’excusa :
- Lila, Matt, je vous présente Julie, mon amie.
Lila s'empressa de présenter son fils sous le prénom de
Junior. Elle jeta un regard apeuré à Rory ; celui-ci comprit le
message ; il ne parlerait pas de l'enfant.
Matt parut enchanté et les félicita. Si Rory avait une amie,
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cela signifiait qu’il n’était pas avec Lila. Le Général, dans ses
courriers, lui parlait des fréquentes visites du jeune homme. Matt en
ressentait de la jalousie, il connaissait les sentiments de Rory et
craignait qu’en son absence, Lila ne se soit rapprochée et liée avec
lui. Il avait été rassuré sur un autre point, Rory ne semblait éprouver
aucun sentiment pour l’enfant et l’avait présenté comme celui de
Lila. Matt en avait tiré la conclusion qu’il n’en était pas le père.
Alors qui ? Qui avait trouvé le chemin du cœur de Lila ? Il ne
connaissait pas la réponse.
Lila était stupéfaite du changement d’attitude de Matt. Il
sembla se réveiller et se mit à discuter avec Julie comme s’il la
connaissait depuis toujours. Rory en profita pour interroger Lila
concernant Julie. Lila lui sourit et lui répondit qu’elle était très jolie
et très gentille. Rory était radieux, il se fiait à son opinion. Le petit
Prince aperçu le Général qui revenait de la stabu des poulains. Il
s'anima et s’élança vers lui. Son papy l’attrapa au passage et lui
demanda s’il voulait monter Noisette. L’enfant battit des mains,
enchanté.
Julie, très à l’aise maintenant, questionnait Lila sur les
chevaux. C’était une vraie pipelette. Elle voulait faire le tour de tous
les chevaux. Lila fuyait ce genre de personnes. Elle parlait très peu et
juste par nécessité. Elle n’extériorisait pas ses sentiments sauf à ses
trois hommes et éprouvait de la gêne face à ces bavardes trop
curieuses. Elle fit un effort pour Rory et accepta. Les quatre jeunes
gens s’arrêtèrent devant l’infirmerie, Julie voulait la visiter, Lila lui
répondit que c’était le domaine du Général. Idem pour la seconde et
la troisième, Lila céda et lui fit visiter les deux bâtiments. Julie
discutait toujours et s’émerveillait de tout. Les réponses de Lila
étaient brèves, succinctes mais Julie ne se froissait pas, son
bavardage incessant semblait la satisfaire. Les deux femmes avaient
pris de l’avance. Matt et Rory en profitèrent pour discuter. Un seul
sujet intéressait Matt, Lila. Rory lui révéla le peu qu’il savait. Elle
était réservée, discrète pire secrète. Il venait la voir le samedi et lui
proposait des balades qu’elle refusait toujours. Ils restaient au salon,
faisaient le tour des chevaux et discutaient cours, copains et filles.
Rory lui demandait son avis sur ses conquêtes. Il préféra lui avouer
qu’il avait tenté sa chance auprès d’elle et qu’elle l’avait repoussé.
Lila est une véritable beauté mais intouchable ; elle vit pour son fils,
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ses papas et les chevaux ; il l’avait compris et accepté. Entre eux, il
n'y avait qu'une sincère amitié. Matt lui demanda s’il elle avait
quelqu’un ; Rory le rassura, elle ne se laissait pas approcher. Son
charme, sa gentillesse, sa simplicité, sa façon de monter et son
élégance à cheval attiraient tous les regards. Elle se montrait
indifférence pire, lorsqu’elle remarquait qu’elle avait un public, elle
s’éloignait dans le pré et continuait ses entraînements loin des
regards. Il était le seul, et en était fier, à être accepté, à l’admirer sans
provoquer sa fuite. Il s’étonnait lui-même, il pouvait rester des
heures à la regarder. Elle était merveilleuse. Oui, il l’aimait toujours !
Il aurait tout fait pour elle si elle lui avait donné un tout petit espoir !
Non, elle ne le savait pas. Si elle l’apprenait, elle prendrait ses
jambes à son cou et refuserait de le revoir. Il tenait trop à son amitié
pour lui avouer. Le cœur de Lila n’appartiendrait jamais qu’à un seul
homme, il le savait et l’acceptait. Quand elle se croyait seule, elle
s’enfermait dans sa mélancolie et s’isolait dans son monde, dans ses
rêves. Rory l’avait surprise de nombreuses fois. Elle souffrait, elle
était malheureuse et avait perdu sa joie de vivre. Il aurait aimé voir
ses yeux pétiller pour lui. Seul son fils avait ce privilège, ses papas et
le démon que Matt ne connaissait pas encore, El Diablo Négro.
Rory parlait avec franchise, Matt ne répliqua pas. Ils
ressentaient la même chose pour la même personne, l’amour à sens
unique est difficile à supporter. Lui avait été aimé de sa Lila, il avait
eu sa chance, elle était peut-être passée ; Rory l’aimait en secret et
n’avait aucun espoir. Il se contentait d’une simple amitié, sentiment
qui ne serait pas suffisant à Matt. Il voulait retrouver sa Lila et
regagner son amour.
Rory enfonça le clou en lui expliquant que son prénom était
banni. Il avait questionné Lila sur son départ, elle s’était enfuie en
larmes. Le Général lui avait expliqué que son nom ne devait plus être
prononcé. Il avait compris. Quand il lui avait avoué ses sentiments,
elle avait récidivé, elle s’était écroulée. Le cœur de Lila est plein
d’amour mais aussi de tristesse et de larmes.
Rory ajouta une phrase de son style et termina par une menace : "Je
m’en remettrais, l’amour n’est pas une maladie grave. Toi, prends
soin d’elle, ne la déçois plus ou tu me trouveras."
Les deux jeunes hommes riaient quand ils rejoignirent les
jeunes femmes. Lila avait un mal de tête tenace et annonça qu’elle
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devait travailler un cheval. Elle les salua et les quitta rapidement.
Elle se rendit dans le bureau du Général et se servit un café.
Son papa lui demanda si la promenade s’était bien passée.
- Il est moins fatigant et abrutissant de débourrer deux jeunes
étalons à la suite que d’écouter une jeune fille papoter pendant deux
heures. Comment peuvent-elles raconter tant de choses sans se lasser
elles-mêmes ?
Il sourit et s’enquit de ses retrouvailles avec Matt. Lila n’était ni gaie
ni heureuse et il s’en inquiétait. Son moral ne semblait pas remonté,
elle était nerveuse et désorientée. Elle lui avoua qu’elle avait peur.
- Je me pose tellement de questions. Nous ne nous parlons
pas. Il est revenu et mes sentiments sont encore plus forts. Dès que je
le vois mon cœur fait un bond dans ma poitrine ! Je ressens sa
présence, je sais quand il est derrière moi. Tout est redevenu comme
avant, je le cherche, j’ai besoin de le voir, de l’entendre… Ça me
terrifie.
Je rêve qu’il me prenne dans ses bras, que notre amour renaisse et en
même temps, je me dis, pour combien de temps ? J’avais presque
réussi à vivre sans lui et maintenant j’ai peur, je redoute son départ. Il
y a son amie, Natacha. Je me pose des questions, sur leurs rapports.
Ils vivent ensemble… Je ne veux plus souffrir. Je ne veux plus
l’attendre, espérer à chaque instant. Reconnaître sa silhouette dans la
rue, pour m’apercevoir que ce n’est pas lui… Je l’aime toujours et
encore plus qu’avant. J’ai si peur !
- Tu devrais discuter avec lui, franchement, comme par le
passé. Tes questions trouveraient leurs réponses, ma chérie. Tu as ton
grand secret. Matt serait si heureux de savoir que Mattis est son fils !
- Jamais ! Oh non, Jamais ! Jamais il ne me prendra mon
amour, personne, jamais… attaqua Lila.
- Il n’est pas question qu’il te le prenne, voyons ! Mais il a le
droit de savoir. S'il nous entend appeler son fils Mattis, tu imagines ?
- Je lui ai dit qu'il s'appelait Junior ! Je regrette ce mensonge
mais… Tu connais Matt, papa ! Tu le sais aussi bien que moi, s’il
apprend notre secret, il voudra vivre avec son fils.
- Ils s’entendent bien tous les deux mais jamais Matt ne te le
prendra.
- S’il repart pour l’Amérique avec Natacha, tu crois qu’il
acceptera de vivre sans son fils ? Il réclamera ses droits et récupérera
31
la moitié de la garde ; six mois pour lui, six pour moi. Ce serait un
bon père, je le sais, j’en suis sûre. Il serait aimant et saurait en
prendre grand soin. Il l’aimerait autant que je l’aime. Mais me
séparer de mon enfant, autant qu’il me tire une balle en plein cœur.
Tu as entendu son amie, ils étaient en Amérique ! C’est vrai, je
l’aime, je l’ai perdu une fois et je m’en suis remise. Mais s’il me
prend mon enfant, il me tuera. Jamais je ne pourrai vivre sans lui.
Sans Matt, c’est si difficile ; mais vivre sans les deux, j’en mourrai,
sanglota Lila.
Le Général s’approcha d’elle et elle se laissa aller contre lui.
Il comprenait ce qu’elle ressentait. Le retour de Matt ne lui avait pas
apporté la paix et le bonheur, comme il le souhaitait. Lila pleura
longtemps avant de retrouver un semblant de calme. Elle soulagea
son cœur.
- Tu sais, je suis comme toi, tu es resté fidèle à maman toute
ta vie. Tu as pris soin de nous, sans jamais penser à toi. Je suis
comme toi, la fille de mon papa et la femme d’un seul amour. Je sais
ce qu’est l’Amour, jamais je ne renierai celui que je porte à Matti. Je
l’aime du plus profond de mon cœur et personne ne le remplacera
jamais. Mais si je lui avoue notre secret, il prendra ses
responsabilités. Il y a deux solutions, soit, il me prend mon petit, soit,
il reste au Domaine par obligation. Il brisera sa vie, il pensera que je
l’ai piégé. Il sera malheureux et il m’en voudra. Si son amour pour
Natacha est aussi fort que le mien pour lui, je sais exactement ce
qu’il ressentira. Je ne veux pas, non je ne veux pas qu’il passe sa vie
à souffrir. Il ne mérite pas ça et je l’aime trop pour lui faire subir la
même souffrance que la mienne. Il a le droit d’être heureux avec elle.
Moi, je continuerais comme ces dix-neuf derniers mois et je me ferai
oublier. Mon secret restera bien gardé, cadenassé dans mon cœur.
C’est vrai, je l’aime, c’est l’amour de ma vie mais je préfère terminer
ma vie toute seule que le rendre malheureux, termina-t-elle butée en
sortant.
Il y avait bien longtemps que Lila n’avait pas tenu un si long
discours. Elle gardait tout pour elle, ne parlait pas de ses soucis, de
ses peurs, de ses attentes. Matt ? Elle semblait l’avoir oublié, mais ils
n’étaient pas dupes. Elle pleurait trop souvent, ses yeux rouges et
gonflés, ses tristesses soudaines, ses besoins de s’isoler, ses regards
perdus leur prouvaient qu’elle souffrait toujours. Elle avait des
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nécessités, des besoins pour son petit, mais pour elle, rien. Elle avait
tout ce qu’il lui fallait. Des désirs ? Aucun. Un seul plutôt, mais
impossible à exaucer.
Le Général comprenait ses craintes et avait les mêmes. Il était
au courant pour l’Amérique, Matt lui avait demandé son accord. Les
deux ans d’études au lieu de quatre et le besoin qu’il avait de
s’éloigner avait fait pencher la balance. Le laisser partir si loin, si
longtemps était loin d’être à son goût ; aujourd’hui, il se demandait
s’il n’avait pas commis une grosse erreur.
Lila sortit du bureau et croisa Matt. Il semblait soucieux et
Lila toutes à ses pensées noires ne le remarqua pas. Elle pressa le pas
et se mis à la recherche de Paddy et de son fils.
Le repas fut animé pour les hommes de la maison. Les rires
fusaient, les exploits du passé ressortaient, le bon vieux temps
semblait revenu. Le petit Prince, énervé, participait.
Matt était visiblement très heureux et son regard pétillait. Lila
souriait de cette complicité retrouvée entre eux. Par moments,
pensive, elle se remémorait la discussion avec le Général. Elle
regardait Matt cherchant à percer ses silences, les non-dits, essayant
de lire ses pensées. Matt captait son regard interrogatif et Lila
baissait les yeux, muette.
Il songeait à ce qu’il avait surpris dans le couloir. Ainsi Lila l’aimait
toujours, son amour pour lui était bien vivant et toujours là mais elle
voulait rester seule avec son petit. Elle l’aimait mais il ne faisait plus
partie de sa vie. Et son secret, quel était ce terrible secret qui la
rendait si triste ?
La soirée de retrouvailles s’était poursuivie très tard.
L’enfant, sur les genoux de Matt, ne voulait pas le quitter. Lila l’avait
laissé veiller et lui racontait une histoire pour l’endormir. Sa main
caressait les cheveux du petit, l’autre était prisonnière des petits
doigts. Il ne mit pas longtemps avant de partir aux pays des songes.
Après un dernier baiser, elle rejoignit la salle et se retrouva avec
Matt. Elle ne savait que dire et il n’engageait pas la conversation. Le
silence était pesant. Il décida d’aller se coucher et s’approcha de Lila
pour lui dire bonsoir. L’embrassant sur la joue, il la regarda et déclara
:
- Je t’ai fait souffrir, ma Lila ; tes yeux sont si tristes. J’espère
que ce n’est pas mon retour qui te contrarie ?
33
- Je suis heureuse de ton retour.
- J’étais soucieux. Je ne savais pas si tu allais accepter que je
réintègre le Domaine.
- Tu es chez toi, c’est ta maison.
- Je suis parti longtemps.
- Tu avais dit que tu reviendrais.
La conversation était stérile et ne menait à rien. Matt était
affecté par l’humeur mélancolique de Lila. Ils n’avaient pas réussi à
se parler ni à retrouver leur complicité. Lila s’était renfermée sur
elle-même. La blessure était loin d’être cicatrisée, le Général l’avait
prévenu.
Lila était déçue, triste et amère. Elle lui annonça qu’elle allait
se coucher et Matt fit de même. La porte se referma sur lui et elle se
sentit plus mal encore, plus seule que jamais. Elle rejoignit la
chambre de son petit. Elle resta assise sur son lit avec ses gros
nounours, ses confidents. Sa tristesse était grande, son cœur était
bien lourd, elle était déprimée. Elle devrait être heureuse, Matt était
revenu, Matt était là ! Elle avait tant attendu et espéré son retour ;
maintenant sa présence l’inquiétait. Ils avaient été si proches, avaient
tout partagé et aujourd’hui, ils n’arrivaient pas à se parler. Les larmes
étaient si proches. Après s’être assurée que son fils dormait, elle se
leva, retourna dans la salle et écouta ; aucun bruit dans la chambre,
Matt devait dormir. Elle aperçut le blouson abandonné sur le canapé.
Elle s’en approcha, l’effleura et caressa le cuir du bout des doigts.
Les balafres et les égratignures sur la manche, souvenirs du long
chemin dans le tunnel, restaient visibles. Matt n’avait pas voulu les
faire disparaître ni même les faire atténuer. Le blouson avait acquis
une grande valeur pour eux deux. Il avait réchauffé Lila et lui avait
donné la confiance qui lui manquait pour sortir du puits. Elle s’en
saisit, le serra contre elle et le respira. En larmes, elle s’imprégnait de
l’odeur de Matt. Sans réfléchir, elle l’enfila.
Elle revint à la table et ouvrit son ordinateur. Comme tous les
soirs, elle se mit au travail. Elle n’avançait pas, incapable de se
concentrer. Pour la énième fois, elle relut les consignes de ses
exercices et les oublia aussitôt. Elle se leva et se chauffa un café. Elle
prépara les deux tasses, comme à son habitude. Après ce réconfort,
elle bouclerait ce chapitre. Mais le breuvage ne fit aucun miracle ;
elle s’endormit sur son texte, bien enveloppée dans le blouson.
34
Matt se leva. Voilà deux heures qu’il était allongé et le
sommeil le fuyait. Il avait ressenti un tel bonheur, à la fin de son
année scolaire ; rentrer à la maison, enfin. Il en éprouvait une telle
joie ; revoir sa Lila, les papas et le Domaine après ces longs mois
difficiles, son cœur explosait. Rien ne s’était passé comme il l’avait
espéré. Ses sentiments étaient partagés ; il ne trouvait plus sa place.
Il était devenu un intrus dans la vie de sa Lila ; il n’avait plus sa
place. Il était pourtant, si heureux de la retrouver…
Elle avait construit sa vie sans lui et il en souffrait. Il décida de
prendre l’air ; une promenade le calmerait peut-être.
Silencieusement, il ouvrit la porte de la chambre et sortit dans
la salle. Une petite lumière était restée allumée et il s’approcha pour
l’éteindre. Un léger bruit l’arrêta, un gémissement, une plainte. Lila
s’était endormie en plein travail. L’ordinateur toujours allumé le
confirmait. Deux tasses de café vides étaient abandonnées sur la
table. Elle pleurait et gémissait. Matt fut bouleversé, il n’était pas
revenu pour la faire souffrir de nouveau ; ils devaient s’expliquer.
Lila ne pleurait plus, lui avait confirmé le Général, elle s’était faîte
une raison. Aujourd’hui, il l’avait déjà vue pleurer trois fois, trois
fois de trop. Il prit place à ses cotés et lui caressa les cheveux ; Lila
dans son sommeil, chercha son contact et se colla à lui. Il l’installa
confortablement sur ses genoux et referma ses bras sur elle. Elle
nicha sa tête dans son cou et s’apaisa. Il remarqua qu’elle portait son
blouson fétiche et sourit tristement.
Il faisait grand jour, quand Lila se réveilla. Elle avait bien
chaud mais était courbaturée. Sa position était inconfortable et elle
tenta de se retourner, sans y parvenir. Gros nounours prenait tout le
lit, elle essaya de le repousser. Sa main glissa sur un tissu qui n’avait
rien à voir avec la fourrure de l’ours et se trouva emprisonnée.
Surprise, elle ouvrit les yeux.
Matt, tout sourire, embrassa la main enfermée dans la sienne.
- Bonjour ma Princesse.
Lila lui rendit son sourire, un vrai, un beau sourire naturel et
heureux.
- Bonjour, ma Lila, répéta Matt.
Il l’embrassa plusieurs fois et la serra très fort contre lui.
- Il y a si longtemps que j’attends ce moment. Mon rêve se
réalise enfin, je me réveille avec mon amour dans mes bras,
35
murmura-t-il.
Lila lui caressa la joue pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas.
- Tu es là ! Oui ! Tu es là ! répéta-t-elle.
- Oui, je suis là, ma Lila chérie ! Tu ne rêves pas et moi non
plus. Je suis rentré à la maison et j'ai retrouvé ma Princesse.
Matt posa ses lèvres sur les siennes et l'embrassa. Lila
s’interrogea, Matt était bien éveillé et ne pouvait se tromper de
personne, ce n’était pas Natacha qu’il tenait dans ses bras, mais elle,
Lila ; c’est elle qu’il embrassait.
Un appel impétueux la fit sursauter. Le petit Prince était
réveillé et protestait énergiquement. Lila atterrit brutalement. Elle
caressa les lèvres de Matt avec les siennes et se décida à répondre à
son fils qui s’indignait vigoureusement. Ensemble, main dans la
main, ils rejoignirent l’enfant. Matt le sortit de son lit à barreaux et à
bout de bras, le lança dans les airs. L’enfant éclata de rire, le jeu
continua pendant que Lila préparait le petit-déjeuner. Elle ôta le
blouson, les papys ne tarderaient pas et s'ils la voyaient ainsi, ils se
poseraient des questions et elle n’avait aucune réponse sensée à leur
fournir.
Aujourd’hui, Matt avait prévu de rester au bureau. Il avait
créé et ramené un logiciel qu’il installerait sur l’ordinateur du
Domaine. De nouvelles banques de données faciliteraient le travail et
augmenteraient le rendement. Il en expliquerait le fonctionnement et
toutes les possibilités, au Général. Lila s'occuperait d'un cheval, son
fils partagerait son temps entre Paddy ou le bureau qu’il transformait
en salle de jeu.
La matinée passa très vite. Lila revenait fréquemment au
bureau vérifier qu'il n'y avait pas de problèmes avec le petit Prince,
qu'il ne gênait pas les adultes… A la première visite, le Général la
rassura, l’enfant était sage. Elle se sauva et revint une heure plus
tard, pour la même raison… Son papa était surpris ; d’ordinaire, elle
ne se comportait pas ainsi et ne passait pas surveiller son fils.
Matt relevait la tête de son écran et souriait ; Lila rougissait,
s’échappait rassurée et retrouvait un cheval.
Par trois fois, elle leur rendit visite. Le Général avait compris, elle
s’assurait de la présence de Matt. Elle embrassait l’enfant, le
cajolait… mais le petit n’avait rien à voir dans les fréquentes visites
de sa maman, le regard qu’elle lançait à Matt parlait pour elle. Sa
36
conduite était insolite.
Après le repas, la famille se dispersa. Le petit retrouva sa
place dans les bras de sa maman et s’endormit. Matt resta. Etre
accepté dans leur intimité, dans leur relation si particulière le
comblait et il était conscient du privilège. Le Général lui avait confié
que jamais personne n’avait passé la porte de la maison. Lila
protégeait son espace comme une louve sa tanière et y refusait
l’entrée à tout étranger. Même leur ami Rory, n’y était jamais entré.
L’après-midi trouva tout le monde au travail. Vers dix-huit
heures, Paddy ramena le petit dans le bureau. Il le trouvait grognon,
inhabituel. Il retrouva Lila qui débourrait un cheval. Il lui expliqua
rapidement, il craignait un coup de froid. Elle descendit de cheval,
Paddy récupéra les rênes et déclara qu’il s’en occupait. Lila se
pressa. Elle retrouva son petit dans les bras de Matt. Il se frottait les
yeux et était un peu rouge. Elle regagna la maison, lui ôta son
blouson et vérifia sa température, rien d’anormal. Elle lui proposa un
biberon de lait qu’il refusa de la tête. Il se serrait contre sa maman et
ne voulait pas la lâcher. Elle prit place dans le rocking-chair, son
petit serré contre elle. Il cherchait le sein, Lila se dévêtit et se lava à
l’aide d’une lingette. Elle lui présenta le sein et ramena la couverture
sur eux. L’enfant se tranquillisa et sommeilla.
Matt était venu aux nouvelles, les papas s’inquiétaient pour
l’enfant. Elle le rassura, il n’avait pas de fièvre, peut-être un manque
de sommeil. Elle attendrait un peu avant de le conduire chez le
médecin. Il s’approcha et découvrit l’enfant au sein. Il tétait de bon
cœur, les yeux clos mais ne dormait pas. Sa petite menotte s’ouvrait
et se fermait sur le sein. Le jeune homme ne pouvait détacher son
regard du petit. Il approcha la main, effleura le petit sein blanc et
dans le même temps, la joue rose et potelée. L’enfant lui attrapa le
doigt et le garda dans sa menotte. Il le regarda et lui sourit sans
lâcher la tétée.
Matt ne disait rien, n’osait pas bouger. Il s’était incrusté et
craignait de rompre l’enchantement. Lila et son petit étaient si
proches ; elle était si calme, si paisible… Il était l’intrus dans ce
couple et en souffrait.
Lila le regarda et en éprouva de la peine ; il semblait perdu,
égaré. C’était le papa de son fils et il devait trouver sa place. Elle se
contredisait, elle le savait mais ne supportait pas la tristesse et la
37
solitude de Matt. Elle lui sourit et lui tendit la main. Il n’hésita pas et
la prit, si heureux de partager leur complicité et d’être accepté dans
leur relation. Il récupéra la chaise qui ne quittait plus le rockingchair.
Le temps semblait suspendu au-dessus de leur tête. Le petit Prince
avait fini par s’endormir. Les deux adultes étaient heureux ; Matt
rayonnait, ses deux mains prisonnières, l’une par le petit, l’autre par
sa Lila.
L’enfant se réveilla, bailla et montra sa petite langue rose. Il
s’étira et s’amusa avec le doigt de Matt et fit de même avec celui de
sa maman. Il les mêlait, les comparait et les mesurait. Puis, debout
sur les genoux de Lila, ses petits bras enserrant le cou de sa maman,
il lui fit plein de petits bisous tout en bafouillant des "pi ti a ou." Matt
réclama la traduction et Lila lui répondit "petit Amour." L’enfant se
retourna vers lui et lui tendit ses bras. Matt le récupéra et eut droit
aux mêmes "pi ti a ou." L’enfant claquait des lèvres en lui réclamant
des bisous, Matt les lui donnait tout en l’appelant "petit Amour." Ses
yeux humides reflétaient son émotion.
Paddy et le Général mirent fin à ce tendre tête-à-tête. L’heure
du repas avait sonné et ils rejoignaient la maison. Ils frappèrent à la
porte et attendirent. Le petit Prince courut vers la porte pendant que
Matt et Lila se levaient. Leur sourire ne passa pas inaperçu aux
papys.
La soirée ne s’attarda pas et sitôt le café avalé, les papas
rejoignirent leur maison. Lila laissa son fils s’amuser sur le tapis et
s’attaqua à la vaisselle. Matt attrapa un torchon et essuya. Ensuite,
elle s’occupa du bain de son fils. Matt le regardait clapoter et jouer
avec un vieux canard jaune qu’il connaissait bien. Elle le sortit et
l’enveloppa dans une sortie de bain. Elle le séchait tout en le
câlinant, lui chatouillait le ventre et l’enfant éclatait de rire. En
pyjama, il s’échappa de la salle de bain, Lila se retourna quand elle
aperçu Matt. Il l’avait attrapé. Il comprit que c’était un jeu entre la
maman et son fils, le petit se sauvait et Lila le rattrapait. Matt, le petit
dans les bras, tendit la main à Lila. Elle y glissa la sienne, il la porta
à ses lèvres, sans cesser de la regarder. Les contorsions de l’enfant
mirent fin à ce tête-à-tête.
Il s’était décidé, ce soir, il parlerait à Lila. Il essaierait de
savoir ce qui l’inquiétait. Il espérait trouver une petite place dans sa
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vie et dans celle de son petit. Il aurait aimé retrouver leur complicité
mais c’était loin d’être gagné. Elle était sur ses gardes et restait
craintive et méfiante. Elle l’aimait toujours, elle l’avait assuré au
Général. Elle lui permettait de partager sa vie et les précieux
moments avec son petit amour. Elle aurait pu lui demander de loger
dans la petite maison, il y avait une chambre de libre mais elle l’avait
accepté dans sa "tanière."
Elle lui permettait de partager sa vie et la vie de son enfant. Tout
n’était, peut-être, pas perdu.
CHAPITRE 4
Lila récupéra son fils ; il s’était échappé des bras de Matt et
s’amusait sur le tapis. Elle hésita puis se lança :
- Je vais coucher le petit Prince. Tu veux… enfin si tu veux…
Tu n’es pas obligé. Je ne veux pas te forcer…
Matt attendait la fin qui ne venait pas. Lila attendait sa
réponse. Elle baissa la tête déçue. Matt s’en aperçu et rapidement lui
dit :
- Je n’ai pas compris Lila, je veux ou je ne veux pas quoi ? Tu
veux bien terminer ta phrase.
- Je… euh…! Si tu voulais venir… L’histoire ! L’histoire…
Tous les soirs, je lui raconte une, bafouilla Lila.
Matt accepta rapidement, heureux de cette marque
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d’intégration. Lila le précéda, l’enfant dans les bras. Il récupéra les
livres sur la table de chevet et découvrit "Petit Ours Brun" ce livre si
précieux pour eux ! Il le serra contre lui, ému. Lila avait remarqué
son émotion ; elle lui demanda s’il voulait le lire. Matt, la voix
brisée, commença. Il montrait les images au fur et à mesure à un petit
impatient. Lila sourit. L’enfant attendait sa page préférée. Il s’anima,
il savait qu’elle était juste derrière. Il poussa un cri de joie et posa
son petit doigt sur le chaton. Il regarda Matt, s’assura qu’il suivait
bien… et envola son doigt sur le panier. Le chaton était dans le
panier. Il éclata de rire, frappa dans ses mains et se laissa tomber sur
l’oreiller en proie au fou rire, il avait attrapé Matt.
Matt lui avait relu l’histoire trois fois. Elle s’était toujours
terminée par les rires du petit. Lila avait triché et avait raconté leur
secret ; Matt devait mettre sa main sur son cœur et avoir très peur
quand le petit doigt s’envolait du chaton au panier. L’enfant ne s’en
lassait pas et s’esclaffait quand Matt sursautait. Ils auraient pu
continuer ainsi toute la nuit.
Le petit Amour s’était enfin endormi. Ils s’étaient bien amusé
tous les trois. Les deux adultes sortirent de la chambre en silence.
Lila réchauffa un café et ils prirent place à la table, face à face. Matt
lui prit la main et entrelaça leurs doigts.
- Ton fils est un amour, tu as de la chance. Il est beau,
attachant, adorable. Je te félicite, tu l’as élevé dans l’amour. Tu es
une maman formidable. Merci pour ces grands moments, ces instants
exceptionnels. Je suis heureux d’être avec vous. Merci ma Lila,
d’accepter ma présence et de me laisser partager les bonheurs de ta
vie. Chaque minute passée avec toi et ton enfant m’est précieuse.
Lila ne lui répondit pas et lui sourit.
- Je t’aime, ma Lila ! Je t’aime encore plus qu’avant ! Je vous
aime tous les deux. Dis-moi, je compte encore un peu pour toi ?
- Tu feras toujours partie de ma vie.
- Pourras-tu me pardonner de t’avoir fait souffrir ?
- Je n’ai rien à te pardonner. Ça m’a fait mal, c’est vrai et j’ai
peur !
- Tu as peur que je te fasse souffrir, c’est ça ?
Lila baissa la tête, elle ne voulait plus éprouver un tel
chagrin. Et puis, il y avait Tacha...
- Plus jamais ma Lila. Plus jamais, je ne te ferai souffrir.
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- Tu vas t’en aller, après les vacances… murmura Lila lucide
et consciente.
- J’ai trois semaines de vacances et il me reste quelques mois
de cours avant l’examen. Je peux réintégrer l’école en France et
rentrer tous les jours, si tu le souhaites. Mon rêve est toujours le
même. Je peux espérer, qu’un jour, nous formerons la famille à
laquelle nous rêvions ? Réponds-moi simplement, tu m’aimes encore
un peu ?
- Tu feras toujours partie de ma vie, répéta Lila sans
s’avancer. Natacha ?
- Natacha ?
- Tu as dit que c’était ton amie et ta colocataire, murmura-telle gênée.
- Oui, c’est vrai ! Je ne comprends pas.
- C’est ton amie, tu vis avec elle…
Lila n’osait pas révéler ses craintes n’y aller au bout de sa
phrase. Matt comprit, enfin :
- Oh ! Tu penses que Natacha et moi, nous sommes
ensemble ?
Lila, rougissante acquiesça et Matt continua :
- Non ! Non ! Ma Lila ! Jamais ! Il n’y a rien entre nous, il
n’y a jamais rien eu et il n’y aura rien. Natacha n’est qu’une amie.
Nous sommes amis, c’est tout ! Mes sentiments pour elle n’ont
aucun rapport avec ce que je ressens pour toi ! Elle-même a fui mais
pour des raisons toutes différentes des miennes. C’est un problème
familial. Tu me comprends ?
Lila hocha la tête, c’était ni oui, ni non. Matt lui confia alors :
- Tacha est gay, ma Lila. Ses parents, qu’elle traite de
rétrogrades, n’ont pas accepté la femme qu’elle aimait. Les
dissensions ne provoquaient que des scènes. Leur dernière altercation
a été jusqu’à la rupture. Son amour inavouable était scandaleux et
avilissant. Il était hors de question, qu'ils acceptent cette
abomination… Ils l'ont chassée, reniée et elle en souffre.
Je t’avais fait une promesse et je ne l’ai jamais oubliée. Je ne t’ai ni
trompée, ni trahie. Tu es restée dans mon cœur à chaque seconde. Tu
es mon seul, mon unique amour ! Je t’aime, je n’ai jamais cessé de
t’aimer, pas une seconde !
Lila sentit ses yeux s’embuer et baissa la tête. Elle n’allait pas
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encore se mettre à pleurer, c’était fini, elle ne pleurait plus. Mais ça
devenait fou, Matt l’aimait toujours, il venait de lui affirmer. Leur
première conversation depuis son retour, sur le banc du coin repas et
l’espoir qui revenait ; les larmes aussi, à la grande honte de Lila.
Matt se leva et la rejoignit. Il lui souleva la tête et chercha son
regard. Il lui caressa le visage et l’embrassa délicatement. Il buvait
les larmes à la source. Il baisa les lèvres offertes et Lila lui rendit son
baiser avec fougue. Elle écrasait ses lèvres contre les siennes. Matt
lui répondait avec la même intensité.
Il força ses lèvres pour un baiser plus intime et enflammé. Lila lui
répondait ; son désespoir, sa détresse, ce manque terrible, ce vide,
l’attente, la peur… Tout passait dans ce baiser. Serrés l’un contre
l’autre, Lila voulait se fondre, se mêler au corps de Matt.
Leur baiser violent et brutal se transforma en un baiser passionné où
la douceur reprit ses droits ; l’adoration, la passion et l’amour
dominaient. Lila retrouvait la chaleur dans les bras de son ami. Elle
le regarda et lui caressa le visage. Dans ses yeux humides, toutes les
émotions défilaient.
- Tu n’as pas répondu, mon amour. Tu m’aimes encore un peu
?
- Oh oui, je t’aime ! affirma Lila tout bas.
Matt l’enlaça et la serra contre lui.
- Alors, rien n’est perdu, nous pouvons repartir à zéro et tirer
un trait sur le passé. Nous gommons tout et nous recommençons,
d’accord ?
- Tout le noir ?
- Oui ! Nous gardons notre amour. Nous allons le réveiller, le
laisser s’épanouir et exploser, comme par le passé ; dis-moi que tu es
d’accord ?
- Mon Matti ! Mon cher Matti ! murmura simplement Lila en
lui caressant le visage.
- Mon amour, je t’aime tant ! Si tu savais comme je t’aime !
- Je t’aime ! Je t’aime ! répéta Lila.
- J’aimerais, pour le petit prince, je… Je souhaiterais…
- Que veux-tu ? Se crispa-t-elle, sur la défensive.
Matt surpris son mouvement de recul, il lui expliqua :
- Le Général m’a dit qu’il avait un peu plus d'un an, je sais
que je ne suis pas son père mais, j’aimerais devenir son Papa, si tu es
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d’accord.
Lila respira un peu mieux, elle avait demandé au Général de
ne pas avouer l’âge exact de Mattis Junior. Comme son prénom, ce
n’était pas vraiment un mensonge ni toute la vérité ! Elle n’en était
pas fière mais elle voulait se protéger.
- Alors aime le autant que je l’aime, il t’a adopté, assura-t-elle
rassurée.
- Tu crois qu’il m’aime un peu ?
- Je sais qu’il t’aime. Je vois son comportement avec toi.
Mais réfléchis bien, son cœur est petit et je ne laisserai jamais
personne le lui briser. Si tu restes avec nous, tu prends un
engagement et tu devras l’assumer, l’avertit-elle menaçante en le
regardant droit dans les yeux.
- Je t’aime depuis toujours et j’aime ton fils. Avant nos
malheurs, notre avenir était tracé, nous deux, les papas et nos
enfants. Pour moi, rien n’a changé, tu fais partie de ma vie. Je veux
vivre avec toi. Tu es ma vie, tu détiens mon bonheur entre tes mains.
Tu vois cette alliance, je l’ai respectée et honorée. Je me considère
uni à toi depuis toujours. Je t’aime, tu sais !
- Moi aussi, je t’aime. Je t’ai toujours aimé et tu es toujours
resté dans mon cœur. J’ai souffert de ton absence… Lila se tu et
secoua la tête avant de terminer. Mon rêve est identique, tu as ta
place dans ma vie. Une si grande place que ça me fait peur, mais voir
souffrir mon petit Amour... Jamais. Je te demande de prendre du
temps pour réfléchir.
- Je n’ai pas besoin de temps, je vous aime et je ne vous
quitterai plus. J’ai été très malheureux loin de toi et sans l’aide de
Natacha et des autres, j'aurais tout laissé tomber. Je ne veux plus
jamais revivre ça, moi non plus.
Lila n’avait pas imaginé que Matt pouvait souffrir de leur séparation.
Elle lui en avait voulu, c’était lui qui était parti mais surtout il n’avait
jamais écrit ni donné de nouvelles… Elle n’avait pas compris. Elle se
serra contre lui et lui dit :
- Je crois que la gomme va être usée. Effaçons tout et
rattrapons le temps perdu avec notre petit. Je vous aime tellement.
Lila attira son visage et l’embrassa passionnément. Matt lui rendit
son baiser. Elle avait dit "notre" petit ; elle acceptait de lui faire
confiance. Il ne voulait pas la laisser et se lança :
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- J’aimerais que tu restes avec moi, cette nuit, que tu ne me
quittes pas, mon amour. Je voudrais juste te garder dans mes bras,
simplement t’avoir contre moi. Il y a si longtemps…
- Tu as toujours ton lit, murmura Lila en rougissant.
C’était toujours le même, un des petits lits jumeaux, acheté par le
Général, il y a bien longtemps. Le second était dans la chambre de
Paddy. Matt l’avait inauguré, la nuit dernière.
Ils se préparèrent pour la nuit. Lila attendit Matt et lui prit la
main pour traverser la chambre. La veilleuse diffusait une petite
lumière tamisée ; ils s’arrêtèrent devant leur petit ange endormi.
Lila attendit que Matt s’allonge et se glissa contre lui. Elle se
nicha dans son bras, contre son cœur, bien à l’abri. Elle retrouvait sa
place. Ses yeux étaient humides. Spontanément, elle glissa sa main
sous le tee-shirt. Matt la serrait très fort contre lui, comblé.
Lila eut beaucoup de mal à trouver le sommeil. Elle
retrouvait la chaleur et le contact de Matt. Sa main la démangeait,
elle voulait caresser le torse, reconnaître celui qu’elle aimait. Matt ne
semblait pas mieux. Il ne bougeait pas mais son cœur palpitait sous
la main de Lila. Elle se lova un peu plus contre lui et sa main enserra
la taille de son compagnon. Elle s’endormit enfin, la tête sur le cœur
de son Matti.
Jamais réveil ne parut plus doux à Lila. Elle regardait son
cher Matti et s'imprégnait de son image. Sa main impatiente caressa
son visage et suivit les contours de ses yeux, l’arrête de son nez et
redessina ses lèvres. Matt embrassa la main égarée avant d’ouvrir les
yeux. Lila déposa un baiser léger comme une plume sur ses lèvres
avant de l’étreindre. Matt l’enveloppa dans ses bras et l’écrasa contre
lui. Ils restèrent enlacés un long moment avant de se décider à se
lever.
Dans la matinée, Matt lui proposa de booster son ordinateur à
l’aide de cartes mémoires. Il installerait de nouveaux programmes et
son vieil ordinateur serait comme un neuf. Lila accepta et Matt
s’attela à la tâche, pendant qu’elle s’occupait d’un cheval. Il avait
rapidement chargé les cartes mémoires, installé de nouveaux
programmes et s’apprêtait à fermer les fichiers quand il aperçut
"Amour." Machinalement il cliqua dessus et l’ouvrit. Il lut un simple
passage et arrêta. C’étaient des lettres d’amour pour le père du petit.
Matt, tristement, referma le fichier et sortit de la maison, direction, le
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bureau. Il retrouva le Général ; celui-ci n’avait pas une minute à lui.
Il préparait l’arrivée d’un convoi prévu pour février et se débattait
dans les problèmes. La gendarmerie cherchait une solution d’urgence
pour huit ânes et une quarantaine de poneys abandonnés par leurs
propriétaires. Ils s’étaient évanouis dans la nature, après la faillite du
poney club. Le Général fit patienter son interlocuteur et résuma la
situation à Paddy.
- La stabu des poulains peut accueillir les poneys souffrants,
et pour les ânes, je pencherais pour celle des laissés pour compte.
Le Général reprit le téléphone et accepta tout le monde. Les
hommes se pressèrent vers la stabu des poulains. Il fallait pailler,
prévoir l’aliment, le foin et tout vérifier…
Pendant ce temps, Matt s’occuperait du petit Prince. Tous les jours,
accompagné d'un adulte, il faisait sa promenade sur le dos de
Noisette. Matt était très heureux de s’occuper du petit. Une écharpe
lui couvrait la bouche et le nez et seuls ses yeux pétillants restaient
visibles. L’enfant tenait les rênes et les secouait pour aller plus vite.
Matt fit trotter la ponette, en tenant le petit par le blouson. Ils riaient
tous les deux.
L’après-midi, les poneys affaiblis arrivèrent au Domaine. Ils
n’étaient pas fringants et mouraient de faim. Ils furent enfermés dans
l’enclos des poulains et reçurent de l’aliment et du foin dans la stabu
paillée. Les ânes, trop bruyants pour habiter près de la maison à
Paddy furent conduits à la stabu trois, la plus éloignée. Les camions
vides quittèrent le Domaine sauf un qui attendait. Le Général
questionna le chauffeur. Il lui fit signe, trois chiens apeurés,
attendaient, serrés les uns contre les autres, les oreilles et la queue
basses.
Il appela Paddy à la rescousse, le spécialiste des chiens,
c’était lui. Le Général, talonné par Belle, retournait à la stabu trois
s’occuper des ânes.
Paddy les appela et l’un d’eux rampa vers lui. Il le caressa et
lui parla. Les deux autres s’approchèrent doucement mais refusèrent
la main tendue. Il n’insista pas, rentra chez lui et revint avec une
gamelle de croquettes. Il la présenta au moins peureux. Les deux
autres, alléchés, ne tardèrent pas et la vidèrent. Paddy les appela et
tous trois le suivirent.
Lila retrouva Matt et le petit Prince. Tous trois se pressèrent vers la
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stabu des poulains. Les poneys étaient calmes et mangeaient le foin.
Paddy était là accompagné d’un chien, deux autres suivaient à
distance respectable. Il ne s’inquiétait pas, tous trois se rejoindraient
rapidement. Il rentra dans la stabu et demanda aux jeunes de fermer
la porte dès qu’ils seraient rentrés. Il tenterait de les amadouer plus
tard. Après leur avoir laissé une gamelle pleine d’eau et une de
croquettes, il les laissa en paix. Il devait passer au bureau, la
gendarmerie attendait une signature.
Une clôture était à revoir, il demanda à Matt de s’en occuper.
Matt récupéra la planche et les outils et s’y rendit suivit de Lila et du
petit Prince toujours sur Noisette. Matt préparait la planche quand
Paddy revint. Il appela Lila et lui demanda de se rendre au bureau,
une dame l'attendait. Elle s’était présentée, c’était la sœur de Rory,
Claudia.
Matt terminerait et la rejoindrait ensuite avec le petit. Paddy récupéra
l’enfant qui voulait voir les "oneis et les siensiens."
Lila était surprise et se demandait ce que voulait Claudia.
Elles n'avaient jamais été proches et si Rori était un ami, ce n'était
pas le cas de sa sœur. Elle n’avait aucun contact avec celle-ci et n’en
était pas peinée. Lila se souvenait d'elle comme une personne fière,
médisante et jalouse. Elle avait eu des vues sur Matt et n’avait pas
accepté d’être rejetée. Elle avait affublé Lila d’un surnom "petit pot
de glu."
Lila ressentit un malaise. Rory avait du parler du retour de
Matt et elle venait aux nouvelles. Toutes à ses pensées, elle était
arrivée au bureau. Claudia attendait et regardait par la fenêtre. La
première chose qu'aperçut Lila fut un long manteau de fourrure noire
qui couvrait une silhouette parfaite. La silhouette parfaite se retourna
et toisa Lila, un sourire ironique sur les lèvres. Lila, en salopette de
jeans ressemblait plus à une gamine de quinze ans qu'à une maman
de dix-huit ans. Claudia, négligemment, fit glisser son manteau sur
ses épaules ; il atterrit sur la chaise. Elle portait un bel ensemble et
toute sa personne exprimait un goût raffiné des belles choses. Elle
était très belle et très élégante et elle le savait. Une grande dame fut
la première impression de Lila en la découvrant.
- Lila ! s'exclama Claudia. Je suis si heureuse ! Il y a bien
longtemps que je ne t'ai pas vu. Il est vrai que je suis assez prise et
toi aussi, m'a-t-on dit. Je suis venue pour les vacances de Noël. A la
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maison, nous parlions du Domaine et Rori m'apprend que Matt est de
retour. Je me suis donc empressée de venir prendre de vos nouvelles,
minauda-t-elle.
Lila n'était pas dupe une seconde. La curiosité l’avait attirée. Au
village, le retour de Matt devait se savoir ; rien ne restait secret bien
longtemps.
- Tu es bien renseignée, Matt est revenu. Nous allons tous très
bien, je te remercie.
- Il semblerait que ta vie ne se soit pas déroulée comme tu le
souhaitais. Matt a quitté votre cher domaine et t'a abandonnée par la
même occasion. Il est parti deux ans, c’est bien ça ? C'est ce qui se
dit au village. Pourtant, si mes souvenirs sont bons, votre avenir était
tout tracé. Vous deviez prendre la suite du Général et vous occuper
du Domaine. Enfin ! La vie est bizarre. Que devient Matt, il est en
visite ? répéta-t-elle mielleuse.
- Tu es bien renseignée. Matt est là, confirma Lila.
- Ah très bien ! Comment va ton fils ? Quel âge a-t-il ?
- Il a presque quinze mois. C'est un gentil garçon.
- Je savais que tu avais un gamin. Du jour au lendemain, Matt
a disparu, personne ne savait où il était. Aucun de ses copains n'avait
de nouvelle. Nous avons pensé beaucoup de choses ! Rori avait
cherché Matt partout à la fac, avant de demander des nouvelles au
Général. J'ai vite compris : tu vois, moi, j'ai une fille de deux ans. Eh
oui ! Juste avant mon bac, je sortais avec un garçon, je l'aimais, il
m'aimait. Nous faisions des projets d'avenir… Bref j'ai couché.
Résultat, je suis tombée enceinte et "l'homme de ma vie" a disparu, il
s’est envolé, ricana-t-elle tristement.
Captivées par leur conversation, les femmes n'avaient pas
entendu la porte s'ouvrir. Matt et le petit Prince étaient entrés dans le
salon. Ils patientaient sagement, attendant que les femmes terminent.
- Je suis désolée pour toi, murmura Lila peinée. Elle
connaissait l'histoire, Rori lui en avait parlé. Le problème soulevé
était énorme pour cette famille connue et réputée. Papa était juge et
militait pour la famille et les valeurs chrétiennes… Rien ne devait
salir le patronyme paternel. Alors une fille-mère dans la famille, ça
faisait tâche même en l'an deux mille. Rory en avait été très ébranlé.
- Mon père en avait parlé au Général. Pour papa, c'était
obligatoirement le mariage. Il fallait sauver l'honneur de la famille.
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Ma solution, c’était l'avortement. Pour papa, c’était hors de question,
je devais assumer mes actes. Si je n'obéissais pas, je devais quitter le
pays. Il me foutait dehors, il me coupait les vivres et la cerise sur le
gâteau, il me reniait. Pourquoi ? Parce que je salissais sa réputation,
son honorabilité, son nom etc. Je n'étais qu'une traînée et mon gosse,
un sans nom, un bâtard. Tu sais, je n'ai jamais oublié ses mots et
encore aujourd'hui, je les entends, ils restent gravés dans ma
mémoire. Toi, encore une fois, tu as eu de la chance, le Général t'a
gardée avec lui. Tu as fait la même erreur que moi ; tu as cru en un
mec qui s'est barré sitôt la découverte du "cadeau." Maintenant, je
comprends tout. Tu as trahi Matt, c'est pour ça qu'il est parti du jour
au lendemain, sans donner de nouvelles. Tu l’as trompé et il ne t’a
pas pardonné. Il n’a pas voulu du "bonus" conçu par un autre ?
Aujourd’hui, il est revenu. Tu vas certainement retenter ta chance.
Tes objectifs risquent d’être difficiles à atteindre. Connaissant Matt,
je doute qu’il pardonne ton infidélité.
Tu dois te demander comment je sais tout ça ? Rory ! Il en parlait
avec papa hier, sans savoir que j’étais là. Tu es comme moi, tu te
retrouves seule avec ton gamin sans nom et sans père, cracha-t-elle
vindicative.
Lila était stupéfaite, sonnée. Elle restait sans voix. Dans ses
yeux, la surprise et l'effroi se mêlaient puis ce fut la révolte. Personne
n'avait le droit de salir ceux qu'elle aimait, personne et surtout pas
cette beauté glaciale et haineuse. D'une voix hachée par l'émotion,
elle se rebiffa :
- Que sais-tu de ma vie ? Comment oses-tu salir mon enfant
et son père ? Mon Fils n'est pas ce que tu dis, ce mot que jamais, je
n'emploierai accolé au sien. Mon Fils a le nom et le prénom de son
Papa. Et son Papa n'est pas un mec d'une soirée, un accident de
parcours ou une erreur dans ma vie. Non ! Son Papa est l'homme que
j'aime depuis toujours et que j'aimerai toute ma vie. Oui ! C’est
l'homme de ma vie. Même si la vie nous a séparés, nous ne nous
quittons jamais. Nous sommes toujours ensemble, il est toujours
présent là, termina Lila en se frappant le cœur.
Matt s'était rapproché. La conversation prenait une tournure
qu’il n'aimait pas du tout. L'enfant ressentait la tension qui régnait
dans le bureau et s'inquiétait. Il avait patienté sagement, attendant
que sa maman soit disponible, mais maintenant l'incompréhension et
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le désarroi se lisait dans ses yeux ; son regard était voilé de larmes,
celui de Matt lançait les éclairs qui annonçaient la tempête. L'enfant
se tourna vers Matt, craintif et lui tendit les bras. Matt s'accroupit et
enleva l'enfant. Il quitta le salon, le petit cramponné à lui, et rentra
dans le bureau. Il s’approcha de Lila, l’enlaça et attaqua Claudia :
- Comment oses-tu t'adresser à Lila sur ce ton ? Qui es-tu
pour lui donner des leçons, salir sa famille, traîner son nom dans la
boue ? Lila est une personne courageuse et honorable. Quant au petit,
tu oses parler d'une erreur ? C'est un cadeau, un vrai cadeau, le plus
merveilleux des cadeaux qu'elle puisse donner à l'homme qu'elle
aime, lui asséna-t-il en regardant tendrement le petit. Ton histoire n'a
rien à voir avec celle de Lila et celle-ci n'est pas responsable de tes
erreurs. Je pense que tu devrais retourner auprès de ta fille. Ta haine
n'a pas sa place ici, termina Matt en se tournant vers Lila, mettant un
terme à la conversation.
Le petit Prince n'avait pas dit un mot, il cachait sa petite
frimousse dans le cou de Matt. Ce n'est qu'à la fin de cet exposé
quelque peu violent, qu'il osa regarder par-dessus l'épaule de l’adulte
et se tourner vers sa maman. Il lui tendit les bras, Lila le récupéra et
le serra contre elle.
Claudia put l'observer à loisir et resta sans voix ; la
ressemblance était incroyable, c’était Matt en plus jeune. Elle les
regardait l'un après l'autre, stupéfaite. Il n'y avait aucun doute
possible ; Matt était le père du petit. Soudain, comme si elle se
réveillait d'un mauvais rêve, elle secoua la tête.
- Mon Dieu, je n'ai rien compris, je te dois des excuses Lila,
je vous dois des excuses à tous les trois. Je ne pensais qu'à me
venger. J'étais jalouse, tu avais tout ce que je n'avais pas. Tu faisais la
fierté de ton père. Tu travaillais super bien à l'école, tu avais deux
années d’avance, tu réussissais tout ce que tu entreprenais… Mon
père et Rory ne faisaient que des compliments sur toi. Ils nous
comparaient en permanence, j'ai fini par te détester. Toi la perfection,
la fille que tout père rêverait d’avoir, celle qui ne faisait jamais
d'erreur. Tu ne sortais pas avec les garçons, tu ne t’affichais pas en
public, pas de tenue osée ou allumeuses, pas de maquillage, le mien
était outrancier…
J'ai fait beaucoup d'erreurs, c'est vrai, et mon père ne se gênait pas
pour affirmer, "ce n’est pas la fille du Général qui aurait agi ainsi.
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Prends exemple sur Lila, Lila par-ci, Lila par-là, Lila, la fille
parfaite…" Au village, tu es estimée, ils parlent de toi comme la
petite fille polie, gentille. Celle qui n’oubliait jamais son grandfrère… Si tous les enfants ressemblaient à Lila, la fille modèle…
Lorsque Rori m'a dit que tu avais eu un enfant, j'ai vu l'ouverture
pour ma revanche et je l'ai saisie. Je voulais montrer à tous que je
n'étais pas la seule à faire des fautes. Ta famille, son honneur et son
nom étaient aussi compromis que les miens.
Je voulais jeter ma colère à la figure de tous, les mettre en face de
leurs erreurs. Je voulais leur montrer que je n'étais pas un déchet ; toi
aussi, la perle, la fille "modèle", tu avais fait la même erreur que moi.
Je suis désolée. Il est évident que ton rêve s'est exaucé. Pour vous,
les mots sont inutiles, les preuves sont là, conclue-t-elle en sortant.
Matt était abasourdi par son brutal revirement, son retour en
arrière. Il ne comprenait pas. Il regarda Lila, quêtant une réponse.
Elle frissonnait. Il enlaça et serra la mère et l'enfant dans une étreinte
protectrice. Lila, écrasée contre ce torse puissant, retrouvait sa place.
C'était le seul endroit au monde ou elle se sentait protégée, bien à
l'abri dans sa forteresse blindée. Elle se serra davantage contre ses
deux amours. Matt l'embrassa sur le front. Elle releva la tête, il posa
ses lèvres sur les siennes. Le baiser, léger comme l'aile d'un papillon,
s'éternisa.
Un petit impatient gesticula et les força à s’interrompre. Il
réclamait lui aussi des bisous et en reçu des deux adultes. Ils se
sourirent et se séparèrent. Leurs mains se cherchèrent et s'unirent,
leurs doigts s'enlacèrent.
Paddy arrivait tranquillement suivit de Misère numéro trois
ou quatre. Tous les chiens qui arrivaient au Domaine, s’appelaient
Misère. Il récupérait les vieux, les vilains, les délaissés condamnés
de la SPA ou les errants et tentait de les placer. Celui-ci n’avait pas
trouvé d’adoptant et restait là comme d'autres avant lui.
- Je pense qu'un petit remontant s'impose, dit-il en revenant
avec la cafetière et deux tasses.
Ils se dirigèrent vers le salon. Matt et Lila prirent place sur le
canapé, Paddy dans le fauteuil. Ils savouraient, tranquillement la
boisson chaude. Pour Paddy, cette pause avec ses chers petits, était
toujours un moment de félicité et de détente.
Le petit Prince regardait avec curiosité et envie la tasse. Matt,
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prit la petite cuillère, la remplit et la lui proposa. Celui-ci, curieux, y
trempa les lèvres. Ses grimaces firent sourire les grands. Il réitéra
l'expérience. Une moue de déception se peignit sur son visage.
- L'histoire se répète à l'identique, murmura Paddy souriant.
Je vais te raconter une histoire, Petit. Il y a longtemps, un petit
garçon d’environ quatre ans, adorait le café. Quand les grands en
buvaient, il avait le droit d'en avoir dans le fond de la tasse. Une
petite fille, elle devait avoir deux ans, a fait la même chose. Elle a
voulu goûter, elle aussi. Elle a fait les mêmes grimaces que toi. Dès
que le café était servi, elle s'asseyait sur les genoux du petit garçon,
et attendait sa part. Elle a fait des grimaces pendant très longtemps
mais elle a toujours réclamé ses cuillerées. Ensuite, les enfants ont
grandi et ils ont toujours partagé la même tasse de café ; une tasse
pour deux. Le petit garçon et la petite fille, sais-tu qui c’était, mon
petit Prince ?
Le petit Prince avait écouté religieusement l'histoire de Paddy sans
comprendre une seule parole. Il souriait et semblait attendre la suite.
Il secoua sa petite tête. Bien sûr qu'il voulait savoir.
- Regarde ! Une tasse de café pour deux.
Tous regardèrent la tasse vide qui reposait sur la table basse.
Machinalement, Matt et Lila se l'étaient partagés. Ils avaient retrouvé
leur ancienne complicité autour du café.
- Un café partagé est toujours bien meilleur, récitèrent-ils
dans un ensemble parfait.
- C'est vrai et il y a longtemps que je n'ai pas apprécié un si
bon café, murmura Paddy.
- Tu as raison Paddy. Je n'ai jamais apprécié de boire un café,
seule. A deux, c’est… C'était une tradition du Domaine. C'était… A
vrai dire, je ne sais pas… Un symbole…
- Le bonheur, c’est si peu de chose. Bien, je vais soigner mes
poneys et mes chiens. Je suis un vieux bonhomme vraiment très
heureux. La maison chante, affirma-t-il troublé en se levant.
- Ce sont tes poneys et tes chiens qui te rendent si joyeux,
demanda Matt.
- Entre autres. Vous n’entendez pas le Domaine chanter, il est
heureux. Tous les oiseaux ont réintégré le nid, s’exclama-t-il en
sortant.
Lila était triste en repensant à Claudia. Sa méchanceté n’était
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en fait que de la souffrance. Elle fit part de ses impressions à Matt. Il
pensait la même chose mais il n’acceptait pas sa méchanceté et lui en
gardait rancune.
- Un enfant quel qu’il soit n’est jamais un… Il refusa de
prononcer le mot. Elle n’avait pas le droit de parler ainsi du petit
Prince. Personne n’en avait le droit. Un enfant est innocent, sincère
et pur. Ton enfant est un amour, un ange qui n’a rien demandé. Il est
là et ne demande rien d’autre que d’être aimé. Quant à sa maman,
elle l’élève dans l’amour et y réussit très bien, il respire le bonheur et
la joie de vivre. Ton enfant, ma Lila, c’est le fils de la femme que
j’aime, le petit que j’aurais aimé te donner. Si tu acceptes, j’aimerais
le considérer comme le mien. Je vous aime tous les deux, termina-t-il
en lui prenant la main pour l’embrasser.
- Je te remercie de ton soutien et de tes belles paroles.
- Elles sont sincères.
- Moi aussi, je t’aime et le petit Prince aussi.
Matt la serra contre lui. Lila lui avouait son amour mais elle
avait affirmé à Claudia qu’elle aimait et aimerait toujours le père de
son enfant. Matt était troublé, il ne comprenait plus rien. Sa Lila
aimait-elle deux hommes ou avait parlé pour se défendre et ne pas
perdre la face ? Quant à Claudia, pourquoi ce revirement ? Pourquoi
avait-elle changé d’avis si vite ? Matt était complètement perdu et
Lila ne l’aidait pas.
- Je voudrais, j’aimerais te poser une question. C’est une
question indiscrète et si tu ne veux pas me répondre, je ne t’en
voudrais pas. Tu as dit à Claudia, que tu aimais toujours son père et
que tu l’aimerais toujours ; c’est la vérité ou une parade ?
- Avant de répondre à ta question, je dois t’avouer beaucoup
de choses. J’y répondrai, mais laisse-moi un peu de temps.
- Excuse-moi. Je n’ai pas le droit de te poser cette question.
- Non, attends ! Ce n’est pas cela. Je veux tout te dire mais
pas de cette façon. Je dois t’expliquer tant de choses… Tu es parti si
longtemps. J’ai un secret, un grand secret et je dois te le révéler. Je
dois libérer mon cœur.
- Tu m’inquiètes ma Lila.
- Tu vas tout savoir, je te le promets. Tu es concerné. C’est
notre vie, c’est nous trois. C’est très important pour moi. Tu veux
bien rejoindre notre refuge ?
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53
CHAPITRE 5
Arrivée à la maison, Lila apporta son ordinateur et cliqua sur
le dossier "Amour." Elle lui expliqua :
- Tu ne m’as jamais donnée de tes nouvelles pendant ton
absence, jamais écrit, pas une lettre, rien, mais moi je t’ai écrit.
J’aimerais que tu lises ces lettres.
- Attends Lila ! Ce matin, j’ai aperçu ce dossier, le mot
"Amour" m’a interpellé. J’ai été tenté de le lire mais je ne l’ai pas
fait.
- Merci, c’est important pour moi ! Maintenant, si tu le
souhaites, tu vas lire ces courriers, tous. Pendant ce temps, je
m’occupe du bain du petit Prince.
Matt commença sa lecture :
"Mon cher amour,
A toi qui ne recevras pas cette lettre, j’ai promis sur notre amour, de
ne pas t’écrire la première…
J’attends ton premier courrier qui me permettra de te donner des
nouvelles…
Tu me manques, tu nous manques… Vivre sans toi, est la pire des
choses qui puisse m’arriver, je regrette tellement ton départ…
Les nuits sont si longues sans toi, les journées si vides… J’attends
déjà ton retour…
Chaque jour, elle lui écrivait et plus les semaines passaient plus les
lettres étaient désespérées…
Ensuite il y avait eu le travail acharné qui permettait de dormir un
peu, les courbatures qui devenaient douleurs… Le mal qui persistait,
sa crainte du cancer, de mourir loin de lui, mourir sans le revoir…
Puis la nouvelle, la magnifique nouvelle, l’enfant de son amour,
l’enfant de l’amour qui allait arriver… Le désespoir qui s’installait,
les nouvelles n’arrivaient pas. L’appeler et lui dire ? Se taire et
attendre encore ? Espérer en vain…?
En septembre, peu de lettre. L’enfant était arrivé, les larmes, la
déprime son ventre vide, si vide, plus rien à l’intérieur…
Son amour de bébé si petit qu’elle craignait de perdre… Toujours
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rien du papa… Dans les bras de gros nounours, la nuit elle rêvait
qu’il était revenu. Mais quand elle ouvrait les yeux, elle était seule et
souffrait encore un peu plus. Elle avait peur qu’il l’ait oubliée, trouvé
l’amour, construit autre chose, ailleurs. Elle avait mal, si mal… Il
avait le droit de savoir, elle devait lui dire mais elle avait promis,
promesse terrible sur leur amour. Lui, il avait oublié sa Lila sinon il
aurait écrit, appelé, donné signe de vie. Elle parlait beaucoup à son
ange de son papa parti étudier… Son papa l’aimait et il reviendrait…
Elle n’y croyait plus mais le promettait à l’enfant… Son papa était
bon, beau, gentil, intelligent. Il n’avait que des qualités. Elle, elle
n’attendait plus, n’espérait plus, il ne reviendrait plus… Il était parti
depuis trop longtemps…
Une voiture s’était arrêtée au domaine, elle avait cru, son cœur avait
bondi dans sa poitrine, elle avait espéré, s’était pressée… Mais non,
ce n’était pas la personne si attendue…
Les silhouettes, lors des journées d’adoption, Matt ? Il était peut-être
revenu ? Même chose au village, dans les magasins… Elle préférait
ne plus sortir. Elle ne l’attendait plus mais l’espérait toujours. Son
amour pour lui ne voulait pas lui laisser de répit, s’endormir pour un
temps, la laisser vivre…
Son petit bébé ressemblait tellement à son papa…
Lila avait poursuivi ses lettres lorsque Matt était revenu… Elle
s’inquiétait de Natacha et de leurs rapports, d’Amérique. Elle n’avait
pas le droit de briser sa vie. Lui avouer, briserait peut-être son
couple. Elle devait le laisser vivre son bonheur, si sa vie était avec
Natacha, Lila se ferait oublier… Lui avouer, c’était perdre son petit
ange, il l’emmènerait… C’était un homme de cœur, il refuserait
d’abandonner son petit. Oui ! Mais elle ? Comment vivre sans son
petit, loin de lui. Elle avait perdu l’amour de sa vie et maintenant elle
risquait de perdre son enfant… La mort serait moins douloureuse.
Mais Matt avait le droit de savoir…
Elle récapitulait les derniers jours faits d’inquiétude et de questions,
de tristesse. Elle n’arrivait pas à communiquer, à retrouver leur
complicité. Leurs silences étaient lourds comme des chapes de
plombs, puis venaient le chagrin et le découragement.
Elle ressentait la peur, peur qu’il ne disparaisse pendant qu’elle avait
le dos tourné. Elle avait souffert et souffrait encore."
Le dernier texte était de ce matin, il était court et laconique, "mon
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secret pèse trop lourd. J’ai tout préparé et ce soir, mon Matti, plus de
secret."
Matt ferma le dossier et éteignit l’ordinateur. Il était en état
de choc. Le petit Prince était son fils. Lila était restée fidèle à sa
parole, à leur serment.
Pris par ses lectures, il n’avait pas réagi lorsque Lila et Mattis avaient
rejoint la table. Elle était assise et patientait sans un mot, n’osant
l’interrompre, inquiète de sa réaction.
Mattis commençait à trouver le temps long, Lila le laissa
descendre et il rejoignit son papa. Matt le prit dans ses bras et le serra
contre lui. Il se tourna vers Lila et lui demanda :
- Pourquoi ? Pourquoi, ne m’as-tu rien dit ? Je serais revenu.
Tu sais que je serais revenu ! Pourquoi, as-tu subi tout ça toute
seule ? Mon Dieu, tant de souffrances ! Je comprends tes peurs.
Jamais je ne t’aurais séparé de ton petit, je n’aurais jamais fait ça, je
ne suis pas un monstre. Mon pauvre amour, comme tu as du souffrir.
Il s’approcha de Lila et posa les genoux à terre avant de lui
enserrer la taille. Il appuya la tête contre sa poitrine. Lila lui caressait
la joue, frottait sa tête contre la sienne et l'embrassa. Elle semait
plein de baisers mouillés sur le visage aimé. Elle récupérait ces
semaines de manque, ces mois de solitude, cette année et demi loin
de lui.
- Je t’aime tellement ! Maintenant, je peux répondre à ta
question. Oui, j’aime le papa de mon fils et je l’aimerai toute ma vie.
C’est l'homme que j’aime et que j’aimerai aussi longtemps que je
vivrai. Tu m’as tout donné, tout appris. Tu as accepté mon fils sans
rien savoir du père. Tu nous acceptais tous les deux sans contrepartie.
Tu l’as aimé avant de savoir qu’il était ton fils. Mon amour pour toi a
encore grandi.
- Oh mon amour ! Tu ne sais pas à quel point ta réponse
m’apaise. Je t’entendais parler avec Claudia de cet homme que tu
aimais, le papa de ton petit Amour. Je rêvais, j’imaginais que tu
parlais de moi tout en sachant que c’était impossible, les dates ne
coïncidaient pas. J’ai ressenti un sacré coup au cœur. Tu avais oublié
ton Matti, tu en aimais un autre, tu lui avais donné ton cœur et un
enfant.
Ils avaient oublié Mattis. Il les regardait étonné et fini par
s’approcher. Il essaya de crapahuter sur les genoux de son papa.
56
- Je n’aurais jamais aimé un autre homme que toi. Si tu avais
écouté ton cœur, il te l’aurait dit. Ta Lila te sera toujours fidèle,
murmura-t-elle en attrapant son petit chenapan.
Matt serra sa chère Lila et leur fils dans une même étreinte.
- Vous êtes ce que j’ai de plus cher au monde et je vous
aime ! assura-t-il.
- Nous t’avons retrouvé. Tu nous as tellement manqué.
Chaque jour loin de toi, je veux l’oublier. Je t’aime. J’aime notre fils.
J’ai encore des choses à te révéler. Ensuite, nous n’aurons plus aucun
secret, jamais, jamais.
- Si tes secrets sont aussi beaux que celui-ci, je suis pressé de
les découvrir. J’ai un fils ! Je n’arrive pas à y croire !
- C’est la vérité, nous avons un enfant, un magnifique petit !
Je dois continuer, tu as beaucoup à apprendre ! Tu ne connais pas
encore le prénom de ton enfant.
- Junior ! Tu m’as dit qu’il s’appelait Junior !
- C’est vrai mais... tu vas le découvrir toi-même.
Lila lui demanda de s’installer, avec son fils, sur le tapis
devant la cheminée. Matt obéit et elle revint avec son carton à
dessins. Il reconnu le passe-temps de Lila. Elle "croquait" leurs
proches et s’en sortait très bien. Elle l’ouvrit devant l’enfant, il
s’extasia et battit des mains. Lila lui sourit et lui proposa de jouer. Il
était enchanté. Elle s’assied à ses cotés et montra la première
esquisse à l’enfant.
- Papy, cria-t-il en battant des mains devant le portrait du
Général. Papy, affirma-t-il en reconnaissant Paddy.
La troisième était Matt mais Lila ne lui montra pas encore.
- Maman d’a our, s’écria le petit en reconnaissant sa maman.
Bébé d’a our.
Matt se retourna vers Lila mais elle lui fit signe de se taire et
continua. Elle se désigna et l’enfant répondit correctement comme
pour le dessin, la maman "d’a our." Elle poursuivit un doigt vers le
petit, le bébé "d’a our" puis pour terminer Matt.
- Matti à maman.
- Oui, Matti à maman et… et… Réfléchis !
- Papa d’a our, termina l’enfant en souriant.
Matt attrapa son fils dans ses bras et l’embrassa. Ainsi Lila
lui parlait de lui, son papa. L’enfant connaissait son nom et savait
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très bien qui, il était. Il était "le Papa d’Amour." Lila ne l’avait pas
renié de leur vie. Son nom avait été banni mais pas entre la mère et
son fils.
Lila les abandonna et revint avec l’ancienne boite de Matt.
C’était une jolie boite à gâteaux, en fer qui avait contenu tous leurs
petits secrets d’enfance, un joli caillou, un ruban, un sifflet, un
bracelet et un collier de nouilles etc. Elle lui tendit la boite ; Matt
l'ouvrit. Elle contenait les papiers de l’enfant, son acte de naissance
et son livret de famille.
Matt tenait les documents dans sa main, il n’osait les lire. Il
regarda Lila, un sourire l’y encouragea.
La première page était réservée, à l’acte de naissance de la
mère pour le coté droit et celui du père à gauche. Son nom et prénom
y figuraient ainsi que tous les renseignements le concernant. Tout y
était inscrit, de son lieu à sa date de naissance, aux noms et prénoms
de ses parents. Idem pour la page de Lila.
Il tourna la page et découvrit le nom et les prénoms de son fils,
"Mattis Junior, Nathanaël, Paulin, Quentin Roque Brune Maréchal"
suivit de sa date et lieu de naissance. Une note attira son attention,
dans "Mentions Marginales" il lut "reconnu par ses père et mère."
Ce n’était pas juste et Lila lui expliqua qu’elle avait triché.
Elle avait eu peur et avait voulu protéger son petit si un malheur était
arrivé. Le Général et Paddy étaient ses tuteurs légaux et elle trouvait
essentiel que le nom de son papa apparaisse. Son fils devait être
reconnu par son papa. Si un malheur était arrivé, Matt n’aurait pas eu
de problème.
Elle avait douté de son amour. Il l’avait peut-être oubliée, elle, mais
jamais il ne renierait son fils. S’il avait refait sa vie avec une autre…
Elle baissait la tête, gênée. Elle se perdait dans ses explications et
regarda Matt. Il avait les yeux pleins de larmes. Elle s’approcha de
lui et l’enlaça. Elle l’embrassa tout en lui demandant pardon. Quinze
mois, il avait perdu quinze mois.
- Ce n’est pas ça, tu as tout fait pour protéger notre fils et je
trouve que tu as très bien agi. C’est ce que tu as fait pour moi, le fait
de m’avoir impliqué dans votre vie. Pour tous, pour l’Etat, pour le
Monde entier, je suis son Papa. Je suis reconnu comme le Père de
notre enfant… Tu ne peux imaginer ce que je ressens. C’est
merveilleux. Je t’ai laissée sans nouvelle, tu as pensé mille choses et
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pourtant tu m’as laissé ce privilège, cet honneur de rester son papa.
Tu lui as donné mes noms et mon prénom. Tu les as fait inscrire sur
le livret de famille… Je trouve que tu es merveilleuse, généreuse,
indulgente et tant d’autres choses encore. Je te remercie, mon
amour ! Les mots sont si faibles, tu as fait tant pour moi. Je me sens
important et reconnu. Pour la seconde fois, tu m’offres une famille.
J’ai une femme aimante et un enfant adorable. Une famille à moi,
oui, tu m'as offert une famille pour la deuxième fois…
Lila s’assied devant lui, elle l’écoutait et le dévorait des yeux.
Le petit Prince prit place sur ses genoux, attentif, lui aussi aux
paroles de son papa. Il continuait ses louanges et Lila pour le stopper,
l’embrassa. Il n’hésita pas et lui rendit son baiser.
Les rires résonnaient quand les papys arrivèrent. Un petit
homme de quinze mois attaquait son papa et le maintenait au sol.
Le repas fut détendu. Lila expliqua qu’elle se sentait légère.
Elle s’était libérée de ses secrets. Le Général était soulagé et lui fit
savoir ; plus de secret, plus de cachotterie ni de mystère. Voilà qui
était clair et net. Il se décida, lui aussi, à parler et expliqua à Lila que
Paddy et lui étaient au courant de tout concernant Matt.
- Nous recevions des courriers régulièrement et j’avais essayé
de te le dire. A l’évocation de son prénom, tu avais éclaté en sanglots.
Ton chagrin était terrible et poignant, ta souffrance à vif. J’ai eu
beaucoup de peine à te calmer, c’est pourquoi nous avons préféré
nous taire. Nous te voyions dépérir, nous savions que tu épiais le
facteur. Après son départ, tu restais de longues minutes à attendre.
Quand tu réalisais qu’il n’y aurait pas de lettre, tu rentrais, effondrée.
Tu pleurais toutes les nuits… Nous avons souffert avec toi, nous te
surveillions de loin, nous avions peur.
- Je n’en savais rien. J’ai cru perdre la tête, devenir folle. Je
crois que j’avais perdu l’envie de vivre. A l’hôpital, je me fichais
d’être malade, d’avoir un cancer. Ce qui me faisait mal, c’était de
mourir sans te revoir. Dans le même temps, j’étais bourrée de
remords et je culpabilisais. Vous ne méritiez pas ça ! Mon amour
pour vous n’arrivait pas à surmonter cette épreuve alors que le vôtre
était présent, chaque jour. Vous m’avez soutenue, aidée, et l’arrivée
de notre petit m’a redonné le courage. Sans vous, sans votre présence
et votre amour, je n’aurais pas remonté la pente, confessa-t-elle.
Matt lui avait pris la main, il se sentait coupable.
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- Je m’en veux de t’avoir laissée. Je pensais qu’il le fallait, je
n’en suis plus aussi sûr aujourd’hui.
- Ce qui est fait est fait. Tu n’y es pour rien, nous avons
culpabilisé mais nous sommes des victimes. Les coupables, ce sont
ces monstres qui nous ont séparés, qui ont détruit notre bonheur,
murmura Lila.
- Détruit non ! Je t’aime, je t’ai toujours aimée. Je ne t’ai
jamais oubliée, pas une seule journée, ni une seule nuit. Je ne
dormais presque pas et quand j’y arrivais, je rêvais que j’étais auprès
de toi, je te cherchais. J’étais seul, loin de vous et c’était très
difficile. La solitude, c’est très, très dur. Ici, j’ai toujours été entouré,
soutenu, aimé. J’y ai ma chérie, mon amour, nos papas. Vous nous
avez toujours soutenus, aidés, aimés et protégés des coups durs. Je
savais que vivre loin de vous, ce serait dur, c’était pire que tout ce
que j’avais imaginé.
J’avais agrandi les photos, elles étaient partout, mais ce n’étaient que
des photos. Je crois que ça m’a fait plus de mal que de bien. Je me
sentais abandonné dans ma chambre d’étudiant ! J’étais tenté de
revenir le week-end mais je devais oublier ce cauchemar et te laisser
vivre. Je te condamnais à la prison à vie, si je restais.
Je travaillais beaucoup et prenais de l’avance sur le programme. Mes
professeurs m’avaient proposé de partir en Amérique. J’avais plus de
six mois d’avance et commençais à perdre mon temps dans la classe.
Un étudiant américain souhaitait venir en France et l’échange aurait
pu se faire rapidement. Les études étaient poussées et duraient deux
fois moins longtemps ; j'avais l’occasion. J’ai téléphoné aux papas et
leur ai demandé conseil. Ils ont accepté et je suis parti très vite. Je
pensais revenir pendant les vacances mais j’ai trouvé un travail dans
une Start up en plus de mes cours.
J’avais une chambre ou plutôt, un placard de onze mètres carrés.
J’étais toujours seul et ça allait ; je n’avais pas une minute à moi et
c’est ce que je cherchais. Je ne voulais plus penser à la maison. Le
soir, j’étais si fatigué, je m’écroulais sur mon lit. Je recevais les
lettres du Domaine, je les lisais et les relisais. Je cherchais à deviner
si rien ne se cachait entre les lignes. Les nouvelles étaient bonnes, tu
retournais au village, tu remontais à cheval… Je savais que je devais
finir ma "thérapie" avant de rentrer. Ensuite, je serai libre et je ne te
quitterai plus.
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Quand je me suis écroulé, en plein cours, Tacha, m’a aidé. J’étais
épuisé physiquement et moralement. Vous me manquiez trop et j’ai
disjoncté. Je voulais tout plaquer et rentrer à un mois du diplôme.
Tacha m’a secoué et m’a proposé d’habiter avec ses deux
colocataires. Je me suis rendu compte, bien plus tard, j’étais trop seul
; je pensais toujours à toi, ma Lila, à vous mes papas, cela me
rongeait. Ils m’ont remonté le moral et m’ont vraiment aidé. Nous
bossions ensemble, tard le soir. Le travail, le travail, toujours le
travail, nous ne pensions qu’à ça et à rentrer chez nous, le plus vite
possible. J’ai continué à travailler dans la Start up mais seulement
deux heures par jour et le samedi. Les copains faisaient la même
chose ; la vie américaine est très chère. Nous avions une détente, la
salle de sport. Quand nous étions trop abrutis par les cours, nous y
descendions. C’était notre moyen de décompresser ; nous en
profitions, c’était gratuit. Le dimanche, c’était repos, l’après midi,
nous faisions un tour en ville. Nous étions toujours fatigués, épuisés
en permanence. Le courage en prenait un coup. Quand l’un de nous
était démoralisé, nous étions là, nous le soutenions et il remontait la
pente. C’était dur pour nous tous. Heureusement, je recevais vos
lettres, elles me faisaient tenir.
Je t’ai écrit souvent ma Lila, mais les lettres finissaient à la poubelle.
C’était le découragement, la déprime assurée. Tacha m’avait
demandé si je voulais te tuer ou te voir arriver par le premier vol
pour me tirer de cet enfer. Il est vrai que mes lettres n’avaient rien de
gaies. Elle sait pour nous… Je lui dois beaucoup, elle est comme toi,
elle a du cœur et elle est généreuse.
Nous étions quatre jeunes paumés et restons des amis sincères. Je ne
sais pas s’ils vont retourner là-bas, mais pour moi, c’est fini, terminé.
Je reste à la maison, ici avec vous. Je suis guéri de mes peurs ! C’est
vrai, quelque part, ça m’a aidé, mais vous m’avez trop manqué et
l’expérience ne se renouvellera pas. Depuis mon retour, j’ai
l’impression de revivre, de respirer, d’avoir trouvé le paradis perdu,
le jardin de l’olympe…
J’ai toujours aimé le Domaine et jamais, je n’avais imaginé le quitter
un jour. Vivre ailleurs, vivre loin de vous, était impensable. Je me
suis toujours considéré à ma place ici ! Vous avez tout fait pour que
ce soit ainsi. Dans mon cœur, j’ai toujours eu deux papas et une
petite sœur. J’ai oublié que je n’étais pas le fils de la maison. J’en
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suis heureux dans le sens où je peux aimer ma Lila. Ma petite sœur
adorée est devenue la femme de ma vie. J’ai deux papas, une femme,
un foyer et, cerise sur le gâteau, le plus bel enfant du monde. Je suis
encore plus conscient de ce que je vous dois aujourd’hui. Mon
bonheur, c’est vous, c’est à vous que je le dois. On n’est bien que
chez soi, entouré des gens que l’on aime et qui vous aime. Je le
savais avant de partir, j’en suis convaincu, aujourd’hui. La vie sans
vous a été terrible. Vous pouvez être assurés d’une chose, je ne vous
quitterai plus, c’est terminé. Je vous aime et je tiens à vous le dire.
Matt termina sur cette belle phrase. Tous se taisaient, trop
émus pour parler. Le Général toussota, s’éclaircit la gorge avant de
répondre :
- Nous aussi, mon fils, nous t’aimons. Nous sommes très
heureux que tu sois rentré chez toi. Tu nous as manqué. Tu as dit de
bien belles choses et je t’en remercie. Tu as une famille et Paddy et
moi, nous avons deux beaux enfants, bons, serviables et attentionnés.
Nous comprenons que ton exil forcé a été très dur, tu l’as fait par
amour. Tu as été très courageux pour permettre à notre Lila de s’en
sortir.
Aujourd’hui, tout est terminé, les difficultés, les angoisses et tous les
tourments. Nous pouvons tous repartir sur des bases saines, droites et
directes. Nous sommes une famille et malgré toutes les épreuves
endurées nous sommes restés unis, c’est formidable. Maintenant,
comme dirait Paddy si l’émotion ne lui avait pas coupé la parole,
"Après la pluie vient le beau temps." De la pluie, nous en avons eu
beaucoup et plus qu’il n’en faut. Maintenant c’est terminé, tu as
ramené le bonheur dans tes bagages, mon fils.
- Matt et le Général ont tout dit, je n’ai rien à ajouter. Je pense
comme vous "le Domaine chante" il a retrouvé le bonheur. Je suis un
papa d'adoption comblé par ma famille, j’ai été adopté par deux
enfants et ils m’ont donné un magnifique petit-fils. Le bonheur, grâce
à vous, je sais ce que c’est. Moi aussi, je peux vous remercier ; j’ai
une belle, une magnifique famille, je suis un papa et un papy comblé.
Sur ce, mes chers enfants, je vais me retirer, la nuit est tombée depuis
longtemps et les poneys m’attendent.
Les papas embrassèrent les enfants et le petit, endormi dans
les bras de sa maman. Ils sortirent suivis des trois nouveaux chiens,
de Misère, Belle et Fripon.
62
Matt embrassa son fils et Lila le coucha dans son petit lit.
Elle revint dans la salle et chauffa un café. Elle ne ramena qu’une
tasse. Matt se recula et elle comprit. Elle prit place sur ses genoux et
se serra contre lui, en silence. Il fit de même. Le passé était revenu.
Lila n’avait pas compris sa souffrance et s’en voulait. Elle
comprenait que le Domaine puisse lui manquer, mais ce désespoir si
semblable au sien… Elle avait le soutien des papas et par la suite son
fils, Matt, lui était seul. Elle se promit de remercier Natacha à la
première occasion. Sans elle, que serait devenu son amour, loin des
siens ? Elle sentit les larmes couler sur son visage. Comme les papas
disaient "Après la pluie, vient le beau temps." Ils n’auraient que du
bonheur, elle se chargerait de le semer et d’y veiller. Elle embrassa le
front de son cher Matti.
Il releva la tête et elle déposa un léger baiser sur ses lèvres,
ses mains caressant les joues de Matt. Il sentit les larmes :
- Pourquoi ces larmes, mon amour ?
- Elles coulent toutes seules. Je suis une vraie fontaine. J’ai
mal pour toi, pour nous.
- Tout est terminé, nous sommes ensemble maintenant. Je t’en
prie, arrête la pluie dans tes yeux. Nous allons nous retrouver mon
tendre amour, oublier et repartir. Je t’aime ma Lila, tu es ma
Princesse, ma vie. Nous avons su conserver le plus important, notre
amour. Nous avons notre enfant, un magnifique enfant et un bel
avenir devant nous. Nous allons reconstruire notre vie, mon amour.
- Oui, ensemble, rien ne nous arrêtera. Nous construirons
notre paradis. Je regrette tellement. Tu as eu mal, toi aussi. Je ne le
savais même pas, je ne l’ai pas ressenti. J’ai agi en égoïste alors que
j’étais entourée. J’ai honte de moi.
- Tu n’as pas le droit de dire ça, nous avons souffert tous les
deux, mais c’est fini, mon amour, nous allons être heureux.
- Toutes ces épreuves, nous étions trop favorisés !
Nous en connaissons le prix maintenant. Nous allons retrouver ce
bonheur. Il ne demande qu’à se réveiller. Pendant tout ce temps, je
n’ai cessé de t’aimer et de penser à toi. Mon amour pour toi n’a
jamais faibli. C’est pour ça que je sais que nous pouvons repartir
comme hier, comme par le passé et nous retrouver.
- Je n’ai jamais cessé de t’aimer moi non plus. J’avais la
chance d’avoir une partie de toi, l’enfant que tu m’as donné. Je l’ai
63
maltraité, tu sais, je n’en ai pas pris soin. Je le regrette tellement.
J’aurais pu le perdre mille fois. Je faisais du cheval, je mangeais mal,
dormais mal. Il s’est plaint si souvent avant que je ne l’écoute. Il
tenait à la vie, Dieu merci.
- Tu ne voulais pas de notre enfant ?
- Oh ce n’est pas cela ! Je ne savais pas qu’il était là. Ton fils
a protesté, il a hurlé son mal-être pour me prévenir, mais je
n’écoutais pas ces douleurs. Une, beaucoup plus forte que les autres,
terrible, m’a pliée en deux et je me suis évanouie. Papa m’a
emmenée à l’hôpital, heureusement. Quand j’ai appris la nouvelle, je
ne l’ai pas crue. Je ne pouvais pas être enceinte, c’était impossible !
Tu m’aurais laissé le plus beau cadeau du monde ? Nos fiançailles, la
date n’était pas difficile à deviner.
Ensuite, j’ai tout fait pour le protéger mais j’avais peur de l’avoir fait
souffrir. Je l’aimais déjà, je l’aimais tant, c’était le cadeau que tu
m’avais laissé ; le plus merveilleux des cadeaux.
- Tu l’as partagé avec moi, ce merveilleux cadeau et je t’en
remercie mon amour. Allons l’embrasser avant d’aller nous coucher.
Je te veux dans mes bras.
La tasse était vide et resta sur la table. Matt et Lila retrouvèrent leur
petit lit. Lila attendit et se réfugia à sa place, dans les bras de Matt.
L’étau se referma sur elle.
CHAPITRE 6
Le lendemain, en se rendant au bureau, Matt, Lila et leur fils
rencontrèrent Louanne. Elle s’occupait des repas des ouvriers depuis
que sa grand-mère s’était arrêtée, dépannait Lila à l’occasion et lui
ramenait le pain tous les jours.
Elle les arrêta et leur donna le pain et un petit sachet :
- La boulangère m’a donné ça pour vous. Quand elle a su que
Matt était revenu, j’ai pensé qu’elle allait faire un malaise ; elle était
si contente… Elle espère que vous passerez lui dire bonjour. Elle n’a
pas vu Paddy et Mattis, aussi elle m’a donné son croissant.
Dans le sac, Matt découvrit trois morceaux de croissant.
Emu, il regarda Lila. Embarrassée, elle marmonna :
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- Tu pouvais revenir n'importe quand…
Matt savait que son départ avait été très mal vécu et se rendait
compte à quel point Lila avait attendu ; jour après jour, elle avait
espéré son retour. Le croissant coupé en deux, était un symbole du
passé ; toujours tout partager. Aujourd'hui, il y avait trois parts.
Le samedi suivant, la famille se rendit au marché. Les papaspapys s’occuperaient des courses, les jeunes et Mattis Junior se
rendraient à la boulangerie.
Quand la boulangère aperçut la famille, elle sortit de derrière
sa caisse et s’élança au devant d’eux, oubliant ses clients et
s’essuyant les yeux avec son tablier. Elle les serrât sur son cœur, tous
les trois à la fois et les entraîna. Ils dépassèrent tous les clients et elle
s’exclamait en marchant :
- Oh mon Dieu ! Quelle bonne surprise ! Quand cette coquine
de Louanne m’a appris que Matt était de retour, je me suis dit : ah, la
petite va retrouver son sourire. Tu lui as bien manqué à ta petiote,
mon garçon. Elle ne venait même plus chercher son pain ! C’est t’y
pas permis d’aller faire de si grandes études loin de ceux qui vous
aiment. Ton petiot venait avec l’un des papys, mais ce n’était plus
pareil. Ah les sacrées études ! Partir si loin du village ! J’espère que
tu l’as eu ton diplôme et que tu vas rester avec ta Lila, elle a eu bien
des chagrins et de la peine. Regarde la petiote, comme elle est
heureuse de t’avoir retrouvé !
Enfin ! Tu es rentré auprès de ta famille. Tu as un si beau petit, c’est
tout le portrait de son papa. Tu ne l’as pas volé ton petit ! Il te
ressemble tellement, le père et le fils, c’est deux gouttes d’eau et il
est comme toi à ton âge. Toi et ta Lila, c’était toujours deux, deux
sucettes, deux bonbons, un croissant coupé en deux… Je m’en
souviens comme si c’était hier. Ton petit, c’est trois et il sait compter,
trois, c’est trois ! Faut pas lui en conter.
Ton Mattis, il est bien poli, il dit toujours bonjour et merci, pas
comme certains ; il est bien élevé, lui.
Je suis si contente que, tenez, j’en pleure, fit-elle en s’essuyant les
yeux, à nouveau.
Puis s’adressant à son mari :
- Georges donne donc le pain et le croissant. Mais non ! Tu ne
vas pas couper le pain en trois, c'est juste le croissant, tu le sais bien !
Il me taquine toujours, celui-là !
65
Le brave Georges rabroué par sa maîtresse femme coupa le
croissant en trois parts égales et les rangea dans le sachet que Mattis
connaissait si bien. Il était resté aussi silencieux que ses parents
pendant les éloges de la boulangère mais maintenant il frappait dans
ses mains, tout heureux de recevoir la viennoiserie.
La brave femme rajouta deux caramels et une sucette, en
souvenir du bon vieux temps, précisa-t-elle.
Pendant ce temps, les clients rentraient toujours dans le magasin qui
se remplissait. La boulangère n’en avait que pour Matt et sa famille.
Les gens avaient écouté son discours et plus personne ne pouvait
ignorer que l’enfant du pays était de retour.
Ils se dirigèrent vers la porte, les clients se scindèrent en deux
pour les laisser sortir. La brave femme continuait ses louanges quand
la porte se referma sur eux. Lila et Matt étaient surpris. Ils éclatèrent
de rire. Ils n’avaient pas dit un seul mot ; la brave boulangère avait
fait la conversation toute seule, toute heureuse du revoir Matt. Elle
continuerait sûrement toute la journée à annoncer son retour.
L’enfant ouvrit le petit sac et distribua la part de chacun. Il
garda la sucette et rendit le sac à son papa.
Ils retrouvèrent Paddy et le Général. Les paniers étaient
pleins et ils se dirigèrent vers le marché aux fleurs. Paddy acheta un
bouquet pour la tombe de Nanny et Matt en profita pour offrir à Lila
une belle rose rouge. Ensuite Mattis dirigea les opérations. Il savait
exactement ce qu’il voulait et le fit savoir. Il s’agita dans les bras de
son papa et montra le manège. Il faisait un tour chaque semaine
pendant que Lila achetait les légumes. Les papys étaient gênés, leur
secret était éventé et ils n'échapperaient pas au sermon de Lila. Elle
ne manquerait pas de leur reprocher de le gâter et de tolérer tous ses
caprices. Il deviendrait mal élevé et prendrait de vilaines habitudes…
mais elle céderait de bon cœur. Elle fut la première à sourire lorsque
Matt installa son fils dans une voiture de pompiers.
Matt rejoignit Lila et surveilla son enfant ; il en était très fier
et ses yeux pétillaient de bonheur. Il enlaça la taille de Lila et la serra
contre lui, sans perdre de vue son petit. Celui-ci tenait le volant des
deux mains et le tournait dans les deux sens. A chaque passage
devant ses parents, il leur souriait tout heureux et le couple agitait la
main.
Ils rencontraient des connaissances du village. Les papys
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s’arrêtaient et discutaient. Matt, son fils sur un bras, sa Lila de l’autre
coté regardaient les étals. Les jeunes étaient reconnus et recevaient
des félicitations sur leur bel enfant. Matt, dans ce nouveau rôle de
papa, acceptait les louanges avec bonheur. Les mamies s’extasiaient
devant ce petit si mignon et si souriant.
Avant de rentrer au Domaine, ils se rendirent sur la tombe de
Nanny. Paddy déposa le bouquet dans le vase. Ils y passèrent un
moment avant de rentrer au Domaine.
Après la sieste, Lila prépara une tasse de lait chaud et une
compote. Elle apporta le tout à Matt et le laissa se débrouiller. Il
installa son fils sur le rehausseur et noua le bavoir. Il lui tendit la
tasse, le petit l’attrapa par les anses et commença à boire puis la
rendit à Matt. Lila lui souffla le truc, il devait boire, lui aussi. Pour le
pot de compote, ce fut la même chose.
Lila expliqua à Matt, qu’il partageait tout. Problème ou tare
génétique répondit-elle, souriante.
- Il partage ! Ce matin pour le croissant, il a partagé ! Il
m’épate tous les jours, il m’apprend une foule de choses.
Matt allait de surprise en surprise avec son petit bonhomme. Chaque
jour, il découvrait quelque chose. Il s’en étonna auprès de Lila :
- Nous avons tout partagé, nous aussi, c’était naturel. C’est
pour ça que je te dis, c’est génétique. En fait, je ne comprends pas, il
le fait à chaque fois. Je lui parlais, avant sa naissance, de tout ce que
nous faisions ensemble. Peut-être l’a-t-il compris ? Je n’ai pas la
réponse.
- Je le trouve génial, comme sa maman que j’aime.
- Je crois que le papa y est pour beaucoup, lui aussi. Il y a
longtemps que tu ne me l’avais pas dit, au moins deux heures. Je
croyais que tu avais oublié.
- Oublier quoi ? Que je t’aimais ? Petit monstre, viens ici,
menaça Matt.
Lila n’hésita pas et se réfugia dans ses bras. Les baisers
s’échangeaient sous le regard d’un petit curieux. Il souriait ; voir les
adultes s’embrasser, l’amusait beaucoup. Il réclama sa part et les
bisous arrivèrent de tous les cotés.
- Je vous aime tant, répéta Matt.
- Je t’aime, tu ne peux imaginer comme je t’aime, murmura
Lila.
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Ils quittèrent la maison et rejoignirent les papys. Lila avait
son cadeau à offrir à Matt, El Diablo. Elle en parla discrètement à
Paddy et lui demanda dix minutes d’avance. Il se chargerait
d’occuper Matt qui avait des difficultés à quitter sa Lila.
Elle était prête, El Diablo piaffait d’impatience. Pour seul
harnachement, il portait son foulard blanc.
Ses quatre hommes étaient arrivés et attendaient. Matt, son
fils dans les bras, ne savait pas ce qu'elle préparait.
Le cheval et sa cavalière déboulèrent au grand galop dans l’enclos.
El Diablo en fit le tour et Lila le stoppa devant Matt, à moins d’un
mètre des barrières avant de repartir comme elle était venue. Elle le
dirigeait avec le corps, les mains et les jambes et il répondait aux
ordres sans contrainte. Les voltes au pas, au trot et au petit galop
n’avaient aucun secret pour le cheval qui répondait à chaque
sollicitation. Les pirouettes et les appuyers à droite ou à gauche
étaient parfaits. Les pas espagnols n’étaient pas, au point mais ils
faisaient leur effet. Elle repartit au grand galop et le cheval pila
devant Matt. Elle se laissa glisser à terre et, une main sur l’encolure
du cheval, elle lui demanda de saluer. "El Diablo" s’inclina, Lila fit
de même avant de repartir sur les mains et de faire ses roues pendant
que le cheval caracolait autour d’elle. Elle l’enfourcha d’un coup de
rein, repartit à fond de train avant de revenir tout aussi rapidement.
Elle tendit la main à Matt. Il escalada la barrière et Lila le soutint
pendant qu’il grimpait derrière elle. Ils partirent au grand galop dans
le champ des poulains.
Leur retour fut aussi prompt que l’arrêt. Matt se laissa glisser sur le
sol et ouvrit les bras pour recevoir une Lila éblouissante de bonheur.
- Voici mon cadeau pour ton retour, mon Matti. Je te présente
"El Diablo Negro." C’est ton cheval maintenant ! Les papas m’ont
aidée à le dresser et à lui apprendre ce qu’il sait.
- Il est magnifique ; tu l’as merveilleusement dressé ma Lila.
Je dois te dire que tu m’as effrayé, il est si puissant et tu le montes à
la sauvage… Je suis content de ne pas l’avoir appris ; j’aurais été très
inquiet. Vous êtes très beau tous les deux, le couple parfait. Tu as fait
un super travail !
- Je l’ai dressé pour toi, c’est mon cadeau.
- Je te remercie ma Lila mais tu le dresses depuis plusieurs
mois ! Les papys me racontaient ton histoire pendant que tu faisais
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ton magnifique show. Tu dois le garder pour toi, c’est ton ami et tu
l’as superbement en main. Vous êtes si beaux tous les deux ! Tu as su
lui rendre confiance, il t’aime, il te le prouve à sa façon.
- Toi aussi tu es mon ami. Je l’ai dressé pour toi. Tu ne peux
refuser mon cadeau. Vous serez le couple parfait, vous remporterez
tous les concours. Tu lui apprendras de nouvelles choses, tu es
meilleur que moi en dressage. El Diablo Negro est fait pour un
homme, il est fait pour toi. Vous serez magnifiques tous les deux.
Mes pas espagnols ne sont jamais au point, les tiens sont toujours
parfaits… Tu deviendras son meilleur ami et tu en feras un grand
champion.
Tu es revenu et je veux que tu te souviennes de ce jour là. De plus, tu
n’as pas le choix, un cadeau de ta Lila ne se refuse pas.
Matt ému finit par accepter le beau cadeau de Lila. S’il
participait de nouveau à des concours, il monterait El Diablo Négro
pour le dressage et Horizon pour les concours hippiques.
Lila ne souhaitait monter en concours. Elle montait Idole, sa
jument pur-sang, le cher Horizon de Matti et les chevaux du
Domaine pour son plaisir ; pour les concours, elle n’avait plus le
temps.
Matt sortit de sa douche et Lila s’occupa de celle de son fils.
Il en sortit tout frais et tout mignon dans son pyjama lapin. Il portait
la capuche et secouait les grandes oreilles dans ses mains. Il
s’empressa de montrer son train arrière à son papa. Un joli petit
pompon blanc imitait la queue de l’animal.
Quand Lila termina la sienne, un café l’attendait. Ses deux
hommes étaient devant la cheminée allongés sur le ventre. Ils
regardaient l’album photos de Mattis. Un rire éclatait parfois et le
petit se retournait sur le dos pour pouffer à son aise, chatouillé par
son papa ; ensuite il reprenait sa position appuyé sur les coudes.
Matt rejoignit Lila. Il la souleva du banc et l'installa sur ses
genoux. Le café fut partagé les yeux dans les yeux.
Elle proposa une vieille expérience à Matt, la peau à peau. Il ôta son
tee-shirt pendant qu’elle enlevait le pyjama de petit. Matt le prit
contre lui et Mattis se colla à lui. La peau douce de l’enfant contre
celle de l’adulte, l’effet était toujours aussi surprenant. Ses souvenirs
revenaient au grand galop.
Il retrouva le tapis et l’enfant se fit un plaisir de le toucher, de
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rouler dessus, de se coucher tout contre la poitrine de son papa. Il
riait en glissant, se sauvait puis revenait s’amuser avec son papa. Il
s’approcha de sa maman et réclama un bisou. Lila assise près d’eux
les regardaient tendrement et embrassa son petit ange.
Matt se rapprocha et china lui aussi un bisou, elle ne résista
pas et l’embrassa amoureusement. Le bisou s’éternisait ; pour le petit
Prince, s’était suffisant et il décida d’y mettre un terme. Il se leva,
s’interposa et se tourna vers son papa, souriant, le regard plein de
malice. Il le prit par le cou et tenta de le renverser. Matt se laissa
faire et tomba en arrière, l’entraînant dans sa chute. Ils s’esclaffèrent.
Matt, toujours allongé, souleva son fils au-dessus de lui, pour son
plus grand plaisir.
Le jeu se poursuivit et Mattis donna des signes de fatigue.
Etendu sur son papa, sa petite tête reposait sur sa poitrine. Sa
menotte allait et venait jouait avec les cheveux, caressait le visage de
son papa. Lila le récupéra et lui remit son pyjama. Ses yeux se
fermaient et l’histoire, pour ce soir, fut écourtée. Sitôt la tête sur
l’oreiller, l’enfant s’endormit. Matt et Lila l’embrassèrent et
retournèrent dans la salle, en silence.
Matt était perdu dans ses pensées. Il s’était retrouvé de
nombreuses années en arrière. Il était encore "Ma ï" et avait trouvé sa
Princesse, sa chérie. Aujourd’hui, elle lui avait donné un merveilleux
petit garçon, comme sa maman.
- Que de souvenirs ma Lila ! Cette expérience magique, je
m'en souviens. J'adorais quand tu t’endormais sur moi. J'aimais les
sensations de ta peau contre la mienne. Tu cherchais ce contact et
n’hésitais pas à te débarrasser de ton pyjama au grand dam de Nanny.
Elle nous grondait quand elle nous trouvait torse nu, le matin. Le
froid allait manger nos petits poumons, disait-elle. Toi, ma Lila, tu
t’en moquais. Allongée sur moi, tu te réveillais et claquais des lèvres
en réclamant mes bisous. J'avais à peine quatre ans, toi deux et j'étais
ton "Ma ï", tu ne prononçais pas encore les "t." Je n'ai rien oublié.
Lila lui rappela qu’il lui avait interdit de dormir ainsi. Elle
devait avoir environ douze ou treize ans et en avait souffert. Elle
n’avait pas compris et ne comprenait toujours pas pourquoi, il avait
réagi ainsi. Du jour au lendemain, il avait changé de comportement.
Les interdits s’étaient succédé. Le tee-shirt était devenu obligatoire,
elle n’avait plus le droit de jouer sur son ventre, de s’endormir sur
70
lui…
Matt s’en souvenait mais il ne répondit pas. Il rompit le charme en
proposant un café.
Lila regardait son torse nu. Elle n’arriva pas à détacher son
regard et le dévorait des yeux. Ses mains la démangeaient et elle les
cacha derrière son dos en serrant les poings. Assis face à face à la
table, ils sirotèrent la boisson chaude. Lila le nez dans sa tasse, était
cramoisie.
- Tu ne devrais pas remettre ton tee-shirt ?
- Il ne fait pas froid. Veux-tu que je rajoute une bûche ?
- Non, je n’ai pas froid, c’est simplement que… heu non !
Fais comme tu veux, bredouilla-t-elle rouge et bien embarrassée.
- Ça te gêne ! Ne me dis pas que tu n’as jamais vu de garçon
torse-nu ? Ça te met dans l’embarras ! Se moqua Matt en repérant ses
joues colorées.
- Bien sûr que non ! Se rebiffa Lila. Je sais ce qu’est un
garçon, et même tout nu.
- Je vais tout savoir ; ma Lila regarde les garçons tout nus !
Qui sont ces garçons que tu regardes ?
- Tu ne racontes que des bêtises.
Matt se leva et prit place à coté d’elle ; Il posa ses mains sur
ses épaules et la maintint, à distance. Ils étaient face à face.
- Que nenni, je veux juste savoir qui sont les garçons tout nus
que tu regardes.
- Je ne te le dirais pas, répondit-elle malicieuse, lorgnant le
ventre plat.
- Tu vas le regretter, menaça-t-il en l’attrapant par la taille et
la déposant sur ses genoux. Alors, tu avoues ?
Matt la chatouilla puis l’embrassa dans le cou. Elle s’échappa
en riant.
- Tu n’en sauras rien, mais ils sont deux.
Il la rattrapa et la bloqua, les épaules collées au mur. Elle le
regardait et son regard descendit au ventre plat et du bout des doigts,
elle l’effleura, il était plat et dur. Matt lui parlait mais elle n’écoutait
plus, envoûtée par les muscles fermes. Matt lui releva la tête et
butina ses lèvres.
Elle le regarda, les yeux brillants.
- Heureusement que je ne suis pas un bonbon, murmura-t-il
rompant le charme.
71
- Dommage, au contraire. Tu es aussi appétissant qu’un
caramel, répondit-elle, rougissante.
Matt l’écrasa contre lui. Lila chercha ses lèvres, il refusa :
- Qui sont ces deux types ? Pas de bisous avant la réponse,
menaça-t-il tenace en répétant sa question.
- Maître chanteur, murmura Lila en semant plein de bisous
dans son cou.
Elle s’attaqua à son oreille, lui mordilla… Matt avait du mal
à résister et la repoussa contre le mur. Maintenue à bout de bras, elle
était coincée.
- Tricheur, maître chanteur, félon, mauvais joueur, jaloux,
filou.
- Quel joli vocabulaire ! Tu connais de bien vilains mots pour
l’homme que tu aimes. Apprends qu’en amour, tous les coups sont
permis, alors tu avoues ?
- Tu vas te moquer de moi. Si tu oses rire, tu le regretteras.
- Dis-moi tout, tu as dis plus de secret.
- Toi et ton fils, confessa-t-elle tout bas.
Matt éclata de rire, Lila, bonne joueuse se joignit à lui.
- Pour tous les mots tendres dont tu viens de m’affubler, j’en
revendique un seul ; jaloux. C’est vrai, je suis jaloux. J’en ai le droit
car je t’aime.
Lila ne répondit pas toute de suite, ses mains câlines
passaient et repassaient dans les cheveux de Matt, glissaient le long
de son cou et remontaient caressantes.
- Mouy, moi aussi, je t'aime un tout petit peu...
Matt l'interrompit Lila avait perçut son léger recul.
- Seulement un tout petit peu ? Allons, dis la vérité.
Il se redressa et la regarda. Lila rieuse lui lança :
- Tu ne m'as pas laissée terminer ma phrase. L’homme de ma
vie a affirmé que… flûte, je ne sais plus… ah oui ! Il a dit, écoute
bien, je ne répète pas, je disais donc…
- Bon, tu le dis ou tu ne le dis pas ?
- Si tu me coupes la parole sans cesse, comment veux-tu que
je finisse ma phrase ? Je disais, l’homme de ma vie m’a affirmé
qu’en amour, tous les coups sont permis, donc je termine ma phrase,
je t'aime un tout petit peu plus qu'hier, mais beaucoup moins que
demain, termina Lila, tout en caressant le ventre adoré. J’adore ton
72
ventre, il est…
Elle n’ajouta rien et pour confirmer ses dires, frotta sa joue contre
l'abdomen dur.
- Tu es un petit diable, tu m’as fait marcher.
- Hum ! Hum ! Baragouina Lila tout en poursuivant
méticuleusement ses caresses.
- Arrête ma Lila ! Stop ! Je ne suis pas en bois et pense aux
conséquences.
Lila lui mordilla le sein, Matt recula, elle grogna et résista.
- Tu aurais du penser avant aux conséquences. On n’a pas
idée de se promener tout nu, riposta-t-elle.
- Je ne suis pas tout nu mais torse nu.
- En tout cas, tu as le ventre à l’air et moi… Je n’ai pas envie
de discuter. J’ai toujours aimé ton ventre, il est… Il est… magique,
extraordinaire…
Elle le caressait avec bonheur. Ses mains allaient et venaient et
remontaient vers la poitrine. Elle poursuivit ses effleurements avec
satisfaction ronronnant comme un petit chat.
- Arrête ma Lila. Tu me rends fou.
- Je m’assure que c’est bien toi. Moi aussi, je retrouve les
sensations oubliées que j’aimais tant.
- Tu dois être sûre de tes sentiments, prendre le temps. Nous
devons patienter et retrouver notre complicité d’avant sans, sans...
- Oui, je sais. Je veux juste te toucher. Tes muscles ondulent
sous mes doigts, ton torse me répond. J’aime jouer avec ton corps. Il
danse et tremble sous mes mains.
Lila se colla à lui et l’embrassa. Matt la repoussa.
- Lila, tu n’en es pas consciente mais tu me rends fou.
- Si je le sais ! Ton corps me le dit. C’est ce que je veux. Tu
vas comprendre ce que j’ai ressenti cette nuit. Je ne veux plus dormir
avec toi, c’est trop dur.
- Tu ne veux plus dormir avec moi ?
- Je veux te toucher, tu comprends ! Toute la nuit, mes mains
voulaient te caresser, je voulais te retrouver. Dormir avec toi sans te
toucher ; c’est un vrai supplice.
- Je le sais mon cœur, tu prêches un converti. J’ai passé une
nuit blanche. Je n’avais qu’une envie te prendre dans mes bras,
retrouver ta chaleur et ta douceur mais je ne voulais pas te brusquer.
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Je voulais que tu sois sûre de tes sentiments. Arrête mon cœur !
- J’ai toujours été sûre de mes sentiments pour toi. Je veux te
caresser et te toucher comme maintenant. Je veux que ton corps
reconnaisse mes mains.
Je veux que tu m’aimes comme avant. Je veux savoir si je t’ai
manqué autant que tu m’as manqué ! Toutes ces longues journées
sans toi ; les nuits à penser, à me demander ce que tu faisais et avec
qui ? Si tu tenais dans tes bras une autre Lila, si tu lui murmurais des
mots doux, si tu lui racontais ce que tu me racontais ! Je ne veux plus
mourir à petit feu, pleurer sur toi. Je ne veux plus avoir si mal,
souffrir à l’intérieur et sentir mon cœur se déchirer !
Les larmes ruisselaient sur ses joues. Matt l'écrasa contre lui.
- Mon cher amour, ne pleure plus. Je t’aime ma Lila. Il n’y a
qu’une Lila dans mon cœur et dans ma vie. Personne, mon amour,
personne n’a pris la place de ma Lila. Il n’y a que toi et il n’y aura
que toi. Je t’aime, ma Lila ! Je t’en prie mon cœur, ne pleure plus.
- Je ne pleure pas ! Mentit Lila en reniflant.
- Alors, c’est la pluie. Tu as de la pluie dans les yeux, mon
amour. Je t’aime ma Lila, tu es mon amour pour toujours !
- Je veux rattraper le temps perdu, oublier ton départ, ton
absence. Je veux reculer l’horloge du temps et retrouver mon "Ma ï",
mon Matti chéri.
- Oh mon amour, je t’aime ! Je t’aime à la folie ! Je ne
pourrais jamais remonter le temps mais toi, tu peux retrouver ton
"Ma ï", ton Matti chéri. Tu savais lire dans mes yeux, regarde-moi et
dis-moi ce que tu vois ?
- J’ai si peur de me tromper, de t’aimer encore et boum, tu
disparaitrais encore. Je ne veux plus vivre sans toi, lutter de nouveau,
je t’aime trop et j’ai encore plus mal... Mon cœur souffre tant... J’ai
tant besoin de toi, de ton amour !
- Oh mon amour, je t’aime moi aussi ! Je ne te quitterai plus
jamais, c’est terminé. Vivre loin de toi, je dis non tout de suite ! Tu
devras me supporter toute ta vie. Nous, nous marierons et nous
créerons notre grande famille. Je sais, ce ne sont que des paroles
mais je te prouverai que tu peux me faire confiance.
- Ce sont toujours tes rêves ? Tu veux toujours te marier et
avoir des enfants avec moi ?
- Plus que jamais mon amour, je t’aime encore plus qu’avant.
74
- Je t’aime, tu sais ! Tu as pris mon âme, toi seul peux me
rendre heureuse. Je veux t’appartenir, je veux être à toi, je veux faire
l’amour avec toi.
- Ma Princesse, ma Lila chérie, tu es sûre de toi ? Je ne veux
pas que tu le regrettes. Si tu veux attendre...
- Trop tard. J’en ai assez d’attendre. Ça fait trop longtemps
que j’attends. Attendre, attendre, je finis par détester ce mot. Tu m’as
toujours fait attendre. Je ne suis plus d’accord. Je ne veux plus que tu
me repousses.
- Moi ! Je t’ai déjà repoussée ? Dis-moi quand ?
- Tu me repousses toujours. Tu ne voulais plus que je te
caresse le ventre…
- Que racontes-tu ? De quoi parles-tu ?
- Je parle d’amour. J’ai tout compris. Tu m’aimais déjà
comme un grand. C’était déjà de l’amour ! Quand tu avais quinze
ans, tu refusais que je dorme sur toi, plus de câlins, de bisous sur le
ventre. Je devais porter un tee-shirt, tu refusais mes caresses…
C’était cela, n’est ce pas ?
- Tu découvres ça maintenant ? Tu n’avais pas compris ?
- Je viens de le réaliser. Mes mains affolent ton cœur, ton
corps répond.
- Il y a bien longtemps que mon cœur et mon corps répondent
à tes caresses. Je pensais que tu l’avais deviné. Tu comprends
pourquoi tous ces interdits ?
- Oui, aujourd’hui je comprends, j’en ai souffert à l’époque.
Je croyais que tu ne m’aimais plus, murmura Lila en caressant son
ventre.
- Je t’ai toujours aimée. Il n’y a pas un jour ou je ne t’ai pas
aimée. Il m’était difficile de dormir avec toi sans avoir le droit de
t’aimer. Mon corps et mon cœur disaient oui, ma conscience disait
non. Tu n’avais que treize ans ! Arrête, s’il te plaît !
- Je t’aimais déjà et j’aurais compris si tu m’avais expliqué.
- Ben voyons ! Comment expliquer à une enfant de treize ans
que je voulais lui faire l’amour ? J’en avais honte, c’était du vice ! Je
te considérais comme ma petite sœur et l’amour de ma vie… Arrête !
- Ce n’est pas vrai, c’était déjà de l’amour. Je t’aimais déjà
tellement. Je t’ai aimé à la seconde où je t’ai vu, chez Nanny et je
n’avais pas deux ans. Aujourd’hui, je peux faire vibrer ton corps et il
75
me répond. Je veux toucher ton cœur. Ton corps me parle mais ton
cœur... Je veux le sentir battre contre le mien...
- Lila ! Arrête, tu voulais discuter ! Tu ne peux pas...
- Pourquoi écoutes-tu tout ce que je dis ? Tu ne veux pas ?
C’est ça...
- Oh mon cœur ! Comment peux-tu poser cette question ?
Moi aussi je rêve de te faire l’amour, de te retrouver, je t’aime tant !
Les douches froides de cette nuit, ne t’ont pas avertie ? S’étonna
Matt en l’étreignant.
- Non, je ne savais pas.
- Dormir avec toi est un supplice. Je n’en pouvais plus. Je
voulais caresser ton corps, te faire l’amour, t’aimer toute la nuit...
- Moi aussi, je veux faire l’amour avec toi, sentir ton cœur
contre le mien. Fais-moi l’amour ! murmura Lila.
Matt ne se posa plus de question et obéit à sa Lila avec grand
bonheur. Plus tard, demain, ils verraient à se choisir une chambre,
mais dans l’immédiat, le tapis ferait l’affaire.
Il était très tôt, le lendemain, quand ils rejoignirent leur petit
lit d’enfance qui n’avait rien de conjugal. Lila repue d’amour, se
glissa dans les bras de son Matti. Ses angoisses se calmaient, sa peur
s’estompait. La confiance revenait. Elle s’endormit heureuse et
apaisée. Matt l’avait rassurée sur son amour et sur leur vie commune.
Ils s’étaient enfin retrouvés.
Au matin, elle se réveilla, allongée sur son Matti. Il guettait
son réveil. Elle claqua des lèvres, Matt répondit à son attente et un
long baiser suivit. Elle plongea son regard dans le sien, il était franc
et bon comme par le passé. Elle retrouvait l’amour dans les yeux de
son Matti. Elle baisa ses lèvres avec adoration. Il lui rendit son baiser
avec vénération.
- Bonjour ma Princesse chérie à moi, je t’aime.
- Bonjour mon amour. Je t’aime mon Matti !
Ils restèrent de longues minutes à savourer leur bonheur. Une
nouvelle et belle journée commençait.
76
CHAPITRE 7
C’était le dernier jour de vacances de Matt. Demain, il
reprendrait les cours. Lila voulait en profiter et après la sieste, elle le
laissa s’occuper du goûter de leur fils. Elle prévint le Général, qu’elle
emmenait Matt et Mattis en balade et sella Horizon et Idole. Elle
habilla Mattis et le plaça dans le sac kangourou. Quand Matt fut prêt,
elle lui donna son fils et attacha les sangles dans son dos. L’enfant
gigotait, tout content, il connaissait la musique.
Matt questionna Lila, elle lui répondit, maligne :
- Un bisou contre un indice.
Matt accepta et l’embrassa. Tout en cheminant, Lila l’informa :
- C’est un plaisir familial, le tien, le mien et celui de notre
fils. Voilà l’indice.
- Il y a beaucoup de choses, j’ai le droit à un autre indice ?
- Un bisou d’abord. Nous allons nous amuser, éclaira Lila
après son bisou.
- C’est du vol, de la triche, tu m’as roulé. Tes indices ne
valent rien. Satisfait ou remboursé je réclame le remboursement.
Lila le traita de mauvais joueur, mauvais perdant… Le
satisfait ou remboursé ne faisait pas partie du contrat mais elle le
remboursa, lui et son fils. Elle lui montra les chevaux préparés pour
la balade. Mattis s’agitait tout heureux. Elle l’aida à monter Horizon
avant de sortir du Domaine. L’itinéraire ne varia pas, ils le faisaient
depuis qu’ils montaient à cheval. Matt prit autant de plaisir que par le
passé.
Lila lui proposa de libérer son fils de son harnais ; il serait
plus à l’aise. Matt suivit le conseil et son fils se colla contre lui. Il
exigea les rênes, et reçut les extrémités, Matt conservait la maîtrise
sur le mors.
Leur promenade les replongeait dans leurs souvenirs. Ils en
avaient rêvé mais Matt n’avait pas imaginé un si grand bonheur, avec
77
sa Lila et leur fils.
Il lui fit part de ses réflexions et elle rapprocha sa jument.
Elle ne pouvait plus prendre son ancienne place, elle revenait à son
fils, mais china un baiser. Elle en reçut deux, un de chacun de ses
hommes. Mattis lui tendit les bras et passa d’horizon à Idole sans
soucis. Il changeait de monture et trouvait ce nouveau jeu très
amusant. Il regardait son papa, souriait et lui tendait les mains,
attendait qu’il s’approche et le récupère. Il faisait la même chose
avec sa maman. Lila le tenait debout contre elle et il profitait de la
hauteur pour regarder tout autour sans être gêné par la tête du cheval.
Après être passé de l’un à l’autre une dizaine de fois, le jeu le lassa,
il se tourna vers Matt et le prit par le cou. Lila le renseigna, il était
fatigué et voulait s’asseoir. Matt le positionna correctement et Mattis
se laissa aller tout contre lui, s’abandonnant, bien enveloppé dans les
bras de son papa.
Matt était ému, son fils s’était endormi confiant. Il reculait les
aiguilles du temps, revenait quelques années en arrière, ce n’était pas
son petit mais sa Lila qui agissait ainsi avec lui. Elle passait de sa
monture à celle de Matt pour être avec lui. Il la prenait dans ses bras
et parfois, elle sommeillait en toute sécurité, dans les bras de son
Matti. Il réveillait sa Lila d’un baiser et elle en réclamait d’autres,
toujours souriante et heureuse.
Lila le sentait pensif et lui proposa "un sou pour ses pensées." Matt
préféra un baiser et lui expliqua.
- Le passé, nous rattrape toujours, conclu Lila.
L’arrivée se passa calmement, Lila attacha sa jument et
demanda à Matt de réveiller son fils. Sans réfléchir, il l’embrassa.
Mattis ouvrit les yeux, lui sourit, réclama encore quelques baisers
avant d’accepter que sa maman ne l’attrape. Elle eut droit à de gros
câlins, elle aussi. Matt la regardait, elle savait ! Elle savait que le
petit agirait exactement comme elle le faisait. Elle souriait et ses
yeux pétillaient de bonheur.
Ils dessellèrent et séchèrent les chevaux avant de les relâcher.
Mattis savait qu’il n’était pas autorisé à se tenir près d’eux et
attendait patiemment qu’ils terminent. La famille enlacée rejoignit
son refuge.
Le lendemain, dès six heures, Lila prépara le café pendant
que Matt se douchait. Quand il revint, elle lui fit remarquer, que tout
78
était redevenu comme avant. Il suffisait d’oublier ces dix-neuf mois
de séparation, faire comme s’ils n’avaient jamais existé et reprendre
le cours de leur vie, avec leur fils et les papys. Matt confirma, la vie
qui les attendait serait faite de bonheur, de joie et d’amour.
Avant de partir, il embrassa son petit et sa chère Lila. La
journée serait longue mais ce soir, ils se retrouveraient.
Lila vaqua à ses occupations et attendit patiemment. Matt
n’allait plus tarder, elle guettait son retour tout en promenant son
petit cavalier. Elle entendit la voiture et prévint son fils, papa arrivait.
Le petit s’agita et se trémoussa sur la ponette. Elle la laissa aller.
Matt attrapa son fils, l’embrassa et serra Lila sur son cœur. Il était
heureux d’être rentré et les personnes qu’il aimait le plus au monde
formaient un bien joli comité d’accueil. Le petit comité fut toujours à
l’heure pour ramener le papa à la maison.
Matt avait constaté les changements survenus tout autour de
la maison, il avait félicité Lila, les papys et les jumeaux, c’était
magnifique. Ils avaient créé un vrai petit paradis. On s’y sentait à
l’abri et protégé. Il était heureux d’en faire partie. La maison n’avait
pas changé, excepté leur chambre d’enfant qui était devenue celle de
leur fils.
Lila préparait le dîner familial pendant que ses deux hommes
s’amusaient. Elle souhaitait que Matt rattrape le temps perdu avec
son fils. Ensuite, venait le bain et l’attente des papas-papys. Ils les
rejoignaient pour le repas, suivis de Belle, Fripon, Misère et Trio, les
trois inséparables baptisés par Lila. Chacun parlait de sa journée,
s’inquiétait des autres et prévoyait le lendemain. Les papys rentraient
après l’indispensable café et laissaient la petite famille.
Mattis s’endormait après l’histoire et ses parents étudiaient pendant
une heure ou deux puis rejoignaient l’ancienne chambre du Général
devenue la leur.
La vie s’écoulait heureuse et paisible, le Domaine chantait de
nouveau. Les vacances de Pâques trouvèrent la famille bien occupée.
Les papys s’occupaient du petit pendant que les jeunes étudiaient très
sérieusement. Lila avait l’examen final et faisait tout son possible
pour l’obtenir. Matt traduisait un logiciel de jeu américain en
français. Ils s’autorisaient des pauses toutes les deux heures environ
et récupéraient devant un café. Paddy s’occupait des repas et sortait
les jeunes de leur ordinateur à l’heure du déjeuner. Le petit
79
s’occupait, dessinait ou jouait avec les chiens. Dès que Paddy
prévenait ses parents, il s’agitait, tout content de les voir abandonner
les vilains "ordis" et de les récupérer pour lui tout seul. Il gardait le
privilège de la sieste sur le rocking-chair avec ses deux parents.
Ensuite, il retrouvait un de ses papys, les chiens et Noisette qu'il
montait très bien. Il la dirigeait et la ponette habituée, savait où aller.
Les jeux étaient faits. Lila avait passé son examen, c’était terminé, ils
attendaient le résultat.
Matt poursuivait la traduction d’un logiciel comptable et de
son manuel. C’était une traduction assez difficile et il devait se
concentrer. L’entreprise qui lui avait commandé cette traduction était
réputée et suivant l’exactitude de son travail, d’autres suivraient. Le
bouche à oreille était très important dans ce travail en free lance et
chaque client satisfait en amenait un autre. Ces mois, passés en
Amérique, étaient une très bonne publicité mais restaient
insuffisants. Son travail dans la Star Up américaine, lui avait apporté
beaucoup et il avait plusieurs gros dossiers de traduction. Il
poursuivait ses études en langues et l’américain en particulier.
Lila était devenue secrétaire. Elle se spécialiserait sur les
différents outils informatiques.
Un après-midi de grande chaleur, ils s’étaient allongés
pendant la sieste de Mattis. L’enfant endormi, la conversation porta
sur les trois amis de Matt. Ils étaient restés au pays et suivaient les
mêmes cours que lui.
- Tu en parles souvent. Ils t’ont beaucoup aidé et tu sembles
tenir à leur amitié. Tu voudrais les inviter à la maison ?
- C’est notre refuge, notre cocon et je tiens à le préserver.
- Je comprends ce que tu veux dire. Tu fais comme tu le
souhaites.
- Ils sont supers, c’est vrai mais, je ne sais pas ?
- Tu as peur que nous ne leur plaisions pas ? Qu’ils trouvent
notre famille, notre vie, trop tranquille, un peu ringarde ?
- Non, chérie ! Tu leur plairais, la famille leur plairait. Notre
famille n’est pas ringarde, nos principes sont vrais, c’est totalement
différent. Nous privilégions ce qui est le plus important : la famille et
le bien être de chacun ensuite le travail et le reste. Pour beaucoup de
jeunes, ce sont les copains, les apparences, les bars, les sorties, les
dancings, la mode… Nos valeurs restent celles inculquées par Nanny
80
et les papas. Ils le savent, je leur parlais souvent de nous ; je sais
qu’ils aimeraient vous connaître…
- Si tu souhaites les inviter, il n’y a pas de soucis
. Ils
t’ont soutenu, ils ont veillé sur toi, remplacé ta famille… Je
comprends très bien qu’ils comptent pour toi.
- C’est vrai, je leur dois beaucoup. J'aimerais te les présenter,
que vous deveniez amis mais les inviter ici…
- Tu es chez toi, mon Matti. J’espère que tu t’y sens à l’aise
comme par le passé. Tu as toujours eu ta place et rien n’a changé.
J’espère que tu considères cette maison comme ton foyer. Notre
foyer à tous les trois.
- Je te remercie ma Lila. Tu as tout fait pour que je le ressente
ainsi. Plus les jours passent et plus j’ai l’impression de n’être jamais
parti, de ne vous avoir jamais quittés. Mes affaires, mes cours, mes
livres sont restés à leur place. Mes vêtements sont toujours sur
l’étagère supérieure de l’armoire… Tout est resté tel que je l’avais
laissé. Si tu savais comme cela m’a fait chaud au cœur de rentrer et
de voir que tout est là. Tu aurais pu tout jeter, te débarrasser de tout
mon passé, de moi. C’est grâce à tout ça que j’ai compris que je
comptais encore un peu pour mon cher amour, la femme de ma vie.
- Jamais ! J’aurais eu l’impression de te rayer de ma vie, de
détruire notre amour. Je n’aurais jamais réussi à te rayer de ma vie.
J’ai gardé tout ce qui te tenait à cœur. Tout est resté à sa place
excepté ce que ton fils pouvait attraper ou casser. C’est rangé sur les
étagères et dans la chambre de papa.
- J’ai remarqué ma Lila. Je me souviens aussi que tu m’as
accepté ici à mon retour. Je suis rentré et j’ai déposé mon sac,
naturellement. Tu avais le droit de me dire d’emménager dans la
maison de Nanny, de m'écarter de ton foyer, de ton refuge. Tu ne l’as
pas fait.
- Il m’était naturel que tu reviennes là, ta place était ici et pas
ailleurs. C’est ta maison d’enfance, notre maison du bonheur. Non, je
n’ai pas réfléchi, c’était spontané. Ta place est là.
- Malgré tes pensées négatives, tu régissais avec ton cœur.
- Tu parles de Tacha ! C’est vrai, j’ai eu la peur de ma vie. Je
croyais t’avoir perdu une seconde fois. J’ai eu très mal et mon cœur
s’est déchiré. Je ne vivais que dans l’espoir de ton retour, je
t’attendais jour après jour et tu reviens avec une belle jeune femme.
81
La déesse et la paysanne, je n’avais aucune chance, j’avais perdu
d’avance. Sans parler de l'intelligence…
- Lila ! Je te défends de dire de telles imbécillités. Tu n’as
rien d’une paysanne et tu es très intelligente. Quant à ta beauté, tu
n’a rien à envier à Tacha ou à d’autres. Regardes-toi dans une glace,
mon amour, tu es plus que belle, tu es magnifique. Tu es simple,
sincère, courageuse, pure, une merveilleuse maman et une cavalière
émérite… Tu n’as pas besoin d’artifice pour cela, ni maquillage, ni
teinture, ni d’autres trucs de bonnes femmes. Tu es belle ma Lila.
- Je fais paysanne et je le sais. Je porte toujours de jeans et
des baskets pas de joli tailleur et des chaussures à talon. Je ne sors
pas du Domaine, je ne connais rien de l’extérieur. Je n’ai pas voyagé,
je ne parle pas cinq langues étrangères, je ne suis pas une "Dame."
Mes mains connaissent mieux la fourche que la tasse de thé…
- Arrête de te dénigrer, je ne veux pas t’entendre parler ainsi ;
c’est faux, tout ce que tu dis est faux. Tacha ne connaît rien au
secrétariat, à la façon de tenir une maison, s’occuper d’un enfant,
d’une famille, aux chevaux etc. Tu mérites plus d’honneurs que
toutes les filles que je connais. Je suis toujours en jeans et en baskets,
moi aussi, je fais paysan, alors ! Arrête ! Je ne veux plus t’entendre
dire des absurdités pareilles. Tu es mon amour et je t’aime ma belle,
merveilleuse et intelligente petite chérie.
- Je t’aime mon amour mais tu me surestimes, tu vois ta Lila
avec les yeux de l’amour. J’en suis contente, je souhaite plaire à
l’homme de ma vie et si tes yeux te trompent à mon avantage, alors
je dis tant mieux. Seule ton opinion m’importe, elle est essentielle à
ta petite campagnarde.
- Mon opinion est la vérité mon amour. Je te vois tel que tu es
et Rory aussi.
- Rory ? Qu’est ce qu’il a à voir là-dedans ?
- Il est toujours amoureux de toi !
- Non, mon chéri ! Nous sommes amis, c’est tout !
- Tu te trompes mon cœur. Tu as refusé ses avances mais il
t’aime toujours. Il part en Angleterre pour t’oublier. Il me l’a dit.
- Je…
- Il y a Jack, Franck, Jérem, Marlon, Gaby et les autres…
- Tu délires mon pauvre chéri. C’étaient tes copains !
- Nos copains ! Tu ne veux rien voir mon amour. Au collège
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déjà, j’avais des soucis, les tenir éloignés de toi n’était pas facile. Tu
as reçu des propositions et tu as de nombreux messages sur ton ordi,
je les ai lus. Les derniers ne sont pas vieux. Ils t’invitent à sortir en
discothèques, en soirées et j’en passe. La naissance de Mattis n’a rien
changé, mon absence si.
- Nous, nous sommes échangés des nouvelles, des cours et
des conseils mais cela n’a jamais été plus loin. Tu n’es pas jaloux ?
- Si mon amour ! Ils continuent à se soucier de toi et
t’invitent à sortir régulièrement. Ils connaissaient nos sentiments au
lycée mais ils sont au courant pour l’Amérique et ils tentent leur
chance.
- Leurs invitations sont amicales. Ils savent que je t’aime. Au
collège, j’ai eu des propositions, mais pas au lycée. Je ne sais plus ce
qui s’est passé d’ailleurs mais j’étais tranquille.
- Moi je m’en souviens. Nous devions organiser des activités
en duo, pour le téléthon. J’étais coincée avec Steph, toi tu
m’attendais en bas du bâtiment. Franck, Jack et Gaby se sont
précipités pour te proposer d’être leur partenaire. Nous avions une
feuille et devions inscrire le nom de la personne avec qui nous
voulions pratiquer l’activité. Tu te souviens ce que tu leur as répondu
?
- Non, je ne sais plus. Probablement que je t’attendais.
- C’est exactement ça ! Ils t’ont affirmé que j’étais couplé
avec Steph, le "canon" de la classe.
- Oui, je me souviens. J’ai refusé d’apposer mon nom et je
leur ai dit que tu aurais pris tes dispositions pour nous deux. Ils
m’ont répondu que Steph avait noté ton nom. Depuis longtemps, elle
voulait sortir avec toi et elle arrivait toujours à ses fins. L’occasion
était trop belle, elle ne la laisserait pas passer et tu craquerais sur elle.
Je me suis sentie très mal.
- Quand je suis arrivé, moi, j’étais très inquiet. Je voyais les
feuilles et je me suis demandé si tu avais noté ton nom. Tu me
souriais et tes yeux reflétaient tant d’amour… Je t’ai tendu la main,
tu as mis la tienne et je t’ai serrée sur mon cœur. J’ai tout oublié, la
feuille et le téléthon, les autres, le lycée. Ils ont compris ce jour-là,
que nous nous aimions ; ton regard parlait pour toi. Ils savaient que
nos noms seraient couplés. J’ai été rassuré les années suivantes. Ils
nous considéraient comme un couple et non plus comme le grand
83
frère qui protégeait sa petite sœur.
- C'est vrai. Nous ne nous quittions plus.
- J’avais bien trop peur de te perdre. Tu avais trop de
soupirants !
- Je t’aimais trop ! Déjà en ce temps là, je t’aimais à la folie.
Tu te souviens, nous comptions les baisers manqués.
- Ça les a intrigués et ils n’ont jamais eu la réponse. Nous
notions le chiffre et toi, tu trichais. Tu avais toujours un chiffre
supérieur au mien. Si j’avais noté quatre bisous manqués, tu me
regardais en souriant, tu passais ta langue sur tes lèvres et je savais
que tu en rajouterais un. Rory se demandait ce qu’ils signifiaient. Il
regardait nos ordis et me disait que j’avais encore perdu, tu étais plus
forte.
- Je m’en souviens. J’avais envie de t’embrasser très
souvent ; c’était difficile, nous n’étions jamais seuls. Pendant les
cours de maths et de physique, je pensais à toi, j’aurais aimé que tu
me tiennes la main. J’avais du mal avec ces cours et je savais que
c’était ton dada, ils valaient deux points. Tu trichais toi aussi et tu en
rajoutais.
- J’avoue, je trichais un peu. Il me suffisait de te regarder
dans les yeux et je rêvais de t’embrasser ; si tu passais ta langue sur
tes lèvres ou si tu me souriais, j’étais perdu. Je rajoutais deux points,
voire trois.
- Nous, nous retrouvions près de notre arbre pour remettre
nos compteurs à zéro. Si notre arbre, notre vieil ami pouvait parler, il
en raconterait des souvenirs. Il a été témoin de nos premières
promesses, nos premiers vrais baisers et de nos premières caresses.
- Caresses bien sages. Je massais juste ton ventre, ma chérie.
- Tu étais trop sage. A seize ans, tu te décidais enfin à me
caresser les seins. A dix-sept ans, tu m’offrais une bague de
fiançailles et tu me faisais l’amour, tu n’étais pas pressé.
- Je te respectais, c’est différent, et c’était très difficile pour
moi. Tu dormais dans mes bras, chaque nuit et je devais prendre sur
moi pour ne pas te faire l’amour. J’ai eu du mérite, je te ferais
remarquer.
- Je n’en étais pas consciente. Nous partagions tout et faire
l’amour avec toi me paraissait naturel. C'était le témoignage, le gage
de notre appartenance l’un à l’autre. Je pensais que faire l’amour
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avec toi nous lierait encore plus ; rien ni personne ne pourrait nous
séparer, ensuite. Quand j’y repense, c’était idiot.
- Pas idiot mon amour, rien ne pouvait prévoir ton
kidnapping, les trois mois de terreur, emprisonnée dans ce puits et
tous les problèmes qui en ont découlé.
- Nous avons perdu presque deux ans ensemble à cause de
ces monstres. Sans cette épreuve, nous n’aurions pas eu notre fils.
J’étais passée au médecin, pour une contraception que je n’ai jamais
prise. J’en suis contente aujourd’hui Mattis est avec nous. Nous
rattraperons le temps perdu, notre amour est plus fort aujourd’hui et
nous en connaissant le prix.
- Tu as raison mon amour ! Nous sommes repartis sur des
bases saines et je compte rattraper ce temps perdu avec notre fils
mais aussi avec la femme que j’aime. Je vais te faire oublier ces deux
difficiles années, mon tendre amour.
- Elles n’ont pas été faciles pour toi non plus. Je commence à
les oublier. Je t’aime tant. Je suis si heureuse de ton retour. Les
journées avec toi et aussi les nuits sont magiques. Cette nuit était
merveilleuse. J’aime sentir ton cœur battre contre le mien et ton
corps frémir sous mes mains. Mes mains me chatouillent, rien que
d’y penser.
- Je crois que nous devrions arrêter là notre conversation. Tu
me donnes des idées et notre fils est un peu trop présent. Je suis
jaloux, lui il a le droit d’avoir un sein dans sa jolie petite bouche et
moi rien du tout ; je dois attendre ce soir.
- C’est une proposition ?
- Non ! C’est une promesse, mon amour.
- Je te la rappellerai si tu oublies.
- Il n’empêche que tu reçois toujours des invitations.
- Tu es jaloux sans raison, homme de ma vie. Ce soir je te
prouverai que tes inquiétudes sont non fondées. Tu auras une
courtisane dans ton lit.
- Et si je préférais la plus belle paysanne du monde ?
- OK pour la fille de ferme. Nous, nous sommes bien éloignés
de notre conversation première, concernant tes amis. Tu as pris ta
décision ?
- Je crois que je vais les appeler.
- Si tu n’as pas la crainte de leur présenter ta jolie petite
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paysanne, ils sont les bienvenus à la maison. Aujourd’hui, pour moi,
c’est notre foyer, je n’ai plus besoin de refuge. Je l’ai quand je suis
dans les bras de l’homme de ma vie.
Il la serrait contre lui, il comprit qu’elle était en paix, elle
aussi. Ils avaient redémarré leur nouvelle vie et la sérénité.
Il leur téléphona à tous les trois, l’invitation fut acceptée.
CHAPITRE 8
Ils les attendaient. Matt avait préparé les verres et les jus de
fruits sous la tonnelle. Lila avait découpé son gâteau au chocolat et le
café était prêt. Tout propre et tout mignon, Mattis jouait avec Trio
sous la surveillance de son papa. Lila, dans la salle de bain, se
préparait. Matt terminait d’installer les chaises autour de la tonnelle
quand Lila, en colère, le rejoignit.
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- Tu n’as pas surveillé ton fils. Je t’avais demandé de le
garder avec toi et tu l’as laissé à la maison.
- Il jouait avec Trio, il y a un problème ? Il s’est blessé ?
- Lui non, mais mon gâteau, oui.
- Pardon ?
- Mon gâteau au chocolat ; il a disparu, mort, dévoré.
- Heu ! Tu peux m’expliquer.
- Mattis et Trio, ils ont dévoré mon gâteau ! Je n’ai plus rien
pour tes amis, gémit Lila découragée.
- Je suis désolée ma chérie, mais ce n’est pas grave, on s’en
passera. Nous, nous contenterons de café.
Matt avait bien du mal à garder son sérieux et imaginait
Mattis et les trois chiens se partager le bon gâteau. Il l’embrassa pour
la consoler. Elle remarqua qu’il pouffait et le menaça :
- Je te préviens Mattis Senior, si tu oses rigoler, tu vas de ce
pas, rejoindre Mattis Junior et trio en punition, au coin.
Il la serra dans ses bras. Il avait de plus en plus de mal à
garder son sérieux. Lila était si déçue !
Une toux énergique les fit se retourner, le Général était là. Il
leur demanda ce qui se passait. Lila lui expliqua :
- Ton fils devait surveiller son fils et il ne l’a pas fait.
Résultat, lui et Trio ont dévoré mon gâteau, grommela-t-elle déçue.
Le Général cachait les amis de Matt. Ils assurèrent à Lila que
ce n’était rien. Leur mine réjouie montrait qu’ils n’avaient rien perdu
de la scène de ménage. Lila, très gênée de ces témoins involontaires,
se réfugia derrière Matt.
- Hum, hum ! Nous n’osions vous interrompre mais si je peux
rendre service et remplacer le disparu, je suis disponible, proposa le
Général amusé. Je peux savoir où est mon petit-fils préféré ?
- Au coin, il est puni.
- Il est encore si petit. Il n’est pas le seul coupable en plus, si
nous avons bien suivi l’histoire.
Le Général était déçu. Il n’aimait pas les punitions et savoir
son petit-fils au coin, même pour trois minutes, ne lui plaisait pas
beaucoup. Il tenta d’adoucir Lila mais elle resta inflexible, Mattis ne
tarderait pas.
Elle avait raison, il arrivait penaud, suivit du trio. Il tenait le
sablier, un minuteur pour œufs à la coque, dans sa main. Il
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s’approcha de sa maman et lui tendit l'objet délicatement, le sable
était écoulé, signe que la punition était levée. Il demanda pardon,
Lila l’embrassa, c’était terminé, on n’en parlait plus. Il se dirigea
vers son papa et murmura :
- Maman a puni moi.
Machinalement, Matt, le reprit :
- Maman m’a puni.
Le petit, tout surpris, lui répondit :
- Toi aussi. Maman a puni toi ?
- C’était tout juste. J’ai bien cru que je finirais au coin, moi
aussi. Tu aurais du demander la permission à maman avant de
manger le gâteau. Tu risques d’être malade et d’avoir mal au ventre,
lui expliqua Matt sérieusement pour qu’il comprenne qu’il ne devait
pas recommencer.
Ses amis firent la connaissance de toute la famille, sans
oublier le trio de voleurs, Belle, fripon, Misère. L’après midi se passa
gaiement malgré la perte du gâteau au chocolat. Une tarte aux
pommes, achetée par le Général, le remplaça.
Justin et Valentin, surnommé Val, étaient décontractés et discutaient
amicalement avec les papys. Lila, assise près de Matt, se taisait et
écoutait. Elle souriait à leurs blagues mais n’osait pas se mêler à la
conversation. Matt l’aidait et l’incluait à chaque fois mais celle-ci,
intimidée, avait du mal à participer.
Natacha prit les choses en main et l’interrogea sur Mattis.
Lila se détendit. Parler de son fils était facile et simple.
Ensuite, sur leur demande, elle raconta de nouveau l’histoire
du gâteau. Ils partirent tous, d’un fou rire et réclamèrent une punition
pour le vilain papa qui les avait privés de dessert.
Les jeunes avaient remarqué la complicité qui unissait la
famille. Elle était unie et solidaire, le bonheur régnait.
L’enfant, tout le portrait de son papa, était debout sur ses genoux et
lui caressait la joue, tout en lui faisant des bisous et de gros câlins.
La fatigue se faisait sentir.
Les papys retournèrent au travail et laissèrent les jeunes discuter
entre eux.
Val interrogea Matt sur la traduction de ce nouveau logiciel.
Matt expliqua que c’était une "traduc" compliquée et Val lui proposa
de la vérifier quand il l’aurait achevée. Ils travaillaient beaucoup de
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cette façon et se donnaient plus de chances d’éviter les erreurs. Plus
ils rendaient des travaux sûrs et plus les entreprises les rappelleraient.
Les très bons traducteurs étaient recherchés.
Lila en profita et annonça que le petit Prince devait faire sa
sieste. Matt s’excusa et l’accompagna, il en profiterait pour refaire du
café et ramener son "ordi." Il attendit qu’elle soit installée dans le
rocking-chair avec le petit Prince, les embrassa et sortit rejoindre les
jeunes. Quelques minutes plus tard, il revenait avec Natacha. Elle
souhaitait discuter avec Lila, "une conversation entre filles."
Lila proposa une chaise à Natacha qui accepta. Elle regardait
tout autour d’elle et félicita Lila pour l’agencement de sa maison.
Lila refusa les éloges, elle n’avait aucun mérite, toute la famille s’y
était mise. Natacha s’entêta, la touche était féminine et la maison
ressentait le bonheur de ses habitants. Les photos de la famille au
grand complet ornaient les murs, la cheminée, les meubles. Elles
étaient partout. Les coupes sur la cheminée ? Les trophées de Matt en
concours d’équitation. Elle ne parla pas des siennes, Natacha comprit
que c’était par modestie. Les prénoms figuraient sur les coupes ainsi
que l’année et le nom de poney.
- Je préfère te prévenir que je suis franche, curieuse et que je
parle trop. Alors si tu veux que je me taise, n’hésite pas, les garçons
ne se gênent pas. Je suis heureuse de pouvoir discuter avec toi, nous
n’avions pas pu parler quand j’ai ramené Matt, je suis contente de le
faire aujourd’hui.
Il nous avait tellement parlé de toi, pendant cette année d’exil. Nous
avions hâte de connaître la personne si particulière et si
extraordinaire qui avait pris son cœur. Celle dont il se languissait
tous les jours.
Tu es la personne qui compte le plus pour lui, mais ça, tu le sais déjà.
Nous en avons mangé du "si ma Lila était là, Lila aimerait, Lila serait
d’accord…"
Nous avions du mal à le croire, quand il nous parlait de toi. Nous
pensions qu’il se faisait des illusions, qu’il brodait ou enjolivait votre
amour. Je suis heureuse de constater qu’il n’en est rien. En tout cas,
votre bonheur fait plaisir à voir.
Justin et Val avaient la même opinion. Leur copine les avait plaqués
et pour eux, l’amour, c’était du pipeau. Ils flirtaient et essayaient
d’entraîner Matt avec eux. Il a toujours refusé. Seule "sa Lila"
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comptait, elle l’attendait et ils s’étaient promis fidélité. Nous, la
fidélité, les promesses, l’amour toujours… c’est bien dans les contes
de fées mais Matt, il y croyait dur comme fer. Il nous avait répondu
que c’était parce que nous ne te connaissions pas. Tu étais sérieuse,
réfléchie, tu avais des principes… Il te faisait toute confiance…
Nous l’avons pris pour un naïf et un crédule. Nous, nous posions
mille questions sur toi.
Quand je suis revenue avec lui, j’étais inquiète. Nous t’avions vue
dans les bras d’un garçon avec le petit. Matt en était bouleversé. Je
me suis demandé comment il réagirait si tu avais fait ta vie avec un
autre.
- C’est Rory, un ami commun. Il voulait me présenter sa
nouvelle amie.
- C’est ce que Matt m’a dit quand nous sommes retournés à
l’école. Il était si heureux ; vous vous étiez retrouvés. Moi, j’avais eu
très peur pour lui.
Lors de notre première rencontre, vous vous donniez la main, vous
étiez dans une bulle. Tu semblais si triste presque effrayée. Je pensais
que tu n’avais pas été si fidèle que ça à cause du petit.
- Je n’aurais jamais pu le tromper. C’est lui depuis toujours et
rien n’aurait modifié mes sentiments. Il m’avait demandé de
l’attendre, je l’aurais attendu toute ma vie.
- La fameuse fidélité dont il parlait !
- C’est important pour moi. Il me faisait confiance. Le
tromper ou le trahir ? Non ! J’avais Mattis et je serais restée honnête
envers mon fils comme en la parole donnée.
- Mattis, oui ! Quand je l’ai vu, j’ai tout compris, c’était le
fils de Matt, personne ne pouvait le nier. Il l’ignorait, pourtant la
ressemblance était saisissante.
- Je ne pouvais pas lui dire ; pas si vite !
- Je te comprends, il revenait après si longtemps. Tu n’allais
pas lui sauter dessus en lui présentant son petit. Ils s’entendent super
bien, tous les deux ! Matt est si fier, il nous en parle tous les jours et
nous suivons ses progrès.
- C’est vrai, Matt est affectueux, attentionné. Il l’adore, c’est
un papa formidable.
- Ça ne m’étonne pas de lui, il n’a pas un sou de méchanceté.
Nous n’avons jamais eu de prise de tête ensemble. Enfin si ! Juste
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une fois, à cause de toi. Matt se laissait aller à la déprime et nous lui
avons dit qu’aucune fille ne méritait un amour aussi absolu. Il devait
sortir et s’amuser ; sa Lila ne devait pas se gêner. Il s’est mis en
colère et nous a répondu que nous ne savions rien d’elle et que nous
n’avions pas le droit de la juger. Elle était merveilleuse, douce,
gentille, belle… etc. Nous lui avons demandé pourquoi alors il
l’avait laissée, puisque c’était une perle rare ? C’est ainsi que nous
avons su concernant son passé, sa vie, le Domaine, les personnes
qu’il aimait et bien sur sa Lila. Il nous a expliqué le mal qu’il t’avait
fait, l’enfer qu’il te faisait vivre.
- Matt ne m’a jamais fait de mal, c’est son départ qui a été
terrible. C’est vivre sans lui, ne rien savoir, s’il allait bien, s’il… se
défendit Lila aussitôt sans terminer sa phrase.
Ses yeux étaient embués, elle frissonna. Parler de son absence
restait si difficile.
- Je suis désolée, murmura Natacha en se rapprochant de Lila,
je ne voulais pas te faire de la peine.
- Matt me manquait tellement, il a toujours été ma raison de
vivre. Sans lui, je suis perdue, vide comme morte.
- Il disait la même chose, il préférerait la mort que vivre sans
sa Lila. C’est ce qu’il m’a dit, c’était fort, inquiétant et funèbre. Il
parlait sérieusement en plus, affirma Tacha en frémissant. C’est
terminé, heureusement. C’était dans sa période noire, le grand
désespoir. Je lui ai dit de t’écrire, il l’a fait et c’était pire que tout.
- Je n’ai rien reçu, aucune nouvelle. Je ne savais rien.
- J’ai une part de responsabilités si tu n’as rien reçu. Matt t’a
écrit mais ses lettres reflétaient son mal être et son désespoir et je lui
ai conseillé de ne pas te les envoyer.
- C’est terrible de ne pas avoir de nouvelles. J’ai tout
imaginé, d’un accident à… J’étais presque contente de ne pas avoir
de nouvelle ; "Pas de nouvelle, bonne nouvelle" dit le proverbe.
Ensuite j’ai espéré qu’il était heureux, ailleurs, puisqu’il ne revenait
pas.
- Avec une autre fille ?
- Je me suis posée la question. Il ne revenait pas à Noël, ni
aux vacances, n’écrivait pas, ne téléphonait pas. J’y ai pensé, je l’ai
rendu très malheureux.
- Matt n’a jamais été heureux sans toi. Il n’a jamais regardé
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une fille. Certaines ont tenté leur chance et elles se sont cassé le nez.
Le combat était perdu d’avance. Aucune n’atteignait la cheville de sa
Lila.
- J’ai douté de lui. Depuis son retour, tout est merveilleux.
Vous avez fait beaucoup pour lui. Je tenais à vous remercier. Sans
vous, que serait-il devenu ?
- C’était réciproque. Nous, nous soutenions les uns les autres.
- Vous avez fait plus. Vous lui avez redonné l’espoir. C’est
très important.
- Il m’a aidé, lui aussi. J’ai fait la paix avec mes parents et
c’est grâce à lui. Changeons de sujet. Vous, vous êtes retrouvés et
c’est merveilleux.
Tacha était contente pour son ami Matt. Il avait raison, sa Lila
était vraiment une chouette fille, une fille exceptionnelle et elle
l’aimait vraiment. Elles papotaient toujours quand Matt revint à la
maison. Il venait préparer le café. Tacha sortit. Matt alluma la
machine et en profita pour embrasser amoureusement sa Lila et lui
murmurer plein de petits mots doux.
Ils prirent le café tous ensemble et décidèrent de faire le tour
du Domaine. Les jeunes ne connaissaient rien aux chevaux et
voulaient s’instruire. Il est vrai que leur savoir était plus que limité :
- Un canasson, c’est un chien en plus grand. Ça a quatre
pattes, deux oreilles et une queue. Ça mange des pommes, des poires
et des carottes. Tu lui mets une selle et tu cours le grand prix
d’Amérique, professa Val.
- Moi je dirais plutôt que c’est dangereux à l’avant, à
l’arrière, sur les cotés et inconfortable au centre, continua Justin.
Matt et Lila étaient outrés de leur ignorance et leur inculture.
Quiconque parlait ainsi, ne connaissait rien ou pire était un poltron
ou un trouillard. Devant leur mine désappointée de repentis, ils
éclatèrent de rire et leur proposèrent des cours particuliers.
Mattis réclama Noisette et Lila l’accompagna. Il revint en la
tenant par une petite corde et l’amena à son papa. Il se retourna vers
les jeunes, un sourire aux lèvres et annonça pompeusement :
- C’est Noisette.
Les trois jeunes saluèrent Noisette avec déférence et grand
sérieux. L’enfant était génial. Matt posa son fils sur le dos de la
ponette, prit la corde dans une main et tendit l’autre à Lila. La visite
92
pouvait commencer. Les jeunes questionnèrent Lila. Le Domaine
était magnifique et leur sembla immense. Les chevaux étaient
nombreux et pour certains, vilains, maigres et efflanqués…
Elle leur expliqua que les animaux étaient arrivés, il y a peu
de temps et ils n’avaient pas encore récupéré. Dans un mois, ils
seraient méconnaissables et aussi beaux que leurs compagnons.
Les questions n’arrêtaient pas, Matt la laissait répondre, elle
s’en sortait très bien et oubliait sa timidité. Rien de comparable avec
l'amie de Rory.
Devant le pré aux poulains, El Diablo, pâturait. Lila le siffla
et il redressa sa belle tête fine. Il hennit et s’élança au petit trot vers
le groupe. Il était puissant, magnifique et fier de sa beauté. Il s’arrêta
devant eux. Lila leur présenta et précisa qu’il était à Matt. Les jeunes
étaient émerveillés. C’était de loin, le plus bel animal du Domaine.
Chacun détaillait sa beauté.
- Tu veux me faire un grand plaisir, ma Lila ?
- Bien sûr ! Que veux-tu ?
- J’aimerais que tu le montes, comme tu l’as fait à mon
retour.
- Matti ! Tu ne peux pas me demander ça !
- S’il te plaît ma Lila, fais-le pour moi !
Lila était gênée ; monter devant les amis de Matt n’était pas
prévu au programme, surtout El Diablo. En concours, elle n’était pas
timide mais c’était différent et les spectateurs étaient loin. Elle se
tourna vers lui, ennuyée. Il lui caressa la joue et réitéra sa demande.
- Je n’aime pas me faire remarquer, tu le sais ! Me donner en
spectacle, ce n’est pas mon truc !
- Je le sais ma Lila. Je te demande beaucoup, s’il te plait !
- Pour toi, je fais ça pour toi ! Juste cinq minutes !
- Merci mon cœur, cela représente beaucoup.
Lila emprunta l’écharpe de Matt et s’approcha du cheval.
Calme et attentif, il l’attendait. Lila l’enfourcha et commença par le
détendre gentiment avant de prendre le petit galop. Prise par le
plaisir, elle oublia tout et leur fit une superbe démonstration.
Elle n’oublia pas Matt. Il avait souhaité qu’elle se dévoile ; il
serait, lui aussi, de la fête. El Diablo s’inclina devant lui et Lila le
regarda les yeux brillants. Matt lui sourit et chercha à savoir ce
qu’elle complotait. Lila ne dit pas un mot mais lui tendit la main, elle
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l’invitait à la rejoindre. Il n’hésita pas et Justin récupéra la corde qui
tenait Noisette. Matt escalada la barrière et grimpa derrière sa Lila.
La représentation se poursuivait à deux, sous les yeux d’un public
enthousiaste et émerveillé. Le show terminé, Lila et Matt le
bouchonnèrent.
Matt lui murmura :
- Ma belle petite "paysanne" s’est transformée en écuyère
féerique. Merci mon amour, tu as été magnifique.
- Tu es un voyou. Tu m’as forcée à me donner en spectacle.
- Je ne t’ai pas forcée !
- Tu savais que je le ferais. Je n’ai jamais réussi à te dire non,
je n’aime pas te décevoir, je crois que je t’aime trop !
- Tu ne m’aimeras jamais trop, mon amour. Moi aussi, je
t’aime et je voulais te prouver que tu es merveilleuse et bourrée de
talents ; je voulais te donner confiance.
- Je n’ai pas vu ça, sous cet angle. J’avoue que j’ai oublié tes
amis. Je voulais que tu sois fière de moi.
- Je l’ai toujours été, ma Lila chérie. Je n’avais pas besoin de
cette représentation pour en être convaincu mais toi si. Tu te sousestimes trop. Tu as été magique, encore une fois.
Lila ne répondit pas et lui tendit ses lèvres. Matt s’en empara
et l’embrassa amoureusement. El Diablo était sec et retrouva sa
liberté. Le couple retrouva les jeunes sous une ovation de bravos.
Ils ne trouvaient pas de mot pour féliciter Lila.
Ils restèrent souper avec la famille. Le repas était détendu et
très amical. Chacun à son tour, raconta des anecdotes sur leur
jeunesse. Tacha perdue dans le centre commercial, Val tombé dans
l'étang, il voulait caresser une truite, Justin punit et oublié au coin
pendant toute la matinée, il s’était endormi…
Les souvenirs refaisaient surface et Tacha en réclama, concernant
Matt et Lila. Paddy ne résista pas et se lança, il en avait plein en
mémoire. Le croissant, le café y passèrent, les vêtements toujours les
mêmes… Il divulgua ses souvenirs pour le grand plaisir de tous.
- Tout ce qui était à Lila était à Matt et vice et versa. Je n’ai
pas le souvenir que l’un ait eu quelque chose de personnel, les livres,
les vêtements, les jouets… Tout était partagé. S’il restait deux
yaourts différents, ils se les partageaient ; un bonbon, Matt le
croquait et donnait la part à sa Lila… C’était toujours deux. Ils se
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comportaient comme des jumeaux et ce que l’un faisait, l’autre aussi.
Que ce soit les leçons, un coloriage, une lecture, du patin à roulettes,
c'était ensemble. Lila apprit la danse ; Matt aussi. Il était porté sur les
rollers, le skate, le patin à glace, le judo… Lila suivait. Oui, tout était
doublé. Je dois dire que le judo, ça n'a pas duré longtemps. Matt ne
supportait pas de voir les garçons autour de Lila, alors de là à la faire
tomber ; ils auraient pu la blesser… Je pense plutôt, qu'il était jaloux.
- Je n'étais pas jaloux, je protégeais ma Lila.
- Ma Lila ! Voilà encore des souvenirs mémorables !
- Racontez-nous, réclama Justin.
- C'est ainsi que Matt présentait Lila aux étrangers. "Ben,
c’est ma Lila ; ma Lila chérie à moi tout seul" et le "à moi tout seul"
était très important. Effectivement à quatre ou cinq ans, avoir une
chérie, c’était d’une logique ! Pour Lila, c’était la même chose, "je
suis la Lila à Matti", "son Matti chéri " ou encore "c’est mon
amoureux."
- Ils devaient être mignons, tous les deux ! Tu as toujours
aimé ta Lila, si je comprends bien, sourit Val.
- c'était réciproque, confirma Paddy. Lila soutenait tout ce
que disait son "Matti" son "Ma ï–Matti." Il avait toujours raison. Il la
regardait et elle confirmait ; qu’elle ait compris ou non, c’était
toujours oui. Matt, c’était la parole d’évangile : "Matti dit, Matti fait,
Matti veut…"
- Paddy arrête ! Changeons de sujet, s'il te plait.
Les trois amis protestèrent et le Général accepta de révéler
quelques anecdotes.
- Paddy à raison, Matt n’acceptait pas que sa Lila s’amuse
avec les autres enfants. Nanny, la grand-mère des petits, le grondait
souvent pour cette raison ; chose qui ne plaisait pas du tout à notre
Princesse. Quand ils revenaient de la promenade, tous les trois, Lila
venait se plaindre, cafarder pour être exact. Elle affirmait, avec grand
sérieux, que sa Nanny chérie, avait été très vilaine avec son Matti.
Elle se tenait les poings sur les hanches et nous sommait de gronder
"sa Nanny chérie." Elle avait été vilaine avec son Matti et l’avait
grondé très fort. Elle terminait par "ta petite Lila, elle est toute triste
mon papa ou mon Paddy quand ce n'était pas les deux." Pour nous,
c’était la même chose ; l’adulte qui avait osé gronder son Matti
devait se faire gronder à son tour. Nous jouions le jeu et Lila
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terminait, en levant son petit index vers l’accusé, "Tu vois, faut pas
gronder le Matti chéri à Lila, il est toujours gentil." Elle prenait à
témoin, les deux adultes complaisants et tout était terminé. C’était
pire avec Matt, Lila ne faisait jamais de bêtise. C’était toujours lui,
même quand il était à l’école. Avec Lila, nous avons retrouvé les
poneys dans la maison, "ils voulaient jouer avec Lila," le gâteau tout
frais de Nanny avait disparu, "c'était pour le goûter des poneys et des
chiens" et combien d’autres choses encore.
- Ils faisaient du cheval ensemble ?
- Ils ne rataient pas une occasion. Ils avaient une façon bien à
eux de se rapprocher. Lorsque Matt voulait un bisou, il se penchait
sur son poney et Lila, debout sur ses étriers, le prenait par le cou et
l’embrassait. Il lui avait appris un sacré tour. Elle n’avait pas mis
longtemps avant de faire la même chose. Mais pour Matt, ce n’était
pas assez. Il la voulait avec lui. Un beau jour, nous l’avons vu
attraper sa Lila et la hisser sur son poney. Il l’avait installée devant
lui et la serrait dans ses bras. Là-encore, elle retint la leçon. Quand
elle était fatiguée par la promenade à cheval, elle se mettait debout
sur ses étriers ou sur sa selle et lui tendait les bras. Il l’installait
devant lui, elle se nichait contre lui et profitait d’un repos
compensatoire, parfois elle s’endormait. Les plaisirs qu’ils prenaient,
lorsque les adultes tournaient le dos. Plaisirs qui coûtaient de
nombreux bleus et bosses.
Les deux compères se regardèrent surpris et amusés. Aucun
des deux ne savait que leur secret était éventé depuis bien longtemps.
- Je me souviens d'une belle histoire, l'étoile et la lune. Tu te
rappelles, Général, la colère de Lila ? Demanda Paddy.
- C'est vraie. Un matin, j’ai eu le droit à de gros reproches de
Lila. J’avais oublié de la réveiller en pleine nuit. Elle voulait attraper
une étoile pour son Matti. Comme chacun le sait, elles sont plus
faciles à attraper la nuit. Elle voulait la plus belle et la plus brillante
pour son "Matti chéri." Elle m’a cassé la tête toute la matinée, les
étoiles étaient parties. Elle voulait lui faire ce cadeau parce que son
Matti voulait lui offrir la lune. Je la vois encore avec sa petite
épuisette.
Tacha prit la suite. Les jeunes enchaînèrent sur les souvenirs
scolaires. Chacun y allait de bon cœur.
- Je me souviens d'un Noël à la fête de l’école, se remémora
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le Général, Lila n’y allait pas encore mais la maîtresse nous avait
demandé de la laisser participer. Son rôle, une fleur avec des gros
pétales jaunes, était décoratif. Elle s'asseyait près de Matt déguisé en
tronc d’arbre. Il n'en fallait pas plus pour faire son bonheur.
Je me souviens de l'histoire, un prince devait sauver sa princesse
prisonnière d’un donjon. Il devait lui faire une déclaration d’amour,
style Shakespeare. Le prince s'approche de l’escabeau, enfin du
donjon, mais pétrifié par le trac, il ne dit pas un mot. Matt est appelé
pour le remplacer. Il arrive en donnant la main à sa petite fleur. La
maîtresse demande à Lila de retourner à sa place, elle ne veut pas
quitter Matt… Un autre enfant, vient la chercher… Elle se met à
pleurer, refuse de lâcher la main de Matt, l’enfant la retient, bref la
cacophonie. La maîtresse cède et Lila reste avec Matt. Pour en
revenir à Matt, il doit dire à la princesse, quelque chose comme : ma
princesse, je vous aime, je viens vous sauver, je veux vous épouser et
vous deviendrez ma reine… etc.
Matt regarde l’assemblée et refuse de dire ce texte à la petite. Il faut
que sa Lila monte dans le donjon sinon il dira un mensonge. Il
répond tout fort, qu’il n’a pas le droit de dire une chose qui n'est pas
vraie. Sa Nanny dit que ce n’est pas beau et que le petit Jésus ne va
pas être content si les enfants disent des mensonges etc. Sa princesse
à lui, c’est sa Lila, pas la petite, je ne sais plus son nom ; c’est Lila,
sa reine, sa chérie, c’est avec elle qu’il va se marier… Il retourne à sa
place avec sa petite fleur. La salle rit, la maîtresse vexée proteste,
menace, le père Noël ne vous apportera pas de jouet. Elle est en
colère, son sketch est raté et elle houspille les enfants. Matt prend sa
Lila dans ses bras, elle est en larmes et s’accroche à lui… Bref, nous
en avons assez, nous nous levons tous les trois. Je m’approche de
l’estrade et les récupère tous les deux.
Matt profita de vacances forcées, tant que cette remplaçante resta à
l’école. Il n’était pas prévu que la maîtresse tombe malade et soit
remplacée par une mégère.
Lila ne se souvenait pas de cette soirée. Matt en était resté
marqué.
- Je me souviens très bien de ce Noël. J’avais eu très peur que
le père Noël ne passe pas. Papa m’avait répondu qu’il passait
toujours apporter des cadeaux aux enfants sages et nous étions des
enfants sages !
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Le Général et Paddy avaient parlé, c'était le tour des jeunes.
Ils s'exécutèrent gaiement. La nuit était bien avancée quand ils
décidèrent de rentrer. Ils étaient enchantés de leur après-midi et de
leur soirée. Ils remercièrent les papys puis Matt et Lila.
- Ta Lila était exactement comme tu nous l’as décrite, tu as
bien de la chance. Prends en bien soin. C’est la compagne rêvée pour
toute une vie de bonheur. Elle est très belle, aussi belle que gentille et
elle t’aime. Et tes papas sont supers. Je crois que je t’envie, murmura
Tacha.
- Je suis un privilégié et j’en suis conscient. Ma Lila est un
amour, une personne si merveilleuse, plus encore. Je l’aime ! Tu
comprends maintenant ? Je ne sais pas si je la mérite ?
- Matti ! Ne dis pas ça ! C’est moi la chanceuse qui ne mérite
pas un homme tel que toi, le contredit Lila en le regardant les yeux
humides remplis d’amour.
Il lui rendit son sourire et l’embrassa. C’était son Apollon,
son Dieu… Elle l’aimait tant. Le retour de son cher amour l’avait
ramenée à la vie.
Ils avaient retrouvé leur lit. Matt lui fit remarquer qu’elle
avait conquis ses amis. Il continuait ses louanges mais Lila préféra
s’occuper du ventre de son Apollon. Il ne semblait pas disposer à se
taire aussi elle employa les grands moyens. Elle s’allongea sur lui et
l’embrassa, ses mains câlines, caressaient le visage aimé. La bouche
descendit et dessina des arabesques sur son ventre. Matt ne résista
plus, il se tut et prit la direction des opérations.
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CHAPITRE 9
L’été arriva et avec lui les vacances pour les jeunes. Ce furent
des vacances studieuses. Ils poursuivaient leurs traductions en free
lance. Ils revinrent souvent au Domaine pour s’entraider sur le
manuel de l’un ou de l’autre.
Matt et Lila profitaient l’un de l’autre et de leur petit. Il avait
vingt et un mois et savait ce qu’il voulait. Dès son lever, il réclamait
son cher papa. Après sa toilette et son déjeuner, Lila allait au bureau
et l’enfant l’accompagnait chevauchant Noisette. Matt travaillait sur
ses traductions. Après sa sieste, il prenait son goûter, ses parents, un
café. Il sautait dans les bras de l’un ou de l’autre et après maints et
maints câlins, réclamait Noisette. Matt l’emmenait la chercher dans
le pré et l’enfant la montait. Il se laissait promener gentiment. La
ponette n’aimait pas les grosses chaleurs et pâturait à l’ombre des
arbres ce qui arrangeait ses parents. La tête bien protégée par un
chapeau de paille, vêtu d’un pantalon léger et d’un tee-shirt à
manches longues, il ne craignait pas les coups de soleil. Le Trio,
allongé à l’ombre, profitait d’un repos bien mérité et gardait un œil
dessus. Ses parents sortaient leur ordinateur et se mettaient sous la
tonnelle pour étudier. Ils surveillaient leur petit, tout en étudiant.
Le Domaine était calme. L’après-midi, le soleil de plomb
refoulait les animaux dans les stabus bien fraîches et le silence
régnait. Parfois un hennissement ou quelques coups de sabot contre
les cloisons trouaient le silence.
Le Général, toujours accompagné de Belle, vaquait à ses
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occupations, réparait une barrière, une clôture, répondait au
téléphone… Paddy fabriquait des petits jeux de bois pour Mattis. Il
dessinait des petits animaux sur des planchettes, les découpait, les
ponçait puis les peignait. Quand il ne préparait pas des petits
obstacles, pour le pré aux poneys.
Vers six heures, la chaleur diminuait. Matt et Lila sellaient Idole et
Horizon et rejoignaient Mattis, pour une grande promenade tout
autour du bois. Ils profitaient de la balade tout en s’assurant que les
animaux allaient bien. Plus tard, à la distribution de l’aliment, la
vérification serait plus poussée.
Lila préparait le repas froid, Matt installait le couvert sur la
table roulante. Il ne resterait plus qu’à le dresser sous la tonnelle.
Lila montait un cheval, les papas distribuaient l’aliment et vérifiaient
les animaux. Quand une boiterie était détectée ou une blessure… les
soins appropriés étaient donnés !
La famille se retrouvait autour du repas et la discussion allait
bon train. Les soirées s’éternisaient et Mattis donnait le signal du
repli. Il câlinait l’adulte, passait sa menotte sur le visage, jouait avec
les cheveux… La fatigue se faisait sentir et il était temps de rentrer.
Le couple travaillait encore une heure ou deux avant de
rejoindre leur chambre.
La vie simple et tranquille continua et aurait pu se poursuivre
mais les jeunes, de plus en plus sollicités par les entreprises, avaient
un nombre impressionnant de traductions de manuels. Val et Tacha
préféraient le travail sur le terrain. Ils se rendaient dans les
entreprises quand une traduction devait se faire sur site. Justin et
Matt, plus indépendants, privilégiaient le travail à la maison devant
leurs manuels. Ils mettaient leur savoir en commun et s’entraidaient.
Les jeunes débarquaient souvent au Domaine ; il était centré pour les
trois étudiants, à environ vingt minutes de route. La grande maison,
petit à petit, devint leur lieu de rendez-vous pour les dossiers
difficiles. Des soirées entières, ils travaillaient devant leurs
ordinateurs à la "traduc" de divers logiciels et manuels très
éclectiques. Ils allaient du multimédia à l’adaptation de cédéroms, la
traduction de CD Rom, modes d’emplois, la documentation d’un
pays, de livres et d’ouvrages spécifiques comme la pêche, la chasse,
la guitare…
Ils souhaitaient s’associer et créer leur entreprise.
100
Lila et Mattis se sentaient bien seuls. Le matin, les papys ne
passaient plus prendre le café avec eux. Ils ne souhaitaient pas
déranger les jeunes et Lila avait déjà fort à faire, avec sa maison
pleine. Elle soulageait le Général de toute la paperasserie et l’aprèsmidi, elle le consacrait à son fils et au dressage. Après sa journée,
elle préparait le repas de la famille et ils se retrouvaient, autour de la
table.
Dans la soirée, les jeunes arrivaient. Elle douchait son petit et
mettait une machine de linge à tourner et s’isolait dans la chambre
avec son fils. Elle étudiait ses cours, pendant qu’il s’amusait. Elle
s’endormait dans le rocking-chair, Mattis serré contre elle. Le matin,
elle se réveillait seule dans son petit lit. Matt les avait couchés mais
elle ne l’avait pas entendu.
Matt lui avait demandé d’être patiente, tout rentrerait bientôt
dans l’ordre. Ils devaient faire leurs preuves et clore plusieurs
dossiers importants. Il lui avoua, regretter leur vie calme et
tranquille, les soirées à trois et espérait retrouver ses marques dans
une ou deux semaines.
Lila se levait, tous les matins à six heures. Elle les retrouvait
là où elle les avait quittés, devant leurs ordis. Elle ne disait rien,
préparait le café pour tous et s'activait en silence. Elle levait son petit
amour qui n’était même plus surpris de les trouver là. L’enfant les
embrassait l’un après l’autre puis déjeunait. Après sa toilette, ils
partaient tous les deux vers le bureau.
Les jeunes quittaient le Domaine peu avant midi et y
revenaient le soir. Matt dormait pendant la sieste de son fils. Lila
veillait sur ses deux hommes.
Matt et Lila souffraient de cette promiscuité. Le couple
n'avait plus d'intimité. Lila ne disait rien, ne faisait aucune remarque.
Toujours aimable et souriante, elle leur préparait du café avant de
vaquer à ses occupations. Matt culpabilisait et déprimait. Le soir, il
embrassait son fils et sa chère Lila endormis et revenait travailler.
Tacha se rendait compte qu'ils avaient envahi leur vie, leur famille et
leur maison. Ils étaient là au coucher de Mattis et encore là, à son
réveil. Ils devaient faire leurs preuves mais pas sacrifier le couple et
la famille de Matt. Rien ne valait ce prix. Elle décida de mettre les
choses au point et proposa de changer les règles. Elle leur en parla.
Ils étaient tous d’accord, Matt le premier.
101
La première chose à faire serait de chercher un local proche
du Domaine, qui restait très bien centré pour tous. Ensuite travailler,
oui, mais pas toutes les soirées et toutes les nuits comme ils le
faisaient, mais comme le commun des mortels, à des heures
régulières et correctes. Ils n’avaient plus aucune distraction et
s’écroulaient sur leur lit tous les après-midi, comme des oiseaux de
nuit.
Le lendemain, pendant le repas familial, Matt récapitula les
bonnes idées de Tacha. Le Général confirma :
- Je suis bien d’accord avec elle, vous seriez tout aussi
performant en travaillant à des heures correctes. Le travail, oui c’est
sûr, mais pas au détriment de la famille.
Lila s’était arrêtée de servir et écoutait, attentive. Elle était
d’accord avec le Général mais avait du mal à croire qu’elle
retrouverait son cher Matti. Elle restait silencieuse et il lui demanda
ce qu’elle en pensait.
- Le fait d’avoir un bureau à l’extérieur changera beaucoup de
choses ? Tu risques d’avoir de la route à faire et tes journées sont si
longues ! Je ne sais pas si c’est la solution. Ici, nous te voyons,
malgré tout et pour nous c’est important.
- Je crois comprendre ce qui te tracasse. Nous changerons nos
horaires, je te le promets. Je veux passer plus de temps avec toi et
notre fils. Depuis quelques semaines, je vous ai négligés, j’en suis
conscient mais promis, c’est terminé. Nos dossiers sont pratiquement
bouclés et dès que nous aurons un local, nous prendrons des horaires
réguliers. Dans l’immédiat, nous n’avons pas beaucoup de choix. Ils
ne peuvent pas venir passer toute la journée chez nous, tu n’as pas à
faire le repas du midi pour tous. Ils ne peuvent se permettre d’aller au
restaurant et les sandwiches, ça va un moment mais ce n’est pas
terrible.
Nous allons tout faire pour nous assurer une vie stable. Je veux te
retrouver, retrouver notre fils, nos soirées, nos sorties à cheval… J’en
ai assez, ce n’est une vie pour personne. Les sacrifices, je commence
à en avoir assez.
Nous avons été séparés, nous nous sommes retrouvés, nous vivons
sous le même toit, mais nous ne nous voyons plus. Je ne veux plus de
ça, j’ai une famille et je veux en profiter. Je rate plein de choses avec
Mattis. Il a fait beaucoup de progrès et je ne les vois plus. Comme dit
102
papa, "le travail oui, mais ma famille d’abord" affirma Matt.
Paddy regarda le Général et discrètement lui fit signe de
sortir. La grande maison du Domaine, la première maison, elle ne
servait pas mais pourrait faire le bonheur des jeunes. Le Général
acquiesça, après quelques travaux, elle serait idéale… Ils rentrèrent
et en parlèrent à Matt et à Lila.
Ils s’y rendirent ensemble et examinèrent l’extérieur. Elle
était toute en pierres, trois marches permettaient d’accéder à la porte.
Deux grandes fenêtres laissaient passer la lumière sitôt les volets de
bois ouverts.
Paddy ouvrit la porte et ils entrèrent. Les jeunes n’y avaient
jamais mis les pieds et regardaient tout autour.
Un couloir séparait les deux grandes pièces qui donnaient sur
l’avant de la maison. Plus loin, une autre pièce, un débarras. A
l’extrémité, un escalier, mal en point et vermoulu, menait à l’étage.
Après quelques réparations, quelques coups de peinture, elle serait
parfaite. Les deux pièces seraient des bureaux très confortables et
très lumineux.
Lila et Matt étaient enchantés et posèrent des questions sur
l’abandon de cette belle maison.
Le Général expliqua :
- Ta maman et moi, nous avions de grands projets pour cette
maison, ma Lila. Nous voulions la transformer en foyer pour notre
future grande famille. Nous avions commencé la rénovation mais le
destin en a décidé autrement. Je l’ai condamnée et fermée, il y dixhuit ans et depuis, personne n'y est entré.
- Tu es sûr papa, de vouloir la rouvrir ? Je ne veux pas que tu
en souffres, murmura Lila.
- Il y a bien longtemps ! Si elle peut faire le bonheur de mes
enfants, je n’ai aucune hésitation et je sais que ta maman, Princesse,
serait de mon avis. Paddy connaît les débuts de cette maison.
- C’est la première maison du Domaine. Elle a servi de
bureau et de chambre pour ta maman, Lila. Moi, j’étais à coté, dans
deux boxes transformés en pièces à vivre. Les bénévoles ont
réhabilité le Domaine en priorité et ta maman, Princesse, souhaitait
garder la maison et la remettre en état plus tard. L’argent passait en
priorité dans l’achat des chevaux, les constructions d’abris, la
nourriture… Elle a fait construire la petite maison, celle où vous
103
vivez, elle était dans ses moyens et ne devait être que provisoire.
Les jeunes étaient arrivés et Matt s’empressa de leur relater la
proposition du Général et de Paddy. A leur tour, ils visitèrent la
maison et approuvèrent de suite. Ils étaient très contents et décidèrent
sur-le-champ des nouvelles règles à appliquer. Les horaires, ce
seraient ceux des bureaux mais élastiques. De huit où neuf heures du
matin pour terminer au maximum dix-neuf heures. Pas plus de huit
ou neuf heures de travail par jour. Il y aurait toujours moyen de
s’arranger. Ainsi, quand l’un serait en entreprise, il gérerait son
temps à sa façon. Matt verrait en fonction de sa vie de famille. Le
week-end serait libre. Chacun s’occuperait de ses affaires, de sa vie
et il n’était plus question de travail en fin de semaine.
Pour les repas, un coin cuisine pourrait être créé avec le minimum,
un micro-ondes pour réchauffer des plats, une cafetière…
Le Général n'acceptait pas de loyer. Les jeunes insistèrent, ils
voulaient se débrouiller seuls, et se prouver qu’ils pouvaient réussir.
Il proposa de leur laisser les deux premiers mois, ensuite ils
trouveraient un arrangement pour un loyer modeste. Pour l’eau et
l'électricité, il n’était pas question de rajouter un compteur, le général
ferait une estimation, suivant l’augmentation des propres factures du
Domaine.
C’est ainsi que le week-end suivant, ils s’attelèrent à la tâche.
La journée du samedi et toute la matinée du dimanche, les quatre
jeunes les passèrent à laver, nettoyer, lessiver les murs et les sols.
Une bonne couche de peinture claire terminerait leur travail et
rendrait la vieille maison comme neuve.
Une pièce serait réservée à la cuisine, à la détente. L’autre
servirait de bureau. Ils y installeraient, quatre tables, trois pour leurs
ordis, la quatrième pour le scanner, l’imprimante. Le long du mur, un
classeur pour les archives papiers et les ramettes.
Paddy et le Général s’occupèrent des boiseries, les volets, la
porte et les fenêtres. Ils ponçaient, décapaient et leur donnaient une
seconde jeunesse. Les jumeaux avaient été mis à contribution et
s’occupaient des branchements et raccordement d’eau dans la future
cuisine. Ils installèrent des toilettes dans le cagibi, puis attaquèrent
l’électricité et les prises de courant.
Lila, pendant ce week-end, prépara le repas pour tout le
monde. Le dimanche, un grand barbecue sous la tonnelle réunirait
104
tous les travailleurs. L’après-midi avait été déclaré chômé.
Pendant ce temps, son fils se promenait autour d’elle avec
Noisette et les chiens. Un gros gâteau au chocolat refroidissait, bien à
l’abri des voleurs.
Quand tout fut prêt, elle appela son petit Prince et ils partirent
rejoindre les apprentis bricoleurs. Mattis n’avait plus besoin d’aide
pour tenir sa ponette. Il se débrouillait très bien et la menait là où il
le désirait. Disons, elle le menait du bureau à la maison et de la
maison au bureau.
L’enfant héla ses papys. Il voulut accélérer l’allure mais Noisette
conserva son pas lent et tranquille. Lila attrapa la bride et partit au
petit trot, pour le plus grand plaisir de son fils. Il cria dès qu’il
aperçut son papa par la fenêtre. Il attendit qu’il s’approche et debout
sur Noisette, maintenu par sa maman, il lui sauta dans les bras.
Matt se pressa d’embrasser la mère et l’enfant. Il était
heureux, entouré des deux cotés, son fils sur un bras et sa Lila
enlacée, dans l’autre. Elle fut invitée à admirer leur travail et il lui fit
visiter la vieille maison, tout en expliquant les différents
aménagements prévus. Elle espérait que les promesses seraient
tenues et que la famille se retrouverait. Ils vivaient sous le même toit
mais ne partageaient plus rien et elle le regrettait.
Après une toilette sommaire, ils arrivèrent affamés prêt à tout
dévorer. Le barbecue, la spécialité du Général, n’attendait qu’eux. Le
repas fut décontracté et ils firent honneur aux grillades, saucisses,
côtes et brochettes accompagnées de pommes de terre.
Le fameux gâteau au chocolat fut très apprécié. Matt
réprimandé, fut attaqué de toute part et accablé de reproches. Il
s’était rendu coupable d’un véritable sacrilège en laissant Trio et son
fils dévorer un aussi bon dessert.
Pendant le café, les jeunes se détendirent. De grandioses
projets prirent naissance sous la tonnelle. La notoriété ne se ferait
plus attendre et les pièces d’or, les écus, les dollars, les €uros ; toutes
les monnaies seraient acceptées et dégringoleraient à seau, sur leur
tête. L’avenir était assuré et la fortune n’attendait qu’eux. Les rires
éclataient de toutes parts. Chacun y allait de bon cœur, dépensait
l’argent qu’il n’avait pas et achetait Porsche, Ferrari, tableau de
Maîtres, Picasso, Dally, château en Espagne, aux Baléares…
Mattis participait activement à la conversation. Il riait, comme les
105
grands, et applaudissait, visiblement très intéressé par tous ces
projets d’avenir. A deux ans et demi, une Ferrari rouge dans la cour,
pourquoi pas.
Le repas avait été suivi d’une sieste collective. Les jeunes
s’étaient étendus sur la pelouse pour décompresser et s’étaient
endormis.
Les papys étaient repartis au travail amusés par leurs
grandioses projets.
La famille avait rejoint son cocon. Ils s’étaient allongés sur le
petit lit, bien serrés l’un contre l’autre. Leur fils confortablement
installé entre les deux et occupé à téter. Ils parlaient de leur avenir.
Celui de Lila se résumait à peu de chose et restait bien concret :
- Je n’ai pas envie de Ferrari ni de château en Espagne. J’ai
tout ce que je désire. Ma vie, c’est toi mon Matti chéri, notre petit
amour et nos papas. Je trouve merveilleux d’être entourée de ceux
que l’on aime.
- Je suis d’accord avec toi, mon amour. Mais moi, je demande
encore plus. J’ai un rêve, un magnifique rêve mais il doit attendre un
peu.
- C’est un secret ou tu peux me le dire ?
- Un secret non ! Un vœu oui ! Il doit attendre un peu car
j’aimerais gagner ma vie et pourvoir au besoin de ma famille.
Ensuite, je te poserai la question qui fera de moi le plus heureux des
hommes. Tu comprends ce que je veux te dire ? Tu veux bien
attendre un peu ?
- Tu parles de mariage ?
- Oui, de notre mariage. Tu serais d’accord ?
- Quand tu poseras ta question, tu auras ta réponse, murmura
Lila radieuse.
- J’ai le droit à un indice ?
- Un indice contre un bisou.
Matt paya, paya et paya encore pour son indice.
- Pour ce prix là, tu en mérites un géant, mon amour. Tu es
mon prince charmant. Je t’aime à la folie, toi, l'amour de ma vie.
- C’est le plus bel indice jamais donné. Je continue avec mes
rêves sinon je vais remettre notre petit ange dans son lit et te prouver
mon amour sur le champ.
- Je ne dis pas non ! J’aime faire l’amour avec toi.
106
- Tu me troubles et me déstabilises mon amour. Mon second
vœu va te plaire, il se prête très bien à ce que tu aimes. J’aimerais
que notre amour se concrétise par une petite sœur pour Mattis, un
second bébé, une petite Princesse, une petite Lila, belle comme sa
maman. J’aimerais partager cette expérience avec toi, voir ton ventre
s’arrondir… Je suis sûr que tu es la plus belle des mamans avec un
petit dans ton ventre.
- Si tu savais comme tu me rends heureuse. Ton programme
est magnifique. Je rêve de te donner un autre enfant. Nous vivrons
cette merveilleuse expérience, ensemble. J’ai tellement regretté que
tu ne sois pas là pour ton fils. Je crois que donner la vie à un enfant,
il n’y a rien de plus beau, pour des parents.
- J’y ai souvent pensé et je l’ai regretté, moi aussi. Comme
disent les papas, ce qui est fait est fait, ne regardons pas en arrière. Je
ne perdrai pas un instant avec notre petite fille. Elle sera aussi réussie
que notre Mattis. Avec une maman telle que toi, il ne peut en être
autrement.
- Merci mais le papa y est pour beaucoup. Tu es bien sûr de
toi pour la petite fille. Il se pourrait que ce soit un petit garçon. Tu
serais déçu ?
- Pas du tout ! Nous recommencerions encore et encore. C’est
une occupation très agréable et elle me plaît énormément. C’est pour
la bonne cause, pour la création de notre famille, c’est l’œuvre de
notre vie.
- Si c’est pour la bonne cause, la création de la famille, je me
dois de participer avec courage et brio.
- Ce n’est que dans ce but. Je te propose de commencer ce
soir. Nous ne savons pas fabriquer les petites filles, nous avons
besoin d’entraînement. Nous étions habitués à nous entraîner
ensemble dans tous les sports et exercices physiques ; les concours,
nous connaissons, nous avons ramené de nombreuses coupes et
trophées. Ce sera notre second trophée commun. Je commencerais
bien le concours tout de suite.
- Tu as toujours été un bon cavalier. Tu réussiras ce concours
avec brio. Nous réussirons ensemble. Après un entraînement intensif,
cela va de soi. Je pense qu’il n’y a rien de tel que la pratique.
Leurs doigts entrelacés se caressaient, leur regard ne se
quittait plus, leurs yeux pétillaient. Ces discussions fines et subtiles
107
leur avaient manqué. Ils s’étaient tus, rêveurs, savourant le plaisir
retrouvé.
Dès que les jeunes emménagèrent dans la vieille maison, tout
changea. Ils travaillaient toujours énormément mais leur organisation
fut positive pour tous. Ils étaient reposés et sereins. Les promesses
furent tenues. Matt retrouva sa Lila, son fils et les papas. Tous les
matins, Lila se réveillait dans ses bras. Ils prenaient leur premier café
ensemble. Les papys revenaient comme par le passé, partager leur
petit déjeuner.
Matt s’occupait de son petit Prince et rattrapait le temps
perdu. Lila vaquait à ses occupations. Ils se croisaient, par jeu, pour
le plaisir et profitaient de chaque occasion pour s’embrasser. Pour
neuf heures, ils prenaient le chemin du bureau pour Lila, de la vieille
maison pour Matt, Mattis se partageait entre les adultes. En fin
d'après midi, Matt montait El Diablo, Lila apprenait les rudiments de
l’équitation à leur fils. Une promenade à cheval les réunissait avant
de retrouver la maison.
La soirée se passait toujours en famille, puis les papys
rentraient. Le couple s’occupait puis venait l’histoire du "Petit Ours
Brun", la plus souvent réclamée, et le petit s’endormait, laissant ses
parents en tête-à-tête.
Les week-ends étaient magiques. Le samedi matin, c’était les
courses avec le passage à la boulangerie où les jeunes étaient
toujours attendus et fêtés par la brave femme. Le croissant, toujours
trois morceaux, était accompagné de trois sucreries, offertes pour le
plaisir.
Ils retrouvaient les papys au marché et bien sûr, le manège.
Mattis avait compris qu’il devait saisir la queue du petit singe, pour
avoir un second tour. Les jeunes taquinaient les papys ; bientôt, il
réclamerait le déjeuner au fast-food, comme ses parents le faisaient
avant lui. Les papys appréhendaient, déjeuner au Mac Do n’avait rien
d’une partie de plaisir. Manger avec les mains des petits pains de
viande, personne ne pouvait appeler ça un repas, c’était une hérésie.
Surtout quand le poulet rôti tout chaud, acheté sur le marché s’offrait
pour le déjeuner. Les jeunes riaient ; les papys s’y feraient et
céderaient comme toujours.
Après un détour, par le cimetière, ils rentraient à la maison.
L’après-midi, la petite famille sellait les chevaux Idole,
108
Horizon et le poney Noisette et partaient en promenade,
accompagnés des chiens. El Négro ne participait pas à ces joyeuses
sorties ; il était trop nerveux.
Le dimanche, Lila prévoyait le panier de pique-nique pour
toute la famille. Ils partaient à cheval et trouvaient un endroit calme
où passer l’après-midi. Les chevaux pâturaient et les chiens
sommeillaient à l’ombre. Paddy amenait sa canne à pêche et tentait
d’initier son petit-fils. Mais ce sport était beaucoup trop monotone et
ennuyeux. Attendre, en surveillant un bouchon dans l’eau, ne pas
s’approcher du bord, ne pas faire de bruit… trop contraignant et
insipide pour lui.
Le Général, un livre à la main s’instruisait ou se promenait les mains
dans le dos. Mattis marchait à ses cotés et essayait de le copier. Ce
n’était pas facile mais ça amusait les grands.
Les jeunes n’avaient besoin de rien. Ils se promenaient,
enlacés amoureusement ou s’étendaient sur l’herbe. Lila se reposait,
la tête sur l’estomac de Matt. Il s’appuyait sur un coude et caressait
le doux visage aimé. Sur le chemin du retour, Mattis s’endormait
dans les bras de son papa. Noisette suivait tranquillement.
La soirée achevait cette belle journée. L’enfant bien fatigué,
réclamait son lit. Il embrassait ses chers papys et se lovait dans les
bras de sa maman. L’histoire endormait rapidement le petit Prince.
CHAPITRE 10
Mattis allait fêter ses trois ans. Pour l’occasion, Lila
souhaitait organiser une petite fête et le soir, après l’histoire, elle en
109
parla à Matt. Il était d’accord mais auparavant il souhaitait lui parler.
Il était très sérieux et Lila se demanda, ce qui l’inquiétait.
- Je suis d’accord pour la fête de Mattis, ce n’est pas ça. J’ai
un petit cadeau pour mon amour, pour la femme que j’aime.
Matt lui offrit un très joli bracelet en or avec trois jolis
bijoux, un cœur, une maison, un bébé avec une toute petite couche
bleue.
- Les quatre petits anneaux vides sont réservés pour chaque
grande occasion de notre vie. Je t’offrirai le bijou adéquat en temps
voulu.
- Je te remercie, c’est un bracelet magnifique, murmura-t-elle
émue en l’embrassant.
- J’ai une autre petite broche, nous en avions parlé mais je ne
sais pas si tu vas accepter ?
Matt ouvrit sa main et Lila le regarda, muette.
- Ce sont des alliances. Je voudrais que tu deviennes ma
femme. Tu es l’amour de ma vie et le soleil de mon existence. Je
t’aime ma Lila ! Je t’aime depuis toujours et je voudrais lier nos vies
pour l’éternité.
Lila lui sauta au cou, les yeux pleins de larmes. Matt la serra
contre lui et l’embrassa amoureusement.
- Je t’aime tant, si tu savais comme je suis heureuse,
bredouilla-t-elle.
- Alors, dit-moi mon amour, tu acceptes ?
- Bien sûr, c’est mon rêve le plus cher.
- Je t’aime ma Lila, depuis si longtemps.
Il la regarda et lui caressa la joue. Il accrocha les deux petites
alliances entrelacées avant de la serrer dans ses bras.
- Il reste trois grandes occasions, pour toute une vie d’amour,
assura Matt.
- Tu as tenu ta promesse, pour la vie d’amour. Tu me l’as
offerte et plus encore, Mattis. Je suis comblée.
- Nous avons eu des hauts et des bas mais nous n’aurons plus
que des hauts, je te le promets. Tu as été patiente avec moi. Cela n’a
pas été toujours facile mais aujourd’hui, je peux subvenir au besoin
de ma famille adorée. J’en suis heureux mais pour être comblé, il me
manque ma femme, l’amour de ma vie. Celle qui a pris mon cœur, il
y a bien longtemps. Je t’aime mon amour et je voudrais que le
110
monde entier le sache.
- Je t’aime tant. Toi aussi, tu as pris mon cœur, il y bien des
années. Je serai très fière d’être ta femme, c’est mon vœu le plus
cher. Tu m’offres mon rêve.
- Dès demain, je demanderai aux papas s’ils sont d’accord et
nous fixerons une date. Mon rêve va se réaliser, nous serons unis
pour le meilleur. Nous sommes en septembre, je te propose le mois
prochain, octobre.
- Tu veux un mariage à la va-vite ?
- Non, je veux un joli mariage, avec toi en robe blanche et
moi en costume. Notre fils portera nos alliances et Paddy et le
Général nous conduiront à l’église. Nous inviterons les gens que
nous aimons et nous irons manger au restaurant et puis le soir, je te
ferai la petite sœur de notre fils. Après notre fille, je te ferai encore
plein de bébés et nous vivrons heureux pendant mille ans. Voilà, c’est
tout. Ah non ! Je t’aime à la folie, pour toute notre vie et plus encore.
Après cette projection dans l’avenir, les intentions de Matt
était claires.
- Tu as terminé ? Tu as tout prévu à ce que je vois. Je peux te
donner mon avis ou c’est inutile ? demanda Lila souriante.
- Je trouve mon programme génial, mais il est évident que ton
avis est important et ta présence, plus encore, lui murmura-t-il en
l'enlaçant et l’embrassant.
- C’est vrai qu’il est génial, tu as déjà pensé à tout. Je suis
d’accord sur tout, c’est rageant, je n’ai rien à ajouter ou à enlever.
J’aurais aimé trouver un petit quelque chose, mais rien ne vient. "Je
pense, tu fais ; tu penses, je fais" c’est agaçant parfois. Tu as lu dans
mes pensées. Il y a une chose qui ne pourra se faire, le mariage pour
le mois prochain, ce n’est pas possible, tu devras attendre un peu.
J’aimerais garder l’alliance de ta maman, j’y tiens, elle m’est
précieuse. Elle m’a réconfortée pendant notre période difficile. Je
pense qu’elle a veillé sur moi et m’a protégée.
- Je pensais la même chose, j’aime cette alliance, moi aussi.
Et je t’aime.
- Moi aussi, je t’aime, mon futur mari.
Matt l’embrassa et la serra très fort.
- Je dois t’avouer, que j’ai déjà acheté l’autre petite broche,
c’est la même que celle-ci, sauf que la couche est rose.
111
- Nous allons peut-être attendre un peu. Je ne voudrais pas
avoir un gros ventre pour notre mariage.
Je suis un homme très patient. Je te ferais remarquer que je
t’aime depuis vingt longues années. J’avais quatre ans quand je suis
tombé amoureux de toi. La plus belle petite Princesse du monde,
"Ma Lila chérie à moi tout seul." Je savais déjà que tu étais l’amour
de ma vie. Mon rêve devient réalité tu vas devenir ma femme, la plus
belle mariée du monde. Quant à moi, je serais l’homme le plus fier et
le plus heureux du monde. Je vais épouser la plus belle femme de
l’univers.
- J’aime mon "Ma i" depuis vingt ans, moi aussi, mon Prince,
mon seul et unique grand amour, l’amour de toute une vie.
Lila et Matt avaient préparé leur petite fête pour Mattis. Elle
avait rassemblé la famille, les jeunes et les jumeaux, Jim et John. La
tonnelle était décorée de grosses fleurs en papier crépon et de
ballons. Une jolie table était préparée avec nappe de fête et assiettes
en carton de Oui Oui, la coqueluche de l’enfant. Des fleurs naturelles
agrémentaient la table.
Mattis avait reçu de nombreux cadeaux. Ses parents avaient
acheté une grosse peluche Oui Oui, le Général un tricycle rouge, les
jeunes un gros tracteur jaune avec sa charrette et les jumeaux un
cheval à bascule. Paddy lui avait offert ses belles créations de petits
animaux de bois et une maisonnette à sa taille avec une porte, deux
fenêtres et ses volets. Il prenait un grand plaisir à entrer et sortir. Il se
cachait, ouvrait une fenêtre puis l’autre, heureux de montrer sa
frimousse. Il montra le cheval à bascule à Noisette. Elle commença
par grignoter sa crinière et Mattis mécontent la renvoya dans le pré.
Matt avait profité de l’occasion pour annoncer qu’il avait
demandé à sa Lila de l’épouser et qu’elle avait accepté. L’avis des
papas avait été sollicité et ils avaient consenti, le cœur joyeux, à
offrir la main de leur Princesse à leur cher fils. Ils reçurent les
félicitations de toutes parts. Les jumeaux n’étaient pas surpris, ils
s’aimaient depuis si longtemps… Val et Justin taquinèrent Lila :
- Tu es sûre de toi ? Tu devrais réfléchir. Matt va se
transformer en mari jaloux. Tu n’auras pas le droit de regarder un
beau garçon comme moi. Tu devras te contenter de lui et seulement
de lui, alors que moi… se flatta Val.
- Toi, toi, toi, et moi alors, j’ai un charme fou, je suis beau,
112
élégant, chic et si modeste ! Les filles craquent toutes, ma beauté,
mes qualités… De plus, je suis plus vieux, donc plus mature et plus
sérieux que Matt…
- Beaucoup plus vieux ? Tu parles, vingt et un jours ! Se
moqua Tacha.
- Vingt et un jours, c’est énorme ; ça compte dans la vie d’un
homme. Imagine ce qui peut se faire en vingt et un jours !
- Raconte !
- Euh ! Le poussin, un poussin naît en vingt et un jours, enfin
je crois. La lune a pratiquement terminé le tour de notre planète, oui
c’est cela, c’est vital pour notre planète !
- Pas si elle s’arrête à vingt et un jours !
- J'ai dit pratiquement ! Tu es jaloux, c’est tout.
- Ça suffit, bande de vantards, laissez donc Lila, vous ne la
méritez pas, elle est bien trop sérieuse pour vous. Quant à la
maturité, la modestie, le charme, bof ! Vous repasserez mes chers…
les découragea Tacha riante.
- Je n’ai aucun espoir alors ? Gémit Val.
- Toi non, c’est sûr ! Mais moi, il en reste un tout petit ?
Implora Justin.
- Vous êtes en retard de vingt ans, signala Lila amusée.
- Eh oui ! Mon cher amour a promis de m’épouser quand elle
avait deux ans, alors vous voyez, notre destin était scellé.
- Vos fiançailles ont duré une éternité et elle n’a jamais
changé d’avis ? Mince alors, c’est triste pour nous. J’espère que je
m’en remettrai. Tu n’as pas une sœur jumelle, Lila ?
Lila et Matt secouèrent la tête en signe de négation. Devant
l’air contrit des jeunes hommes, soit disant désespérés, ils éclatèrent
de rire. Le ton badin continua ; les jeunes étaient très heureux pour le
couple. Matt resplendissait et serrait sa Lila contre lui. Leurs yeux
pétillaient et ils respiraient le bonheur. Le petit Prince s’approcha,
tout content et crapahuta sur les genoux de sa maman qui deviendrait
bientôt, la femme de son papa.
Une réunion récapitula les projets du couple. Les intentions
de Matt furent acceptées mais très contrariées. Tout d’abord, la date,
il voulait se marier rapidement ; les papas lui firent remarquer qu’un
mariage l’hiver, c’est triste. De plus, cela demandait de la
préparation. Lila proposa, l’été prochain et les papas étaient d’accord
113
avec elle. Matt se rallia à l’opinion générale et juin fut retenu.
Concernant le petit mariage, le Général était déçu. Il était fier de ses
enfants et souhaitait inviter tous ses amis. Il sollicita l’aide de Paddy
qui confirma. Matt adhéra. Il épousait la plus belle femme du monde
et voulait le crier sur les toits. Le Général précisa qu’il se chargeait
des frais. Pour l’église, la restauration, la décoration, les tenues…
C’était son rôle…
- Pour la fête, pourquoi ne pas la faire au Domaine ? Le site
était superbe, l’été. Un traiteur pourrait s’occuper du repas, il
disposerait de la cuisine.
Tout était dit ou presque.
Matt prit la parole et demanda à Val et Justin s’ils avaient des
projets, pour le mois de juin. Dans le cas contraire, ils feraient de très
bons témoins. Lila se tourna vers Tacha et posa la même question.
Les trois témoins étaient tous désignés. Louanne serait sollicitée, par
la suite. Les jumeaux, acceptèrent avec joie de conduire les mariés.
Pour la tenue de Lila, Matt n’était pas concerné. Il n’aurait le
droit de l’admirer que lorsqu'elle entrerait dans l’église. La tradition
voulait que le futur marié ne voie pas la tenue de sa future épouse
avant la date fatidique. Ça portait malheur.
Lorsque la famille se retrouva seule, Matt regarda Lila et lui
fit signe de commencer. Ils se tournèrent vers Paddy :
- Nous en avons discuté tous les trois et nous souhaiterions
que tu prennes ta place, la place qui te revient. Tu es notre "papa"
depuis toujours… et nous aimerions, que tu sois là, comme papa…
Tu serais là comme papa… Enfin… Je crois que je m’embrouille.
Matti, tu veux bien m’aider ?
- C’est clair comme de l’eau de roche. Nous voudrions que tu
sois comme papa. Tu comprends ?
Ce qui semblait simple au jeune couple ressemblait à du
chinois pour Paddy. Le Général prit la parole et démêla cet
embrouillamini.
- Ce que nos enfants essaient de te dire, sans y parvenir, c’est
qu’ils souhaitent que tu aies le même rôle que moi. Accompagner
Matt ou Lila à la mairie, à l’église… Je t’avoue que je ne sais plus
comment se passe un mariage mais tu aurais les mêmes
responsabilités, bref, le même titre que moi. Etre leur papa pour ce
grand jour, comme tu l’as fait toute leur vie. Tu les as élevés,
114
éduqués et tu les aimes. Ce sont tes enfants à toi aussi et tu mérites
largement cet honneur. Ma Clara en aurait été heureuse.
La réponse de Paddy se fit attendre. Trop ému, pour parler, il
hocha simplement la tête avant de prendre les mains des enfants dans
les siennes et de les embrasser. Il les regarda puis se tourna vers son
vieil ami et hocha simplement la tête. Ses yeux brillaient de larmes.
Le grand jour était arrivé.
Matt avait été cantonné dans la petite maison du Général. Il
avait l’interdiction formelle de sortir de la maison. S’il apercevait
Lila dans sa robe de mariée avant l’église, les pires malédictions
tomberaient sur leur couple. Il était très élégant dans son costume
noir et sa chemise ivoire, agrémentée d’un nœud papillon. Il portait
un spencer à boutonnage croisé, sur un pantalon à pinces du même
ton. Un joli mouchoir de dentelle ornait la poche sur sa poitrine. Il
rongeait son frein, avec Val et Justin, les témoins du couple. Les
jeunes étaient tout aussi distingués et ressemblaient à d’élégants
dandys, dans leurs costumes trois pièces. Mattis jouait sur le tapis,
avec ses legos. Il était tout mignon, un peu guindé et pas très à l’aise
dans son petit costume. La jolie demoiselle d’honneur les avait
complimentés, avant de rejoindre Lila.
La Jolie mariée portait une robe en crêpe léger, d’un vert
pastel, toute brodée de perles et ornée d’un motif en paillettes. Le
décolleté en V restait très décent. Elle était cintrée à la taille et
s’évasait sur une base asymétrique, terminée par des volants. Ils
attendaient le feu vert des papas pour se rendre à l’église. Val les
conduirait dans sa voiture, toute décorée, pour l’occasion. C’était le
moment, ils devaient y aller.
Les papas se rendirent à la maison et découvrirent leur Lila.
Elle était resplendissante, une jeune mariée rayonnante et si belle !
Sereine, elle attendait calmement, assise sur une chaise. Le Général
était en admiration, elle ressemblait tellement à sa maman. Ses yeux
étaient humides et il toussota pour cacher son émotion. Paddy, tout
aussi remué, s’émerveilla en silence, incapable de proférer un son.
Lila tourna sur elle-même pour vérifier si tout allait bien. Elle
portait un bustier ivoire en satin fermé par un lacet de soie. Il était
constitué de baleines qui moulaient parfaitement sa taille fine et
agrémenté de dentelle au-dessus de la poitrine. Il tombait sur une
jupe longue et ample assortie, tout en dentelle transparente sur un
115
jupon de satin. Un grand voile de tulle bordé d’un ruban coordonné
lui couvrait les cheveux et tombait sur ses épaules. Des gants et des
escarpins de même ton et ornés de dentelle complétaient sa tenue.
Elle était magnifique dans la robe de mariée de sa maman.
Il y a quelques années, en triant des cartons, Lila l’avait retrouvée.
Elle avait demandé à son papa, l’honneur de la porter le jour de ses
noces. Il avait accepté avec joie. Il l’avait ressortie, il y avait à peu
près deux mois. L’essayage s’était avéré concluant. Une couturière
avait fait les quelques retouches nécessaires et elle lui allait
parfaitement bien. Elle portait de simples bijoux, le collier de Matt
de ses quinze ans et le bracelet en or, offert lors de la demande en
mariage.
Natacha, lui avait confirmé qu’elle devait porter des petites
choses, du neuf, du vieux, du bleu et d'emprunté. Elle rajouta le
mouchoir, ce n’est pas dans la règle, mais connaissant Lila, il était
indispensable. Pour le vieux, le Général apportait un collier de
pierres fines qu’il avait offert à son épouse et qu’il souhaitait que
Lila porte. Pour le neuf, Paddy lui offrit le mouchoir brodé, qui
ornait la pochette de son costume. Pour le bleu, Tacha dégota une
petite peluche, un schtroumf, dans le coffre à jouets de Mattis. Il fut
attaché au bouquet de fleurs. Pour "l'emprunté", Tacha lui proposa
sa jolie broche.
Tout était fin prêt. Lila récupéra son petit bouquet de fleurs. Il
était composé d’un lys, pour la grandeur et la pureté des sentiments,
entouré de trois roses blanches et de gardénias pour l’amour pur et la
sincérité. Tout autour des marguerites et des asters révélaient la
confiance et l’amour véritable.
Escortée de ses deux papas, Lila sortit de la maison et grimpa
dans la calèche conduite par les jumeaux. Elle avait été décorée de
fleurs et de rubans blancs. Lila prit place à coté de Tacha, ses deux
papas, sur la banquette en vis-à-vis.
Arrivés à l’église, le Général descendit et aida Lila à faire de même,
Paddy suivit et chacun prit le bras de leur Princesse. Ils remontèrent
l’allée centrale, jusqu’à la nef où Matt les attendait. Les deux
hommes confièrent leur fille à son futur mari puis rejoignirent Mattis
et Tacha.
La messe fut très belle et émouvante. Elle s'était poursuivie
avec une pensée pour tous ceux qui n’étaient plus là, ces personnes
116
décédées dans un terrible accident de voiture alors que Matt n'était
qu'un petit enfant, ses parents Quentin et Corinne, une enfant du pays
comme sa grand-mère Jeanne. Il n'oublia pas cette chère Nanny, son
arrière-grand-mère qui avait élevé Matt et Lila dans le respect et
l'amour. Lila n'avait pas été épargnée, elle non plus, sa maman Clara,
créatrice du Domaine, disparue elle aussi…
Quand le prêtre demanda "qui donne ses enfants…" deux
voix étouffées par l’émotion, répondirent "nous."
Lors de l’échange des vœux, Lila avaient murmuré un petit
"oui" timide et ému, celui de Matt était fort et assuré. Il avait soulevé
le voile pour l’embrasser et avait découvert son visage rayonnant et
tout mouillé. La pluie dans ses yeux était des larmes de bonheur. Il
avait sorti son mouchoir et discrètement lui avait essuyé les joues.
Les alliances des parents de Matt, furent bénies une seconde fois,
avant de retrouver les annulaires quittés le matin même.
C’était terminé, ils étaient mari et femme. Matt prit la main
de sa femme et ils descendirent l’allée, précédés par Mattis qui
parsemait le sol de pétales de roses.
La sortie de l’église se fit sous une haie d’honneur de
cavaliers, des membres du "Domaine de l’Ours." Ils étaient vêtus de
beaux costumes et devant eux, assise en amazone, de belles dames.
Les chevaux portaient des colliers de fleurs et restaient calmes
malgré l’agitation environnante. Les couples profitèrent de leur
hauteur pour noyer les jeunes mariés sous une pluie de grains de riz.
Le photographe, caméscope en bandoulière et appareil photos à la
main, mitraillait.
Les nouveaux mariés montèrent dans la calèche pour se
rendre à la mairie, suivis de tous les cavaliers et de leurs amis. Le
maire récapitula le passé des jeunes et affirma que tout village était
heureux de les voir unis par les liens du mariage. Il raconta quelques
petites anecdotes sur leur enfance et sur les exploits de "la Lila à
Matti" et "le Matti à Lila" connus de tous. Il était heureux pour eux et
le leur confirma de nouveau, lorsqu’ils signèrent le registre.
Matt profita du retour au Domaine, pour discuter avec Lila. Il
la complimenta sur sa beauté et lui confia qu’il vivait un rêve. Il ne
réalisait pas, c’était trop beau, trop fort, trop puissant. La personne
qu’il chérissait le plus au monde était devenue sienne, elle avait
accepté son amour. Lorsqu’elle remontait l’église, aux bras des
117
papas, il avait ressenti un tel choc, un tel bonheur, il se demandait s’il
ne rêvait pas. Il avait craint qu’elle ne se volatilise dans les airs, tel
l’ange éblouissant qu’elle était. Qu’un tel sentiment d’enchantement
puisse exister, le stupéfiait. Il avait eu envie de la serrer sur son cœur,
de l’embrasser là, devant le prêtre et tout le monde. Il avait eu peur
jusqu'au dernier moment, non qu'il doutait de l'amour de sa Lila,
mais… Il avait attendu sa réponse avait impatience, et elle avait
accepté, elle avait dit oui ! Il n’en revenait toujours pas. Elle est
devenue sa femme chérie et s'appelle "Madame." Il lui tenait la main
et lui baisa les doigts. Il regrettait de ne pouvoir l’embrasser mais les
témoins et la demoiselle d’honneur étaient juste sur le siège derrière
et papotaient à qui mieux-mieux.
Lila lui répondit qu’elle avait ressenti les mêmes émotions.
Dans l’église, elle s’était sentie bénie. Elle ne marchait pas mais
volait vers son Matti. Elle lui confirma que ce jour était le plus
magique de sa vie. Elle l’aimait tellement. Elle était unie à l’homme
qu’elle chérissait le plus au monde.
Pour les baisers, elle espérait qu’ils pourraient s’échapper et
rattraper tous ceux qu’ils avaient perdus. Elle les avait comptés et le
chiffre était très, très élevé.
Ils étaient arrivés et se pressèrent pour accueillir leurs invités. Ils se
donnaient la main rayonnant de bonheur. Les félicitations fusèrent.
Ils remerciaient tous leurs amis, les membres du Domaine de l’Ours
Brun et les quelques invités qui leur étaient inconnus.
Lorsque les bancs furent publiés à la mairie, tout le village
connut la nouvelle dans la journée. Le restaurateur avait alors
contacté le Général et s’était proposé pour le repas. Il avait repris
l’entreprise familiale au bord de la faillite. Depuis la création du
Domaine, les affaires se maintenaient. Sans les visiteurs et les
journées d’adoption, il savait que son commerce ne survivrait pas ;
personne ne passait plus au village. Il avait proposé ses services au
Général pour le remercier et lui avait promis un prix très correct. Le
Général avait accepté et le restaurateur s’était transformé en traiteur
pour l’occasion.
Dans le pré aux poulains, dix tables rondes nappées de papier
blanc accueilleraient douze convives. Dans la stabu, de grandes
tables blanches elles aussi, étaient recouvertes de toutes sortes de
mets. Les plats étaient préparés et décorés, bien au frais sur de la
118
glace pilée. Des tranches de saumon mayonnaise, de gigot, de rosbif
et aussi de charcuterie, crudités… attendaient les convives.
Des plateaux de fromages, des corbeilles de fruits, des petits fours et
des pâtisseries occupaient la troisième table.
Coté boisson des petits tonnelets de cidre, de vin rosé et de vin rouge
étaient prévus ainsi que les carafes et des bouteilles de jus de fruits et
d’eau. Plus loin, Paddy et le Général avaient préparé un immense
barbecue à même le sol. Un porc, deux moutons et des volailles,
embrochés, rôtissaient doucement. Des pommes de terre cuisaient
dans de grands chaudrons.
Pour les petits pains, les petits fours sucrés et salés, les pâtisseries et
la pièce montée, le savoir-faire de la boulangerie du village avait été
sollicité. La boulangère, flattée que les jeunes mariés pensent à elle
en ce si grand jour, leur promit une très belle surprise.
Quatre musiciens jouaient de vieilles chansons françaises en
sourdine. Paddy et le Général servaient l’apéritif aux convives.
Les jeunes mariés avaient retrouvé leur cher petit et tous les
trois passaient de groupe en groupe pour saluer tout le monde.
Le restaurateur donna le signal et tous s’installèrent autour
des tables. La famille au complet et les jeunes se réunirent. Ils
commencèrent à se servir pour montrer l’exemple et les invités
s’approchèrent des tables de victuailles. Les discussions allaient bon
train et tous semblaient contents. Les plats se vidaient à vu d’œil et
étaient remplis de nouveau par les serveurs.
La pièce montée, apportée précautionneusement par la
boulangère et son mari était immense et représentait le Domaine. Les
maisons et une stabu étaient représentées par des choux à la crème, le
pré et ses petits chevaux en chocolat, les barrières en fils de sucre,
des arbres en pâte d’amande colorés symbolisaient le petit bois…
Cinq petits personnages s’y promenaient, deux hommes, un couple
de jeunes mariés et un enfant. Tous applaudirent et les flashes
crépitèrent. Matt et Lila embrassèrent les boulangers et les
félicitèrent. Ils avaient réalisé une véritable œuvre d’art. A la fin du
repas, il n'en restait rien ; elle était aussi bonne, qu’elle était belle. Le
café suivit.
Puis le bal commença et la musique entraînante, invita les
convives à valser. Les mariés furent exhortés à ouvrir le bal.
Matt
se leva et tendit la main à sa timide Lila. Il l’enlaça et ils s’élancèrent
119
sur la piste improvisée, vite rejoints par bon nombre de danseurs.
Lila aimait danser avec lui, mais elle n’eut pas le loisir d’en profiter,
tous la voulaient pour cavalière. Après bon nombre de cavaliers, elle
se retrouva dans les bras du Général et en profita pour le remercier
de cette si belle journée. Il était heureux de son bonheur et la félicita
encore. Elle était radieuse, magnifique et il était très fier d’elle. Il
l’embrassa et l’assura de son amour. Elle était aussi belle que sa
maman le jour de leur propre mariage.
Matt dansait, lui aussi, avec toutes les invitées, Lila l’aperçu
avec Tacha, puis avec la boulangère. Elle dansait en discutant avec
lui et Lila s’en amusa.
Elle se reposait quelques minutes quand elle aperçut son cher
Paddy. Il devait danser avec elle, c’était une obligation. Elle l’attrapa
avant qu’il ne soit harponné par une autre danseuse. Toute souriante,
elle lui demanda de danser avec sa fille. Il accepta et l’emmena sur la
piste. Elle le remercia pour cette journée qui resterait inoubliable.
C’était magique et tout était parfait. Paddy lui répondit, qu’elle
méritait tout le bonheur qu’elle recevait. Elle et Matt le lui
apportaient depuis vingt ans. Il la complimenta, elle était très belle,
plus encore, rayonnante. Lila l’embrassa et lui témoigna son amour,
Paddy lui rendit son baiser. Sa fille de cœur était une beauté et il lui
souhaitait toute une vie d’amour.
Lila retrouva son mari assis à la table devant un café. Il lui
tendit sa tasse et ils se la partagèrent. Ensuite celle de Lila eut le droit
à la même punition. Lila souhaitait prendre des nouvelles de Mattis.
Il faisait la sieste à la maison, veillé par une jeune fille du village.
Matt l’accompagna, un petit tête-à-tête passerait inaperçu, et il avait
besoin de se retrouver un peu seul avec elle. Main dans la main, ils se
sauvèrent en catimini, riant de leur plaisanterie. Les héros du jour qui
disparaissaient ensemble, cela risquait de faire jaser ; ils ne s’en
inquiétaient pas, trop heureux de se retrouver.
Loin des regards inquisiteurs, ils s’embrassèrent
amoureusement et rejoignirent la maison. Les chiens, Trio et le vieux
Misère, leurs firent la fête, ennuyés d’être séparés de Paddy. Même
Fripon, le traînard qui passait son temps dans les prés, était cloîtré.
Belle somnolait sur son tapis dans la maison.
Le petit Prince dormait dans son lit, la jeune fille lisait
tranquillement. Ils lui tinrent compagnie un petit quart d’heure avant
120
de retrouver leurs invités. Dès que le petit serait éveillé, elle
l'amènerait et profiterait de la fête.
Vers vingt et une heures, chacun reprit sa place et se restaura.
Les plats se vidaient, les tonnelets aussi. Vers minuit, le traiteur
apporta la soupe à l’oignon, les croûtons et le fromage.
Le jour se levait quand les derniers convives quittèrent le
Domaine. Les jeunes et les invités du Domaine de "l’Ours Brun"
avaient intégré les petites maisons des stabus et les chambres dans la
maison d’accueil où tout avait été prévu. Certains avaient emmené
des toiles de tentes et campaient.
Le Général avait embrassé ses enfants et disparu sitôt après la
soupe à l’oignon. Il avait couché Mattis dans la petite maison. Paddy
l’avait suivi et avait récupéré Trio et Misère.
Matt et Lila rejoignirent leur maison. Matt souleva sa Lila
pour franchir le seuil de leur cocon. Ils étaient bien fatigués mais
aussi très énervés par cette belle journée. Matt prépara un café avant
d’aider Lila à se dévêtir de sa belle tenue. Elle se fit couler un bain,
pour se détendre et se serait endormie si son cher mari ne l’en avait
sortie. Il prit une douche rapide et la rejoignit à table. Il lui massait
les épaules raides et douloureuses. Torse nu devant lui, le peignoir
descendu sur les hanches, elle offrait un très joli spectacle à son mari.
Il en profita pour caresser les petits seins blancs. Elle frictionna, à
son tour, les épaules contractées de Matt et laissa glisser le peignoir.
Elle le taquina sur son ventre à l’air, c’était une vraie provocation ; et
elle était incapable de résister. Elle perdait tout contrôle et ses mains
agissaient toutes seules. Son ventre plat et dur était une vraie menace
pour ses sens. Elle abandonna les épaules et laissa ses mains errer sur
le torse et le ventre provocant. Matt lui fit remarquer que coté
provoc, elle n’était pas en reste. Dévêtue à demi comme elle était, ses
jolis petits seins à l’air, il eut fallu être un moine pour ne pas être
tenté. Elle était splendide, une vraie naïade, une nymphe. Il se tu et
laissa ses mains caressantes se promener sur le corps de sa déesse. Il
l’emmena dans la chambre et lui fit remarquer qu’ils leur restaient
une obligation à accomplir, le devoir conjugal. Il n’oublia pas la
broche rose du bracelet qui attendait dans la table de nuit. Un devoir
qui se révélait être une occupation très intéressante à accomplir.
Vers treize heures, un petit garnement hélait ses parents dans
la cour de la maison. Les jeunes sortirent difficilement du sommeil et
121
se décidèrent à se lever. Ils accueillirent le Général et leur fils, en
peignoir, sur le seuil de la maison.
L’enfant s’élança dans les
bras de sa maman et commença à raconter :
- J’ai fait tout le ménage dans le pré aux poulains. J’ai
travaillé beaucoup et tout est propre partout. Les chiens, ils ont
mangé plein de bonnes choses et moi, moi, j’ai très faim mais papy a
dit qu’il fallait attendre les mariés. J’ai demandé à papy, c’est encore
la grande fête aujourd’hui ? Papy a dit, que c’était une petite fête et
qu'on mangeait encore dans le pré aux poulains. Alors, on est venu
vous chercher pour manger toutes les bonnes choses. Papy est avec
les dames et les messieurs et il attend papa et maman. Alors papy et
moi on est venus vous chercher. Voilà !
- C’est très bien mon petit garçon d’amour, tu as très bien
travaillé. Je crois qu’un gros bisou me ferait un grand plaisir et à
papa aussi.
L’enfant embrassa sa maman d’amour et fit de même pour son papa
d’amour.
- Bonjour mes chers enfants. Je l’ai fait patienter le plus
longtemps possible mais il commençait à avoir faim. Il reste une
vingtaine de personnes, elles nous ont aidés à tout remettre en état et
je leur ai proposé de rester. Nous ne voulions pas passer à table, sans
vous.
Le couple se doucha et s’habilla rapidement et, après un café
corsé ils se sentaient frais et dispos pour rejoindre les invités.
Ils furent accueillis par des "Enfin ! Les voilà…" et des
plaisanteries quelques peu osées et guillerettes sur la très longue nuit
de noces. La date resterait marquée à l’encre rouge et dans neuf
mois, ils vérifieraient si Matt avait bien travaillé. Le mois de mars
serait très, très surveillé.
Lila rougissante serrait la main de Matt. Il l’embrassa ce qui en
rajouta à son émotion. Complices et heureux, ils saluèrent les invités
avant de s’installer à table avec les papys et Mattis.
Vers dix-neuf heures, la famille se retrouva à la maison. La fête était
terminée et les invités étaient rentrés chez eux.
Lila et Matt étaient mari et femme pour le meilleur.
122
CHAPITRE 11
La vie continua et le fait d’être marié ne changea pas grand chose
pour le couple. Septembre arriva et avec lui, la rentrée scolaire. Matt
et Lila accompagnaient Mattis, pour sa première matinée. Lila
embrassa son petit et le confia à la maîtresse.
Elle l’emmena, souriant, vers la classe des maternelles. Il se retourna
et secoua sa petite main pour dire au revoir à ses parents. Sa maman
avait le cœur bien lourd ; elle avait le sentiment de l’abandonner.
Matt lui avoua qu’il n’était pas très gai lui non plus mais Mattis avait
quatre ans, il serait heureux de s’amuser avec des enfants de son âge.
Lila lui fit remarquer qu’ils avaient eu la chance d’être tous les deux.
Elle n’aurait pas aimé l’école si son "Ma ï" n’avait pas été près
d’elle. Il l'a soutenue, protégée et s’est occupé d’elle jour après jour.
Tandis que leur petit Mattis était seul. Matt savait qu’il n’aurait pas
gain de cause. Lila, en maman attentionnée, ne souhaitait que le
meilleur pour leur petit. Dans l’immédiat, l’école n’en faisait pas
partie.
La matinée fut difficile. Elle surveillait l’heure et attendait,
impatiente. Dès midi, ils l’avaient récupéré à l’école. L’enfant était
content de rentrer.
- C’est bien l’école mais c’est long sans maman et papa. Je
préfère la maison. J’ai un copain, c’est Paul. J’ai joué et la maîtresse
est gentille et elle jolie mais pas comme maman. Elle a grondé un
123
grand. Il était méchant et il a fait tomber moi alors il est allé au coin.
Il n’y avait pas le sablier, il est resté très, très longtemps. Moi je n’ai
pas été puni, je suis sage. Maintenant je vais rester avec maman et
papa et les papys et les chiens et Noisette, c’est mieux.
Après cette tirade très éloquente, Lila et Matt sourirent et ne
contrarièrent pas l’enfant. Matt savait déjà, que le lendemain, Lila
garderait son petit avec elle et attendrait quelques jours avant de le
renvoyer à l’école ; à moins qu’il ne le demande lui-même mais il
n’y croyait pas trop.
- Il est gentil, ton copain Paul ? S’informa Lila.
- Oui il est gentil, il sait où sont les livres et il m’a montré.
J’ai fait un dessin mais il n'est pas beau, Paul voulait pas me donner
crayons jolis.
- Les jolis crayons, on dit les jolis crayons. Je suis sûre que
ton dessin est très joli. Je l’accrocherai dans la salle.
- Il est resté à l’école, soupira Mattis déçu.
- Tu le ramèneras dans quelques jours ! proposa son papa.
- Dans longtemps, alors !
La voiture était arrivée au Domaine et Matt se dirigea vers la
vieille maison, pour s’assurer que tout allait bien. Mattis voulait
raconter sa première journée d’école aux papys.
L’ambiance, pendant le repas, fut bonne enfant. Mattis prit la parole
et expliqua en long, en large et en travers, pourquoi l’école n’était
pas un lieu adapté, à sa petite personne.
Lila avait arrêté de monter les chevaux. Le Général et Paddy
soupçonnaient une surprise mais ils se taisaient. Elle était souvent
lasse et pâle et Matt le remarqua. Elle lui assura qu’elle avait pris
froid. Il ne posa pas d’autre question et lui conseilla de se reposer. Il
fit part de ses observations aux papas, qui sourirent mystérieusement.
Mattis, tous les soirs, allait chercher son papa dans la vieille maison.
Sa maman lui avait donné une boite pour son papa et il se pressait
vers son bureau. Il montait sa nouvelle ponette, une Noisette numéro
deux, nouvellement arrivée au Domaine.
Misère n’était plus. Il s’était endormi et jamais réveillé. Le
cher poney, Châtaigne, l’avait suivi de peu, il avait du être endormi
par le Général. Lila l’avait trouvé, un matin, couché dans le pré et
incapable de se lever. Il était paralysé. Matt et Lila en avaient eu un
grand chagrin. Le poney faisait partie de la famille depuis si
124
longtemps, mais l’âge était là, il avait environ vingt-cinq ans. Mattis
ne comprit pas pourquoi Châtaigne et Misère n’étaient plus là. Il
échappa à son papy et tous partirent à sa recherche, fouillant les
stabus, le bois, les prés… Lila était effondrée et s’attendait au pire, le
Général se reprochait son manque d’attention. Matt le retrouva dans
la stabu des éclopés, l’enfant lui expliqua qu’il cherchait Misère et
Châtaigne.
Quand La cloche sonna pour annoncer la bonne nouvelle, ils se
précipitèrent autour de l’enfant. Il n’avait pas compris les
explications de sa maman. Elle lui avait expliqué qu’ils étaient partis
pour un long voyage. L’enfant voulait les ramener à la maison. Lila
lui raconta qu’ils étaient devenus des étoiles qui brillaient dans le ciel
toutes les nuits. Elle les lui montra, il se calma et ne les chercha plus.
Depuis ce jour, Lila s’était souciée pour Noisette, elle était aussi âgée
que châtaigne et Mattis l’aimait tellement… le Général décida
d’acheter un poney. Mattis créerait de nouveaux liens avec lui, il s’en
occuperait et ainsi oublierait un peu sa Noisette. Ce fut fait, mais
Mattis n’oublia jamais d’aller câliner sa chère Noisette et lui raconter
ses soucis scolaires.
Il était arrivé devant la vieille maison. Il arrêta sa nouvelle
ponette et l’attacha à un poteau installé par Paddy. Elle n’avait pas
encore compris qu’elle devait attendre son retour et rentrait
directement au pré, d’où l’attache. C’était une Noisette numéro deux,
shetland de même robe. Elle était obéissante et le petit garçon la
menait là où il le souhaitait. Mattis rentra, sa précieuse boite dans la
main. Il embrassa les trois jeunes et se dirigea vers son papa. Après
de gros câlins, il lui tendit la boite.
- Maman a donné un cadeau pour toi.
- Un cadeau ? Qu’est ce que c’est ? Tu le sais, toi ?
Non, maman a dit, c’est un cadeau pour papa. C’est quoi ?
S’impatienta son fils.
Matt s’attendait à une décoration, un collage ou un dessin de
Mattis. Poussé par son fils, il l’ouvrit. Des petits chaussons blancs
reposaient sur un papier de soie. Il attrapa son fils et oubliant la
ponette, courut jusqu’à la maison. Lila terminait la préparation du
repas quand la porte s’ouvrit à toute volée sur ses hommes. Matt
tenait toujours la boite dans la main et enlaça Lila en riant.
- Un bébé ! Nous allons avoir un bébé ! Nous allons avoir un
125
bébé. Un autre bébé, je vais être papa pour la seconde fois !
Du portillon, le Général et Paddy entendaient Matt proclamer
la grande nouvelle. Ils arrivèrent en souriant. Matt n’arrêtait pas de
répéter la même phrase et faisait tournoyer Lila et son fils comme
une toupie. Quand il fut plus calme, il annonça aux papas, qu’ils
allaient être papys.
- C’est effectivement ce que nous avions cru comprendre. Le
coup de froid de Lila, nous avait mis sur la piste.
- Vous le saviez ?
- Nous avions des doutes. Lila n’est jamais malade, elle a
arrêté les débourrages, elle est fatiguée... Vous parliez d’avoir un
autre bébé, nous avons fait preuve de logique.
- Je suis si content, un autre bébé. Tu te rends compte
Mattis ? Tu vas avoir un petit frère ou une petite sœur. C’est génial !
Parents pour la seconde fois. Tu es géniale, ma Lila, tu vas te reposer
maintenant. Il ne faut pas que tu te fatigues. Notre bébé, un autre
bébé, bon sang, que je suis heureux. Je suis fou de te faire tourner
ainsi, de vous faire tourner ainsi ! Un bébé, nous allons avoir un bébé
! Ma femme, tu es merveilleuse, termina-t-il en embrassant sa Lila
qu’il tenait toujours dans ses bras.
- Tu as fini, je peux parler ? Bien ! Tu fais une erreur mon
amour, lui assura Lila souriante.
- Comment ? Tu n’attends pas un bébé ? Mais ! Les
chaussons ?
- Justement, regarde bien.
Matt et les papys étaient surpris, Lila ne pouvait leur faire
une plaisanterie d'aussi mauvais goût. Matt rouvrit la boite et sortit
les petits chaussons blancs. Il y en avait quatre. Il la regarda :
- Quatre ? Pourquoi quatre ?
- Cela me paraît pourtant simple, deux paires soit quatre
chaussons pour quatre petons.
Matt n’osait croire ce qu’il entendait. Le Général et Paddy
sourirent, leur Lila attendait des jumeaux.
- Des jumeaux, c’est bien cela ? Nous allons avoir des
jumeaux, deux bébés d’un coup ? S’exclama-t-il en retrouvant la
parole.
- C’est exactement cela, deux bébés. Les naissances sont
prévues pour début mars. Je crois que certains vont jaser concernant
126
la nuit de noces…
Ce fut la fête, le repas fut joyeux et de nombreux projets
furent planifiés passant de l’agrandissement de la maison à l’achat de
lits jumeaux, poussette, une seconde chaise haute…
Mattis était inquiet. Lila s’en aperçu et quand ils furent seuls
tous les deux, elle demanda à son ange ce qui l’ennuyait. Il se réfugia
dans ses bras et elle prit place sur le rocking-chair, l’enfant tout
contre elle.
- Si tu as d’autres bébés, moi je fais quoi ?
- Toi, tu ne fais rien. Tu restes mon bébé d’amour, mon petit
Prince.
- Oui mais, si tu as d’autres bébés, moi je serai quoi ?
Pourquoi tu veux des bébés tout neufs ? Je suis plus un bébé, c’est ça
? Et toi, tu veux des bébés neufs.
- C’est vrai, je voulais un autre bébé. Papa et moi, nous
voulons une grande famille. C’est notre rêve, une belle et grande
famille avec trois ou quatre enfants. Nous avons notre petit Prince et
deux bébés vont arriver. Nous sommes très contents.
- Vous êtes contents, pas moi. Vous m’aimerez plus.
- Tu te trompes, ce n’est pas parce que nous aurons les autres
bébés que nous oublierons notre Mattis chéri, nous t’aimerons
toujours. Tu seras toujours notre amour, notre bébé et notre petit
garçon.
- Je veux pas des nouveaux bébés, je veux rester ton bébé,
tout seul.
- Avec les bébés, tu auras de la compagnie. Vous jouerez,
vous ferez du poney et plein de choses amusantes.
- Non, j’en veux pas. Je serai plus "ton amour pour toute la
vie entière" ton petit Prince, ton bébé d’amour.
- Ça, c'est une chose qui ne changera jamais. Tu seras
toujours mon amour pour toute la vie entière. Tu aimes bien ta
nouvelle ponette, n’est ce pas ?
- Oui, elle est gentille.
- Tu aimes toujours Noisette ?
- Oh oui ! J’aime Noisette, c’est mon amie. J’aime bien la
nouvelle mais Noisette ! Ben c’est Noisette !
- Avec les nouveaux bébés, ce sera pareil. Je continuerai à
t’aimer toujours, toujours ; comme toi avec Noisette. Tu sais, on peut
127
aimer plein de personnes à la fois. Moi, j’aime papa, je t’aime et
j’aime tes papys. Je ne sais pas qui j’aime le plus. Je vous aime tous,
vous êtes tous les quatre dans mon cœur. Quand les bébés seront là,
je les aimerai et je vous aimerai toujours. Ça ne changera pas du tout.
- Moi aussi je t’aime et j’aime papa et les papys. Je crois que
je vais aimer les bébés mais je suis pas sûr. Tu crois qu’ils
m’aimeront ? Peut-être qu’ils m’aimeront pas ?
- Je sais qu’ils t’aimeront. Tu es un amour d’enfant. Tu seras
LE grand frère, c’est important. Tu leur montreras plein de choses.
Tu leur apprendras tout ce que tu sais. Tu les protégeras, tu
t’amuseras et tu seras très heureux, d’avoir des petits frères ou petites
sœurs.
Tu sais quand papa était petit comme toi, il était tout seul avec sa
Nanny. Moi, j’étais toute seule avec les papys. Quand ton papa et sa
Nanny sont venus habiter au Domaine, ton papa était très heureux
d’avoir une petite sœur et moi j’étais très heureuse d’avoir un grand
frère. Il m’a protégée et appris tout ce qu’il savait. Nous, nous
aimions très, très fort et notre amour n’a fait que grandir. Chaque
jour passé ensemble a été merveilleux et cela continue toujours. Tu
vois, on ne s’est jamais quittés et on ne se quittera jamais.
Je suis sûre que les bébés t’apporteront autant de bonheur que ton
papa et moi enfant. Quant à toi, tu resteras toujours mon bébé
d’amour.
Mattis rassuré attendit les bébés avec autant d’impatience que
ses parents.
Une semaine plus tard, il retourna chercher son dessin et
s’aperçut que l’école, ce n’était pas si mal que cela. Tous les midis,
Paddy allait le chercher. Ils passaient par la boulangerie et
ramenaient le pain et un croissant pour trois et quelques friandises.
Pendant ce temps, au Domaine, la vie ne s’arrêtait. Un weekend d’adoption était prévu et Lila avait beaucoup de travail au
bureau. Le téléphone n’arrêtait pas et les chevaux réservés étaient
nombreux. Sur les cent vingt-huit animaux, cinquante-quatre
devraient partir ainsi que deux ânes. Ceux-ci récupérés chez un
maquignon et proposés lors de trois précédents week-ends
d’adoption n’avaient pas trouvé preneur ; enfin, ils venaient de
trouver une maison commune.
Lila avait mis les dossiers des animaux de coté et attendait
128
confirmation visuelle de la part des adoptants. Ils avaient deux
semaines pour se manifester, entériner leur choix et signer le contrat
d’adoption. Dans le même temps, elle avait de gros soucis, un train
de soixante-trois animaux attendait dans une gare. La personne qui
devait réceptionner les animaux ne s’était pas présentée et les
wagons restaient sur un quai. Un des bénévoles du Domaine avait
fait acheminer du foin et de la paille et la SNCF fournissait l’eau.
Mais il fallait agir vite, les animaux étaient en souffrance ; ils
arrivaient des pays de l'Est via la Belgique, probablement. Le
négociateur du Domaine les avait rachetés à la SNCF ; elle ne
pouvait faire un retour à l’envoyeur et ne savait qu’en faire.
Le Domaine de l’Ours Brun était complet, il venait de recevoir un
convoi de camions mais acceptait tout au plus vingt animaux.
Lila appela Paddy, le Général et les jumeaux. Ils arrivèrent
avec les stagiaires de l'école d'agriculture. Il fallait trouver une
solution. Si le convoi était accepté, le Domaine se retrouverait avec
cent quatre-vingt-onze animaux, c’était un nombre jamais atteint.
Une moyenne de cinquante chevaux par stabu, c’était beaucoup trop
surtout à l’approche de l’hiver. Mais comment laisser ces chevaux
dans les wagons ?
Les hommes furent catégoriques, il fallait les accepter, après
on verrait. Dans quinze jours, le week-end d’adoption viderait un peu
le Domaine. Octobre n’était pas un bon mois pour adopter mais avec
de l’aide, une centaine d’animaux partirait. Il fallait frapper fort et
lancer un SOS sur Internet et dans les journaux, pour recevoir un
maximum d’adoptants. Le convoi belge serait peut-être en état pour
être proposé à l’adoption, un peu d’optimisme ne pouvait pas nuire.
Paddy suggéra d’attendre leur arrivée avant de faire des
projets sur la comète. Le convoi belge pouvait amener des chevaux
de l’Est, cela c’était vu et c’était synonyme de catastrophe. Les
jumeaux confirmèrent, il était difficile de faire des prévisions sur un
convoi. Le négociateur n’avait aucune idée de leur état.
Lila appela l’école vétérinaire, les vétérinaires répondirent
présent. Les hommes retournèrent au travail, les parcs de tri devaient
être préparés.
Le convoi arriva le lendemain matin. Chaque wagon fut
ouvert l’un après l’autre. Les jumeaux descendaient les chevaux dans
le pré de l’infirmerie. Paddy et le Général les examinaient
129
grossièrement avant de les parquer dans l'enclos. Puis un autre
wagon était vidé et ainsi de suite. Les soixante-quatre animaux et non
soixante-trois se trouvèrent entassés dans l’enclos. Maintenant, il
fallait les trier. Matt était arrivé pour les aider, son fils était resté avec
les jeunes.
Lila ne s’approchait pas des animaux, ses hommes ne le
souhaitaient pas. Elle devait protéger ses bébés. Un coup de sabot est
si vite arrivé. Pour le tri, elle se contenterait d’ouvrir la barrière au
fur et à mesure de l'avancée des animaux.
Les hommes eurent une surprise, le convoi ne contenait que
des juments. Elles étaient inquiètes, maigres et boiteuses pour la
plupart. Leurs membres étaient enflés, tremblants, leurs sabots dans
un état catastrophique. De nombreuses plaies purulentes s’étalaient
sur les flancs, des surinfections dues au frottement sur les séparations
des stalles, sans oublier la gale. Au vu de leur état déplorable, elles
seraient mises en quarantaine à l’infirmerie.
Le Général demanda à Lila de s’éloigner et de se désinfecter
les mains. Elle ne s’était pas approchée mais ne devait courir aucun
risque. Elle lui obéit et revint avec le bon de transport. Elle avait
compris et résuma la situation, ces pauvres bêtes étaient "des juments
médecines." Elles avaient été achetées, il y avait quatre semaines à
un laboratoire belge. Les deux stagiaires questionnèrent Lila. Celle-ci
leur expliqua :
- Nous les appelons des "juments médecines." Elles sont
utilisées pour fabriquer des sérums, antivenimeux, antitétaniques…
Pour ces juments, du venin leur est injecté par voie sous cutanée.
Chaque quinzaine ou une fois par mois, on leur prélève environ
quinze litres de sang, pour un cheval de cinq cents kilos. Ce sang est
riche en anticorps. Son précieux plasma permet de produire des antis
venins.
- Alors que font-elles ici ?
- Quand le tirage de sang devient insuffisant et, ou, sa qualité
et quantité diminuent, les laboratoires se débarrassent des animaux.
- La Belgique est monstrueuse. Heureusement que la France
n’agit pas ainsi.
- Erreur ! Les laboratoires français et les grands hôpitaux font
la même chose et les animaux sont remerciés de la même façon. Ils
ne s’en vantent pas, bien sûr ! Les animaux finissent à l’abattoir via
130
les maquignons. Tout est fait discrètement et de nuit, la honte
probablement.
- Je ne savais pas que de telles choses existaient !
- C’est fréquent, l’excuse des chercheurs permet de
nombreuses atrocités sur les animaux, chats, chiens, rats, lapins,
souris, singes… La recherche les utilise en masse et les jette, enfin,
les euthanasies dès qu’ils sont inutiles et recommence avec un lot
neuf. Pour un seul protocole de recherche, c'est un minimum de cent
animaux qui est testé. Les chevaux sont productifs à cent pour cent,
du début à la fin, ils terminent en steaks.
Nous avons déjà reçu des "juments médecines." Ces juments étaient
des poulinières. Elles étaient inséminées, non pour donner des
poulains mais pour les substances actives contenues dans leur urine.
Lorsqu'elles sont en gestation leur urine contient des concentrés
actifs très recherchés en médecine, en pharmacie et para pharmacie.
Ces actifs sont incorporés dans de nombreux produits de beauté.
- Beurk ! Et que deviennent les poulains ?
- C'est la gestation de la mère qui importe. Le poulain perd sa
valeur dès sa naissance. Il est laissé sous la mère pendant quatre à
cinq mois avant de prendre le chemin de l’abattoir. La mère,
inséminée de nouveau, redonne l’urine si précieuse et le cycle
recommence jusqu’à l’épuisement de la jument. Quand la jument ne
remplit plus, elle devient inutile et prend le chemin de l’abattoir. La
viande, la peau… rapportent de l’argent. Je vous laisse, Jim
m'appelle.
Les stagiaires rejoignirent le Général et Paddy en plein
travail.
- Regardez les membres des juments, votre cours sera très
instructif. Les membres sont tordus probablement dus à des poussées
d’arthrose. La dégénérescence du cartilage articulaire entraîne
l’inflammation de l’articulation. Celle-ci gonfle et des tares dures
apparaissent. Les pauvres bêtes souffrent le martyre.
- Vous pouvez les guérir ?
- Malheureusement, il n’y a aucun remède. Les traitements
palliatifs visent à limiter les douleurs. Leur état est du au manque
d’activité ; un cheval qui se déplacer limite le vieillissement du
cartilage. Ces juments restent dans des stalles pendant toute leur vie.
Elles y sont attachées et ne peuvent se mouvoir, ni se détendre ou se
131
coucher d’où l’arthrose. Leurs pieds sont dans un état lamentable. Je
n’avais jamais vu cela. Ils sont pourris. C’est provoqué par
l’humidité ambiante, une litière sale pas suffisamment renouvelée.
La litière souillée d’urine sensibilise et ramollit les pieds. L’urée se
transforme en ammoniaque, elle attaque et ronge la corne. Le mal
commence par des fissures puis des trous dans la fourchette pour
terminer par de la pourriture. C’est horrible et l’odeur est infecte.
Le Général confirma et se tu. L’infirmerie serait remplie
comme elle ne l’avait jamais été. Généralement, les besoins les plus
urgents étaient la nourriture, l’eau, la vaccination, le vermifuge et
une marche pour réchauffer et décontracter les muscles. Là, tout était
urgent.
Les hommes se pressèrent ; un vent froid et glacial se levait.
Lila téléphona au maréchal ferrant et au dentiste ; leur aide
serait très utile. Avant de les emmener, les juments furent rapidement
prises en photo. Les stagiaires tenaient les juments pendant que le
Général et Paddy vérifiaient leur âge approximatif. Il était évident
qu’elles étaient âgées, certaines devaient approcher les vingt ans. Les
salières étaient creuses, les dents déchaussées, usées voire
inexistantes pour certaines.
Les stagiaires continuaient à poser les questions, Paddy et le
Général répondaient tout en poursuivant le travail.
- Elles sont si maigres. Je peux compter les côtes facilement.
Le Général était outré, il venait de vérifier les mâchoires de
plusieurs juments squelettiques. Son constat était tragique, elles
mourraient de faim devant l’auge pleine. Il expliqua :
- Celle-ci n’a plus de dent, sa mâchoire est lisse. Elle est en
train de mourir de faim. Sa maigreur avancée prouve qu’elle ne
recevait pas de nourriture adéquate. L’animal édenté ne peut plus
mastiquer les aliments durs et les granulés. Sa ration doit se
composer de bouillies de granulés et de grains aplatis ou encore de
l’aliment floconné. La dose journalière doit être divisée en cinq ou
six repas pour une digestion correcte. Une fois par semaine, un mash
tiède de "pop corn" d’avoine, d’orge et une poignée de maïs permet
de nettoyer le vieil l’organisme.
- Elles seront plus faciles à placer. Les personnes qui ne
possèdent pas de terrain pourront les adopter. Un box leur suffira.
- Un cheval est et reste un herbivore toute sa vie. Il est
132
primordial qu’il dispose d’un pré.
- Si elles ne peuvent plus pâturer, il est inutile de les mettre
dans un pré ?
- Au contraire, c’est important. L’herbe et le foin sont
importants, l’animal y trouve l’azote, les fibres de cellulose et les
protéines indispensables à sa bonne santé.
- Comment fait-il pour manger, il avale comme les vaches ?
- Non, pas du tout ! Il suce et aspire le jus avant d’en
recracher une chique.
- Le foin est une matière si pauvre, ce n’est pas vraiment
important ?
- Au contraire, c’est vital. C’est un lest digestif. Il déplisse les
intestins et favorise l’assimilation des aliments.
Ils avaient rentré toutes les juments. Dans l’immédiat, elles
mangeaient ou suçaient le foin et s’abreuvaient dans le paddock. Les
stalles étaient prêtes et les onze boxes paillés recevraient les cas les
plus sévères. Sur leur licol, la carte d’identification était remplie.
L’âge y était inscrit et Paddy avait fait rajouter une croix pour les
juments édentées. La distribution de nourriture serait adéquate et
plus rapide. Les jumeaux guidèrent les juments dans les stalles et les
attachèrent. Les pauvres bêtes, habituées à l’attache, s’étaient laissé
faire sagement. La vie, pour elles, n’avait pas changé. Elles ne
pouvaient deviner que ce n’était que provisoire ; le bonheur les
attendait.
La distribution commença et avec elle, la surveillance. Celles
qui avaient mangé leur aliment de bon appétit étaient ramenées dans
le paddock. Les autres, avec la croix sur le licol, prenaient leur temps
et semblaient apprécier les flocons qu’elles laissaient fondre
patiemment sur la langue. Certaines semblaient éprouver des
difficultés avec leur ration, une croix sur leur licol fut ajoutée. Elles
reçurent des flocons.
Le Général et Paddy avaient commencé les soins. Les plaies
furent nettoyées, désinfectées et recouvertes de poudre d'alu. Pour les
plus graves, de grosses compresses de Bétadine étaient posées.
Les jumeaux et les stagiaires les avaient rejoints ; les soins se
poursuivirent. Les crevasses de la fourchette restaient désagréables à
soigner. La souffrance des animaux était telle que parfois les
hommes devaient employer des anesthésiques ou des entraves. Le
133
curage commença ; les parties pourries devaient être retirées avant de
désinfecter et de traiter. Un tampon d’antiseptique à l'eau cuivrée,
Bétadine, teinture d’iode ou liqueur de la Vilatte, était bourré dans la
plaie afin de permettre au désinfectant de poursuivre son action. Ce
tampon serait changé plusieurs fois par jour, jusqu’à la guérison.
L’odeur répugnait les stagiaires. Paddy les invita sur un soin moins
difficile, un éclatement de sabot. Il connaissait de nombreuses
astuces qu’il appelait "remède de grand-mère." Il expliqua :
- Lorsque la paroi du sabot est fendue et forme une seime en
bas du sabot, il faut la "barrer." Barrer signifie stopper la fente pour
éviter qu’elle ne continue jusqu’au bourrelet.
Paddy utilisait une râpe et rognait horizontalement la corne en haut
de la fente.
- La seime ne peut plus progresser, arrêtée par cette "ligne."
Ensuite, je m’occupe du bas de la fente.
Il sortit de sa poche une petite lanière de jeans et de la colle
forte. Il gratta le bas du sabot avec la râpe et colla ce petit bout de
tissu à cheval sur la fente.
- Les bords ne peuvent plus s’écarter, la guérison sera plus
rapide. Lorsque la plaie sera refermée, j'appliquerai un baume
protecteur pour nourrir et durcir la corne tout en laissant respirer les
tissus.
Lila avait laissé les hommes et passé les appels
téléphoniques. Elle se pressait vers la vieille maison, les jeunes
s’occupaient de son fils. Après avoir remercié des nounous
enchantées, elle était rentrée préparer le repas. Elle était triste et
désolée, la misère des animaux était toujours présente.
Matt et les papas étaient arrivés très en retard. Lila leur
précisa que le vétérinaire serait là ce soir, le maréchal ferrant et le
dentiste viendraient dès qu’ils le pourraient. Le second reculerait des
rendez-vous pour venir le plus rapidement possible.
Les hommes croulaient sous les soucis. Certaines juments ne
s’en sortiraient pas. C’était vilain. L'hygiène était une priorité ; avec
une telle concentration de malades, les germes se multiplieraient
rapidement. Le sol de l’infirmerie sera désinfecté tous les jours afin
d’éviter la prolifération de bactéries. La litière devra toujours être
propre et les copeaux remplaceront la paille ; ils ont une meilleure
capacité d’absorption.
134
L’après-midi serait identique au matin, les quatre hommes et
les stagiaires seraient cantonnés à l’infirmerie. Matt retrouverait son
ordi, il avait un travail à terminer.
Le lendemain, le vétérinaire, le dentiste et le maréchal ferrant étaient
présents. Devant l’ampleur de la tâche, le dentiste appela un
collègue. Ils travaillèrent d’arrache pieds. Le vétérinaire revint
souvent. Il avait dû euthanasier huit juments. Il était sorti dégoûté de
l’infirmerie et rageait contre les hippophages.
- Qu’ils découvrent l’état de ces juments, ces steaks sur
pattes, qu’ils s’apprêtaient à bouffer ; qu’ils s’étouffent avec leur
barbaque bourrée de médicaments et empoisonnée ! C’est triste à
dire mais sans soin, le couteau serait une délivrance pour la plupart.
Celles que j’ai dû "endormir" avaient un empoisonnement du sang,
elles seraient mortes dans la semaine. Le steak de cheval, c’est bon
pour la santé ! Quelle blague ! Les hippophages ont un estomac en
béton armé. Ils bouffent des animaux crevant de septicémie. Tu crois
vraiment qu’avec si peu de contrôleurs dans les abattoirs, celles-ci
auraient été éjectées du circuit ? Faut pas rêver ! S’il leur reste un
souffle de vie en passant la porte, c’est du fric dans la poche,
l’équarrissage ça ne paie pas.
Le vétérinaire était un homme calme et réputé pour garder son sangfroid en toutes occasions. Mais là, il était révolté et hors de lui. Le
Général partageait son avis mais que répondre ? Il est vrai que cet
arrivage était difficilement supportable.
CHAPITRE 12
Les juments nouvellement arrivées demandaient autant de
135
soins à elles-seules que les cent vingt-huit chevaux du Domaine.
Ceux-ci n’étaient pas oubliés et recevaient l’attention nécessaire.
Lila préparait le week-end d’adoption. Elle soulageait le
Général de toutes les questions délicates. Elle s’occupait du
secrétariat, sollicitait les aides de l’école hôtelière et des hommes du
second domaine.
Elle commandait les denrées pour les repas, préparait les
dossiers des chevaux et insérait la précieuse charte d’adoption que
toute personne devait signer. Cette charte stipulait "Tout adoptant
s'investit à long terme et doit en être conscient. Il s’engage à subvenir
aux besoins de l’animal, le nourrir, le soigner, veiller à ce qu’il ait un
abri confortable, etc. Il ne peut, en aucun cas, revendre l’animal ni le
céder même par héritage. S’il ne peut faire face, il doit prévenir le
Domaine qui agira au mieux…"
Le prix de l’animal était légèrement au-dessus du prix de viande,
ainsi, les maquignons n’étaient pas intéressés. De nombreuses
personnes offraient un don supplémentaire pour la pérennité de
l’œuvre. Un dossier était monté pour chaque adoptant. Il comportait
la charte, la fiche caractéristique de l’animal et les notes du
vétérinaire. Le Domaine gardait le double avec en plus une
photocopie du chèque bancaire et des papiers d’identité de
l’adoptant.
Le travail ne manquait pas et Matt l’aidait. Matin et soir, ils
distribuaient l’aliment dans les stabus. Ils marchaient main dans la
main, et s'entraidaient, autant dans les chevaux, les corvées
ménagères ou auprès de Mattis.
Le grand week-end était lancé. La journée commença dès
quatre heures du matin pour tous les hommes. Les juments de
l’infirmerie devaient être soignées avant l’ouverture du Domaine.
Les animaux des stabus devaient être nourris et étrillés. Le renfort
était arrivé du Domaine de l’Ours Brun, les hommes étaient
nombreux. Le nombre de chevaux était important et il fallait gérer.
Les dossiers étaient prêts et attendaient sur les tables.
Lila, très fatiguée, était à la maison avec son fils. Ces
semaines avaient été éprouvantes. Ses hommes en étaient conscients
et voulaient qu'elle se repose ; elle devait penser à ses petits. Elle en
profitait pour préparer le baptême de son fils. Pour la marraine,
Natacha était toute désignée, pour le parrain, cela posait un
136
problème, elle souhaitait demander à Rory, Matt préférait Val ou
Justin. Elle les lui avait proposés pour les deux bébés ainsi le
problème ne se poserait pas. Pour les marraines des bébés, Louanne
et Marie, très proches de la famille, avaient accepté.
Rory n’avait pas assisté au mariage, il était en Angleterre et
n’avait pu revenir. Il avait fait envoyer un énorme et magnifique
bouquet de fleurs avec une lettre d’excuses. Il était très proche du
couple et restait en contact par Internet. Julie ne faisait plus partie de
sa vie, d'autres s'étaient succédées ; il tenait à son statut de
célibataire.
Le petit Prince avait terminé sa sieste et prenait son goûter.
La maison était impeccable et le repas pour ce soir était prêt. Ils ne
seraient que tous les trois, les papas dîneraient avec les bénévoles
dans la salle de restaurant du Domaine. Louanne était au fourneau
assistée des stagiaires de l’école hôtelière. Celle-ci envoyait des
élèves pour la cuisine et pour le service. Le Domaine fournissait les
denrées et l’école les services. Les adoptants ou les simples
promeneurs qui souhaitaient se restaurer sur place en avaient la
possibilité. Le repas était très simple et le prix en conséquence. Pour
les autres, le restaurant du village leur était conseillé.
Lila prépara son fils et se décida à prendre, Caramel, le poney
de Mattis. Son papa, lassé d'entendre "le nouveau Noisette" lui avait
fait remarquer qu’il ressemblait à un joli caramel, le nom lui était
resté. Tous trois partirent en promenade. Ils se rendirent d’abord au
bureau, Mattis tout content, en profita pour embrasser son cher papy
le Général. Ensuite ils continuèrent au milieu des promeneurs vers
les stabus. C’était pratique, tous se rangeaient pour laisser passer le
poney.
Il faisait très beau pour un mois d’octobre et le soleil était au
rendez-vous. C’était une des dernières sorties avant l’hiver pour de
nombreuses personnes.
Lila menait caramel et retrouva les jumeaux dans la première
stabu. De nombreux chevaux étaient marqués et la pile de dossiers
diminuait, signes que tout se passait bien. Dans la seconde stabu,
tenue par Paddy et des soigneurs du Domaine de l’Ours, c'était
positif. Dans la troisième, Matt tout aussi entouré, était content. Il
tenait une petite jument qui semblait plaire à un vieux couple ; il
cherchait un cadeau pour leur petite-fille.
137
C’étaient des gens d’un autre monde. La femme était vêtue
d’une grande cape avec l’écharpe assortie. Ses cheveux étaient
retenus par un grand chapeau, noué sous le menton par un gros nœud
L’homme portait une longue gabardine et un chapeau de feutre ; il
s’aidait d’une canne et fumait la pipe. Son épouse effacée, maniérée
et tout aussi raffinée, demeurait en retrait. Leurs manières étaient
posées, élégantes et distinguées. Ils ressemblaient à de nobles
bourgeois tout droits sortis des livres "les misérables" de Victor
Hugo ou de "la Comtesse de Ségur ;" livres qui avaient passionné
Lila, il y avait quelques années.
Lila patientait avec Mattis. Matt l’invita de la main à se
rapprocher. L’homme les salua courtoisement et s’inclina devant elle.
Il se nomma et présenta Madame son épouse. Matt fit de même, tout
fier et un peu pompeux :
- Ma chère épouse, Madame Mattis Maréchal Roque Brune et
notre fils Mattis Junior.
L’homme hocha la tête. Il déclara qu’il avait connu, par le
passé un homme portant ce nom. Il enchaîna aussitôt et s’inquiéta de
la jument. Matt lui assura que c’était une brave bête. Lila confirma.
Matt tenta de revenir sur la famille "Roque Brune" mais l’homme
refusa d’en dire plus. Sa femme détourna la tête.
Ce n’était pas la première fois qu’ils venaient au Domaine. Ils
se promenaient et regardaient les chevaux. Lila les avait aperçus et le
Général avait discuté avec eux.
Ils demandèrent à réfléchir et se retirèrent, d’autres personnes
attendaient Matt. Ils promirent de revenir dans quelques semaines.
La petite famille attendait la relève. Les soigneurs du
Domaine de l’Ours étaient partis déjeuner. A leur retour, tous trois
prirent le chemin de leur maison.
Le Général se rendait au bureau, Lila l’interpella puis le
questionna sur le vieux couple bizarre qui cherchait "une jument
pour leur petite-fille." Il comprit de quel couple, elle parlait. Il avait
eu quelques informations des soigneurs du second Domaine.
- Ce couple commence à être très connu, il fait les foires, les
comices… Il cherche toujours la même chose, une jument identique
à celle qu’il avait offerte de nombreuses années auparavant, à sa
petite-fille. Elle serait décédée suite à une chute avec cette jument.
Cette tragédie remonte à une dizaine d’années. La jument aurait été
138
vendue sitôt après l’accident. Depuis plusieurs mois, le vieil homme
la recherche.
Je ne suis pas sûr que ce soit la vérité. Je pense qu’il cherche autre
chose mais quoi ? Il m’inquiète. Je n’arrive pas à le cerner. Je pense
que "la jument pour la petite-fille" n’est qu’une excuse pour revenir
ici. Peut-être cherchent-ils simplement à discuter, passer leur
temps… Je ne sais pas. Ils posent de nombreuses questions sur le
Domaine et sa création, sur notre famille.
- Il dit avoir connu des "Roque Brune." Tu penses qu’il dit
vrai ? Demanda Matt.
- Je n’en ai pas la moindre idée. N’espère pas trop mon fils, je
ne voudrais pas que tu en souffres.
Le Général était arrivé, les enfants le laissèrent.
La famille se mit à table rapidement, Matt devait reprendre le
travail. Il restait préoccupé ; Lila le comprenait et lui demanda s’il
pensait parfois à cette famille inconnue.
- Honnêtement non ! Je n’y ai jamais vraiment songé. J'ai
aimé mes parents et ma grand-mère et quand ils ont disparu, Nanny
est devenue ma seule famille. Ensuite nous nous sommes rencontrés,
toi et les papas. Ma famille s'est agrandie avec vous et Nanny. Non,
je n’ai jamais vraiment pensé à cette famille paternelle. Ce que j'en
sais, tu le sais aussi ; nous le tenons de Nanny et c’est très peu de
chose. Mon père était bon, généreux, très famille. C’est à peu près
tout.
- Tu as raison ! Nanny disait qu’il adorait ta maman et avait
tout abandonné pour elle, ses rêves de carrière et son passé. Ses
parents n’acceptaient pas son choix, encore moins son mariage. Il y a
eu un chantage aux sentiments, la femme qu’il aimait ou ses parents !
Ton papa avait mal vécu cette situation et ne les avait pas revus. Tes
parents ont été très heureux et étaient comblés par ta naissance, tu
étais un enfant désiré et aimé, compléta Lila.
- Oui, je me souviens. Mes parents étaient de braves gens
comme notre Nanny ! Non ! Je ne vais pas m’inquiéter de ces
arrière-grands-parents, parce qu’un vieil homme en a parlé. J’ai une
famille qui m’est bien plus précieuse que ces gens qui ne se sont
jamais manifestés ni souciés d’un orphelin de trois ans.
Matt avait mal et Lila le ressentit. Elle s’approcha et le serra
sur son cœur. Elle l’embrassa sur le front, il se laissa aller contre elle,
139
posa une main sur son ventre et le caressa.
- Ma précieuse famille qui va s’agrandir de deux nouveaux et
magnifiques bébés.
Mattis s’agita, Lila se détourna légèrement et l’aida à sortir
de son rehausseur. Il s’approcha de ses parents, soucieux. Le ton de
leur conversation était triste, monotone et il n’aimait pas cela. Intuitif
et sensible, il percevait le malaise. Il tendit les bras à son papa et
grimpa sur ses genoux. Matt l'enserra et l’embrassa. Il s’amusa avec
son fils et retrouva le sourire. L’heure avançait, il devait retourner au
travail. Il embrassa ses deux amours avant de retourner à la stabu.
Pris par ses occupations, il oublia la petite phrase du vieil homme et
toutes ses pensées moroses.
Le soir, il rentra à la maison fourbu. Il avait aidé les hommes
à soigner les animaux, rapatrié et trié les dossiers avec le Général. Il
embrassa délicatement son fils endormi, avant de prendre sa douche.
Lila servit le repas et ils discutèrent de cette journée. Matt ne reparla
pas du vieil homme. Il était bien fatigué mais content, de nombreux
animaux avaient trouvé une maison. Elle débarrassa rapidement,
servit le café avant de s’asseoir sur les genoux de son cher mari. Il
recula sa chaise en souriant, sa femme commençait à prendre un
léger embonpoint. Avec trois personnes sur les genoux, elle devait
être fière d’avoir un mari aussi fort, musclé et costaud.
Après une bonne nuit de repos, Matt se sentait frais et dispos
pour attaquer la seconde journée qui risquait d’être aussi
mouvementée. Il ne s’était pas trompé, le dimanche fut tout aussi
remuant. Le SOS passé sur Internet et dans les magasines équestres
porta ses fruits. De nombreux adoptants s’étaient déplacés. Les vans,
camions, remorques n’arrêtaient pas de défiler sur le chemin et les
embouteillages étaient fréquents malgré les chargements rapides. Les
visiteurs devaient se ranger et n’étaient pas toujours coopératifs
malgré les coups de klaxons rageurs. Quand le grand portail ferma
ses portes sur le dernier van, les hommes lâchèrent un soupir de
soulagement. Le week-end avait été harassant et la semaine verrait
passer un grand nombre de vans, le va et vient des départs.
Les vacances de la Toussaint étaient là. Début novembre,
Mattis accompagna ses parents à la maternité pour le bilan du
cinquième mois de grossesse.
Matt, son fils sur les genoux, donnait la main à Lila et
140
regardait l’échographe. Il admirait ses deux bébés, tête bêche, sages
et tranquilles. Ils dormaient. L’un s’éveilla et bougea ses petits pieds,
l’autre suçait son pouce. Il était bouleversé, il voyait ses deux bébés
pour la première fois. A la première échographie, il n’avait pu voir
que deux cercles qui ne ressemblaient pas vraiment à des bébés. Il
fallait faire preuve d’imagination. Aujourd’hui, les bébés étaient
parfaits et il distinguait leurs petits doigts, leurs pieds, la tête, le
ventre, tout était visible. Ils gigotaient, se retournaient et barbotaient
dans le ventre de leur maman. Il était si ému, qu’il écrasait les doigts
de Lila. Elle aussi regardait l’écran et admirait les deux petits êtres
qui vivaient en elle. Mattis ne voyait rien d’intéressant et ne
comprenait pas que ses parents craquent sur cette vilaine image.
La gynécologue leur demanda s’ils souhaitaient savoir le sexe
des petits. Matt semblait être ailleurs, Lila lui posa la question et lui
demanda de choisir. Il sortit enfin de sa torpeur et répondit qu’il s’en
moquait. Ces deux bébés étaient tellement désirés… Non, il préférait
la surprise. Lila acquiesça, il ne restait que quatre mois d’attente. Les
divers examens montraient une Lila en forme ainsi que ses bébés.
Néanmoins, leur poids inquiétait l’obstétricienne ; les bébés ne
profitaient pas suffisamment. Lila s’inquiéta avant de lui rappeler,
Mattis avait été un tout petit bébé et aujourd’hui, il était parfait et
dans les normes.
La gynécologue lui expliqua qu’une grossesse multiple était
risquée et les difficultés étaient doubles. Lila ne devait pas forcer, ni
se fatiguer. Les accouchements prématurés étaient très fréquents
même à cinq mois. Les problèmes étaient beaucoup plus fréquents
qu’une grossesse "dite normale" autant pour la maman que pour les
bébés. Plus le terme était proche et mieux ce serait.
Lila pourrait être contrainte de terminer sa grossesse
allongée. Ce cas arrivait souvent. Heureusement, elle était entourée
et secondée par son mari et ses papas. Au moindre souci, ils
n’hésiteraient pas à l’amener consulter.
Le couple quitta la maternité, un peu inquiet. Ils suivraient
ses recommandations pour le bien des bébés et de leur maman.
Lila demanda à Matt de passer par la cafétéria de l’hôpital.
Elle venait de rouvrir après la rénovation des peintures. Devant un
café, elle expliqua à ses deux hommes que c’était à cette table,
qu’elle avait appris qu’elle attendait Mattis. Elle avait pensé à une
141
blague de la part de son papa. Aujourd’hui, ils étaient présents tous
les trois. A la même table que trois ans auparavant. Ils vivaient la
même chose et en double. Lila était comblée, ses chers Amours
étaient avec elle pour ce si grand bonheur. Matt lui tenait la main, il
éprouvait tant de choses et ses sentiments étaient si forts… Dans le
même temps, il était tourmenté, une grossesse multiple n’était pas
sans risque. Il avait de la pluie dans les yeux et c’est Lila qui sortit
un mouchoir.
- Je suis très inquiet, je suis heureux de ces bébés mais j’ai
peur pour toi. Je ressens tellement de choses à l’intérieur… Je t’aime
ma Lila et tu me combles de bonheur mais tu dois vraiment te
ménager, tu as entendu les dangers ! Je ne veux pas te perdre ! Tu es
ma vie ! Je n’ai pas ton courage, si un malheur t’arrivait, je ne te
survivrai pas. Là où tu irais, je te suivrai.
- Chut. Je suis trop heureuse, pour penser à vous quitter. Je
vais faire attention, mon amour !
Dans la voiture, il se retourna vers elle et l’embrassa. Elle lui
prit la main et la posa sur son ventre. Les bébés ne bougeaient pas
suffisamment pour qu’il les sente mais ils étaient là.
L’ambiance, pendant le repas, fut émouvante. Matt raconta la
visite de ce matin. Il bloquait sur l’échographie et n’en revenait
toujours pas. Il détaillait tous ce qu’il avait vu de ses bébés, les
enfants tête bêche, les petits doigts, les petits pieds…
Le Général lui avoua qu’il avait ressenti la même chose
quand il avait vu Mattis bouger dans le ventre de sa maman. L’image
était restée gravée dans sa mémoire. Il avait compris, tout de suite, sa
Lila attendait un bébé ! L’échographie le démontrait parfaitement et
Mattis était exactement comme Matt décrivait ses bébés.
- Moi, je n’étais pas comme ça. Je suis un vrai petit garçon.
Ils ne sont pas des bébés. A l’école, il y a une dame qui a un bébé ; il
est tout mignon. Eux, ils sont trop bizarres. La télévision de la dame
est vilaine, on ne voit rien de joli, marmonna Mattis.
- Tu as raison, leur télévision n’est pas jolie et il faut deviner
les bébés. Moi je trouve que c’est magique de voir tes petits frères ou
petites sœurs dans le ventre de maman.
- Ils ne ressemblent pas à des petits frères ou des petites
sœurs. Ils ne sont pas beaux. Maman dit que j’étais le plus beau bébé
du monde tout entier ; moi je ressemblais à mon papa. Hein maman !
142
Ton Mattis était le plus beau ? Hein, je n’étais pas comme ça ?
- Tous les bébés sont ainsi. C’est vrai que tu étais le plus beau
bébé du monde. Un très beau petit bébé ! Aujourd’hui, tu es le plus
beau petit garçon du monde. Alors, attendons que les bébés arrivent,
d’accord ?
Mattis acquiesça et préféra rejoindre les chiens. La
conversation des adultes étaient trop centrée sur les bébés.
Le Général prit la parole et murmura :
- J’ai ressenti la même chose que toi avec la peur en plus.
J’appréhendais la réaction de Lila. Elle ne voyait pas l’écran et
n’avait aucun soupçon. Je me suis posé la question du père. Je
craignais qu’elle n’ait subi des sévices de la part des kidnappeurs.
Quand elle a confirmé la date de la conception, j’ai éprouvé un tel
soulagement mais ensuite, il fallait qu’elle accepte ce bébé.
J’ai douté pendant dix, vingt secondes. Elle ne disait rien, elle était si
mal et si déprimée. Après mes vingt secondes d’apnée, elle m’a dit
qu’elle l’aimait son petit. J’ai su que c’était gagné. J’ai vieilli de dix
ans en quelques secondes.
La conversation se poursuivit assez tard. Les bébés étaient
attendus avec autant d’impatience que d’inquiétude. Matt précisa que
la santé et la vie de Lila étaient primordiales. Elle passerait toujours
la première et les bébés, même s’il les aimait déjà, ne prendraient pas
la vie de leur maman. Les papas tentèrent de le rassurer, les
naissances de jumeaux étaient fréquentes et leur Lila serait bien
entourée. Terminés les chevauchées, le stress... Elle se reposerait.
Le couple avait bien préparé Mattis à l’arrivée des deux
bébés. Il était installé dans sa nouvelle chambre, l’ancienne de
Paddy, accolée à la leur. Il se sentirait moins seul à leur coté si les
deux bébés se suffisaient à eux-mêmes.
Ses parents avaient été si complices, personne n’avait pu s’intégrer
dans leur couple. Ils n’avaient rien de jumeaux mais fusionnaient.
Les trois personnes qu’ils aimaient le plus au monde, passaient en
second.
Mattis était très content de ce changement. Il se rapprochait
de ses parents et sa chambre ressemblerait à celle d’un grand garçon.
Il avait choisi le papier peint d’après plusieurs échantillons, Matt et
Paddy l'avait posé, le résultat l'enchantait. La transformation avait
continué, ils avait déménagé et installé la chambre d’enfant de Matt.
143
Elle était restée dans la maison de Nanny, pendant toutes ces années.
Le lit, la table de chevet, l’armoire, la commode et le bureau
trouveraient une nouvelle vie et profiteraient à Mattis.
En terminant l’agencement de la chambre de Mattis, Lila
sentit les coups de pieds, bien vigoureux des petits. Elle ramassait
une peluche qui traînait quand elle reçut le coup. Elle posa la main
sur son ventre et caressa délicatement la petite masse ferme. Celle-ci
remua, se poussa plus loin et Lila sourit. Les bébés n’étaient pas très
contents quand elle se pliait et réagissaient rapidement. Elle
montrerait ce fait nouveau à Matt à son arrivée.
Elle terminait de trier ce qu’ils avaient ramené de la maison
du Général. Les papiers, les albums photos, des cartons et des boîtes
de chaussures contenant tous les souvenirs de Nanny. Elle regarderait
cela plus tard, avec son cher mari.
Matt rentra et annonça que les petits vieux étaient revenus. Il
les avait questionnés sur la famille "Roque Brune" mais l’homme
n’avait rien voulu dire. Matt avoua qu’il avait cherché des
renseignements sur Internet et n’avait rien trouvé. Lila lui parla des
cartons de Nanny, peut-être trouveraient-ils des informations
importantes.
Après le repas, ils déballèrent quelques cartons. Assis sur le
sol, il attendait que Lila s’installe à ses cotés.
Elle commença à s’agenouiller mais de vigoureux coups de pieds la
rappelèrent à l’ordre. Elle éclata de rire et refusa la place aux cotés
de Matt.
- Je suis désolée mon chéri, tes deux enfants ne sont pas
d’accord. Je t’invite plutôt à sévir sur les deux petits coquins qui
régentent déjà leur maman.
Matt se releva et demanda à Lila de s’expliquer.
- Donne-moi ta main, tu vas comprendre.
Lila se baissa doucement en maintenant la main de Matt sur
son ventre. Il reçut le coup, sursauta et écarta sa main promptement.
Il se mit à rire et la reposa ; de nouveau, il reçut des petits coups.
- Ils bougent ! Nos bébés bougent ! Depuis quand donnent-ils
des coups ?
- Depuis cet après-midi, c’est une nouveauté, ils refusent que
je me baisse.
- Ça marche à chaque fois ?
144
- Pour l’instant, oui.
Les cartons furent mis en attente.
Mattis allait à l’école, tous les matins, accompagné par son
papa. Paddy retournait le chercher et passait par la boulangerie.
L’enfant renseignait la brave femme sur les derniers événements
concernant les bébés.
Lila se sentait bien lourde et attendait le mois de mars avec
impatience. Elle était très fatiguée, se reposait beaucoup et passait
son temps à la maison. Ses promenades se limitaient de la maison au
bureau, tous les midis et tous les soirs, elle allait chercher ses
hommes. Matt veillait et la secondait beaucoup. Il terminait son
travail de bonne heure et la raccompagnait à la maison.
Les bébés se développaient bien mais Lila se posait des
questions. La gynécologue lui avait remis un prospectus qui ne lui
apprenait pas grand chose. Elle s’était renseignée sur Internet. Tous y
étaient publiés et les dangers étaient multiples et terrifiants. Ils
allaient de l’accouchement prématuré au développement insuffisant
d’un ou des deux bébés, avec problèmes cardiaques, pulmonaires,
respiratoires…
Des photos étaient publiées. De nombreux parents expliquaient leur
combat et leur lutte. Leur désespoir face à la mort d’un ou des deux
bébés ou pire des trois ; la maman n’avait pas survécu. Les
grossesses multiples sans soucis se résumaient à quelques pages. Lila
avait pris peur. Elle craignait de perdre ses bébés.
Matt l’avait retrouvée, la tête dans ses mains, accablée,
devant l’ordinateur. Il avait regardé le triste programme et son
inquiétude était vive, aussi forte que celle de sa femme. Depuis, il ne
la quittait plus et lui évitait toute fatigue. Il s’occupait de son fils et
travaillait à la maison sur son ordi. Les jeunes ne voulaient plus le
voir au bureau, tant que Lila n’avait pas accouché.
Pendant la sieste du petit Prince, elle s’allongeait dans son lit
et gardait son fils contre elle. Bien souvent, elle s’endormait avec lui.
Quand il se réveillait, il ne faisait pas de bruit, il savait sa maman
fatiguée, et la laissait dormir. Il rejoignait son papa pour son goûter
et jouait en silence. Ensuite son papa le grimpait sur Caramel et il
rejoignait ses papys ou les jeunes. Tous s’occupaient de lui.
Le vieux couple était revenu, encore et encore, et commençait
à lasser le Général. Il demandait toujours à voir Matt ou Lila et les
145
hommes du Domaine perdaient beaucoup de temps avec eux. Ils
revinrent et demandèrent encore, à voir les jeunes. Ils s’y
connaissaient dans les chevaux et savaient ce que le couple
recherchait.
Les hommes du Domaine étaient débordés. Ils devaient soigner les
juments de l’infirmerie, nettoyer les stabus, distribuer l’aliment et le
foin… L’hiver, les animaux sortaient peu et demandaient plus de
soins. Ils s’étaient mis d’accord, il n’était pas question de confier un
animal à ce couple, il ne pourrait pas s’en occuper.
Le Général leur déconseilla l’animal et se décida à parler
franchement. Il leur déclara qu’un cheval, c’était beaucoup de travail
et que le Domaine n’en avait pas pour eux. Le but était de placer les
animaux à long terme, pour dix, quinze voire vingt ans.
Il leur confirma, ses enfants étaient indisponibles. Matt ne travaillait
pas avec eux. Il avait un emploi sans rapport avec le Domaine.
Effectivement, il leur donnait un coup de main quand il y avait
besoin, mais il avait un emploi autre. Il termina par ces paroles :
- Mon fils s’occupe de son épouse, elle a besoin de repos, la
naissance est proche. Il a des intérêts plus importants.
- Votre fils, vous n’avez aucun droit de soutenir cela. Il m’a
confirmé être un "Roque Brune" or vous n’en êtes pas un. Je veux
voir le jeune homme, j’ai des questions à lui poser et des
renseignements pour lui. Vous n’êtes pas son père ou alors, c’est
grave. Vous ne m’interdirez pas de lui parler, riposta l’homme vexé.
- Je suis resté correct mais ma patience à des limites. Mon fils
est mon fils et rien ne vous autorise à me dénier ce droit. Maintenant,
excusez-moi, mais j’ai du travail.
- Ce n’est pas votre fils, je le sais et vous le savez aussi. Je
veux le voir et je lui parlerai à lui ou à sa femme. Personne ne m’a
jamais dicté ma conduite et ce n’est pas un palefrenier qui
commencera.
- Cette conversation est close, veuillez quitter le Domaine.
L’homme se redressa fièrement et prit la direction de la sortie,
toujours suivi de son épouse. Il lança au Général :
- Personne ne m’empêchera de parler au jeune homme et de
raconter tout ce que je sais sur cette famille "maudite et haïssable."
Le Général était tout retourné par cette conversation. Cet
homme, qu’il prenait pour un peu fou, semblait bien sûr de lui. Il
146
risquait de poser des problèmes et de faire souffrir ses enfants. Le
vieil homme avait parlé d’une "famille maudite et haïssable."
Il chercha Paddy, il avait besoin d’en parler. Il jeta un regard vers
l’entrée et s’assura que le vieux couple avait bien quitté les lieux.
Paddy était aussi troublé que le Général. Le passé de Matt,
coté paternel, leur était inconnu mais ce n’était pas cela qui le gênait.
Le couple faisait une fixation sur les enfants et semblait déterminé. Il
serait bon d’éviter une rencontre entre le vieil homme et les enfants
tant que les naissances n’avaient pas eu lieu. Ils avaient assez de
soucis. Matt avait surfé sur internet et pris connaissance des risques
d'une grossesse multiple. Pour Mattis, tout s'était bien passé mais
celle-ci s'avérait plus compliquée. Rien ne devait mettre en péril la
vie de la maman et des bébés. Il n’était pas question que ce couple
rajoute de l’huile sur le feu ; leur inquiétude était suffisamment
grande. Paddy proposa de fermer les portes du Domaine. L’hiver, les
visiteurs étaient peu nombreux, ils sonneraient pour entrer. Le couple
ne serait plus accepté.
Lorsque Matt posa la question, Paddy lui répondit que c’était
par sécurité pour Mattis. Tous entraient au Domaine comme dans un
moulin et il y avait des horreurs dans les journaux, mieux valait ne
pas tenter le diable. Matt accepta la réponse.
Mi-novembre, Lila était très fatiguée. La gynécologue lui
conseilla de s’aliter. Elle suivit la prescription et ne quitta plus son
lit.
Mattis la rejoignait et apportait ses livres. Elle lui apprenait
les couleurs, les chiffres, les lettres… Il reconnaissait de nombreux
mots et s’amusait à écrire son prénom, papa, maman et papy sur son
tableau magnétique…
Sa maman, toujours très entourée, gardait le moral.
Début décembre, les premières contractions se firent sentir. Matt
préféra l’emmener à la maternité. Elle resta hospitalisée.
147
CHAPITRE 13
Une semaine plus tard, après trois jours de douleurs et
d’attente, elle donnait naissance à deux petites filles. Deux jolies
Princesses. Matt, qui ne l’avait pas quittée, assista à la difficile
épreuve. Il avait soutenu sa femme à chaque instant ; les dernières
heures avaient été très pénibles pour sa Lila. Il souffrait avec elle,
regrettant de ne pouvoir partager toutes ses douleurs.
Clara était arrivée la première, puis Anna trente minutes plus
tard. Clara prénom de la maman de Lila et Anna celui de leur chère
Nanny avaient été choisis par le couple.
Matt eut juste le temps de couper le cordon, d’embrasser
Clara avant qu’elle ne soit présentée à Lila et emmenée par la
pédiatre. La même chose se reproduisit pour Anna. Elles étaient nées
avec deux mois et demi d’avance et ne pesaient qu'un kilo cinq cents
pour Clara et un kilo cent pour Anna ; deux kilos six cents à elles
deux. Elles resteraient en couveuse tant qu’elles n’atteindraient pas
les deux kilos cinq chacune. Lila était exténuée, Matt l’embrassa
avant de la laisser entre les mains des sages femmes. Il sortit rassurer
148
les papas qui patientaient dans la salle d’attente. Ils reçurent les
bonnes nouvelles, leurs trois Princesses allaient bien ; ils pourraient
embrasser Lila lorsqu’elle serait dans sa chambre. En attendant, leurs
petites-filles les attendaient. Les trois hommes se dirigèrent vers le
service des prématurés.
Ils avaient été préparés par la gynécologue, mais ne
s’attendaient pas à ce choc. A travers une vitre, ils regardaient les
deux petites.
Elles étaient chacune dans une couveuse, des tuyaux leur
sortaient du nez et de la bouche. Une aiguille était plantée dans la
minuscule petite main. De nombreux appareils bruyants clignotaient
autour des couveuses. Des infirmières s’agitaient et surveillaient les
machines. Anna et Clara étaient si petites qu’elles devaient être
aidées par des machines. C’était difficile et très éprouvant pour les
trois hommes.
Ils se rendirent dans la chambre de Lila. Elle reçut leurs
félicitations et les dernières nouvelles. Les petites allaient bien. Ils
attendraient la visite de la gynécologue, pour en savoir plus. Matt ne
lui avoua pas que les quinze premiers jours restaient critiques. Leurs
petites Princesses devraient se battre pour leur vie. Lila s’endormit la
main de Matt dans la sienne. Les papys laissèrent le couple pour
retrouver Mattis, laissé aux bons soins des jeunes.
Le lendemain, Matt avait accompagné Lila auprès des petites.
Il lui avait expliqué toutes les machines mais Lila avait été choquée
et profondément attristée. Les larmes de culpabilité coulaient.
Les infirmières s’y attendaient. La première fois est toujours
impressionnante. Elles répondirent aux questions du jeune couple.
Les petites étaient placées en couveuses chauffées et
oxygénées. Elles étaient maintenues en milieu stérile ce qui évitait
tout risque d’infection ou de contagion. Toutes les conditions étaient
réunies pour qu’elles se sentent comme dans le ventre de leur maman
et achèvent leur développement. Les poumons n’étaient pas
pleinement développés. Les tuyaux qui sortaient de leurs narines,
leur permettaient de recevoir de l’oxygène. Elles étaient nourries
artificiellement. Elles n’avaient pas encore les réflexes de succion et
de déglutition, d’où les tuyaux dans la bouche.
Les risques restaient importants mais elles étaient très bien entourées
et se battaient.
149
Les nouvelles ne rassurèrent pas le couple. Les premières
semaines seraient difficiles pour leurs petites et la peur ferait partie
intégrante de la vie de leurs parents et papys.
Quelques jours plus tard, Mattis eu la permission de venir voir sa
maman. Il était très heureux de la retrouver et ne quitta pas ses bras.
Au moment de partir, il se mit à pleurer et s’accrocha à elle. La
séparation fut difficile autant pour le petit que pour sa maman.
A chacune de ses visites, cela devenait plus difficile. Matt
décida de n’en conserver qu’une seule, celle du dimanche. Il venait
seul ou avec un des papys, chaque matin. Mattis allait à l’école ou
restait à la maison avec les jeunes. L’enfant souffrait de cette rupture,
beaucoup trop longue à son goût. Matt lui racontait ce qui se passait.
Il tentait de lui soutenir le moral mais cela devenait de plus en plus
difficile. L’enfant souffrait et pleurait souvent. La nuit, il se réveillait
en larmes et appelait sa maman.
Après un mois d’hospitalisation, la santé des petites
permettait au couple d’espérer qu’elles étaient sorties d’affaire. Mais
de là à les ramener à la maison, il faudrait encore du temps. Elles
profitaient doucement mais restaient en couveuse, elles n’atteignaient
pas le poids réglementaire de deux kilos cinq.
Lila ne supportait plus l’hôpital. Elle avait maigri et pleurait
tous les jours. Ses nuits étaient peuplées de cauchemars ; elle
s’enfonçait dans la déprime.
- Je veux rentrer à la maison, retrouver mon mari et mon petit
garçon, ma famille, le Domaine, les chevaux… J’en ai assez, je ne
veux plus rester là. Ramène-moi à la maison, ne me laisse pas ici.
- Je voudrais que tu rentres, moi aussi. Mais tu dois te
remettre, remonter la pente. Pense aux petites, elles ont besoin de toi.
- Je sais tout ça, mais je n’en peux plus. Je ne me remettrais
pas ici. Je ne remonterais pas ma tension si je ne sors pas d’ici. Je
vais devenir folle et je ne pourrais pas aider mes filles, pleurait-elle à
bout.
Matt l’avait convaincue de rester. Il venait tous les matins et
la trouvait plus mal chaque fois. Il en parla à sa gynécologue et lui
demanda conseil. Lila faisait une dépression, syndrome courant après
un accouchement. Elle s’occupait très bien de ses petites, il n’y avait
pas de soucis de ce coté-là mais elle refusait l'aide médicamenteuse.
Il était préférable qu’elle reste hospitalisée.
150
Les papys n’étaient pas d’accord mais ils ne disaient rien. Les
deux petites avaient besoin d’elle, c’est sûr, mais son petit garçon
aussi. Il était malheureux. Il était en vacances et passait son temps
avec les jeunes ou les papys. Plus rien ne l’intéressait, il traînait sa
peine et ne voulait plus monter Caramel. Matt était impuissant et ne
savait que faire.
Il était avec les jeunes dans le bureau et leur racontait les
dernières nouvelles. Mattis arriva et se dirigea directement vers son
papa. Il prit place sur ses genoux et lui posa l’éternelle question :
- Maman revient bientôt ?
- Oui, bientôt. Elle est fatiguée et doit se reposer.
- Ce sont les nouveaux bébés qui la fatiguent ?
- Non, Clara et Anna ne fatiguent pas maman. Elles sont
toujours avec les docteurs. Maman s’en occupe et elle va les voir
souvent mais tes petites sœurs ne fatiguent pas maman.
Mattis réfléchit et se dirigea vers la porte, il se retourna et dit :
- Elle ne veut pas revenir, c’est ça, dis ? Maintenant qu’elle a
des nouveaux bébés, elle ne veut plus de moi.
- Non, Mattis ! Ce n’est pas ça du tout. Tu lui manques
beaucoup mais le docteur dit qu’elle doit se reposer et c’est lui qui
commande. Tu te trompes mon fils, maman veut revenir et moi aussi
je veux qu’elle revienne, lui assura-t-il en reprenant son petit dans
ses bras.
- Toi, tu pourrais la ramener si tu voulais. Tu es grand, toi !
Moi, si j’étais grand, je l’aurais ramenée chez nous. Ici, elle se
reposerait, je ne l’embêterais pas, je ne ferais pas de bruit. Je veux
qu’elle revienne, elle est partie depuis plein de jours.
Mattis pleurait, accroché au cou de son papa. La séparation
devenait éprouvante pour tous. Matt serrait son petit contre lui, ses
sanglots étaient poignants. Les ordis s’étaient tus, les jeunes
n’osaient plus faire le moindre bruit. Le désespoir de l’enfant les
bouleversait.
Matt, son fils dans les bras, se dirigea vers le bureau, à la
recherche des papas. Paddy était au téléphone. Matt lui fit signe et
l’attendit dans le salon.
- Je ne sais plus que faire. Je voudrais ramener ma Lila à la
maison. J’en ai assez, elle va mal, Mattis est malheureux, je ne suis
pas mieux que lui. Elle nous manque à tous. C’est si long ! Nous
151
pourrions aller à l’hôpital tous les jours ! Je le fais déjà. Elle pourrait
continuer à les allaiter.
Elle guérirait plus vite si elle était avec nous, j’en suis convaincu. Ici,
sa tension remonterait, elle sortirait, elle ne s’inquiéterait plus pour
Mattis, pour nous. C’est trop dur de vivre sans elle, je voudrais la
ramener !
- C’est vrai papa ? Toi aussi, tu veux que maman revienne à
la maison ?
- Bien sûr ! Maman me manque beaucoup à moi aussi.
- Alors que fais-tu là à pleurer sur ton sort, fils ? File, cours,
vole, nous n’espérons que ça, affirma Paddy.
- Sa gynécologue dit qu’il est préférable d’attendre ; tu crois
que j’ai raison ?
- Nous ne sommes pas médecin mais nous connaissons notre
Lila et nous savons ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. L’hôpital, ce
n’est pas là qu’elle se remettra ; sa tension ne remontera pas
enfermée entre quatre murs et son moral, non plus. Le Général pense
la même chose. Demande-le-lui !
- Je voulais votre avis, je l’ai ! Je vais agir à notre façon et la
ramener. A l’hôpital, ils ont eu un mois et demi pour la soigner, c’est
assez. Maintenant nous prenons la relève. Je vais chercher notre Lila.
- Vrai papa, vrai ? Tu vas chercher maman ?
- Nous allons chercher maman, Mattis ; tu viens avec moi. Tu
peux prévenir papa, Paddy ? Pour ce soir, rajoute un couvert ?
- Avec grand plaisir, mon garçon !
Matt était rentré à la maison se changer. Il demanda à son fils
de prendre le livre "Petit Ours Brun."
Mattis savait ce que ce livre représentait pour ses parents. Sa
maman lui avait raconté l’histoire du chaton dans le panier mais
aussi celle de la petite fille hospitalisée. Cette petite fille qui n’était
autre que sa maman.
Arrivés à l’hôpital, ils se pressèrent vers la chambre. Matt
frappa et entra. Lila regardait par la fenêtre et ne se retourna pas.
L’après-midi, les visites étaient pour sa voisine ; Paddy et son cher
mari étaient venus ce matin, elle n’attendait personne avant demain.
Mattis s’élança et l'appela avant de se jeter contre elle. La
mère et le fils se retrouvaient. Lila serrait son petit et se réfugia dans
les bras de Matt.
152
- Tu lui manques trop. Tu nous manques à tous. Nous
sommes perdus sans toi, la maison est trop grande, trop vide… Tout
va mal sans ma Lila chérie, sans la maman d’amour de Mattis !
Lila les étreignait, heureuse de cette visite imprévue.
- Vous me manquez aussi, je me sens si seule, si loin de
vous…
Matt proposa à Mattis de raconter une histoire à sa maman. Il
sortit le petit livre et assit sur ses genoux, il commença. A la page du
chaton, il mit son doigt sur sa maman et l’envola vers le panier. Lila
comprit tout de suite et regarda Matt, n’osant y croire. Elle serrait ses
mains dans les siennes.
- Nous te ramenons, mon cœur. Nous reviendrons tous les
matins pour les petites mais nous avons besoin de toi, nous aussi. Tu
as un petit garçon à qui tu manques beaucoup et un mari perdu. J’ai
discuté avec Paddy, il est de mon avis. Ta tension restera à huit, si tu
restes là. L’hôpital n’a jamais été un lieu de prédilection pour toi.
- Tu me ramènes, c’est bien vrai ?
- Tu as besoin de repos, soit ! Tu le trouveras à la maison.
Nous veillerons sur toi. Je vais signer les papiers et je reviens te
chercher.
- Je vous aime tant, vous me manquez à chaque minute ! Je
suis si heureuse de rentrer. Le temps d’embrasser les petites, de
préparer du lait et je vous suis. Je serai prête très vite, ne m’oubliez
pas !
- Il n’y a aucun risque. Nous te ramenons avec nous. Viens
avec moi, Mattis, laissons maman se préparer et allons remplir les
papiers.
- Tu fais vite, hein maman ? Tu reviens vite et nous rentrons à
la maison.
- Je me dépêche, promis mon bébé.
Le sourire lumineux de Lila conforta Matt dans sa décision.
Son fils lui serrait la main et le regardait, la confiance plein les yeux,
rayonnant de bonheur. Matt remarqua qu’il avait le même regard que
sa maman.
Matt la retrouva devant les couveuses. Elle caressait une des
petites et lui promettait de revenir demain. Il fit de même et
ensemble ils rejoignirent Mattis, laissé aux bons soins d’une
infirmière ; les enfants n’étaient pas admis dans ce service de soins.
153
Mattis entraîna sa maman vers la sortie. Ils quittèrent
l’hôpital rapidement, pressés d’arriver dans leur cocon. La maman et
le fils, assis derrière, n’arrêtaient pas de discuter et de se projeter
dans les jours à venir. Les bisous n’arrêtaient pas, les rires, le
bonheur revenait. Le retour fut très joyeux.
A leur arrivée, les bureaux étaient fermés. Ils se rendirent à la
maison et Mattis, bien en avance sur ses parents, ouvrit la porte avec
fracas.
- Papys ! Maman est revenue, hurla-t-il en entrant.
Le Général et Paddy se pressèrent d’accueillir leur chère Lila.
Elle se jeta dans les bras tendus des hommes qui, malgré leurs visites
quotidiennes, lui manquaient tant. La table familiale serait complète
ce soir ; la famille se retrouvait.
Mattis n’avait pas quitté sa maman de la soirée et lui réclama
l’histoire du soir. Il choisit son livre et elle s’allongea, son petit tout
contre elle. Son petit garçon lui caressait la joue.
- Tu n’écoutes rien du tout, petit coquin.
- Non, pardon, maman ! Je suis si content ! C’est mon cœur,
il chante et ne veut pas t’écouter. C’était si triste sans toi.
- J’étais triste moi aussi sans mon bébé. Je t’aime mon cœur.
- Je t’aime maman. Je suis plus un bébé, je suis un grand frère
maintenant.
- Tu as raison, tu es un grand frère et mon petit garçon. Tu
seras toujours "mon petit amour pour la vie toute entière." Je t’aime
mon bébé.
- Je t’aime ma maman d’amour.
Matt mit fin à ce tête-à-tête, la "maman d’amour" devait se
reposer et son lit l’attendait. Elle embrassa son cher petit qui obéit
sagement. Sa maman avait besoin de repos, il le savait et avait
promis de prendre bien soin d’elle.
En pleine nuit, Mattis réveilla son papa en pleurant, maman
était partie.
- Papa ! Maman n’est plus dans ton lit. Elle est partie. J’ai
cherché dans toute la maison et elle n’est plus là, sanglotait l’enfant.
Matt, réveillé en sursaut, mit du temps avant de réagir.
- Mais non, maman est là. Elle dort.
- C’est pas vrai ! Elle est pas dans ton lit. J’ai touché, y a
personne.
154
- Maman est là, Mattis, elle dort.
- Non, papa ! Elle est pas dans ton lit, elle est partie, s’entêta
l’enfant en pleurant.
- Allume la petite lumière, chéri, tu vas voir.
Mattis alluma la lampe de chevet et découvrit le visage de sa
maman. Elle dormait profondément, allongée sur son papa. Leur
conversation ne l’avait pas réveillée.
- Oh ! Elle dort, s’étonna-t-il en reniflant.
- Oui ! Elle dort et tu devrais en faire autant.
- J’ai eu peur, je croyais qu’elle était partie.
- Maman ne partira pas, chéri, elle reste avec nous. Retourne
te coucher maintenant, maman doit se reposer et toi aussi.
- Oui, je vais dormir, consentit Mattis, sans se décider à
retourner dans son lit. Papa, je peux dormir avec vous ?
- D’accord, mais juste pour cette nuit.
Mattis n’attendit pas qu’il change d’avis et s’empressa de les
rejoindre en veillant à ne pas réveiller sa maman. Lila, dans son
sommeil, frotta sa joue dans le cou de Matt et l’embrassa.
Inconsciemment, elle perçut la présence de son fils et l’attira à leurs
cotés. Mattis se serra contre eux, la main de sa maman dans la
sienne. Il sourit dans la nuit, heureux et apaisé.
Lila se réveilla la première et tenta de s’étirer. Elle était
étendue sur Matt. Enchantée, elle caressa et embrassa le torse de son
cher mari. Elle était chez elle et avait retrouvé son Matti.
Elle se souvenait de cette nuit mouvementée. Énervée, elle
avait eu beaucoup de mal à s’endormir et avait tourné et tourné dans
son lit. Matt l’avait prise dans ses bras mais elle se sentait encore
trop loin de lui. Elle s’était allongée sur lui et enfermée dans ses bras,
s’était apaisée. Elle ne se souvenait pas de la venue de son fils et
ressentit un grand bonheur auprès de ses deux hommes.
Matt n’ouvrait pas les yeux mais Lila surprit un petit sourire.
Elle l’embrassa et ne reçut aucune réponse. Mutine, elle frotta son
nez contre le sien. Il ne résista plus et lui rendit ses baisers.
Mattis était éveillé et les regardait en souriant. Lila
l’embrassa lui aussi et le chatouilla. Le réveil familial se transforma
en une joyeuse partie de chatouilles et de bisous. Les rires oubliés,
éclataient de nouveau. Le retour de la maman et épouse apportait le
bonheur dans la famille.
155
La pendule indiquait sept heures et il était grand temps de se lever.
Les papys allaient arriver prendre le café.
La journée serait bien employée et Lila ne comptait pas rester
enfermée. Elle voulait retrouver ses habitudes.
Mattis rejoindrait le bureau pendant que ces parents se
rendraient à l’hôpital. Pendant l’hospitalisation de Lila, Matt
l’emmenait tous les après-midi, après la sieste. L’enfant restait avec
eux ou rejoignait les papys. Ces après-midi studieux lui apportaient
beaucoup. Il sortait des phrases simples en anglais ou en américain et
savait exactement ce qu’il disait. Les jeunes parlaient et il les
écoutait. Les haut-parleurs des ordis diffusaient les traducs
américaines en permanence et l’enfant apprenait des mots et des
phrases simples. Il avait surpris les jeunes. Tacha traduisait un texte.
Alors qu’elle butait sur un mot, toujours le même et cherchait dans
son dictionnaire, Mattis Lui souffla la réponse. Il l’avait écoutée et
retenu le mot américain. Il n’y avait aucune erreur et il avait compris.
Tacha s’en assura et lui demanda l’explication. Il s’en sortit très bien,
par un mélange de français-américain. L’enfant, fièrement,
"travaillait" sur un vieil ordi de Val. Il écoutait et apprenait à lire le
mot simple qui accompagnait l’image. Ensuite l’ordi ôtait le mot et
épelait les lettres que Mattis devait retrouver. Quand il avait un
problème, un des adultes présents l’aidait. Il avait quatre professeurs
à domicile.
Lila ne l’avait pas envoyé à l’école à deux ans, comme il était
courant de le faire. Elle avait préféré le garder auprès d’elle une
année supplémentaire et l'avait bien préparé. Elle lui avait appris des
choses simples, tout en s’amusant. Il connaissait les chiffres jusqu’à
vingt, lisait les lettres, reconnaissait les mots simples, les couleurs…
Ses premiers mois d’école montraient qu’il n’avait pas de lacune ; il
était très éveillé.
Coté équitation, Paddy et le Général avaient poursuivi son
entraînement avec Caramel, pendant toute la grossesse de Lila. Ils le
stimulaient et l’enfant progressait. Il avait prévu de grandes
promenades hors du domaine. Depuis quelques temps, il avait tout
abandonné, mais il s'y remettrait.
Dès le retour de sa maman, il avait insisté pour lui montrer ses
progrès. Lila l’avait accompagné dans le pré et avait admiré son petit
cavalier. Les petits obstacles ne lui faisaient pas peur et il les sautait
156
parfaitement. Il se retournait souvent, quêtant des félicitations et des
bravos. Au bureau, elle avait été surprise et très fière des
connaissances de son enfant.
Ses vacances de Noël étaient bien employées. Le matin, ses
parents partaient pour l’hôpital, lui retrouvait les jeunes dans la
vieille maison et travaillait sur son ordi. Ensuite, il montait caramel
et rejoignait les papys. L’après-midi, il profitait de sa maman. Il
s’occupait d’elle, veillait à ce qu’elle se repose et l’aidait comme il
pouvait. Il naviguait des uns aux autres et avait retrouvé son sourire
comme tous les habitants du Domaine.
Le médecin était passé, la baisse de tension et la déprime
n’étaient plus que des souvenirs.
157
CHAPITRE 14
Lila reprenait ses marques en douceur. Ses matinées se
passaient à l’hôpital avec Matt. Les après-midi, elle se reposait,
s’occupait de la maison et des repas. Ses hommes trouvaient que
c’était suffisant. Elle devait récupérer et retrouver ses forces. Son fils
y veillait et n’oubliait pas de la rappeler à l’ordre. Il craignait qu’elle
ne se fatigue et ne retourne à l’hôpital. Son inquiétude restait tenace
et sa phrase récurrente était :
- Tu dois te reposer ma petite maman sinon papa et les papys
ne seront pas contents. Tu tomberas encore malade et tu retourneras
là-bas.
Lila le rassurait, elle se portait très bien et n’avait aucune
envie de quitter ses amours. Elle le serrait dans ses bras et
l’embrassait très fort. La dépression post natale n’était plus qu’un
mauvais souvenir et Lila ne s’était jamais sentie aussi bien. Les
petites profitaient doucement et le couple était impatient de les
ramener. Lila avait retrouvé sa place et s’occupait de ses hommes
avec un grand bonheur.
Le samedi, les papys et Mattis se retrouvaient au marché. Le
dimanche après-midi toute la famille faisait une petite randonnée à
cheval. Lila se sentait en pleine forme. Elle proposa son aide au
bureau mais ses hommes refusèrent. Sa convalescence n’était pas
terminée et elle avait suffisamment de travail l’après-midi.
Un week-end d’adoption était prévu pour la première semaine
du mois de mars. C’était le mois idéal, les adoptants seraient
nombreux.
Le grand week-end arriva. Lila rejoignit Matt et resta à ses
cotés. Mattis restait avec eux ou avec les papis. Le couple ne le
laissait jamais seul et le surveillait. Comme prévu, il y eu de
nombreuses demandes et beaucoup de visiteurs et de promeneurs.
Le vieux couple revint. Il s’enquit de la santé de Lila et
s’inquiéta de l’absence du bébé. Matt leur répondit qu’elles
rentreraient à la maison dans une semaine ; oui, ils avaient eu des
158
jumelles.
Rapidement, le vieil homme en vint aux "Roque Brune." Il
connaissait la famille et voulait partager ses souvenirs avec Matt et
Lila et eux seuls. Il était hors de question que leur conversation soit
entendue par un tiers. Matt intrigué et curieux regarda Lila. Elle était
indécise mais si Matt souhaitait des renseignements concernant son
passé...
Ils convinrent d’un rendez-vous quinze jours plus tard.
Le jeune couple ne souhaitait pas taire cette entrevue aux papas. Ils
avaient toujours été honnêtes et sincères les uns envers les autres et
voulaient que cela continue.
Le Général ne cacha pas son inquiétude. Il n’avait pas oublié
ses paroles concernant la famille "maudite et haïssable." Ses
révélations risquaient de faire mal à son fils. S’il disait vrai, s’il
connaissait les "Roque Brune" quels secrets sur cette famille, allait-il
révéler ? Nanny n’appréciait pas la famille de Quentin. Le peu
qu’elle en savait et qu’elle avait révélé au Général était très
déplaisant.
Ses enfants lui proposèrent d’écouter la conversation. Le
Général refusa.
Dans l’immédiat, la préoccupation concernait l’arrivée de
leurs petites Princesses. Elles avaient passé les trois premiers mois de
leur vie à l’hôpital et leur arrivée était attendue avec impatience par
tous les habitants du Domaine.
Matt avait déposé, délicatement, Anna dans son transat et Lila avait
fait la même chose avec Clara. Le couple soulagé et heureux avait
quitté la maternité, encadré de ses deux Princesses. Pour leurs
parents, les matinées à l’hôpital étaient terminées et la vie familiale
allait commencer.
Clara et Anna étaient chez elles et dormaient dans leur
chambre, enfin ! Les jumeaux et les jeunes, les bras chargés de
cadeaux, étaient venus leur rendre visite. Mattis n’avait pas été
oublié et avait reçu un ordinateur et des logiciels pour enfants, il en
était très fier. Il voulait apprendre à lire correctement. La
bibliothèque de l’école possédait de très beaux livres d’animaux et il
souhaitait en connaître les histoires. Contrairement à sa première
impression, il aimait l’école.
Mattis devint rapidement très proche de ses petites sœurs. Il
159
attendait leur réveil avec impatience. Lorsque l’une des petites se
faisait entendre, il était le premier arrivé auprès du lit à barreaux. Il
attendait que sa maman la lui dépose dans les bras. Il la tenait
délicatement, en prenant bien soin de la caler contre lui, et l’amenait
dans la salle.
Lila prenait place dans l’éternel rocking-chair et récupérait sa
fille. La première fois, Mattis était resté les regarder et sa maman
l’avait aidé à grimper sur ses genoux. Depuis, il prenait sa place au
coté de la petite sœur. Quand la tétée était terminée, elle changeait sa
fille. Mattis installait la grosse couette sur le sol et attendait que sa
maman installe et confie la petite sœur au "grand frère." Il prenait
son rôle très au sérieux.
La poussette était sortie pour la promenade. Mattis, très fier,
la menait sur le chemin. Il aimait s’occuper de Clara et d’Anna. Lila
le faisait participer ainsi il ne se sentait abandonné.
Matt n'était pas en reste et ne perdait pas une occasion de
s'occuper et de jouer avec ses trois enfants.
Les papis arrivaient, câlinaient et s’amusaient avec les enfants,
questionnaient Mattis sur sa journée d’école, admiraient les
progrès… avant le repas.
Chaque soir, Mattis, dans son lit, une petite sœur de chaque
coté, patientait. Il leur expliquait que papa et maman terminaient la
vaisselle… Elles devraient rester bien sages, dès que les parents
seraient prêts, ils leur raconteraient une belle histoire.
Les jeunes s’étaient découverts des talents cachés ; ils
adoraient s’occuper des bébés. Ils réclamaient les petites dès que Lila
franchissait les portes de la vieille maison et se chamaillaient pour
les câliner. Ils en profitaient chacun à leur tour. Ils taquinaient Lila et
Matt qui n’avaient conçu que des jumelles. Des triplés auraient
arrangé tout le monde, si Mattis n’était à la école, ils n’auraient pas
ce problème. Dans leurs bras, les petites gazouillaient et étaient
autorisées, privilèges suprêmes, à taper sur le clavier des ordinateurs.
Ils aimaient les petites Princesses comme ils aimaient Mattis.
Lorsque Matt et Lila leur proposèrent d’être les parrains et
Tacha et Louanne les marraines, ils se sentirent honorés et
acceptèrent. Ils gâtèrent encore plus leurs filleules, sans jamais
oublier Mattis qui restait leur petit Prince.
Le vieux couple était arrivé. Matt et Lila l’attendaient. Ils se
160
dirigèrent vers le bureau. Lila proposa un café, servit puis ils
attendirent.
Le vieil homme commença par questionner Matt :
- Rassurez-moi, de suite, le palefrenier soutient qu’il est votre
père, est-ce la vérité ?
- C’est effectivement mon père.
- C’est ce que vous a affirmé ce… ce palefrenier, précisa-t-il
dédaigneux.
- Ce palefrenier est bien mon père et j’en suis fier, répondit
Matt, belliqueux.
- Il ne peut pas être à la fois votre père et le père de votre
épouse ; ou alors, vous vivez dans l’abomination ?
Lila sursauta, indignée de cette perversité. Matt ne laissa pas
passer et attaqua :
- Si vous êtes venus insulter ceux que j’aime, je pense que cet
entretien n’a pas lieu d’être ; il ne nous mènera à rien. Personne ne
salira les miens. Vous vouliez me parler de la famille "Roque Brune"
si vous avez changez d’avis, je respecte votre décision.
Matt serrait la main de Lila dans la sienne. Il tremblait. Ses
sentiments étaient partagés, il aurait aimé connaître son passé mais
pas aux dépens de ceux qu’il aimait ; le prix était trop élevé. Il se
leva, suivit par Lila.
- Attendez, je m’excuse ! Cet homme et moi avons une
antipathie réciproque. Mais je respecte votre position. Acceptez de
m’écouter et vous jugerez ensuite.
Matt regarda Lila, elle acquiesça. Ils reprirent leur place.
- Attendez, je dois savoir, avant tout, si vous êtes un Roque
Brune.
- Je suis né Roque Brune.
- Je m’excuse de ces questions indiscrètes mais je devais
savoir. J’espère que vous savez la vérité sur votre passé, sur votre
naissance. Cet homme ne vous a pas tout dit. Je peux vous éclairer
sur les zones d’ombre mais il faut que vous le souhaitiez.
- Si vous devez salir les miens, je n’ai aucune envie de
connaître ces zones d’ombre, comme vous dites. J’ai ma famille et
cela me suffit.
- Vous en avez une autre que je connais. Ce que je vais vous
confier, je vous demande de le garder pour vous. Ce n’est pas mon
161
histoire et je ne souhaite pas qu’elle sorte de cette pièce.
- Avant que vous ne commenciez, je dois vous prévenir que
nous n’avons pas de secret les uns envers les autres.
- Ça, c’est votre opinion. Je n’y crois pas. Je pense qu’il y a
des secrets, de nombreux secrets dans cette famille mais j’ai besoin
de réponses à mes questions et je dois vous faire confiance.
- Vous recommencez à médire.
- Ce n’est pas de la médisance, plutôt de la raison. Mais je
vais m’expliquer. Tout d’abord, permettez que je me situe. Ma
famille a servi les Roque Brune pendant de nombreuses générations.
Mon père est le dernier. Il était majordome du temps de votre arrièrearrière-grand-père et de ses fils, et ce, pendant soixante ans environ.
Ces gens étaient très riches et bien nés. Leur nom avait de grandes
origines.
J’ai passé mon enfance au château. J’avais pour sœur de lait et
compagne de jeu, Geneviève, une enfant de servante. Nous étions
très amis. Votre grand-père s’amusait parfois avec nous, bien qu’en
ce temps là, les enfants de serviteurs et ceux de Maîtres se mêlaient
très peu.
Je me suis marié et j’ai suivi mon épouse pour la maison de ses
Maîtres. Je revoyais Geneviève lorsque je rendais visite à mon père.
Nous avions gardé contact.
Pour résumer la situation, elle s’était mariée avec le jardinier du
château. Son bonheur n’a pas duré longtemps, son mari est décédé
trois mois plus tard. Elle attendait un bébé et m’a demandé d’être le
parrain. Elle a eu de grandes difficultés lors de l’accouchement et a
été hospitalisée très longtemps.
Pendant ce temps, son bébé avait été recueilli et adopté par les
Maîtres ; elle n’a jamais pu le récupérer. Ils l’ont fait passer pour
folle et internée. A sa sortie, elle est venue me trouver. Elle m’a fait
promettre de retrouver son enfant et ses descendants, s’il y en avait.
Depuis, je recherche.
L’homme avait terminé et un silence lourd régna dans le salon.
- Votre histoire est triste mais je ne vois pas ce que je peux
faire pour vous. Je n’ai aucun contact avec cette famille. Je ne l’ai
jamais vu. Ma famille, ce sont les personnes présentes au Domaine.
- Si vous êtes un Roque Brune, l’enfant que je recherche
pourrait être votre père ou votre mère. Vous savez sûrement des
162
choses sur votre passé, sur vos parents ? Pouvez-vous me dire quels
sont vos liens avec l’homme que vous appelez votre père ? Il a du
vous parler de votre adoption ?
- Il est et restera mon père. Pour le reste, c’est personnel.
- Si vous n’avez aucun lien de sang avec lui, c’est un étranger
pour vous. Il a eu la possibilité de vous cacher son passé. Vous
pourriez vivre dans le mensonge depuis toutes ces années. Vous
pourriez être son fils naturel ? Votre nom de famille serait celui de
votre mère.
- Suffit ! Je ne vous permettrai pas d’insulter notre père. Ma
famille n’a pas à subir vos infamies. Je crois que cette conversation a
assez duré. Nous avons été, suffisamment patients. Je ne souhaite pas
être impoli, aussi je préfère y mettre un terme.
- Je vous présente mes excuses. Je me suis laissé dépasser par
mon inimitié pour cet homme. Il m’a chassé du Domaine et je ne l’ai
pas accepté. Il m’a affirmé être votre père et refusait que je vous
rencontre. J’ai la rancune tenace !
J’espérais que vous sauriez quelque chose. Ne souhaitez-vous pas
savoir la vérité sur votre naissance ?
- Je suis heureux ainsi, j’ai tout ce que je peux désirer. Le
passé peut rester enterré.
- Je suis vieux et fatigué, je veux juste mourir la conscience
en paix. C’est tout ce que je demande. L’un de vos parents pourrait
être la personne que je cherche. Je vous demande juste de me
répondre.
- Je n’ai pas la réponse. J’en suis navré pour vous.
Vous ne souhaitez pas connaître vos ancêtres… Savoir si vous êtes
un Roque Brune, le descendant d'une famille haïssable et incapable
d'amour ou celui d'une bonne et brave femme qui a aimé son enfant.
- Je suis comblé par la vie. J’ai une famille que j’aime et qui
m’aime. Elle m’apporte tout ce que je peux désirer. Le passé est le
passé.
- J’avais la crainte que vous ne réagissiez ainsi. Je n’ai pas
grand chose à vous offrir comparé à ce que vous possédez déjà. Si
vous êtes un descendant des Roque Brune, il est vrai que vous êtes le
dernier.
Je vous demande juste votre aide pour respecter ma promesse et ainsi
mourir en paix. Retrouver l’enfant de mon amie et ses descendants,
163
lui parler de son passé, lui expliquer les événements.
Si vous avez été adopté légalement, il y a des documents. Vous avez
sûrement des extraits de naissance, les noms et prénoms de vos
parents, des lettres, des photos…
Si vous êtes un enfant naturel, votre père sait le nom de la femme…
Je ne sais plus où chercher, vous êtes ma dernière chance. Je vous
demande simplement de me dire ce que vous savez sur vos parents.
Vous-même, vous avez des enfants, vous pouvez comprendre,
termina le vieil homme.
- Je vais en parler avec ma famille. Je ne vous promets rien.
Le vieux couple s’était levé, l’homme sortit une carte de
visite et la déposa sur la table. La femme n’avait pas ouvert la
bouche, elle salua discrètement. Ils sortirent, tristes et abattus.
Matt et Lila étaient songeurs. Les révélations du vieil homme
étaient dignes d’un roman de Sherlock Holmes.
- Quelle histoire ! murmura Matt.
- Cet homme m’effraie. Il semble désespéré et dans le même
temps, très agressif envers papa. Il profère des abominations.
- Je te comprends. S’il n’avait pas agi avec autant de hargne,
je lui aurais dit ce que je savais.
- C’est compliqué. Souhaites-tu connaître ton passé et tes
origines du coté de ton père.
- Honnêtement, je n’en sais rien. Si cela doit nous faire du
mal, je te répondrais, non, définitivement non ! Pour le reste, je n’en
sais rien. C’est si loin !
Ma famille c’est toi, nos enfants, papa et Paddy. Mon passé, c’était
Nanny ; je ne me souviens plus de ma grand-mère et mes parents,
parfois cela me rend triste. Quelle est ton opinion ? Donne-moi ton
avis ! Tu penses que c’est important pour nous ou nos enfants de
connaître mes origines ?
- Oh non ! Pour moi, ce n’est pas important. Je t’aime comme
tu es. Que tu sois le descendant d’un noble ou d’une pauvre servante,
je continuerai à t’aimer de la même façon, mes sentiments ne
changeront pas. Tu es et tu restes mon Matti, mon époux adoré et un
papa génial pour nos petits. Nous avons notre passé, notre présent et
notre avenir commun. Tes ascendants ne m’intéressent pas s’ils
doivent te faire souffrir. Cependant, tu as un choix à faire et je te
soutiendrai quel qu’il soit.
164
- Merci ma chérie ! C’est tout ce qui m’importe. Je pense la
même chose que toi. Nos enfants connaîtront notre passé commun et
je suis sûr qu’il les contentera. Je crois que nous allons en rester là.
Nous allons raconter cet entretien aux papas et nous déciderons
ensemble. Rentrons ma Lila, nous avons besoin de réfléchir à tout ça
avec Notre famille.
Il se leva et lui tendit la main. Ils prirent le chemin de leur
maison et rejoignirent le Général. Il veillait Anna et Clara tout en
regardant une revue.
Il s’était expliqué sur la fermeture des portes du Domaine.
Matt
connaissait les appréhensions du Général et de Paddy face à ce
couple entêté. Lila avait été mise au courant plus tard. Elle avait eu
suffisamment de soucis avec son hospitalisation.
Le jeune couple l’avait rejoint, il les rassura, les petites
dormaient toujours. Le café était chaud, Matt apporta une tasse et prit
place à leur coté. Il lui récapitula leur conversation en quelques
phrases :
- Les Roque Brune auraient volé et adopté l’enfant de son
amie d’enfance, sa sœur de lait. Il recherche cet homme ou cette
femme, qui pourrait être, je dis bien, pourrait être, mon grand-père
ou ma grand-mère. Il a promis à son amie de tout faire pour le
retrouver. Il souhaite respecter cette promesse et mourir en paix.
- C’est pour cette raison qu’il demandait sans cesse à te parler
!
- Nous pensons que son histoire ne nous concerne pas. Nous
ne souhaitons pas farfouiller le passé.
- Ton papa était un Roque Brune. Tu l’as renseigné sur ce
point ? Demanda le Général.
- Non ! Nous n’avons rien dit. Il est très agressif et nous
n’avons pas apprécié ses attaques. Il ne t’aime pas et te soupçonne
des pires choses, avoua Matt.
- Je sais. Il m’a accusé d’horreurs. Je ne pensais pas qu’il
recommencerait avec vous.
- Il ne s’est pas gêné. C’est pourquoi, j’ai bien cru que cet
entretien ne dépasserait pas les cinq minutes.
- Il disait des choses si abominables que nous n’avons pas
voulu l’aider. Il ne le méritait pas, murmura Lila.
- Pourquoi nous a-t-il dit toutes ses horreurs ?
165
- Je parle toujours de vous comme mes enfants. J’ai refusé de
le renseigner sur ton passé, je lui ai dit que notre vie privée ne le
concernait en rien. Il m’a demandé si j’étais ton géniteur. Géniteur,
quel mot affreux, je l’ai pris comme une insulte et je l’ai renvoyé du
Domaine. Je pense que ça vient de là.
- Sa méchanceté vient certainement de là ? Il n’a pas accepté
d’être renvoyé par un palefrenier. C’est ainsi qu’il t’appelle.
- Ça ne me vexe pas, puisqu’il dit vrai. Votre père n’est qu’un
palefrenier, mes enfants.
- Lila et moi sommes très fiers de toi. Ton métier est
honorable.
- Merci mes enfants ! Que comptez-vous faire maintenant ?
- Rien ! S’il souhaite mourir en paix, qu'il se débrouille tout
seul. Personne n’attaquera ceux que j’aime. Nous sommes une
famille et je n’ai rien besoin de plus.
- Ne veux-tu pas prendre le temps d’y réfléchir ? Ne
regretteras-tu pas cette décision, dans quelques années ? Peut-être astu des grands-parents, des oncles, des cousins…?
- Alors dis-moi où étaient-ils, ces grands-parents, ces oncles
et tantes, il y a vingt ans ? Où étaient-ils quand mes parents sont
décédés ? Quand Nanny jonglait avec les problèmes d’argent, se
bagarrait avec la DASS ? Quand elle est tombée malade ? Quand les
portes de l'orphelinat se sont fermées derrière moi…? Il n’y avait
personne de Roque Brune. Il est trop tard pour eux, qu’ils soient de
mon sang ou pas.
Ma famille, c’est celle qui s’est inquiétée du sort d’une vieille femme
pauvre comme Job, malade du cœur et responsable d’un orphelin de
trois ans. C’était, il y a vingt ans ! Qui s’est soucié de savoir ce qu’il
y avait dans les assiettes ? Si les factures étaient payées ? Si le gosse
était heureux ?
C’est un inconnu qui nous a sortis de la galère. Il ne s’est pas débiné
quand les coups durs pleuvaient les uns après les autres sur nos
têtes ! Il s’est battu pour le bonheur d’une vieille femme et de son
arrière-petit-fils. C’est lui qui a sorti le gamin du foyer de la DASS,
lui qui a offert un toit, au gamin et à sa pauvre vieille Nanny.
Toujours cet homme, qui a pris soin d’une vieille femme, l'a
encouragée à se faire opérer et l'a gardée à la maison jusqu’à son
dernier soupir. Qui s'est inquiété du gamin de nouveau orphelin ?
166
Toujours pas les Roque Brune. C'est toi qui m'as proposé de
m'adopter pour me protéger, pas eux. C’est à toi que je dois tout. Tu
m’as tout offert sur un plateau d’argent, une petite sœur, une famille
aimante et dévouée, des études, le bonheur, l’amour et le summum,
sa fille, ma merveilleuse Lila.
Non, cher papa ! Je n’ai pas besoin de savoir qui sont mes
ascendants. Je sais ce que je dois et à qui je le dois. Je sais d’où je
viens et où je vais. Je connais tous les membres de ma famille, mes
papas, ma Lila et nos enfants.
Il y a deux peintures dans ta maison, ma malheureuse famille qui a
disparu tragiquement et celle qui nous a recueillis Nanny et moi.
Aujourd’hui, nous l’avons agrandie de trois beaux enfants, je n’en
demande pas plus.
Lila et le Général n’avaient pas osé interrompre Matt. Ils
étaient émus de ce long discours de reconnaissance. Le Général
n'avait jamais parlé de ce passé difficile. Leur chère Nanny s’en était
chargée.
- Je ne suis pas et je ne serai jamais le petit-fils de la noblesse
française ou de cette malheureuse femme.
Je ne renie pas ma première famille, mon pauvre père ni ma pauvre
mère. Ils sont dans mon cœur comme ma grand-mère et notre chère
Nanny. Je suis sûr d’une chose, ils sont heureux pour moi, pour nous,
heureux de mon bonheur, de notre bonheur. Je n’ai pas besoin d’une
nouvelle famille, j’ai un papa que j’aime et qui m’aime. Il est
palefrenier, alors très bien ! Je suis fils de palefrenier et fier de l’être.
Aujourd’hui, certaines personnes se posent des questions sur moi ?
Désolé mais elles ont vingt ans de retard. J’ai déjà ma famille et
jamais je ne pourrai lui rendre ce qu’elle m’a donné, poursuivit Matt.
Le Général était bouleversé. Il se leva et Matt fit de même. Le
père enlaça son fils et le serra sur son cœur. L’émotion était palpable.
Les yeux de Lila picotaient et elle préféra laisser ses deux hommes
entre eux. Elle s’assura que les petites dormaient avant de quitter la
maison.
Au cours du repas, la conversation se poursuivit. Matt n’avait
pas changé d’opinion mais il demanda l’avis de Paddy.
- Tu me demandes mon avis, je te le donne. Si tu ressens le
besoin de savoir, je dis, fonce ; sinon, laisse tomber mais ne rate pas
le coche, tu en as la possibilité aujourd’hui ; demain, Dieu seul le
167
sait, il sera peut être trop tard.
Tu vois, moi, je n’ai rien, pas de passé, pas de parents ni même un
véritable nom. Mon nom et mon prénom me viennent des sœurs de
l’orphelinat. Je m’appelle Paulin parce que abandonné et trouvé un
onze janvier, le jour de la saint Paulin. Jean parce que c’était en
janvier. Je me suis souvent demandé quel aurait été mon nom si
j’étais né en février, en mars…
Si j’avais eu la possibilité de connaître ne serait-ce que mon nom de
famille, j’aurais fait des recherches. Mais je suis un "sans nom," un
"nom de papier," le gosse de personne. Je ne saurai jamais rien, mon
passé me restera inconnu. Je sais ce que c’est, de n’être rien, de
n’être personne et c’est difficile. Les questions sont nombreuses et il
n’y a jamais aucune réponse. J’aurais donné beaucoup pour connaître
mes origines. Mais bon ! C’est ainsi.
Toi, tu connais le nom de tes parents, ton histoire diffère de la
mienne, c’est vrai.
Paddy s’était tu. Un lourd silence planait autour de la table. Il
ne parlait jamais de son passé. Quand les enfants lui posaient des
questions, il répondait qu’il avait les deux plus beaux enfants du
monde. La réponse les enchantait, ils n’en demandaient pas plus. Il
avait toujours refusé de s’étendre sur le sujet. Les jeunes savaient
qu’il était seul et sans famille.
- Je regrette Paddy. Je ne voulais pas te faire de la peine. Je
pense que les liens du sang, c’est du pipeau. Toute ma famille est
réunie sous ce toit et ce sont les personnes les plus importantes dans
ma vie.
- Paddy, tu n’as pas le droit de dire que tu n’es personne, que
tu n’es rien. Tu as des enfants et des petits-enfants qui t’aiment. Tu as
une grande famille, tu n’as pas le droit de l’oublier, soutint Lila, les
larmes aux yeux.
- Tu as raison ma Princesse, j’ai une famille, une
merveilleuse famille, c’est vrai ! Elle me rend heureux depuis plus de
vingt ans, je n’oublie pas, ma Lila. Je parlais d’un vieux passé, un
passé enterré depuis si longtemps ! Plus jeune, j’aurais aimé
connaître mes origines, aujourd’hui, je suis un homme comblé et le
passé est révolu ; pour Matt c’est à voir.
- Je suis de l’avis de Paddy. Tu devrais y réfléchir. Tu n’aurais
aucun regret.
168
- Vous ne l’avez pas entendu, il a proféré des horreurs. Il a
osé prétendre que Lila et moi vivions dans l’abomination. Papa le
saurait, il nous aurait caché qu’il était mon père naturel. Je devrais
oublier ses paroles odieuses et laisser de coté mon antipathie pour cet
homme… Je ne sais pas si j’en suis capable. Que peut-il
m’apprendre ? J’aimerais le savoir et en même temps, j’ai peur.
- De quoi as-tu peur ?
- Nous sommes heureux, une famille soudée. Nous vivons
entourés d’amour. Notre vie est sereine et axée sur la famille, les
chevaux et le travail. Le Domaine est notre paradis. Lila et moi avons
tout ce dont nous rêvions. Nous ne cherchons rien de plus. Si je
commence à remuer le passé, je voudrais savoir, aller plus loin,
toujours plus loin. J’ai peur de ce que je découvrirais. J’ai peur de
vous perdre.
Il dit que cette famille, les Roque Brune, est maudite, haïssable et
incapable d'aimer. Qui me dit que je n’ai pas des ancêtres aux gênes
mauvais ?
- Tu n’as rien à crainte de ce coté là. Tu es bon, généreux,
intelligent ; regarde tes enfants, ils sont adorables. Il n’y a rien à dire.
- Non, mon garçon ! Ne te laisse pas influencer par ces
paroles. Si tes ancêtres étaient détestés, tu n’y es pour rien. Pour ce
qui est de nous perdre, c’est une chose qui n’arrivera jamais. Tu es
notre garçon, le fils de la maison, le mari de Lila et le père de vos
enfants, c’est une chose qui ne changera jamais. Ne te fies pas à son
opinion. Je suppose qu’il a eu des différents avec cette famille.
Regarde ce qu’il dit sur mon compte ; tout n’est que médisance et
mensonge, affirma le Général.
- Tu as raison. Ma famille restera celle que j’ai toujours
connue. Je suis idiot. Je m’inquiète, je me fais un sang d’encre pour
un lointain passé, tout cela après avoir écouté un vieux fou.
- Il est normal que tu aies pris peur. Quand on ne sait pas, on
s’imagine toutes sortes de choses, des meilleures aux pires. Je parlais
pour mon compte, je n’ai aucun passé. Toi, tu connais le nom de tes
parents ! Ce qu’il te manque, c’est le passé de ton papa. Tu veux
savoir ? Fonce ! Tu n’en ressens pas le besoin, alors ne cherche pas.
Laisse le passé dormir. Tu sais ce que ta chère Nanny t’a raconté et
elle ne t’aurait jamais menti.
- Paddy a raison. Quelle que soit ta décision, compte sur nous
169
pour te soutenir.
- Ma Lila a dit la même chose. Elle se moque de mes
ascendants. Que je sois petit-fils de châtelain ou de servante, elle
s’en fiche, ça ne l’intéresse pas. Je préfère rester le fils de deux
palefreniers qui m’ont tout apporté.
Dans l’immédiat, Matt et Lila ne donneraient pas suite à cet
entretien. C’était dit. Demain serait un autre jour. Le café fut le
bienvenu. Les adultes sirotaient la boisson réconfortante.
Mattis, fatigué, s’était endormi sur les genoux de sa maman.
Matt le récupéra, ses papys l’embrassèrent, l’enfant ne se réveilla
pas. Il était temps pour lui de rejoindre son petit lit.
La nuit était tombée lorsque les papys rentrèrent.
Lila et Matt n’avaient pas rejoint leur chambre. Ils s’étaient
servi un second café et poursuivaient la discussion.
- Nanny gardait tous les documents précieux et importants. Il
y a des cartons pleins de papiers que tu as ramenés de la petite
maison. Si tu le souhaites, nous pourrons regarder ce qu’ils
contiennent. Nous trouverons peut-être des renseignements.
- Tu as raison, je n’y pensais pas. Pour ce soir, il est trop tard.
Demain, il fera jour. Allons-nous coucher ma Lila.
- Je suis très contente que tu sois le fils d’un palefrenier. Saistu que les nobles, dorment dans des chambres séparées ? Chacun
dans une "aile" de la maison, pour recevoir leurs conquêtes secrètes,
je doute que tu apprécies ?
- Ça demande réflexion ; recevoir des conquêtes…
- Trop tard, vilain mari indigne que j’aime. Tu as refusé la
noblesse. Tu devras te contenter de la chambre conjugale et de ta Lila
et seulement d’elle.
- Puisque je n’ai pas le choix ! Je t’avoue, mon amour que ma
femme adorée et adorable me suffit amplement. La serrer dans mes
bras chaque nuit, me comble de bonheur.
- Je t’aime, mon mari chéri. Tu resteras toujours mon Matti
chéri et le grand amour de ma vie !
170
CHAPITRE 15
Les cartons étaient entreposés sur le haut des armoires. Lila
apporta l’escabeau et Matt les lui passa, un à un. Elle jeta un œil dans
le premier, il ne contenait que des factures. Matt avait eu plus de
chance. Sous ses yeux, s’étalaient des lettres enveloppées d’un ruban
et des cahiers d'école. Lila regarda un cahier, une lettre se détacha,
elle la donna à Matt.
"Mes deux petits amours, soleil de mes vieux jours, ces
cahiers sont pour vous. Ils retracent les évènements importants de ma
vie, mon journal intime, dirait ma Lila.
Lorsque vous en prendrez connaissance, votre Nanny aura rejoint sa
première famille. Cette seconde attaque cardiaque me prévient que
les années passent. Mon cœur tiendra encore et je n’ai pas l’intention
de vous quitter. Je prévois de vivre encore très longtemps entourée de
mes petits anges.
171
Vous m’avez offert une seconde vie. Toutes ces années passées
auprès de vous me sont si précieuses… Je n’ai pas les mots pour
vous remercier. Vous avez comblé de bonheur la vie de votre Nanny.
Lorsque j’ai perdu ma première famille, mon petit amour m’a
retenue dans ce triste monde. J’ai trouvé la force de me battre pour
lui. Cette résistance était bien entamée lorsqu’une merveilleuse petite
Princesse a pointé le bout de son nez. Elle a aimé mon petit Matti
chéri au premier regard, elle s’est approchée de lui et a mis sa petite
main dans la sienne. Il l’a enlacée et tout a commencé. Votre
affection soudaine, je devrais dire votre amour d’enfant, a sauvé la
vieille femme perdue que j’étais. Il nous a réunis et la vie de mon
Mattis est devenue magique, il a retrouvé le sourire et le bonheur
grâce à l’amour de sa jolie petite sœur.
Cette rencontre m’a redonné l’espoir et le goût de vivre. Je n’en
attendais pas tant, tous les soucis se sont envolés, la DASS s’est
éloignée, les factures ont été honorées, mon cœur malade a un long
répit… Oui mes chéris, je parle au présent.
La vie au Domaine ne m’apporte que du bien-être et du bonheur. Je
suis aidée et soutenue de tous les cotés. Je n’ai plus de crainte pour
l’avenir de mon Mattis. Il a deux papas et une adorable petite sœur
pour veiller sur lui. Vos papas, ces deux hommes que je considère et
aime comme mes fils, prennent sur leurs épaules tous les soucis de
votre vieille Nanny. Ils acceptent de prendre soin d’une vieille
femme malade et de son cher petit. Je les bénis tous les jours.
Chaque jour est un jour de bonheur, j’ai mes deux petits amours
auprès de moi et deux fils aimants qui veillent sur moi. Je ne pourrai
jamais exprimer l’enchantement que vous m’apportez. Le Domaine
est devenu mon paradis. Merci à vous deux, mes amours chéris et
merci à mes deux grands garçons.
Je me souviens de vos rêves. Pour ne pas changer, ils étaient
identiques. Mon Matt chéri, ton rêve était d’épouser "ta Lila chérie à
toi tout seul." Tu avais cinq ans, tu en parlais déjà. Tu voulais te
marier avec ta Princesse pour ne jamais la quitter. Ton amour était
déjà bien vivant (et ta jalousie aussi.)
Bien évidemment, ta petite Lila confirmait tes espoirs. Elle ne voyait
que son "Matti chéri." Son Matti chéri était le plus beau, le plus
gentil, le plus intelligent…de tout le monde tout entier." C’était son
"amour pour la vie tout entière." Vos convictions étaient très fortes.
172
En grandissant, si vos rêves ont évolué ou vos vies ont changé de
direction, j’espère que votre puissante affection, votre tendre
complicité et votre amour d’enfant n’auront pas faibli. Que vous
ayez construit vos vies, ensemble ou séparément, j’espère qu’elles
vous apportent le bonheur. Je sais que mon Mattis restera
reconnaissant et n’oubliera pas ce qu’il doit à sa nouvelle famille.
N’oublie jamais mon cher enfant, fais le bien autour de toi et tu le
recevras au centuple, comme ta chère Nanny l’a reçu.
Je dois arrêter cette lettre, j’entends discuter et rire mes deux amours
chéris qui rentrent de l’école. Ils vont venir embrasser leur chère
Nanny et leur raconter leur journée.
Je vous embrasse très fort, mes anges. Votre Nanny qui vous aime
tendrement."
Matt se tu et posa la lettre sur la table. Lila, très émue, caressa
les lignes écrite par la "maman du Domaine" leur chère Nanny. Elle
la replia, délicatement et l’embrassa. Elle étreignit Matt, il se serra
contre elle. Leurs yeux étaient humides. Longtemps après, Matt
s’exprima :
- Chère Nanny, elle me manque beaucoup. Je ne l’ai jamais
remerciée pour tout ce qu’elle a fait pour moi. Même partie, elle ne
nous oublie pas.
- Elle a été heureuse avec nous. Tu n’as pas de reproche à te
faire. Elle savait que tu l’aimais, que nous l’aimions. Sa belle lettre
nous le prouve, elle est très émouvante. Elle avait un si grand cœur,
c’était la bonté même. J’ai hâte de lire ses cahiers.
- Nous montrerons cette lettre aux papas. Je ne pense pas
qu’elle aurait été d’accord avec ma décision. Elle m’aurait demandé
de rassurer le vieil homme. Elle était charitable et généreuse ; mon
geste ne l’est pas. Elle disait "qui sème le bien, récolte le bonheur."
Si je lui disais le nom de mon père, il saurait que je ne suis pas
l’enfant qu’il recherche et pourrait passer à autre chose et moi, je ne
me sentirais pas coupable.
- Tu as sa carte et son téléphone. Tu as toute la nuit pour
réfléchir, demain tu te décideras.
- Je crois que tu sais déjà qu’elle sera ma décision ! Je le lis
dans tes yeux, murmura Matt en la prenant dans ses bras.
- Tu as toujours eu un cœur d’or, mon amour !
Matt sourit et l’embrassa, Lila le connaissait si bien.
173
Il était grand temps de rejoindre la chambre. Demain serait un
autre jour. Matt s’était étendu et attendait Lila. Elle se pressa de le
rejoindre et se réfugia dans ses bras. La lettre de Nanny leur avait
mis beaucoup de baume au cœur.
Lila ne s’était pas trompée ; le lendemain matin, Matt appela
le vieil homme. Il l’informa sur le nom de son père ainsi que sa date
et son lieu de naissance. Il reçut les précieux renseignements et
l’homme le remercia pour son aide. Il promit de le tenir informé et
l’assura de sa reconnaissance. Il poursuivrait sa quête. Il reviendrait
voir Matt et lui raconterait tout ce qu’il savait sur les "Roque Brune"
ce n’était pas joli et il le regrettait.
Matt se sentit apaisé et fit par de ce sentiment à Lila. Il ne
savait toujours pas si les Roque Brune la famille maudite et haïssable
le concernait mais le simple fait d’avoir rendu service à ce vieil
homme le soulagea.
Chaque soir, après l’histoire et les câlins à Mattis, le jeune
couple parcourait la correspondance des parents de Matt, les lettres
entourées d'un ruban. L’amour était présent dans le couple. Matt et
Lila le découvraient dans chacun de leurs mots. Ils le savaient de
Nanny mais lire ces lettres d’amour les réconfortait et les rassurait.
Si les Roque Brune étaient mauvais, son père ne l’était pas. Il
n’aurait pas écrit de si belles lettres en étant un monstre.
Les cahiers de Nanny pour "ses Amours, ses petits Anges" et
autres petits noms doux fleurissaient au fil de leur lecture.
"Mes anges sont au collège et leur amour a encore grandi ; il
devient plus fort et plus intense et j’en suis chagrinée. Ils ne vivent
que l’un pour l’autre, si une tierce personne s'interpose entre eux…
l’un des deux risque de souffrir. La grande école est dangereuse pour
un amour si parfait, Lila si mignonne, si pure et si confiante ; Matt si
beau, si amoureux et si jaloux… Mes pauvres petits chéris…"
Matt et Lila souriaient en lisant ce petit mot. Les craintes de
leur chère Nanny étaient vaines et elle l’avait rapidement compris.
Leur amour n’avait jamais été en péril, il était devenu plus fort et
plus solide ; il était ferme et définitif. Le couple n’avait laissé
personne s'immiscer entre eux. Rory était accepté ; il ne représentait
pas de danger. Pour les autres, ce fut plus long, Matt s’assurait qu’ils
ne tourneraient pas autour de sa précieuse Lila. Quand tout danger
était écarté, ils étaient inclus dans le trio.
174
Dans des cahiers plus anciens, le couple découvrait une Nanny jeune
mariée, heureuse avec son homme puis une Nanny maman fière de sa
belle Jeanne. Elle était intarissable sur sa petite fille.
En quelques phrases, elle notait les petits bonheurs et les
jours difficiles, l'achat d'une belle cafetière - un rêve- une année de
disette, le décès d'un voisin, une moisson réunie…
Un autre cahier, bien des années plus tard, concernait sa
petite fille Corinne.
"Nous sommes heureuses, Jeanne et moi. Le mariage est en
vue ; ils s'aiment tant ! Quentin est si gentil… Puis la tristesse, la
déception.
Quentin a souhaité présenter Corinne la femme qu’il aime à son père
mais il a essuyé un refus catégorique.
Quentin était promis, depuis très longtemps, à une jeune fille de
bonne famille. Ses parents, duc et duchesse, avaient perdu leur
fortune et leur patrimoine. Quentin, héritier fortuné du château des
Roque Brune était un parti plus qu’honorable. C’était un échange de
bon procédé ; Quentin hériterait d’un titre de noblesse élevé, sa
femme d’une vie digne de son titre et de son rang. La parole avait été
donnée, leur honneur était en jeu et un Roque Brune devait honorer
la parole de son père. Son avenir et son honneur étaient en jeu.
Il était hors de question que son béguin, son aventure avec sa
paysanne prenne le pas sur sa loyauté envers sa famille. Il devait
s’assurer que sa souillon reste secrète et invisible et ne lui porte pas
préjudice. Depuis tout temps, les hommes se distrayaient avec des
filles, il lui suffirait de rester discret et modeste financièrement. Les
arrivistes et les parvenues restaient des ambitieuses.
Quentin s'était rendu chez son père, seul. Une querelle avait éclaté,
des mots grossiers avaient été proférés. Quentin avait claqué la porte
sur ces mots, s'il devait choisir, entre son père et la femme qu’il
aimait, son choix était fait. Il n'avait jamais revu son père.
Quentin l'avait invité au mariage, il n’était pas venu."
La lettre de Nanny expliquait, avec maints détails, la tristesse
de Quentin et de Corinne.
Matt et Lila étaient choqués et attristés pour le couple. Les
lettres de leur Nanny apparaissaient çà et là. Elle expliquait et
donnait les renseignements nécessaires. Ils n’avaient aucun mal à
comprendre.
175
- Dans mon cahier, Nanny parle de toi ! Enfin pas encore, ta
naissance est proche. Elle écrit : "nous sommes inquiètes, Corinne
est seule et déprimée. Les semaines sont longues pour la future
maman. Quentin est parti pour deux mois suivre la formation d'agent
d’assurance. Corinne est à la ferme ! Quentin nous a demandé de
veiller sur la femme de sa vie et sur l'enfant de leur amour." Quelle
jolie phrase ! murmura Lila, avant de poursuivre. "Le stage de
Quentin est terminé et il a été engagé. Son travail lui offre des
perspectives positives et une belle carrière s’annonce. Cela permettra
au couple de vivre décemment et d’oublier les problèmes financiers.
Nous sommes heureuses pour eux mais ils quittent la ferme." Il n'y a
plus grand chose, Nanny écrit qu'elles reçoivent une lettre, chaque
semaine. Le couple décrit sa vie, son bonheur et attend avec
impatience l’arrivée de leur enfant. Le travail de Quentin marche
bien, ils prévoient d’acheter une maison."
- Ça y est, tu es né. Écoute mon chéri, "Mattis est né, il est
magnifique. Jeanne et moi sommes allées à la maternité."
Lila
continua sa lecture, les grands-mères s'extasiaient devant l'enfant et
les parents n'étaient pas en reste. Chaque week-end, ils venaient à la
ferme, et Nanny notait ses progrès, ses premiers sourires, ses
premiers pas… "Mathis adore mon gâteau au chocolat. Il aime les
animaux et trottine autour des vaches avec sa Mamie Jeanne. Ses
parents parlent de lui offrir un chien dès qu’ils seront dans leur
nouvelle maison. L’enfant est un vrai petit Dieu et rien ne lui est
refusé. Nous sommes comblées, leur bonheur fait plaisir." Tes
parents et tes deux grands-mères t'adoraient mon Matt chéri, on le
ressent dans les écrits de Nanny.
- Ouf ! C'est émouvant ! Et mes parents s’aimaient. Leurs
courriers sont enflammés, de vraies lettres d’amour. Preuve que mon
père n'était pas "incapable d'amour."
- Tout comme toi, mon chéri !
- J'ai une lettre de la famille de Quentin ! Elle est terrible !
"Nous sommes au regret de vous annoncer que l’héritier des
Roque Brune n’est plus.
Nous ne connaissons plus de Quentin. Il ne fait plus partie de la
famille ; son nom est rayé de notre mémoire. Concernant sa
progéniture, nous n’avons aucune envie de la connaître. Nous ne
ressentons rien, nous n’avons aucun lien et nous n’en voulons ni
176
aujourd’hui, ni jamais. Son présent et son avenir nous indiffère au
plus haut point ; il ne nous concerne pas.
Nous vous avons effacés de notre mémoire ; faîtes de même !
Moi, Monsieur de Roque Brune considère que je n’ai plus de fils,
mes sœurs, plus de neveu. Il est décédé le jour ou il a apporté le
déshonneur sur sa famille. Les regrets et le pardon sont inacceptables
pour l’humiliation subie."
Matt et Lila étaient en état de choc. La famille de Quentin
était monstrueuse, intraitable et intolérante. Indignés, Matt et Lila
n’avaient pas poursuivi leurs lectures. Le sommeil avait été long à
venir. Les lettres, douces et affectueuses de Nanny ne parvinrent pas
à leur faire oublier ce courrier. Comment pouvait-on effacer son fils ?
Le considérer comme mort ? Le renier ?
Le lendemain, ils reprirent les cahiers de Nanny. L’achat de la
maison s’était conclu. Le déménagement pouvait commencer. Le
couple était venu chercher Jeanne, la maman de Corinne. Elle les
aiderait à arranger la maison, Nanny garderait le petit Mattis.
Ils n’emménagèrent jamais dans la maison. Sur l'autoroute un
pneu éclata, la voiture termina sa course dans un poids lourd et
explosa. La fille et les petits-enfants de Nanny avaient disparu et
laissaient un orphelin de trois ans et une vieille femme désespérées.
Par correction, Nanny avait écrit aux parents de Quentin. Elle
leur avait annoncé le décès de la famille dans un accident de voiture.
Par crainte, elle n’avait pas précisé que le cher enfant avait échappé à
l’accident. Ses inquiétudes s’étaient vite calmées, elle avait reçu une
lettre de condoléances. Celle-ci était indifférente et détachée. C’était
la dernière lettre archivée, Matt la parcourut à haute voix, "Veuillez
accepter nos sincères condoléances pour la perte de votre famille." Il
la retourna mais il n’y avait rien d’autre, juste cette phrase, d’une
banalité inadmissible. Leur fils, leur belle-fille et petit-fils étaient
décédés, du moins le croyait-ils, et ils se contentaient d’envoyer une
lettre d'une phrase.
Nanny n’avait plus jamais entendu parler d’eux et ne l’avait
jamais regretté. Ils ne méritaient de connaître leur petit-fils.
Lorsque les soucis avaient commencé, soucis de santé,
problèmes financiers, la DASS… Elle avait déclaré le petit orphelin
de famille. Une adoption par des étrangers était préférable à cette
famille glaciale et inhumaine. Une famille haïssable et incapable
177
d'amour, c’était peut être de ça que parlait le vieil homme.
CHAPITRE 16
Les mois passaient, juillet était là. Mattis allait sur ses cinq
ans, les deux Princesses sur sept mois. Elles profitaient, grandissaient
et faisaient la fierté de toute la famille et des jeunes.
Le travail au Domaine ne manquait pas. Les hommes avaient
toujours fort à faire. Lila partageait son temps entre sa famille et le
secrétariat du Domaine. Matt et les jeunes commençaient à être
reconnus et avaient beaucoup de proposition.
Mattis était en vacances. Les journées s’écoulaient
calmement entre son poney, son ordi, les adultes et ses petites sœurs.
Il s’en occupait et jouait avec elles ; les petites l’adoraient et
éclataient de rire dès qu’elles l’apercevaient. Il essayait de leur
donner leur repas. Ce n’était pas si facile que ça, les chipies
saisissaient la cuillère et se barbouillaient le visage. Il préférait leur
donner un gâteau, du fromage ou un petit bout de pain, c’était plus
simple. Le croissant était divisé en trois parts mais le bonbon ou la
sucette lui revenait toujours. Anna et Clara étaient trop petites.
Paddy avait bricolé un harnachement pour Caramel. Les
transats étaient attachés de chaque coté de la selle. Les papys
promenaient les deux Princesses sans soucis.
La petite carriole de Nanny avait été rénovée, repeinte et remise en
service. Lila pouvaient se promener tout autour du Domaine avec ses
trois enfants. Mattis les encadrait fièrement avec Caramel.
Les jeunes s’occupaient beaucoup des trois enfants. Ils
seraient parrains et marraine et réclamaient leurs droits. Ils se
chamaillaient toujours amicalement pour s’occuper des petites ou
178
aider Mattis. Il n’était pas en reste. Il retrouvait son "ordi" et "ses
professeurs" et étudiait sérieusement à leurs cotés.
Dès qu’il était lassé, il retrouvait Anna et Clara ou rejoignait
un de ses papys autour des chevaux, monté sur Caramel.
Les fins de semaine ne variaient pas. Le samedi, c'était le
marché, avec l’indispensable tour de manège. Le dimanche, c’était le
pique-nique et la pêche pour Paddy. Mattis n’avait toujours pas
adhéré à cette passion. Il préférait lancer des bâtons au trio de chiens
et à la nouvelle compagne du Général. Paddy ronchonnait, la chienne
adorait se baigner. Mattis l’avait compris et envoyait le bâton dans
l’eau pour le taquiner. La chienne plongeait et effarouchait les
poissons. Les menaces du Papy n’effrayaient ni la chienne ni l’enfant
qui se sauvaient en courant pour ne pas devenir le casse-croûte des
"baleines et des requins" qui peuplaient la rivière. La belle chienne
croisée labrador était pensionnaire à la SPA depuis plusieurs années.
Son cas devenait critique, Paddy avait été sollicité ; elle avait
remplacé Belle auprès du Général. Les chiens comme les chevaux
avaient une seconde chance.
La vie s’écoulait gentiment partagée entre la famille et le
travail. Le Domaine ne désemplissait pas. Les chevaux arrivaient
toujours ; les week-ends d’adoption suivaient. Lila aidait les hommes
tous les après-midi. Elle emmenait les deux petites dans le bureau et
les installait sur une grosse couverture.
Lila se pressait, deux camions venaient de décharger leur
précieuse cargaison. Les nouveaux venus étaient en état. Ils seraient
proposés à l’adoption dans quinze jours. Elle savait ce qu’il lui
restait à faire cet après-midi. Elle connecterait l’appareil photo à
l’ordinateur et préciserait qu’ils n’avaient aucune information sur ces
nouveaux arrivés. Tout semblait se dérouler parfaitement bien. Ils
s’alimentaient calmement et ne risquaient pas de problèmes, ils
avaient eu à manger et à boire, à la gare. Les jumeaux les
surveillaient et vérifiaient si tout allait bien. Ensuite, la corvée serait
pour Paddy, il aiderait le Général à castrer les étalons.
Elle se dirigea vers le bureau. Elle remplacerait le Général auprès de
ses filles. Il s’occupait du courrier. Une enveloppe destinée à Matt
attira son attention. Sur l’enveloppe, un autocollant "urgent"
ressortait. Elle le prévint.
Matt survola la lettre et la tendit à Lila. Il la résuma au
179
Général.
- C’est le vieil homme. Il est à l’hôpital suite à une crise
cardiaque. Il veut nous voir d’urgence.
- Il dit que ses jours sont comptés, murmura Lila.
- Et aussi des choses pas très jolies mais j’aimerais savoir.
- Alors vous devriez appeler l’hôpital et vous renseigner,
suggéra le Général.
- Tu as raison papa. J’ai beaucoup réfléchi et je crois que je
ne dois pas laisser passer l’occasion. Je sais, pourtant, que je vais le
regretter.
- J’appelle tout de suite et nous verrons ensuite.
La secrétaire refusa de communiquer des renseignements
concernant un patient. Elle les informa qu’il était en cardiologie et
que les visites étaient autorisées de seize à dix-sept heures.
- Qu’en pensez-vous ? Questionna Matt.
- Si tu souhaites des réponses, n’hésite pas !
- Lila à raison, mon fils. Tu as assez réfléchi, il est temps
pour toi, d’agir. Peut-être te parlera-t-il des Roque Brune ?
- Tu as raison papa, je vais y aller avec ma Lila. Nous saurons
ce qu’il nous veut et n’aurons aucun regret.
Le couple était décidé. Le vieil homme était le dernier à
pouvoir combler le passé inconnu. Quentin avait tout rayé et ne lui
avait laissé aucun souvenir.
Devant la porte de la chambre, ils hésitèrent. Matt écrasait la
main de Lila dans la sienne. Elle n’était pas plus rassurée mais c’était
important pour lui. Elle le regarda et lui sourit.
- Si tu veux faire demi-tour, nous partons.
- Non ! Au fond de moi, je veux savoir, connaître un peu mon
papa, sa vie... Avec toi près de moi, je trouve le courage.
- Un mot de toi et nous rentrons à la maison.
Matt acquiesça et frappa. La porte s’ouvrit sur la femme du
vieil homme, elle les invita à entrer.
Allongé dans son lit, son mari semblait très faible et sa
respiration était saccadée. Il sourit en apercevant les jeunes et tenta
de se redresser. Aussitôt, sa femme arrangea les oreillers.
- Merci d’être venus. Je vous remercie vraiment. Vous me
faites un grand plaisir.
- Vous souhaitiez nous rencontrer, nous sommes venus.
180
- J’en suis heureux. Je crois que ma route va s’achever là. Je
voulais vous dire tout ce que je sais de vos ancêtres. C’est important
pour vous et votre fils. Vous aurez besoin de ces renseignements dans
l’avenir. Votre grand-mère pourra confirmer mes dires si vous la
rencontrez un jour.
- Nous vous écoutons.
- J’ai travaillé pour elle pendant de nombreuses années. J’ai
quitté le château de votre grand-père pour le sien. Mon épouse était
servante chez cette dame.
Les châteaux, celui de votre grand-père et celui de votre grand-mère
étaient voisins, enfin si l’on peut dire. Leur terre, plusieurs centaines
d’hectares, étaient contiguës.
Leur mariage avait été arrangé pour agrandir et réunir les deux
propriétés en une seule. C’était une chose très courante à l’époque.
Elles ont été désunies au divorce de vos grands-parents, il y a bien
longtemps. Votre père n’était qu’un bébé.
- L’avez-vous connu ?
- Non pas lui ! Après mon mariage, je ne faisais plus partie du
château de Roque Brune mais de celui des Pierres Longues.
Ma famille a servi les Roque Brune pendant des générations. J’ai
refusé de poursuivre la tradition et ne l’ai jamais regretté. Les Roque
Brune étaient de mauvaises personnes et leur réputation n’était pas
brillante, oh non ! Plutôt noire comme du charbon.
- Pouvez-vous me parler d’eux ?
- Je vais vous révéler tout ce que je sais mais ce n’est pas joli.
J’aurais préféré que vous veniez seul, cela pourrait inquiéter votre
épouse.
- Nous n’avons pas de secret, je crois vous l’avoir déjà
précisé.
- Je n’ai pas oublié ! Comme vous voudrez, mais je vous
aurai prévenus. Je commence avant que l’infirmière n’arrive. Elle ne
m’autorise qu’une heure de visite.
Comme je vous l’ai déjà dit, ma famille travaillait chez la vôtre
depuis plusieurs générations. Je suis né au château, il y a un peu plus
de quatre-vingts ans. J’ai toujours connu les Roque Brune. Je
commencerai par vos lointains ancêtres, votre arrière-arrière-grandpère et son fils. La fortune du père s’est construite très rapidement. Il
a fait de bien mauvaises choses toute sa vie. Dès qu’il y avait une
181
occasion de s’enrichir, il n’hésitait pas. Aucun scrupule, aucune
morale ne l’arrêtait et son fils ne valait pas mieux. Je commencerai
par ces deux là.
Pendant la seconde guerre mondiale, le père ouvrait les portes du
château pour sauver les enfants juifs des camps de concentration. Il
recevait des faux papiers et de fortes sommes pour payer les passeurs
et les familles d'accueil. Votre aïeul promettait la zone libre ou la
Suisse pour les gosses. Malheureux enfants ! Ils étaient remis aux
Allemands. Pas un n’est revenu.
Il y a une justice, il n’a pas profité de sa fortune. Quelques années
plus tard, il est devenu fou et a été interné. Sa fortune malhonnête est
restée à la famille.
Son fils, votre arrière-grand-père agissait d’une façon différente mais
tout aussi terrible. Il était passeur de juifs. Les pauvres gens
emmenaient toute leur fortune dans l’espoir d’une autre vie. Il le
savait et les délestait de leurs biens, or, argent, diamant, bijoux et
même les alliances. Il récupérait leurs manteaux et leurs valises et
vendait tout au marché noir. Il avait remarqué qu'ils cachaient des
billets et des bijoux dans la doublure des vêtements, aussi il les
fouillait avec sa bande de brigands. Ensuite il les menait directement
aux Allemands ainsi personne ne pouvait le dénoncer.
Il était très engagé chez les partisans. Ces jeunes Français qui avaient
refusé le STO et pris "le maquis." Les réunions se passaient dans des
maisons amies et les Allemands faisaient des "descentes
impromptues." Lui était relâché, les autres disparaissaient. Il a eu de
la chance, il n’a pas été fusillé, il était passé du bon côté au bon
moment lui et trois de ses amis.
Comment, je sais cela ? Par mon père. Lui-même l’a appris d’un
Allemand revenu en pèlerinage, trente ans plus tard. Le mal qu’il
avait fait ne lui a pas porté chance, il s’est jeté d’une fenêtre du
château et s’est cassé le cou. Il laissait une grande fortune à sa
femme, ses trois filles et son fils unique, votre grand-père.
Votre grand-père jouait avec ma sœur de lait et moi-même quand
nous étions enfants. Sa position sociale le lui interdisait, il nous
rejoignait néanmoins.
Au alentour de trente ans, son caractère s’est modifié. Un moment, il
était jovial, agréable, parlait de changer le monde, de transformer le
château et l’instant d’après, il était mélancolique, triste et ne parlait
182
plus. Il avait de gros problème avec la nourriture. Soit, il ne mangeait
plus pendant plusieurs jours soit, il se jetait dessus, se goinfrait et
n’en avait jamais assez.
Il ne dormait plus la nuit par crainte d’être assassiné. Il se promenait
dans les couloirs en hurlant qu’il était possédé. Des fantômes le
pourchassaient… Il parlait à son père décédé et lui demandait
pardon.
Il est devenu agressif, mauvais. Il se croyait volé par ses gens, trahi,
détesté, sentiment qui était vrai, et ne le supportait pas. Il vérifiait les
comptes, ses tableaux, ses collections, l’argenterie. Il pensait que
nous étions tous jaloux de lui et nous voulions le déposséder de ses
biens.
Quant aux filles de ferme, il les terrorisait. Il leur tenait des propos
honteux et scandaleux. Des bruits courraient sur ce qu’il faisait à
celles qui auraient oublié de verrouiller leur porte. Même ses sœurs
le craignaient comme la peste et l’évitaient autant que possible. Je
dois dire que je faisais la même chose.
Il se promenait toujours avec un nerf de bœuf et frappait bêtes et
gens. J’en garde un souvenir sur l’épaule, son nerf de bœuf ne m’a
pas raté. Il m’avait pris au dépourvu et sa rage s’est passée sur moi.
J’ai quitté ce château à mes vingt et un ans.
Votre grand-père était suivi par plusieurs médecins mais il refusait de
prendre ses traitements.
C’est là que débute l’histoire de mon amie, Geneviève, ma sœur de
lait. Son histoire, je vous l’ai déjà racontée, je ne m'éterniserai pas
dessus.
Geneviève, ma pauvre amie a été hospitalisée et son bébé a disparu.
Personne n’a pu me renseigner au sujet de ce nourrisson. Au château,
il y avait un bébé mais c’était l’enfant d’une des sœurs Roque Brune.
Le bébé de mon amie est-il décédé ? Avait-il été volé et adopté
comme elle me l’a toujours affirmé ? Je n’ai pas trouvé la réponse
aujourd’hui. Ma pauvre amie l’a peut-être ? Pour en revenir à votre
grand-père, il est décédé, d’un coup de pied de cheval, il devait avoir,
tout juste, cinquante ans.
Je crois que je vous ai dit l’essentiel.
Concernant votre papa, je ne sais rien. Je ne l’ai jamais vu. Votre
grand-mère serait plus à-même de vous en parler. Il y a bien
longtemps que je ne l’ai vu, elle-même.
183
Vous savez, je regrette que vous soyez le descendant de cette famille.
Je vous trouve agréable et gentil. Vous avez une gentille petite
femme et un bel enfant. J’aurais préféré que vous soyez l’enfant que
je recherchais. Ses parents et grands-parents étaient d’honorables
serviteurs et de bons amis, termina-t-il essoufflé.
- Il doit se reposer maintenant, murmura sa femme.
Matt et Lila sortirent de leur torpeur. C’était un cauchemar, un film
d’horreur. Ses ancêtres étaient des schizophrènes et des paranoïaques
doublés de monstres, de traîtres et responsables de déportation
d'innocents.
- S’il vous plaît, mon mari doit se reposer. Il est très fatigué.
- Oui, bien sûr ! Nous allons vous laisser. Nous vous
remercions et vous souhaitons un bon rétablissement, murmura Lila
en se levant.
Elle tenait toujours la main de son cher mari choqué et
complètement muet. Il secoua la tête pour chasser ses visions
affreuses et se leva enfin.
- Viens mon Matti, nous rentrons chez nous.
Elle l’entraîna vers la voiture, il se laissa faire, assommé. Elle
prit le volant, Matt, dans un état second, ne disait pas un mot. Arrivé
à la maison, il sortit de la voiture et s’éloigna. Lila le suivit, il leva la
main et l’arrêta :
- S’il te plaît ma Lila ! Laisse-moi seul !
- Matti, murmura-t-elle tristement.
Il secoua la tête et partit sans se retourner. Lila, les larmes aux
yeux, le laissa aller. Il avait besoin d’être seul, elle le comprenait
mais souffrait de ne pouvoir le soulager.
Elle prit le chemin du bureau et retrouva ses filles. Elle les embrassa
et les câlina. Le Général lui fit un signe de la main, il était au
téléphone. Lila prépara deux tasses et patienta.
Elle regardait par la fenêtre mais ne voyait plus Matt.
- Matt n’est pas avec toi, Princesse ?
- Non papa ! Il est parti réfléchir, il a besoin d’être seul.
- C’est si dur que ça ?
- Pire encore. Les ancêtres de Matt étaient fous, méprisables
et monstrueux. Tous ses ancêtres, papa, tous !
- Attends ! Commence depuis le début.
Lila lui résuma la vie des Roque Brune, ces châtelains, cette
184
famille maudite et haïssable. Elle termina par une question Matt et
Mattis, pourraient-ils être atteints eux aussi ?
Le Général l’écouta sans l’interrompre, la stupeur se lisait
dans ses yeux.
Lila laissa ses petites et partit à la recherche de Matt. Elle le
trouva au pied du vieux chêne, la tête dans les mains. Il ne l’avait pas
entendue. Elle s’approcha, s’agenouilla devant lui et lui prit les
mains.
- Oh ma Lila ! Je me sens si mal.
- Je refuse de croire cet homme.
- Il n’a pas menti et tu le sais. Personne ne ment quand la fin
est proche.
- Je me fiche de ce qu’il a dit. Toi, tu n’es pas comme eux.
- Je vais devenir parano, fou... Tu as entendu ! Bon sang
Lila ! Ma famille est tarée, tordue, monstrueuse. Tu l’as entendu
comme moi ! Arrête de te cacher la tête dans le sable !
- Si, je dis bien, si, tu es malade, nous agirons en temps
voulu. Tu verras des médecins, des spécialistes mais je ne te laisserai
jamais devenir comme eux. Nous te soutiendrons et nous te guérirons
si...
- Ouvre les yeux. Je vais devenir un monstre. Tu auras peur
de moi, mes enfants me craindront comme la peste. Je refuse de
mettre ta vie et celle de mes enfants en danger.
- Jamais ! Tu es bon, tu ne lèveras jamais la main sur nous.
- J’ai bien réfléchi, je vais partir, je vais quitter le Domaine !
Je vais te rendre ta liberté.
Lila se redressa comme mordue par un serpent.
- Vas-y ! Pars ! Quitte-moi encore ! Quitte tes enfants ! Si tu
ne veux pas te battre pour ta famille, alors oui, vas-t-en ! Je te
préviens, ce sera la dernière fois ! Tu n’auras pas une seconde
chance.
Quant au divorce, ne perds pas ton temps ; tu l’auras ta liberté. Je te
l’offrirai dans l’heure qui suit, je t’en fais le serment. Ta valise ne
sera pas bouclée que tu seras débarrassé de moi. Tiens, reprends là,
puisqu’elle n’a aucune valeur à tes yeux, rajouta Lila en lui jetant son
alliance.
Elle se sauva sur ses mots terribles. Matt ne réagit pas assez
vite. Le temps de récupérer la bague et elle était déjà loin.
185
Pourquoi avait-il voulu remuer le passé ? Tout allait de mal
en pis ! Il n’avait pas prévu la violente réaction de Lila ; elle devrait
comprendre son point de vue. Il la chercha au bureau, le Général
l’informa qu’il ne l’avait pas revue. Paddy qui entraînait Mattis dans
le pré au poulain ne savait rien. Personne à la maison. Idole n’était
plus dans l’enclos. Lila était partie à cheval. Où avait-elle pu aller ?
Dans l'abri, il remarqua les deux selles, les négligea, et
attrapa le bridon. Il brida El Diablo et d’un coup de rein, l’enfourcha.
Ils montaient à cru depuis des années et cela ne leur posait pas de
problème. Il passa les portes au grand galop et s’engagea dans le
sentier qui contournait le Domaine. Ils avaient un coin bien à eux, là
où la rivière se jetait dans un bassin naturel en contrebas. Lila n’était
pas près du bassin. Il leva la tête et la repéra là-haut assise sur un
rocher. Si elle sautait, elle s’écraserait sur l’énorme pierre plate qui
leur servait de plongeoir.
Il tourna bride et prit le sentier. L’embranchement était tout
proche mais le chemin était raide pour les chevaux. Il arriva enfin, se
jeta à bas de sa monture et la laissa rejoindre Idole.
Lila l’avait entendu arriver mais ne bougea pas. Elle ne se
détourna pas et continua à fixer les remous produits par la rivière.
Matt prit place à ses cotés et passa un bras autour de son cou. Elle
accepta se signe de paix et s’appuya sur son épaule.
- Pardon, ma Lila, Je te demande pardon. Ne pleure pas, mon
cœur ! Je n’aurai jamais dû parler ainsi. Je ne veux pas te perdre, je
t’aime.
Tu as raison, oui ! Tu as raison sur tout ! Si, remarque que je dis si, si
je suis malade, je consulterai. Ce vieux bonhomme parlait d’un
homme de quatre-vingts ans, la médecine a fait des progrès depuis.
Nous, nous battrons ensemble si la maladie me tombe dessus.
S’il te plaît, pardonne-moi ! Pardonne-moi mes paroles folles de tout
à l’heure. Je n'en pensais pas un mot. Je ne veux pas vivre sans toi,
j’ai besoin de toi, de ta présence, de ton amour. Je t’aime mon
amour ! Tu veux bien me pardonner mes inepties de tout à l’heure ?
- Tu m’as fait très mal ! Nous rayer de ton existence !
- Non ! Non mon cœur ! C'est la peur de vous faire du mal. Je
vous aime tant !
- Ton départ me tuerait. Je ne revivrai pas ce que j’ai vécu
sans toi. Je t’aime mais si tu ne crois plus en nous...
186
- J’ai parlé sous le coup de l’émotion mais c’est terminé. Je
crois en notre amour et je te demande de croire en moi. Je t’ai fait
des promesses et j’ai pris des engagements envers toi et nos enfants.
Je te promets de les honorer. Je t’aime, mon amour ! Je t’en pris,
reprends cette alliance, je n’oublierai plus sa signification ni sa
valeur.
Lila lui tendit sa main et Matt y glissa l’alliance.
- J’ai été choqué par ses révélations. J’ai pensé aux pires
horreurs que je pourrai te faire subir, à toi et aux enfants. Je
préférerai mourir que vous traiter de cette façon. Tu le sais n’est ce
pas ? Si un jour j’agis ainsi, tu m’aideras ? Tu me feras enfermer et
soigner ? Promets-le-moi, ma Lila !
- Je te le promets. Si, je dis si, tu te mets à agir de façon
déraisonnable.
- Merci ma Lila. Oublions ce maudit après-midi et faisons
comme s’il n’avait jamais existé. Nous agirons en temps et en heure.
Je t’aime !
Matt se rapprocha un peu plus de Lila. Elle se nicha contre lui
et il chercha ses lèvres. Il l’embrassa et plongea son regard dans le
sien encore humide de larmes.
- Je ne pourrai jamais te faire de mal, c'est impossible. Mon
cœur me le dit, il le sait ! Je t’aime depuis toujours !
- Moi aussi, je le sais. Je te l'ai assez rabâché. Ton cœur est
pur, il l’a toujours été. Je ne crains rien auprès de toi ! Notre amour
sera toujours vainqueur, il est plus fort que tout. Nous en avons eu
des épreuves dans le passé et nous, nous en sommes toujours sortis.
Je suis allée vers toi, je n’avais pas deux ans. Tu m’as sortie de ma
détresse et tu as guidé mes pas depuis ce jour. Tu m’as rendu ma
liberté dans ce puits de mines. J’ai survécu ; j’ai tenu bon ; parce que
je savais, mon cœur savait, que tu viendrais me chercher. Tu ne
m’avais jamais laissée seule, tu disais que ton cœur te guiderait
toujours, vers moi, il l’a fait ! Sans ton amour, je n’aurais jamais revu
la lumière du jour.
Tu m’as donné trois beaux enfants et tu remplis nos journées de
bonheur. Chaque jour qui passe me rapproche de toi et je t’aime plus
que la veille. Mon amour pour toi est intense et je sais qu’il est
sincère, pur et sain. Tu crois vraiment que je vis dans l’erreur depuis
vingt ans ? Alors c’est moi qui ai un problème avec la folie ; l’amour
187
est aveugle mais pas à ce point.
- Non, ma Lila ou alors nous sommes deux. Je t’aime à la
folie, moi aussi et notre amour est beau, fort, indestructible et éternel.
Je ne l’oublierai plus.
Il était temps de rentrer, les papas devaient s’inquiéter.
L’heure du repas avait sonné depuis longtemps. Ils retrouvèrent leur
monture. Matt colla El Diablo à Idole et invita sa Lila. Elle n’hésita
pas et changea de monture. Bien enlacée dans les bras de mon mari,
Lila retrouva la paix et la sécurité. Idole suivit, habituée à perdre sa
cavalière.
Les papys s’étaient occupés des enfants. Ils étaient douchés, avaient
mangé et s’amusaient sagement.
Le Général avait tout expliqué à Paddy. Les confidences de
cet homme étaient terribles pour les enfants. Ils avaient besoin d’en
parler tous les deux.
Après de gros câlins aux trois petits, les jeunes
s’empressèrent de s’excuser. Il n’était pas dans leur habitude de
disparaître ainsi mais le choc avait été rude. Ils passèrent à table et
récapitulèrent les méchantes révélations. Lila ne pouvait admettre
que Matt puisse être le descendant de cette famille. Les papas n’y
croyaient pas non plus et continuaient à penser que l'homme était un
vieux fou. Ils quittèrent les jeunes après le café. Les enfants
dormaient depuis longtemps.
Matt et Lila poursuivirent la conversation dans leur chambre.
- J’ai beau réfléchir, je n'y crois pas. Il y a des signes avant
coureur de la folie. Il n’y a jamais eu de méchanceté, d’agressivité ou
de vice en toi. Tu n’as jamais fait le mal, ni même pensé à mal, tu es
bon de naissance…
L’argent semble être une priorité dans cette famille. Toi, tu ne t’y
intéresses pas. Tu n’as jamais montré d’envie de posséder,
d’amasser… Tu ne regardes jamais mes dépenses, les comptes du
foyer, les placements, c’est papa qui s’en occupe, tu lui fais
confiance ; c’est illogique…
- C’est vrai, il en faut, j’en suis conscient et je travaille dans
ce sens mais ce n’est pas mon but premier. Ma famille est prioritaire.
Je pourrais en gagner plus en me rendant dans les entreprises comme
Tacha et Val mais cela ne m’intéresse pas, je préfère être avec vous et
profiter de ma famille. Nous avons bien assez pour vivre décemment.
188
- Exact ! Continuons, concernant la délation, la trahison, je
n’y crois pas plus. Enfants, tu me couvrais toujours. Quand j’avais
fait une sottise, je me réfugiais dans tes bras. Les papas ont vite
compris. Quand je cherchais ta protection, j’étais fautive. Tu me
défendais à chaque fois : "Elle est toute petite, c’est un accident…"
Personne ne devait me gronder… Pour un descendant de délateurs, je
trouve que ça ne colle pas.
- Là encore, tu as raison. Je n’acceptais pas qu’ils te
disputent. Tu faisais la même chose pour moi, tu te plaquais devant
moi, les mains sur les hanches, prête au combat. Les papas
t’appelaient le petit coq.
- Tu vois, rien ne colle. Il y a aussi ton intérêt pour les
femmes. Tu n’es pas un coureur. Tu n’as rien d’un obsédé ou d’un
pervers. Nous faisons l’amour souvent et avec plaisir mais nous ne
sommes pas des dépravés. Dans cette famille, le mal semble
génétique. Ils ont le cœur noir de naissance. Ils naissent mauvais. On
ne devient pas ainsi du jour au lendemain. Imagine, tu es bon depuis
toujours et demain, en te levant, tu vas devenir mauvais ou violent ?
Non ! Je n'y crois pas !
Penses-tu vraiment que Nanny, Corinne et ta maman auraient pu
aimer Quentin comme elles l’ont aimé, s’il avait été ainsi ? Tu penses
vraiment qu’il était le descendant de ces démons ?
- J’ai dû mal à y croire. Nanny a toujours dit qu’il était bon,
gentil et qu’il adorait maman et les lettres le prouvent.
- Passons à notre petit amour, notre Mattis. Il nous aime et
adore ses petites sœurs. Tu l’imagines battre Anna et Clara avec un
nerf de bœuf ?
- Non ! Pas Mattis ! Il les aime beaucoup trop pour faire
pareilles horreurs.
- Tout comme toi, jamais tu ne battrais tes enfants. Nous ne
corrigeons pas, nous rouspétons et c’est terminé.
- C’est vrai, je n’imagine pas lever la main sur un de mes
petits. Donner une fessée me semble absurde ; une explication est
plus positive et productive. Frapper c’est dominer, profiter de sa
force et de sa puissance ou affirmer sa supériorité. L’enfant n’a pas
besoin de cela pour savoir qu’il a mal agi.
- Je suis convaincue que tu n’as rien à voir avec cette famille.
C’est bizarre, je sais ; ce n’est qu’une impression mais je serais prête
189
à le jurer. Rien ne concorde, rien ne semble vrai. Quentin était peutêtre l’enfant volé à cette pauvre servante ? C’est plausible de la part
de gens comme ça. Ils déclarent l’enfant comme le leur et le tour est
joué.
- Je t’avoue que je préférerais mais comment savoir ?
- Je ne sais pas. Le vieil homme a passé sa vie à chercher, il
n’a rien trouvé. Je crois que nous devrions tout oublier. Tu restes
mon Matti, mon cher mari, le papa de nos enfants et le fils aimé de
nos papas.
- Je suis d’accord avec toi. J’ai une famille, je l’aime et elle
m’aime. Je n’ai rien à voir avec eux. Tu crois que nous pouvons tout
oublier, encore une fois ?
- Oui, oublions cet après-midi.
- Je t’aime ma Lila ! Ne pensons qu’à nous. C’est le plus
important.
- J’ai déjà tout oublié. Je t’aime mon Matti !
- Je t’aime, moi aussi, mon tendre amour et je vais te le
prouver à l’instant. Tu as parlé de mon peu d’intérêt pour les femmes
; tu fais une erreur. Je suis obsédé par une femme, par son visage, son
corps parfait, ses petits seins blancs, ses longues jambes fines de
pouliche… Ce n’est pas toi qui as dit que tu aimais faire l’amour ?
- Je ne m’en souviens plus. J’ai dit beaucoup de choses et je
n’arrive plus à réfléchir quand tes mains s’agitent ainsi. Si tu
continues, mon peignoir va avoir un malaise et tomber tout seul.
- Tu n’en as pas besoin. Le mien est biplace et je t’invite à
m’y rejoindre.
- Tu es un débauché, un libertin et un provocateur. Tu dis, tu
promets, tu tâtes, tu tripotes la marchandise, tu caresses mais c’est
tout, tu n’agis pas.
- Très bien ! Tu l’auras voulu. Je garde mes mains bien sages.
- Pas d’accord ! Les miennes me démangent mais ton ventre
est trop protégé. Ton peignoir est une véritable ceinture de chasteté.
Tu as allumé un incendie, un feu d’enfer, tu dois l’éteindre,
maintenant.
Matt, promu pompier hautement qualifié, s’occupa de
l’incendie avant qu’il ne se propage dans toute la maison.
Ils ne reparlèrent plus de ce mauvais après-midi. Lila oublia
la conversation. Son opinion resta la même ; les Roque Brune ne
190
concernaient ni Quentin, ni Matt. Elle en était persuadée.
Matt s’interrogeait toujours et surveillait son fils lorsqu’il
jouait avec ses petites sœurs. Il gardait une crainte sournoise. Mattis
était toujours adorable avec elles et jamais ne perdait patience. Il les
adorait et cédait à toutes leurs demandes à tous leurs caprices. Non,
jamais Mattis ne frapperait ses petites Princesses volontairement ;
mais si la maladie lui faisait perdre ses précieux repères, sa bonté et
son affection pour ses proches ?
Il pensait à son fils et à lui-même. Pourrait-il perdre toutes notions
sensées et se transformer en ce qu’il déteste par-dessus tout, en une
personne violente ?
CHAPITRE 17
Le temps filait. Les vacances d’été n’étaient plus qu’un
souvenir. Mattis avait repris le chemin de l’école. Il venait de fêter
ses cinq ans et se considérait comme un grand garçon.
Début décembre trouva le couple en pleins préparatifs de Noël. Dans
la chambre vide de la petite maison, les cadeaux étaient rassemblés et
cachés. Ceux des papas les rejoindraient prochainement. C’était le
191
premier Noël des Princesses au Domaine et elles fêteraient leur
première année. Elles commençaient à marcher et Mattis les aidait et
les soutenait l’une après l’autre comme les adultes le faisaient. Il les
pressait mais Anna et Clara prenaient leur temps et riaient de ses
paroles. Il abandonnait souvent la partie et laissait les papys ou ses
parents prendre la relève.
Une lettre d’invitation avait surpris le jeune couple. L’en tête
indiquait le château des Pierres Longues. La grand-mère de Matt les
invitait. Elle avait reçu la visite de son vieux domestique et
s’inquiétait du discours qu’il leur avait tenu. Elle voulait combler les
lacunes et revoir plusieurs points, cela lui paraissait nécessaire.
Certaines révélations du vieil homme ne les concernaient pas.
Après en avoir longuement discuté et pesé le pour et le
contre, le jeune couple était décidé. Après les fêtes de Noël, ils se
rendraient au château des Pierres Longues. Il ne pouvait y avoir pire,
ils connaissaient les tares et vices cachés de cette famille.
Mattis les accompagnerait, il rêvait de voir un vrai château et
une Comtesse. Anna et Clara resteraient avec les papys et les jeunes.
Ils étaient arrivés. Dans quelques minutes, ils rencontreraient
la mère de Quentin, la grand-mère de Matt. La voiture ralentit devant
un portail immense. Les deux grandes portes ouvertes et la voiture
s’engagea dans une allée bordée d’arbres centenaires. De chaque
coté, d’immenses pelouses ou pâtures s’étendaient, abandonnées
depuis longtemps.
Au loin, le château se dressait fier et majestueux. C’était une
grande bâtisse rectangulaire de sobre apparence. Le corps de la
maison était encadré de deux pavillons latéraux. Des dizaines de
fenêtres s’étalaient sur les trois niveaux supérieurs, de très grandes et
très hautes portes-fenêtres au rez-de-chaussée.
Un escalier de pierres permettait d’accéder à l’entrée, un bel avantcorps arrondi en saillie.
Matt stoppa la voiture dans la cour d’honneur. De près, le
magnifique château avait perdu de sa superbe ; il respirait l’abandon
et la tristesse.
Mattis admirait le château, tout en serrant la main de sa
maman. Lila s’accrochait à celle de Matt.
En haut de l’escalier, un vieil homme attendait. Il descendit
péniblement la dizaine de marches et s’avança vers la voiture. Il se
192
présenta comme le majordome et précisa que Madame la Comtesse
les attendait dans le petit salon. Il les escorta, frappa avant d’entrer,
les présenta et se retira.
La Comtesse était une très belle femme, une sexagénaire de
très grande classe. Elle s’approcha, très élégante et tendit sa main
ornée de nombreuses bagues. Matt la lui serra. Son regard
dédaigneux, glissa rapidement, sur Lila et Mattis.
- Soyez les bienvenus au château Pierres Longues. Je suis
heureuse que vous ayez accepté mon invitation.
- Nous avons été surpris, mais nous vous en remercions.
- Je tenais à mettre certaines choses au point et connaître le
fils de Quentin. Ainsi, vous seriez mon petit-fils ?
- Je ne peux répondre à votre question. Je suis le fils de
Quentin, c’est une certitude ; je n’en sais pas plus sur mes
ascendants.
- J’aimerais vous connaître un peu. Vous pourriez me parler
de Quentin, de vous et de votre vie. Je dois vous avouer qu’il y a
encore un mois, j’ignorais tout de votre existence. Pour être franche,
j’avais oublié jusqu’à celle de Quentin. Je n’ai jamais été une mère
pour lui. Je n'avais pas l'âme d'une mère, alors m’encombrer d’un
enfant !
- S’encombrer d’un enfant ? S’effara Lila.
- Il y a des femmes faites pour être mère, vous semblez être
de celles-là. Pour vous, peupler le monde est vital ; je ne suis pas
ainsi. Je n’en voulais pas.
J’ai toujours été gâtée par la vie et par mon père. Je suis fille unique
et rien ne m’a été refusé. J’étais une beauté et déformée, laide et
boursouflée pour donner la vie à un rejeton, il n'en était pas question.
Devenir mère et m’occuper d’une progéniture n’entraient pas dans
mes projets. C'est le rôle des servantes et des paysannes de procréer,
la noblesse ne devrait pas s’abaisser à cela.
- Alors pourquoi vous marier ? Pourquoi un enfant ?
Questionna Matt.
- Se marier est dans l’ordre des choses. Les Nobles se marient
pour la prospérité de leur patrimoine. C’est ainsi depuis des temps
immémoriaux. C’est plus un contrat qu’un mariage, je l’avoue, mais
cela fonctionne très bien ainsi. Quant à l’enfant, c'était ma
délivrance, le prix de ma liberté. Je donnais un héritier à mon mari et
193
j’étais libérée de ce sinistre mariage. Je retrouvais mon indépendance
et la douceur de mon ancienne vie auprès de mon père.
Le couple était choqué et incapable de répondre. Le
majordome en entrant fit diversion, ce qui leur permit de se
reprendre.
Mattis tira son père par la manche et lui fit signe. Une petite
fille à demi-masquée se cachait derrière la porte.
- Papa, je peux aller voir la petite fille ?
- Je ne sais pas ; demandons d’abord.
La Comtesse avait aperçu la petite et rugit :
- Jean ! Veuillez la sortir, immédiatement !
- Oui Madame la Comtesse ! Excusez-moi Madame ! Je ne
l’ai pas vue ; elle m’aura suivi.
Matt n’avait pas eu le temps de poser sa question que déjà le
majordome ramenait la petite. La Comtesse ne décolérait pas.
- Mon fils souhaite sortir. Il n’y a pas de danger, s’il joue
devant les marches ?
- Non aucun ! Qu’il sorte ! Gronda-t-elle.
Lila remonta la fermeture éclair de son blouson, lui couvrit la
tête et lui serra l’écharpe autour de son cou. Elle lui recommanda de
ne pas s’éloigner. Elle était soulagée de le savoir hors de portée des
paroles révoltantes de la Comtesse. Mattis en avait assez entendu et
l'esclandre sur l’enfant, l’avait choqué.
Matt pour détendre l’atmosphère, détourna la conversation
sur sa propriété. La Comtesse se calma et récapitula l’historique du
château. Pendant deux heures, elle relata les exploits de ses ancêtres.
De l’édification du château - il datait du treizième siècle - à son
enfance dorée de fille de Comte. En ce temps-là, elle disposait d’une
quarantaine de serviteurs prêts à tout pour combler ses moindres
désirs… Elle termina sa phrase en soupirant :
- C’était le bon temps, malheureusement.
Matt en profita. Il regarda sa montre et donna le signal du
départ.
- Nous allons nous retirer, nous ne voulons abuser de votre
temps.
- C’est vrai, il est tard. Je vous attends demain à la même
heure, nous continuerons cette conversation.
- Demain nous avons un rendez-vous, nous ne pourrons rester
194
longtemps.
Sur ce mensonge, ils se retirèrent. Mattis était avec la petite
fille. Lila l’appela et il se pressa. La petite ne le quittait pas des yeux
et Lila lui fit au revoir de la main. L’enfant, une main sur la bouche,
répondit à son salut.
Lila était surprise, il faisait un froid glacial et la petite ne
portait qu’un jean troué et bien trop grand et un pull léger. Elle
n’avait ni blouson ni bonnet malgré le vent glacial. Lila lui conseilla
de rentrer au chaud avant de tomber malade. La petite se sauva.
Arrivée au gîte, Lila téléphona aux papas. Elle avait besoin
d’avoir des nouvelles. Elle récapitula rapidement la conversation au
Général. Ils n’avaient pas appris grand chose. La Comtesse était une
femme de caractère et le château, beau mais glacial, sinistre et
délabré. Ensuite, elle donna le combiné à Mattis. Il lui narra sa
rencontre avec une jolie petite fille triste. Elle était mignonne mais
elle sentait mauvais. Elle ne portait ni blouson ni chaussure, elle
avait froid. Elle avait un gros bobo sur la bouche. Il jouerait avec
elle, demain. Non, il ne savait pas son prénom. Elle ne parlait pas et
ne répondait pas quand il posait des questions.
Il n’aimait pas le château ni la dame. Elle avait été méchante avec la
petite fille.
Le lendemain, tous les trois retrouvèrent l’angoissant château.
La Comtesse les attendait avec impatience. Mattis la salua et
demanda à sortir. Ses parents acquiescèrent. La Comtesse sirota son
thé avant de prendre la parole. Comme la veille, un feu brûlait dans
la cheminée.
- Hier, je vous ai parlé de vos ancêtres. Je pense qu’il est
temps de vous parler de votre père.
Je dois avant tout, vous expliquer qui était ce monstre, ce Roque
Brune. Comme vous le savez déjà, j’étais mariée avec lui.
Nous, nous connaissions depuis toujours, c’était le fils du château
voisin. Nos terres étaient contiguës donc il était dans la logique que
nos familles se rapprochent. C’est ainsi que les richesses
prospéraient. Nos pères nous avaient promis l’un à l’autre à notre
naissance.
Voilà qui est dit. Dès le départ, j’ai mis les choses au point. J'étais
jeune, je voulais conserver ma liberté et il était hors de question que
je lui donne un enfant. Il avait accepté, je ne l’intéressais pas, ma
195
fortune, mes terres et les privilèges associés à mon nom, oui ! Père
avait de nombreux contacts importants, juges, avocats, politiciens
influençables… Il avait son entrée dans toutes les grandes demeures,
c’est ce que souhaitait cet homme. Nous, nous sommes mariés
comme prévu et menions notre vie, chacun de notre côté. Il avait
autour de lui trois personnes ; trois femmes qui le contentaient. Nous
avons vécu ainsi pendant quelques années. J'avais sympathisé avec la
plus jeune femme. Elle pleurait souvent et elle me révéla que son
enfant lui manquait. Il avait été confié au bon soin d’une paysanne,
comme les deux bébés de ses sœurs. Son frère ne les acceptait pas.
J’étais outrée pire scandalisée. Mon époux était le frère de ses
femmes ? Elle me supplia de ne rien dire, ses paroles lui avaient
échappé. Si son frère l’apprenait, il la tuerait.
Je n'ai rien dit mais le dégoût qu'il m'inspirait, il a du le ressentir. Il
devint soupçonneux, mauvais et cruel. C’était le mal personnifié.
J’en avais très peur et les domestiques, plus encore.
Peu de temps après, il m’informa qu’il voulait un fils. J’ai refusé et
affirmé que jamais je ne lui donnerais d’enfant. Il n’a pas accepté et
les coups sont tombés. Des enfants, il en avait déjà, je ne comprenais
pas pourquoi, je devais lui en donner un autre.
Je l’informais que je voulais divorcer et rentrer chez mon père. Il fit
fermer les portails de la demeure. J’étais dans l’incapacité de fuir.
Son chantage fut celui-ci, un fils contre ma liberté.
Je révélais sa demande à sa sœur et elle me confia que leurs enfants
avaient des problèmes. Plusieurs médecins, très loin du village,
avaient été consultés et leurs verdicts étaient tombés ; les enfants
étaient attardés, mongoliens. Je crois qu’aujourd’hui, on dit
trisomiques. J’appris plus tard, qu’ils étaient abandonnés, dès la
maladie détectée, devant les portes d’un lointain orphelinat et non
chez une paysanne.
Je compris rapidement pourquoi je devais lui donner un héritier. Mon
mari, ce fou, voulait un enfant sain. Je devais donc accepter ce prix
pour me libérer de mes chaînes. Le contrat était clair, un enfant pour
lui, la liberté pour moi. J'ai partagé son lit, il a eu un fils, un précieux
héritier et j’ai eu ma liberté.
Il lui fallait un enfant, soit ! Mais de là à risquer de mettre au monde
un attardé, il en était hors de question.
Je me suis mal comportée, je l’avoue. Il a eu un fils mais n’en a pas
196
été le géniteur. C’est un vendangeur, un ouvrier qui travaillait chaque
année au château de mon père. Un itinérant qui louait ses services
pour les vignes. Nous avions sympathisé, il était bon et gentil. Nous
avons eu une belle aventure. Lorsque j'ai été enceinte, j’ai informé
mon mari. Il aurait son précieux héritier, moi ma liberté. Dieu merci,
j'ai eu un fils !
Le lendemain de l’accouchement, je suis retournée chez mon père. Je
devrais dire, je me suis sauvée avec l’aide du fils du majordome ;
l’homme qui s’est rendu chez vous.
Je ne suis pas fière de moi mais je le répète, je n’avais aucune
alternative. Vous pouvez donc être rassuré, vous n’avez aucun gêne
des Roque Brune.
Quelques années plus tard, j'ai revu le vendangeur. Il était devenu
régisseur du château de mon père. Il était marié et avait six ou sept
enfants tous bien portants et magnifiques. C’était un bon père et très
attentionné. Bien évidemment, il n’a jamais rien su de mon histoire
et mon père non plus.
Quant à cet ex-mari ; il est décédé d’un coup de pied de cheval, je
peux vous assurer que je n’ai pas versé une larme. J’étais remariée à
un brave homme veuf, doux et gentil et il avait une fille. Je n’avais
pas de soucis qu’il me réclame un héritier.
Voilà votre histoire ou plutôt celle de votre père. Vous avez un brave
grand-père et vous pouvez en être fier.
Lila était en état de choc. Matt ne semblait pas mieux.
L’histoire de cette famille était sordide.
Le café arriva fort à propos et fut le bienvenu. Mattis suivait
avec la petite. Elle n’osait pas rentrer et resta à la porte. Il demanda
un biscuit, la Comtesse hocha la tête. Il en prit deux, rejoignit la
petite et lui en tendit un.
Lila la regarda et lui sourit. La petite la scrutait, attentive.
Elle retira sa main, toujours collée devant sa bouche et esquissa une
grimace qui pouvait passer pour un sourire. Lila aperçut la
déformation. La petite avait un bec-de-lièvre. Elle revint de sa
surprise et lui sourit de nouveau.
Une grosse voix dans le couloir la fit détaler comme un lapin.
Une belle jeune femme entra et commença par rabrouer la
Comtesse :
- Mère ! Comment pouvez-vous supporter cette immonde
197
créature dans vos appartements ? Elle est répugnante.
- C’est votre œuvre, ma fille. Je n’y suis pour rien si elle
traîne toujours là où il ne faudrait pas. Elle sait qu’elle ne doit pas
venir mais vous le savez, elle n’a aucune intelligence. C’est une
sotte.
- Vous êtes méchante. Elle est gentille et mignonne et elle
n’est pas sotte, se rebella Mattis.
- Oh ! Cette diablesse de Maria c’est fait un ami. Qui êtesvous jeune écervelé pour oser interrompre les adultes ?
Mattis réfugié dans les bras de sa maman cachait son visage.
- C’est mon fils Mattis Maréchal. Il n’aime pas la
méchanceté, surtout quand elle concerne une enfant innocente,
répliqua Matt calmement mais fermement.
- Innocente, c’est le mot. Cette gamine est la fille du diable.
Vous n’avez pas remarqué ? Le démon lui a clos la bouche. Elle est
tarée, elle a des cases en moins. Essayez de discuter avec elle, de lui
faire comprendre quelque chose, vous verrez ! Si vous l’aimez
tellement, emmenez-la, je vous la donne de bon cœur, c’est une plaie
vivante, mon châtiment, ma condamnation à perpétuité.
Matt ne répondit pas et se leva, imitée par une Lila outrée.
Elle serrait toujours son fils contre elle. Il n’avait rien perdu de la
conversation.
- Nous devons partir, Madame la Comtesse, nous vous
remercions de votre amabilité et vos précieux renseignements.
- J’ai convié la cadette Roque Brune. Elle viendra pour le thé
et vous parlera de votre père.
Ils sortirent. La petite Maria était sur les marches et semblait
les attendre. Elle leva la main pour les saluer comme Lila avait fait la
veille. Lila lui sourit, la petite y répondit. Mattis lui envoya un baiser,
elle le lui renvoya. Elle fixa Matt de ses beaux yeux bleus. Elle
réclamait son attention comme elle avait eu celle de Lila et Mattis.
Ce n’était pas sa plaie à la bouche qui frappa Matt mais son regard,
ses yeux de biche effarouchée. Ils reflétaient tant de misères. Matt
s’approcha, se mit à sa hauteur et lui caressa la joue. Elle sourit.
Lorsqu’il se releva, elle comprit qu’ils s’en allaient, son regard
s’éteint et retrouva sa tristesse. Ses yeux se voilèrent et elle se sauva.
Matt et Lila étaient émus et bouleversés. Cette famille ne
valait pas beaucoup mieux que les Roque Brune. La petite devait
198
avoir trois ans. Elle semblait perdue et malheureuse. Elle manquait
de tout et ne recevait pas les soins élémentaires. La toilette semblait
inconnue pour elle, elle était sale, pire crasseuse. Ses cheveux étaient
cordés, ses vêtements usés, déchirés et pas appropriés pour la saison.
Lila pleurait en silence, elle avait beaucoup de peine. Elle
aurait aimé prendre la femme aux mots et emmener la petite. Elle
aurait été aimée comme leurs Princesses. Matt lui serra la main, il la
comprenait.
Mattis ne pipait mot, il ne comprenait pas et réfléchissait.
Aucun ne réagissait aux révélations de la Comtesse.
L'importance était étouffée par la peine qu'ils ressentaient pour
l'enfant. Ils voulaient se changer les idées mais en tout premier lieu,
rassurer les papas sur la non-filiation de Matt.
Matt se demandait s’ils supporteraient un troisième aprèsmidi. Ils avaient le fin mot de l’histoire ; ils pouvaient rentrer mais
ne connaîtraient pas le passé de son papa…
Mattis attendit le repas du soir avant de questionner ses
parents. La phrase "le démon lui a clos la bouche" l'avait interpellé.
Lila lui expliqua que c’était une malformation, un bobo qui se
guérirait très facilement par une opération. Cela n’avait rien à voir
avec un démon. Mattis fut satisfait de la réponse. Il avait compris les
malheurs de la petite. Ce qu’il ne comprenait pas, c’était que sa
grand-mère et la dame ne l’aimaient pas. Lila et Matt n’avaient pas la
réponse.
Ils retournèrent au château pour la troisième fois. Le rendezvous avec la cadette était au programme.
Le majordome les informa que Madame la Comtesse était
occupée ; ils devaient patienter. Ils entendaient une altercation. La
Comtesse et sa belle-fille se disputaient dans le petit salon. Le vieil
homme était bien ennuyé et n’osait les déranger. Matt le rassura, le
parc était beau ; en attendant, ils s’y promèneraient.
Ils prirent une allée dallée et boisée. L’endroit avait du être
magnifique. D’anciens massifs de buis et des parterres de rosiers
avaient résisté aux mauvaises herbes et poussaient sauvagement
autour d’un bassin vide. Tout dénotait l’abandon. Des statues de
pierres et des colonnes étaient envahies de mauvaises herbes, de
grandes vasques débordaient de chiendent. Les pelouses, des grandes
herbes sèches et jaunies, semblaient attendre les tondeuses. Ils étaient
199
arrivés devant une vingtaine de boxes vides et délabrés, l’écurie.
Mattis s’était avancé vers la porte entrebâillée. Il poussa un
petit cri et ses parents s’élancèrent. La petite Maria était assise sur la
paille et jouait avec deux minuscules chiens. Elle regarda la famille,
la terreur dans les yeux.
Mattis s’approcha et caressa les petits chiens. Lila s’accroupit
auprès d’elle et engagea la conversation :
- Bonjour Maria ! Qu'ils sont jolis ! Je peux les caresser ?
Elle ne répondit pas et la regarda, à la fois curieuse et
inquiète. Elle se décida et lui tendit le plus petit. Lila le caressa
délicatement.
Une respiration haletante les fit se retourner. Maria sourit,
nullement inquiète. Le majordome arrivait et il avait couru. Il reprit
son souffle avant de leur demander de ne pas dévoiler le secret de
Maria ; les chiens étaient les seuls amis de la petite. Il y avait un
mois, il avait trouvé la petite chienne et l'avait donnée à Maria. Elle
l’avait apportée dans la maison et la cuisinière s'était plainte à sa
mère. Celle-ci lui avait demandé de s’en débarrasser. Il n’avait pu s’y
résoudre et l'avait cachée dans l’écurie. Quinze jours plus tard, elle
avait eu un bébé.
Si le secret de Maria était découvert, il devrait les tuer et la petite
serait malheureuse. La famille promit de ne rien dire. Le secret de
Maria serait bien gardé.
- Merci pour elle ! Madame vous attend.
Mattis resta avec Maria ; le majordome reviendrait surveiller
les enfants.
La Comtesse semblait agitée et énervée.
- Veuillez m’excuser de mon retard. Ma belle-fille me pose
des problèmes. Son fiancé vient dîner et elle craint que je ne fasse
mauvaise impression. Je n’ai pas le droit à l’erreur, c'est notre
sauveur. Vous avez dû remarquer que la demeure demande de
nombreuses réfections ; elle tombe doucement en ruine faute de
moyen financier. Cet homme a de gros moyens et le lieu lui plaît. Il
s’engage à le rénover de fond en comble. Le château retrouverait son
faste d’autrefois !
Nous avions une certaine fortune, je devrais dire une fortune certaine
mais au décès de mon père, notre avoué a profité de mon chagrin et
de mon inexpérience des finances. Il a fait des placements hasardeux
200
qui se sont révélés catastrophiques.
J’ai dû me séparer de tous les tableaux de Maîtres, de mes
merveilleuses parures ; je possédais de si beaux bijoux, des diadèmes
de si grande valeur, des rivières de pierres fines et de diamants… Je
les regrette encore aujourd’hui.
J’en suis arrivée à me séparer de la collection de tabatières de papa.
Elles étaient incrustées de pierres précieuses. L’argenterie a suivi, les
plus belles pièces, les plus beaux services datant de mes aïeux et
signés, les meubles les plus précieux. La bibliothèque s’est vidée ;
des manuscrits uniques et inestimables ont été bradés ; tout, tout ce
qui avait de la valeur à disparu. Je suis criblée de dettes et
aujourd’hui, il ne reste rien de la fortune de mes ancêtres.
L’arrivée de cet homme est une bénédiction inespérée. C’est une
bonne nouvelle, une extraordinaire nouvelle ; je ne pouvais rêver
mieux. Je conserverais mes appartements et dirigerais le château lors
de leurs nombreux voyages. Nous retrouverions les splendeurs et le
faste d’autrefois. Nous organiserons des réceptions, des bals, des
fêtes…
- La propriété est grande et belle.
- C’est exact. Mais pour deux femmes seules, un château est
un gouffre financier et les artisans en profitent. Si c’est un homme
qui tient les cordons de la bourse, ils se montreront plus honnêtes.
Enfin ! Tout va changer si ce mariage se fait, adieu les soucis. Il reste
quelques inconvénients à régler avant que mes rêves ne deviennent
réalité.
- Je dois vous informer que la sœur Roque Brune a annulé
notre rendez-vous. Elle s’en excuse, elle est souffrante. Elle a fait
envoyer un courrier. Tenez, le voici !
Il résumait la vie de Quentin.
"Quentin avait été élevé par ma sœur aînée et plusieurs
précepteurs. Il vivait dans une aile privée et je n’avais pas la
permission de l’approcher. Le père de l’enfant voulait faire de lui un
homme et l’éduquait dans ce sens.
Quentin a été en pension chez les jésuites dès sa sixième année. Je le
voyais à la Noël. Il étudiait pour devenir avocat ou juge. Du jour au
lendemain, il disparut. Son nom fut banni et interdit. Je n'en connais
pas la raison. Je n'ai plus entendu parler de lui jusqu’à ces derniers
jours.
"
201
Fin du courrier, bref, concis et glacial.
La Comtesse savait lire entre les lignes et expliqua :
- Je me représente aisément la vie de Quentin entouré de la
sœur aînée. Celle-ci, une femme aigrie et sans espoir d’une vie
meilleure, était dure et mauvaise, comme son frère. La vie de l’enfant
n’a pas dû être rose.
Quant aux précepteurs, de vieux professeurs pour qui le résultat est
important voire vital. Chaque erreur ou omission et les coups
devaient pleuvoir sur la tête de l’enfant.
Cela résume ce que je vous ai dit. Cet homme, son père était un
homme mauvais. Il était incapable de compassion et de gentillesse
même à l’égard de ses sœurs qu’il frappait à chaque contrariété. Les
serviteurs le craignaient comme la peste. Il se promenait toujours
avec un nerf de bœuf et lors de ses colères, chacun se cachait comme
il le pouvait. Il frappait à tour de bras tout ce qui passait à sa portée,
bêtes et gens. Il était incontrôlable et ses crises d’hystérie et de
violence atteignaient leur paroxysme lorsqu'il était contesté ou que sa
volonté n’était pas respectée.
Lorsque j’attendais l’enfant, le médecin m’avait précisé que je devais
me reposer, ma grossesse s’annonçait difficile. Il l’avait menacé de
mort si l’enfant, son précieux fils, n’était pas bien portant et sain de
corps et d’esprit…
Lila serrait la main de Matt. Tous deux ressentaient une profonde
tristesse. Le "père" de Matt n’avait pas eu une vie heureuse ;
abandonné par sa mère, élevé par une tante aigrie avant d’être
envoyé dans un pensionnat. Quelle différence, quel changement pour
lui lors de sa rencontre avec Corinne. Il avait trouvé le bonheur
entouré de trois femmes aimantes. Il s’était trouvé un paradis après
l’enfer. Pas étonnant, qu’il ne parle pas de son passé après une telle
vie sans amour.
Comment une mère avait pu laisser son nouveau-né entre les mains
de ces sauvages ? A leurs yeux, la Comtesse était aussi méprisable et
ne valait pas mieux que son ex-mari ; brader son enfant pour sa
précieuse liberté.
Ils avaient toutes les réponses à leurs questions. Ils avaient été
secoués mais étaient rassurés. Matt n’avait pas un gène des Roque
Brune. Ils pouvaient rentrer au Domaine oublier cette orgueilleuse
Comtesse sans cœur, son château en ruine et les Roque Brune.
202
Ils s’apprêtaient à se retirer, le majordome apporta le café !
CHAPITRE 18
La Comtesse dégustait son thé en silence. Sa belle-fille
débarqua en trombe dans le salon et s’affala sur le sofa élimé. Sans
s’occuper de Lila et Matt, elle interrogea sa mère :
- Alors, mère, avez-vous une solution à proposer pour nous
sortir de cette impasse ?
- Je vous prierai d’attendre. C’est l’heure du thé et cette pause
est sacrée. J’ai des invités et ils n’ont pas à subir vos mouvements
d’humeur.
- Ils viennent de si loin ! Ils ont attendu vingt ans, pour
connaître ces vieilleries, ils peuvent patienter.
Ils ont vu notre ruine, ils sont au courant pour votre fils, vous êtes
rassurée ? Ils ne réclameront pas l'héritage qui me revient. Votre fils
ne porte pas votre nom et vous ne l’avez pas reconnu. Légalement je
suis la seule héritière. Vous leur avez bien précisé qu’ils n’avaient
aucun droit sur la propriété ? Vous m’aviez assurée que tous les
papiers étaient faits.
- Enfin, ma fille ! Tenez-vous. Comment pouvez-vous tenir
de tels propos devant mes invités ?
- Je protège mes intérêts et les vôtres, mère !
203
- Vous n’avez aucune inquiétude à avoir. Nous ne sommes
pas des parvenus. Votre héritage ne nous intéresse pas. Je souhaitais
connaître mes origines, le passé de mon père et non mendier quoi
que ce soit, se défendit Matt outré.
- Je veux bien vous croire. Mais maintenant que votre
curiosité est satisfaite, j’espère que vous ne poserez pas de problème.
Il se trouve que j’en ai suffisamment. Dont un, Mère, qui va être
devant vous, dans trois heures et il se trouve que c'est mon fiancé.
- Je ne vois qu'une solution, l’orphelinat ! Mais vous devrez
donner votre nom et vos origines, ma fille.
- Ça jamais. Mon fiancé l’apprendrait et là, adieu le mariage
pour moi. Quant à vous, adieu la merveilleuse opportunité qui
s’ouvrait à vous, mère. Mon fiancé n’acceptera pas ce monstre.
- Vous auriez du y penser, il y a quatre ans !
- Vous m’aviez promis de vous en débarrasser, de trouver une
solution. Tenez votre promesse si vous ne voulez pas recevoir les
huissiers plutôt que notre sauveur. Il a horreur des gosses et s’il
apprend qu’elle est toujours là, il fera demi-tour. Vous lui aviez
assuré que sa présence n’était que provisoire. Je vous conseille de
trouver une solution très rapidement. Nous ne pouvons plus la cacher
dans l’écurie, il va tout inspecter et évaluer les frais avec les
architectes. Les travaux commenceraient sitôt notre union. Vous
savez aussi bien que moi, qu’elle traîne toujours et épie tout ce qui se
passe ! S’il l’aperçoit, nos projets tombent à l’eau.
- Excusez-moi mais parlez-vous de Maria ? S’enquit Matt.
- Si fait ! Nous parlons bien d’elle. Nous cherchons une
solution, plutôt une conclusion, depuis plusieurs mois. Nous risquons
de tout perdre par sa faute. Elle nous gâche la vie depuis son premier
jour. C’est un obstacle insurmontable.
- Comment pouvez-vous parler ainsi de votre enfant ? La
chair de votre chair, vous n’avez donc aucun cœur ? Les enfants sont
un don de Dieu, s’insurgea Lila.
- C’est un monstre. Vous l’avez vue, c’est une diablesse qui
me rappelle ma faute jour après jour, un cancer qui me ronge. Et c'est
cette innocente qui tient ma vie entre ses mains, aujourd’hui. Par sa
faute, je vais tout perdre et ma belle-mère va perdre le château de ses
ancêtres. J’en viens à la haïr.
- Mon Dieu, mais c’est votre enfant. Vous… Vous… Oh ! Ce
204
n’est pas possible. Vous auriez dû l’abandonner à la naissance. Elle
aurait trouvé le bonheur auprès d’une famille aimante. C'est
monstrueux, balbutia Lila.
- C’est un accident ! Lorsque je me suis aperçue de la
catastrophe, j’ai voulu avorter mais il était trop tard. J’ai bien essayé,
je n’en voulais pas et malgré tout, elle s’est accrochée, cramponnée à
moi comme une sangsue. J’ai tout tenté et à cinq mois, elle m’a enfin
libérée.
A l’hôpital, ils m’ont certifiée que ce petit monstre ne vivrait pas. Je
leur ai laissée et six mois plus tard, j’ai dû la ramener. Elle était bien
vivante. Voilà pourquoi je ne l’ai pas abandonnée, elle ne devait pas
vivre. Mais si vous l’aimez tellement, emmenez-la, je vous la donne.
Oui ! Emmenez-la si vous l’aimez tant. Ce sera un animal de
compagnie pour votre fils.
- Vous nous l’avez déjà proposée hier. Je me demande si vous
parlez sérieusement ?
- Je suis très sérieuse. Si vous connaissez une famille qui
souhaite une gamine, emmenez là. Vous me sortiriez des ennuis. Si
vous la voulez, gardez-là !
Si nous acceptons, qui nous prouve que vous ne changerez pas d’avis
?
- A mon tour de vous demander si vous êtes sérieux ? Vous
accepteriez de nous débarrasser d’elle ?
Matt serra la main de Lila, elle lui répondit de la même façon. Les
mots n’étaient pas utiles. Si cette horrible femme voulait leur confier
la petite, Lila l’acceptait de bon cœur.
- Vous avez changé d’avis ? Demanda Matt.
- Vous voulez Maria ?
Elle était stupéfaite. Elle avait jeté ces mots en l’air, sans
penser un seul instant, que le couple les saisirait. Elle les regarda l’un
après l’autre. Ils étaient graves et attendaient qu’elle prenne la parole.
Elle était hébétée par cet espoir inattendu, la solution qui réglerait
tous les problèmes.
- Je tiens à vous préciser que notre fils a déjà des animaux de
compagnie. Il n’a pas besoin d’une enfant pour tenir ce rôle. Si nous
acceptons de la prendre avec nous, elle sera élevée avec nos enfants.
- Vous semblez sérieux !
- Toujours quand cela concerne un enfant. Vous avez changé
205
d’avis ?
- Non, non ! Si vous acceptez…
- Si nous l’emmenons, elle devient notre fille. Nous en
prenons la responsabilité et si nous le pouvons, nous l’adopterons.
Nous exigerons des garanties de votre part. Nous ne souhaitons pas
que dans deux semaines, deux mois ou deux ans, vous reveniez sur
votre décision.
- C’est une chose qui n’arrivera jamais. Personne ne sait que
j’ai un gosse. Moi aussi je veux des garanties. Elles sont simples, je
vous la donne, enfin, je vous la confie, à la condition que vous nous
oubliez. Vous, vous engagez à ne jamais lui parler de nous. Si vous
acceptez, j'appelle mon avocat.
- Vous avez notre parole. Appelez votre avocat.
- J'appelle. Il s’occupera des papiers nécessaires. Je ne
connais rien dans l’adoption.
- J’ai quelques notions. L'adoption consentie par les parents
doit être examinée par un juge. Nous aurons, chacun, un délai de
réflexion. Nous déposerons la demande dans notre département.
Votre avocat vous conseillera.
- Vous ne changerez pas d’avis ?
- Non ! Nous n’avons qu’une parole. Vous avez nos
coordonnés ; nous attendrons de vos nouvelles. Il nous faut un papier
de garde provisoire.
Nous voulons aussi son carnet de santé. Si Maria avait besoin du
médecin ou d’une opération, nous n’aurions pas la possibilité de
l’aider.
- Vous aurez tout cela demain.
- Maintenant ! Nous partons et l’emmenons ! Préparez ses
affaires.
Matt était cassant, autoritaire et méprisant. Lila ne le
connaissait pas ainsi. Il l’avait épatée. Maria serait avec eux dès ce
soir. Elle souhaitait prévenir les enfants. Il l’accompagna à la porte, il
tremblait de tous ses membres, son regard était aussi glacial que le
château et ses habitants. Il attendait le résultat de l’appel
téléphonique. Ils devaient convenir d’un rendez-vous rapidement,
ensuite ils rentreraient au Domaine. Ici, l’air était trop malsain et les
habitants, tous plus mauvais les uns que les autres. Sur les marches,
il serra Lila dans ses bras. Il lui réclama un peu de force pour
206
affronter ces deux mauvaises femmes. Elle l’embrassa et le rassura,
dans moins d’une heure, ils seraient loin. Lila se dirigea vers les
écuries.
Les enfants n'avaient pas bougé et jouaient avec les petits
chiens. Lila prit place sur une planche et appela son fils. Elle ouvrit
les bras et il se blottit contre elle.
- Mattis chéri, j’ai quelque chose à te dire. Écoute, nous
rentrons à la maison et Maria vient avec nous.
- A la maison ?
- Oui mon chéri. Tu auras une autre petite sœur.
- C’est génial. Elle sera heureuse avec nous.
- Tu es content ? Tu veux lui dire ?
- Maria, tu as entendu maman, tu va venir habiter chez nous.
Tu auras deux petites sœurs, Anna et Clara, deux papys et des chiens
et des chevaux partout. Tu verras, maman et papa sont gentils. Tu es
d’accord ?
Un sourire grimaçant lui répondit. Lila ne savait pas si la
petite avait compris mais elle l’espérait.
Le majordome s’approcha ; Lila lui résuma la situation. Il
n’était pas étonné. La mère cherchait tous les moyens pour se
débarrasser de l’enfant. C’était une gentille petite et avec un peu
d’affection et de soins… Elle comprenait beaucoup de choses ; elle
n’était pas sotte. Pour les chiens, il n'avait pas eu à répéter. Il n’avait
pas la permission de s’en occuper. Ce qu’il faisait devait passer
inaperçu, sinon il serait chassé et il n’avait pas d’autre foyer que ce
château.
Ils rejoignirent Matt et rentrèrent saluer la Comtesse. Maria resta
avec le majordome, il l’accompagna à la voiture et patienta.
Matt, Lila et Mattis les rejoignirent. Ils étaient pressés de
rentrer. Maria refusa de monter dans la voiture. Elle secouait la tête.
Elle prit Mattis par la main et essaya de l’entraîner. Il refusa, pressé
de quitter les lieux. Elle relâcha la main et s’enfuit vers l’écurie.
Le majordome voulu la rattraper mais Lila l’arrêta ; pendant
une seconde, elle avait eu peur mais espérait avoir compris. Elle lui
réclama un carton et patienta. Matt était dans le même esprit, et
venait de saisir ; Maria ne voulait pas laisser ses deux petits amis. Il
envoya Mattis l'aider. L’enfant détala et la rattrapa.
Ils revinrent rapidement, chacun un chien dans les bras.
207
Maria, les yeux suppliants, présenta le sien aux deux adultes.
- Nous avons compris Maria ! Oui, nous les emmenons avec
nous, murmura Matt en le récupérant.
Il le déposa dans le carton. Mattis fit de même. Le carton
trouva sa place sur le siège arrière de la voiture.
Mattis prit sa place sur son rehausseur. Lila vérifia la ceinture
de sécurité avant de monter en voiture. Pendant ce temps, Matt
installait la petite dans le siège auto de Clara et l’attacha. Le
majordome lui caressa la tête avant de s’en aller. Les femmes ne
s’étaient pas montrées.
Matt ne s’attarda pas et démarra rapidement, direction le gîte.
A leur arrivée, Lila rassembla les vêtements et remplit les valises.
Mattis talonné par Maria, récupéra ses jouets et ses peluches. La
petite main crasseuse n’avait pas lâché la sienne. Pendant ce temps,
Matt prévenait les propriétaires de leur départ précipité.
Avant de rentrer au Domaine, ils devaient passer chez
l’avocat. Un papier certifié concernant Maria leur permettrait de
l’emmener. Matt ne voulait se retrouver dans le rôle de kidnappeur. Il
signa plusieurs documents avant de se voir remettre le précieux
sésame. L’avocat lui précisa qu’il venait de manquer la mère de
Maria. Il ne répondit pas, indifférent à cette femme, et se pressa ;
Lila patientait dans la voiture avec les enfants.
Elle avait téléphoné au Domaine et prévenu les papas qu’ils
rentraient. Ils arriveraient dans la soirée, vers vingt et une heure. Elle
leur demanda s’ils pouvaient installer le petit lit supplémentaire dans
la chambre de Mattis. Ils ramenaient la petite avec eux.
Matt s’était arrêté dans un magasin et ramenait une bouteille
d’eau et des biscuits pour les enfants.
Un grand sourire éclairait son visage. Rentrer à la maison le
rassurait.
Les kilomètres défilaient. Les enfants sommeillaient. Matt en
profita pour s’expliquer avec Lila.
- Je ne réalise pas trop ce que nous avons fait. J’espère que ce
n’est pas une erreur. Nous avons une fille de plus.
- Nous n’avons pas fait d’erreur. Maria sera élevée avec nos
amours et dans peu de temps, nous oublierons qu’elle n’est pas notre
fille.
- J’en suis sûr, ce n’est pas ce qui m’inquiète. J’espère qu’elle
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ne va pas changer d’avis et revenir sur l’adoption.
- Ne parles pas de malheur. Nous ferons tout pour la garder.
- Je t’ai mise au pied du mur quand j’ai parlé de l’emmener.
Rassures-moi, ma Lila, tu étais d’accord ? Tu avais compris où je
voulais en venir ?
- Bien sûr ! J’étais d’accord dès le départ. Quand tu m’as
serré la main, j’ai compris. Tu avais lu dans mes pensées, j’avais
envie de te sauter au cou. J’étais avec toi de toute mon âme et je
priais pour que tu réussisses. J’ai eu si peur, mon cœur battait si fort ;
je croyais qu’elles allaient l’entendre. Il me semblait résonner contre
ces vieux murs. Tu as été merveilleux.
Tu as remarqué, elles ne lui ont pas dit au revoir. La petite ne les a
pas cherchées, elle n’a pas regardé en arrière. C’est une pitié. Je
l’aime déjà, tu sais !
- Je sais. Je l’ai ressenti dès le premier jour. Tu avais de la
peine pour elle mais que faire ? Elle nous a tendu la perche deux fois.
Elle donne son enfant comme Paddy, un chien perdu ; c’est aberrant,
je n’en reviens toujours pas. Ce ne sont pas des mères. Mon père a
souffert puis cette petite ; je trouve que cela fait beaucoup.
Les Roque Brune ne valent rien et elles non plus.
- Tu es rassuré maintenant ? Tu sais que tu n’as rien à voir
avec les Roque Brune. La folie à trente, quarante ans ne te guette pas.
Ton grand-père était un brave homme comme ton papa. Je préfère
oublier cette Comtesse que je ne considère pas comme ta grandmère.
- C’est vrai, je suis rassuré. J’étais très inquiet, tu sais.
J’imaginais perdre la tête, devenir fou, brutal et cruel jusqu’à battre
ma femme et mes enfants. C’était devenu une obsession. J’avais peur
que la maladie me tombe dessus sans en être conscient. Je serais
devenu un monstre comme eux ou un être sans cœur comme la
Comtesse, non merci.
- Rassures-toi, cela n’arrivera jamais.
- J’ai ressenti de la haine. Je les ai maudites. J’avais envie de
les frapper, leur faire endurer ce que mon père avait enduré, ce que la
petite subissait depuis sa naissance. Je n’oublierai jamais sa phrase
"Ce sera un animal de compagnie pour votre fils." Comment peut-on
dire une abomination comme celle-ci ?
- J’ai pensé la même chose. Je me suis demandé si j’avais
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bien entendu. Toi-même, tu es resté si calme, tu m’effrayais. Je
sentais que tu bouillais à l’intérieur et je ne savais pas ce que tu allais
dire ou faire. Je ne t’avais jamais vu ainsi, tu étais si froid si
déterminé.
Ta gentillesse s’est transformée en agressivité et en hargne. Ton
regard était pétrifiant et tes yeux haineux.
- J'ai déjà ressenti cette haine, cette rage qui monte et qui ne
demande qu’à exploser. C'était lors de ta disparition, de ton
kidnapping, je me sentais si inutile… J’aurais eu ces hommes devant
moi, je crois que j’aurais pu les tuer. Quand on est impuissant, c’est
pire, la rage est destructrice. Pour la petite, nous pouvions faire
quelque chose, la rage productive…
- Je te comprends. Elles ont été surprises. Tu es devenu
autoritaire et dominateur, d’un coup. Tu es passé de la politesse
courtoise à la supériorité hautaine. Tu savais exactement ce que tu
disais et ce que tu voulais. Tu es resté d’un calme olympien, alors
que tu explosais à l’intérieur.
- C’est vrai, quand j’ai compris que sa mère parlait
sérieusement, je l’ai haïe. Cette femme n’arrive pas à aimer la chair
de sa chair et nous demande de la débarrasser de sa propre fille…
Cette haine, ce sont peut-être mes gênes ?
- C’est exactement cela. Je peux t’affirmer que ce sont les
gênes "Maréchal" qui parlaient. J’ai ressenti exactement la même
chose. Tu es un "Maréchal" à cent pour cent. Crois-tu que nos papas
n’auraient pas pensé les mêmes choses ? Elle se débarrasse de sa
fille, comme d’un mouchoir en papier. Même Paddy prend des
renseignements avant de placer un de ses chiens. Elle n’a rien
demandé, elle ne sait même pas si on va l’aimer ou la frapper. C’est
juste une enfant contre la rénovation d’un tas de cailloux. C’est
abominable et honteux.
Tu n’as aucun rapport avec ces deux familles et je veux les oublier
très vite. Tu n’as rien à voir, ni rien en commun avec elles. Tu es
généreux, bienfaisant et charitable de naissance et tu le resteras. La
preuve dort derrière nous, au coté de notre fils, c’est notre petite
nouvelle fille.
- Merci ma Lila ! Je me range à ton avis. Ma famille reste la
même que celle que nous avons quittée, il y a trois jours, avec un
membre de plus. C’est ma famille, la tienne, la nôtre et elle est
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aimante. Je préfère être le fils d’un palefrenier que posséder un nom
à particule et un vieux château.
- Elle a du être très inquiète quand le vieil homme lui a rendu
visite. Il lui a appris que Quentin avait un fils et que celui-ci avait
une famille. Elle devait craindre pour son précieux château ; je
pouvais représenter une menace. Elle s’est empressée de nous
détailler tous ses malheurs, ses dettes et les dépenses énormes que
demandait ce tas de cailloux.
Sa belle-fille a bien précisé qu’elle n’avait pas reconnu
Quentin à la naissance. Il était facile de comprendre que nous
n’avions rien à demander surtout pas un seul caillou de ce château. Si
elle m’avait proposé un souvenir, une bricole, je n’aurais pas accepté.
Je ne veux rien d’elle, même son café me laisse un goût amer dans la
bouche.
Quentin et Maria ont été jetés, purement et simplement, pour sa
chère liberté et son château.
- Excepté la crainte, elle n’a rien ressenti pour toi, aucun
sentiment, tu es son petit-fils, pourtant ! Elle souhaitait te connaître,
toi, ta vie, celle de ton papa, pipeau, oui ! Elle ne t’a rien demandé !
Elles doivent être rassurées maintenant, elles savent que tu n’en veux
pas à leur ruine. De plus, elles sont débarrassées de "la plaie vivante,
de l’immonde créature, la diablesse" et j’en passe.
- Ce sont elles, les monstres, les immondes créatures. Elles
parlaient de la cacher dans l’écurie. Tu te rends compte !
- Je savais qu’il existait des horreurs, des enfants battus mais
je ne pouvais pas imaginer pareille chose. Un enfant est si précieux,
c’est un bonheur, c’est la plus belle création de la terre. C’est un don
de Dieu. Nous en avons trois et ils font notre fierté, nos petits
soleils ! Je parlais au passé, nous en avions trois et maintenant nous
en avons quatre. Nous désirions une grande famille, nous l’avons
avec notre pauvre petite Princesse qui vivait dans un vilain château.
- Nous n’aurons jamais de château, ma Lila. Nous, nous
contenterons de notre petite maison pleine d’amour. Maria y trouvera
sa place et nous l’aimerons comme nos petits, comme nous avons été
aimés. Paddy nous considère comme ses enfants, il nous aime alors
qu’il n’a aucun lien de parenté avec nous. Pour papa, c’est pareil, je
suis son fils et il m’aime. Nanny nous aimait autant l’un que l’autre.
Nous avons oublié qui est la fille et le fils de qui ; nos papas et
211
Nanny ont fait la même chose. Nous avons tout partagé, tout mis en
commun et rempli nos cœur de l’amour de tous. Nous sommes
devenus une seule famille. Nous aiderons Maria à faire de même.
Elle oubliera son triste passé et ne se souviendra que de l’amour que
nous lui apporterons.
- Tu as raison. C’est la preuve que tu es un vrai Maréchal. Tu
as agi de la même façon avec Mattis. Tu l’as aimé dès que tu l’as vu
et il a fait la même chose envers toi. Tu acceptais de devenir son
papa avant de savoir qu’il était ton fils ! C’est pareil pour Maria.
Nous l’aimons déjà et nos papas feront la même chose. Dans peu de
temps, personne ne se souviendra qu’elle n’est pas de notre sang.
Quant à toi, mon amour, tu es le digne fils de tes papas. C’est pour
cette raison que je t’aime tant, tu es merveilleux et tu ne le sais pas.
- C’est grâce à toi tout ça, ma Lila chérie. C’est ton amour qui
me permet de me sentir si bien, si heureux. Je t’aime, mon amour. Tu
es ma lumière et l’amour de ma vie. Tu m’as tant donné, je t’aime
plus que les mots ne pourront jamais le dire.
Il tendit la main à Lila, elle y glissa la sienne. Il la porta à ses lèvres.
L’amour de la petite maison valait tous les châteaux du monde. La
vie de Maria serait complètement transformée, ils y veilleraient.
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CHAPITRE 19
Les derniers kilomètres défilèrent rapidement. La voiture
passa la pancarte du village ; ils arrivaient !
- Regarde mon amour, notre belle statue "notre grand Loup
Blanc." Nous sommes chez nous. Nous allons retrouver nos filles et
les papas. Le paradis approche !
- Enfin ! Ces trois jours m’ont paru si longs. Je suis pressée
d’embrasser les papas et nos amours.
Ils descendirent et respirèrent l’air pur du Domaine. Les
enfants dormaient toujours. Matt emporta son fils et Lila, la petite
Maria. Ils prirent le chemin de la maison encombrés de leur précieux
fardeau.
Le Général et Paddy les attendaient avec impatience. Après
avoir couché les enfants, ils se jetèrent dans les bras ouverts des
papas. Les jeunes les étreignaient, enfin tranquillisés.
- Vous nous avez manqué. Ces trois jours ont été terribles. Si
vous saviez… Nous avons découvert le château des sorcières, lâcha
Lila.
- Des vacances comme celles-ci, jamais d’autres. C’était
vraiment difficile. Nous avons côtoyé des gens sans cœur et sans
âme. Nous sommes heureux d’être rentrés. Lila a raison, les sorcières
existent vraiment et ce n’est pas un conte de fée.
Le Général et Paddy étaient inquiets ; leurs enfants
semblaient avoir vieillis de dix ans. Ils étaient allés embrasser leurs
deux princesses qui dormaient sagement.
Lila, soudain, pensa aux chiens restés dans la voiture. Matt et le
Général y retournèrent les ramenèrent ainsi que les valises. Dans
l’urgence, Lila leur donna du jambon et un bol d’eau. Demain, ils
seraient baignés, ils en avaient bien besoin, suivrait une visite au
vétérinaire pour un bilan et des vaccinations.
Tout en soupant, les jeunes narrèrent les dernières nouvelles.
La veille, Ils s'étaient empressés d'annoncer la non-filiation de Matt.
Les papas avaient été soulagés d'un lourd fardeau. Aujourd'hui, la
discussion portait sur Quentin et sur la petite Maria. Le café était
213
servi. Matt remarqua qu’il ne laissait pas un goût amer dans la
bouche. Les papas étaient stupéfaits ; ils n'imaginaient pas qu’une
femme puisse se débarrasser de son enfant. C’était inimaginable
mais véridique ; la petite qui dormait dans la chambre de Mattis le
prouvait, les documents aussi. Lila confirma ; la belle-fille de la
Comtesse confiait sa fille à des inconnus pour se marier. Cette union
permettrait de rénover un sinistre château, "lui rendre son faste
d'antan."
- Attendez de la voir avant de mettre nos paroles en doute.
Vous serez aussi indignés que nous le sommes. Elle est dans un
état… Ses cheveux sont cordés comme le Misère que Paddy avait
récupéré. Ses vêtements sont des haillons… elle n’avait qu’un pull
léger, ni blouson, ni chaussures…
- Nous ne mettons pas votre parole en doute, ma Lila ; vos
épreuves sont marquées sur vos visages. Nous sommes effarés ; se
débarrasser de son enfant nous semble impensable. Vous êtes bien
fatigués.
- Le Général a raison. Demain est un autre jour, nous en
reparlerons, soutint Paddy.
Le silence régnait dans la maison. La nuit était bien avancée
quand le couple, après un dernier regard aux quatre enfants, retrouva
son lit. Lila retrouva sa place préférée et s’endormit bien serrée dans
les bras de son mari.
Le lendemain, ils retrouvèrent leurs petites Princesses avec
un grand bonheur. Ils s’étaient occupés des toilettes et du petit
déjeuner. Dans la seconde chambre, Maria et Mattis dormaient
toujours.
Le café était chaud à l’arrivée des papys. Paddy avait ramené
des croquettes pour les chiens et s’occuperait d’eux pour la visite
chez le vétérinaire. Le Général remit l’appareil photos réclamé par
Lila. Elle prendrait des clichés et constituerait un dossier sur Maria.
Il servirait si la mère posait des problèmes. Le médecin serait appelé
dès huit heures ; il vérifierait son état général et délivrerait un rapport
détaillé, toujours pour le dossier.
Mattis arrivait en se frottant les yeux. Il embrassa la famille
et chercha des genoux libres. Ceux de son papy Paddy firent
l’affaire. Ses chers papys lui avaient manqué et il les retrouvait avec
bonheur. Ils eurent droit à de gros câlins. Lila confia Anna au
214
Général et servit le chocolat à son fils. Elle s'approcha de la chambre,
Maria s’agitait et remuait dans son sommeil. Lila lui caressa le
visage pour l’apaiser. La petite ouvrit les yeux, étonnée de ce réveil
en douceur ou surprise de se trouver là. Lila lui prit la main et
l’embrassa.
- Bonjour Maria. Tu as bien dormi ? Mattis est levé et tes
petites sœurs aussi. Les papys sont là et souhaitent faire ta
connaissance. Tu viens avec moi ?
La petite se redressa et Lila la pris dans ses bras. Elle la
présenta à la famille. Maria, intimidée, se blottissait contre elle. Les
jumelles l’examinaient avec curiosité. Les papys ne disaient rien,
choqués. Lila et Matt n’avaient pas exagéré sur la situation de la
petite. C’était inimaginable, impensable. Elle semblait sortir d’une
mare de boue, ses cheveux n’avaient plus de couleur, ses pieds
étaient noirs et cornés. Sa malformation passait en second plan.
L’examen n’avait duré que quelques secondes. Les papys se reprirent
bien vite et la saluèrent en réclamant un bisou. Lila tendit la petite et
chacun l’embrassa ; elle cachait toujours son visage.
Lila reprit sa place, Maria sur ses genoux. Indifférente au bol
de chocolat, elle examinait les membres de la famille, un à un. Elle
grimaça un sourire à Matt et Mattis.
Mattis prit les choses en mains et lui proposa une cuillerée de
chocolat. Elle goûta, apprécia et en réclama. Il continua amusé et
partagea son bol. Il lui tendit une tartine beurrée, Maria se pressa de
la manger et en réclama une autre. Elle l’engouffra de la même
façon. Elle dévorait et Lila craignait qu’elle ne s’étouffe. Elle la
rassura ; elle en aurait une autre mais elle devait manger doucement.
La petite tenta de cacher le dernier morceau dans sa poche avant de
s’apercevoir, qu'elle était en sous-vêtements.
Les papys étaient retournés au travail. Anna et Clara jouaient
sagement dans leur chambre, Mattis se douchait, Maria s’était
réfugiée dans un coin avec les chiens. Matt sortait des cartons
étiquetés trois et quatre ans, les anciens vêtements de Mattis. Lila
nettoyait la maison et racontait à Maria ce qui allait se passer
aujourd’hui. Le médecin allait venir la voir puis elle prendrait une
douche. Ensuite, ils iraient se promener et voir les papys et les
chevaux. Maria l’écoutait attentivement.
Le médecin était arrivé et regardait Maria. En trente ans de
215
carrière, il n’avait jamais vu pareil cas de mauvais traitements, de
négligence… Il souhaitait prévenir les services sociaux et mettre la
mère sous les verrous. Matt lui expliqua qu’elle acceptait de leur
confier Maria. Ils commenceraient les démarches d’adoption, dès que
possible. Si l’Aide Sociale à l’Enfance s’en mêlait, leurs chances
seraient compromises. Le certificat médical et les photos de l’enfant
seraient utilisés contre elle si elle revenait sur sa parole.
Le médecin questionna Maria. Lila lui expliqua, qu’elle ne parlait
pas. Elle lui résuma sa drôle de vie entre un vieux majordome, deux
femmes et une cuisinière qui ne pensaient qu’à la rabrouer. Elle
n’avait pour compagnie que deux chiens. Il l’ausculta. Elle était
maigre, petite pour quatre ans, les carences alimentaires
probablement mais malgré tout, elle était en bonne santé. La
malformation de sa lèvre aurait du être corrigée juste dans les
premiers mois suivant la naissance.
Il ne s’expliquait pas son silence. Une consultation chez un
spécialiste, neurologue ou un psychologue pourrait leur donner une
réponse.
Il vérifia son carnet médical, tout y était noté depuis sa naissance
prématurée jusqu’à ses six mois. Ensuite, il était vierge. Aucun
vaccin ne protégeait la petite, il s'en chargerait. Il nota le nom du
médecin, celui-ci entendrait parler de lui. Il ne souhaitait pas la
médicaliser ; les repas de Lila seraient meilleurs que des pilules.
Avant de partir, il rédigea le précieux document directement sur le
carnet de santé. Il nota tout ce qu’il avait constaté, des conditions
d’hygiène au dénuement de Maria. Il mesura les risques et n’épargna
ni la mère ni le médecin.
Après son départ, Matt s’expliqua avec ses deux filles. Maria
était la nouvelle petite sœur. Elle ne parlait pas parce qu’elle avait un
bobo à la bouche, comme Anna sur son genou. A deux ans, elles
comprenaient parfaitement le mot "bobo." Elles s’approchèrent
doucement de Maria, un second examen commença. Il s’avéra vite
concluant de la part des petites. Elles se regardèrent en souriant ;
Maria était acceptée.
Pendant ce temps, Lila préparait le bain. Elle la récupéra et la
plongea dans l’eau. Maria aimait ça et clapotait en souriant. Lila la
frottait délicatement. Elle n’arrivait pas à ôter toute la crasse. Elle
utilisa de l’eau de Cologne.
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Pour les cheveux, il n’y avait rien à faire. Les mèches étaient si
emmêlées que le shampooing ne pénétrait pas. Elle la rinça et appela
Matt. Elle lui expliqua le problème, il ramena des ciseaux.
Les vilaines tresses tombaient sur le sol. Lila essayaient de
les démêler au fur et à mesure. Matt coupait lorsque Maria grimaçait.
Quand ce fut terminé, elle ressemblait à un petit garçon. Lila lui refit
un shampooing et l’habilla avec les vêtements de Mattis. Elle
n’apprécia pas les chaussures.
Matt avait nettoyé la salle de bain. Il récupéra plusieurs grosses
mèches ; il les joindrait au dossier dès qu’elles seraient sèches.
La promenade fut accueillie par des cris de joie. Anna et
Clara trottinaient devant, Mattis, la main de Maria dans la sienne, lui
expliquait ce qu’ils voyaient, de la maison de papy au pré des poneys
en passant par les balançoires. Il lui présenta Caramel, elle accepta
de le caresser du bout des doigts. Matt aida son fils à grimper dessus
et proposa la même chose à Maria. Son sourire fut la réponse. Il la
plaça devant Mattis qui la serra contre lui pour la maintenir. Le
poney s’invita à la balade, bien tenu par le papa. Les Princesses
avaient trouvé les bras de leurs parents.
Matt et Lila respiraient le bon air retrouvé. Le mois de janvier
était glacial mais ils s’en moquaient. Ils étaient chez eux et tous
étaient bien couverts.
- Je suis si heureux d’être rentré. La vie est si belle ici. Le
soleil brille et le Domaine chante. Regarde notre jolie petite maison,
ma Lila, comme elle est belle, comme elle respire l’amour ! Elle n'a
rien d'un tas de pierres remplis de douleurs, de malheurs et de
cadavres dans les placards…
- Je cherche à comprendre cette femme mais je n'y arrive pas.
Comment peut-on renier son enfant ? Jamais, je ne laisserais un de
mes petits. Je donnerais ma vie pour eux. Je quitterais le Domaine,
j’abandonnerais tout pour eux. J’y pensais cette nuit, j’ai fait des
cauchemars, je rêvais que quelqu’un nous volait nos enfants. J’étais
terrifiée.
- Tu as pleuré ! J’ai eu du mal à te calmer. Le contrecoup de
tout cela, je pense. Nous n’avions jamais imaginé pareilles horreurs.
Maria et Anna réclamaient la liberté. La maison d’accueil
était toute proche. Lila les laissa aller. Les enfants se scindèrent en
deux groupes, Anna et Clara, Mattis et Maria qui suivaient. Les
217
enfants se mirent à courir vers le bureau en appelant les papys. Maria
n’osait suivre. Elle lorgna vers les adultes quêtant la réprimande.
Seuls les encouragements et les sourires lui répondirent mais elle ne
bougea pas.
Le Général sortit et réclama des câlins. Il attrapa chacun des
enfants et le souleva dans les airs, les rires éclataient. Il s’approcha
de Maria et réclama un bisou. Poussée par Mattis, elle se retrouva
dans les bras du Général. Il l’embrassa et la serra contre lui avant de
la faire tournoyer gentiment ; il ne voulait pas l’effrayer. Pour la
première fois, un gazouillis sortit de sa gorge.
La famille était réunie pour le repas. Paddy était rentré avec
deux petits chiens, propres, vaccinés et vermifugés. Il leur avait
acheté un panier, un petit dôme en mousse et prévu un harnais et une
laisse à chacun. Maria était heureuse de les retrouver. Elle avait
touché le dôme et regardé à l’intérieur. Paddy lui avait expliqué que
c’était leur maison. Son Trio comme Belle, restaient indifférents aux
nouveaux.
Quatre paquets cadeaux attendaient sur la desserte. Mattis fut
le premier à les découvrir. Paddy procéda à la distribution. Il les
appelait un à un, leur offrait le présent et recevait un bisou. Il appela
Maria, elle hésita, regarda Lila et attendit la permission. Elle
l’encouragea en souriant et Maria s’avança d’un pas. Les enfants
ouvraient leur paquet et découvraient une jolie peluche, Mattis un
poney, Anna un faon, Clara un chat, restait Maria. Elle ne se décidait
pas. Mattis lui montra son poney et l’encouragea. Elle obéit et
découvrit un petit chien. Elle l’admira longtemps avant de la serrer
sur son cœur. Un pauvre sourire éclairait son visage abîmé. Les
enfants se montraient et s’échangeaient leur peluche, Maria ne
lâchait pas la sienne.
Le repas se passa gaiement. Les enfants babillaient et les
adultes discutaient entre eux. Maria regardait l’adulte qui parlait. Se
retrouver assise à la table et avec autant de personnes était une autre
nouveauté. Elle semblait écouter et suivre la conversation.
Lila proposa des légumes et de la viande. Chacun présenta
son assiette et elle servit. Elle attendait Maria. Celle-ci lorgnait les
assiettes pleines avec envie. Lila réitéra sa demande et lui réclama la
sienne. Maria hésita puis la lui présenta, elle avait compris. Elle reçut
la nourriture avec un grand sourire. Elle mangeait avec les mains,
218
Matt lui proposa une cuillère. Pour le dessert, Lila n’avait pas eu
besoin de répéter. Maria s’était précipité l’assiette levée. Elle fut
servie la première et regarda toutes les personnes présentes, fière
d’avoir retenue la leçon. Elle était heureuse, simplement heureuse.
Le majordome avait confié à Lila que la vieille cuisinière
manquait de patience avec l’enfant ; bien souvent, elle lui donnait un
morceau de pain avec du fromage et Maria disparaissait avec. Les
arbres fruitiers du château lui offraient le dessert, selon la saison.
Les adultes prenaient le café. Matt sortit Anna et Clara de leur
chaise haute ; Mattis entraîna les trois petites vers le coffre à jouets.
Les adultes discutaient de Maria. Sa première matinée en
famille était plus que positive. Elle s'était si bien intégrée ! Elle était
proche de Mattis ; elle le suivait et l'imitait. Avant le repas, il s’était
lavé les mains comme à son habitude, elle l’avait copié.
Elle était loin d'être sotte et comprenait vite. Il suffisait de lui
expliquer. Elle avait assimilé qu’elle devait tendre son assiette pour
avoir à manger. Elle tendait son visage pour les câlins et les bisous
qu’elle appréciait mais ne rendait pas encore. Elle souriait souvent,
de cette grimace qui la défigurait.
Lila avait mal pour elle. Dès qu’ils auraient le feu vert du
médecin, ils s’occuperaient de son opération. Les papiers de la mère
les autorisaient à agir pour le bien de l’enfant.
Les papys étaient retournés au travail, Matt les avait accompagnés.
Le Général avait demandé son aide pour régler des soucis
informatiques.
La vaisselle terminée, Lila avait changé et débarbouillé Anna
et Clara. Elle s’était assise sur le rocking-chair ses deux petites
contre elle. Elle leur fredonnait une berceuse.
Mattis et Maria jouaient sur le tapis devant la cheminée. Maria
s’arrêta et écouta la chanson. Elle remuait la tête en cadence.
Les petites dormaient depuis plus d’une heure. Lila se décida
et les allongea dans leur petit lit ; elles seraient plus à l’aise.
Elle revint et Mattis se réfugia dans ses bras. Il était bien
fatigué et voulait se faire dorloter à son tour. Lila le prit dans ses bras
et il se serra contre elle. Elle réintégra le fauteuil. Maria les regardait
sans bouger. Lila lui tendit la main et l’invita à leurs côtés. Elle l’aida
à grimper. Les deux enfants se blottirent contre elle ; une chanson
douce les emporta au pays des songes.
219
Elle était courbaturée au retour de Matt. Les deux enfants pesaient
lourdement sur ses bras. Matt voulut la soulager mais elle refusa.
C'était la première fois pour Maria, elle ne pouvait pas la renvoyer
dans la chambre.
Matt approcha une chaise de Lila, les souvenirs affluèrent. Il
caressa le visage de Lila, elle lui embrassa la main. Il réclama un
baiser et lui murmura des mots doux à l’oreille.
Mattis ouvrit les yeux et s’étira. Il s’éveilla doucement
embrassé par sa maman. Matt lui tendit les bras et le récupéra. Lila
se dégourdit le bras. Maria s’agita aussitôt et Lila l’apaisa en la
berçant. Elle sommeillait encore, rassurée et bien nichée.
Matt leva ses Princesses et prépara le goûter. Mattis amena
les bols sur la table. L’odeur du chocolat chaud titilla les narines de
Maria et la réveilla complètement. Lila la chatouilla et l’embrassa.
Elle pouffa et frotta sa joue contre celle de Lila, son premier câlin
envers un adulte.
- Nous allons goûter, Princesse ; le bon chocolat que tu aimes.
Papa l’a servi. Nous y allons ? Veux-tu faire un bisou à tout le monde
?
Maria s’avança et tendit son visage à Mattis et aux petites
ensuite elle regarda "le papa." Il lui tendit les bras et elle leva les
siens. Il la souleva et un gros baiser claqua sur sa joue. Il prit place à
table, la petite sur ses genoux. Il l’aida à tenir sa cuillère et lui
expliqua pourquoi le pain tombait dans le bol. Il sourit à Lila,
l’histoire se répétait, Maria avait remplacé sa toute petite Princesse à
lui, sa chérie, son amour, sa Lila.
L’après-midi s’écoula gentiment. L’ambiance était studieuse.
Mattis avait apporté un livre et expliquait les lettres à Maria. Il devait
travailler, il allait bientôt retourner à l’école. Il révisait ses mots, aidé
de sa maman, et profitait pour les apprendre à Maria. Le tableau
magnétique se trouva recouvert. Maria attentive essayait de
comprendre et s’appliquait à retrouver les voyelles demandées par
Mattis.
Les deux Princesses avaient retrouvé leur maman d’amour. Elles
restaient sur ses genoux et réclamaient son attention, un livre à la
main. Lila accéda à leur demande et leur raconta l’histoire du "Petit
Ours Brun." Le livre terminé, elles se laissèrent glisser à terre et
retrouvèrent leurs poupées et leurs cubes.
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La maison était calme, les enfants s’amusaient sagement, Lila
préparait le repas. Elle invita Mattis à ranger ses jouets. Elle dû s’y
prendre à deux reprises, il n’obéissait pas et ronchonna.
- Mattis, s’il te plaît, tu obéis sans grogner.
Lila avait haussé la voix. Maria, sans attendre, attrapa la main
de Mattis et l'entraîna vers la porte.
- Non, Maria ! Je dois ranger le tableau et les lettres. Papa et
les papys vont arriver.
Maria insistait, les yeux brillants de larmes.
- Maman ! Maria pleure !
Lila s’approcha en s’essuyant les mains avec un torchon.
Maria leva la main pour se protéger le visage. Lila s'arrêta, surprise.
- Maria, que se passe-t-il ? murmura Lila en s’abaissant à sa
hauteur. Regarde-moi, Princesse, je ne vais pas te frapper ! Viens là
mon bébé.
Lila la prit dans ses bras et lui expliqua qu’elle avait grondé
Mattis pour qu’il range les jouets. Ce n’était pas grave mais il devait
obéir sans ronchonner. Maria la regarda et hocha la tête.
Maria avait retrouvé ses peurs lorsque Lila avait grondé
Mattis. Menacé, il devait fuir. Les coups de torchons ne semblaient
pas lui être inconnus. Lila embrassa les deux enfants ; Maria comprit
que tout danger était écarté et se tranquillisa. Les enfants
s’occupèrent du rangement.
Lila ne désespérait pas, Maria apprendrait la confiance et
oublierait son triste passé. Les vociférations et les coups n’existaient
pas au Domaine. Les enfants la rassureraient, Mattis la motivait,
Anna et Clara cherchaient sa compagnie ; le temps effacerait ses
peurs.
Les deux semaines de vacances étaient bien entamées pour
Mattis. Il reprendrait le chemin de l’école dans quelques jours. Lila
avait préparé Maria à cette rupture. Elle lui avait bien expliqué qu’il
s’en irait tous les matins. Il reviendrait pour le repas du midi, dès que
les aiguilles de la pendule seraient sur le douze. Elle avait commencé
à les détacher l’un de l’autre, en douceur.
L’après-midi, pendant une petite heure, Mattis rejoignait son
papa ou les papys et retrouvait son ordinateur ou son poney. Depuis
l’arrivée de Maria, il prenait ces séjours au bureau comme une
punition. Il avait réclamé sa présence mais les adultes avaient refusé.
221
Il partait mécontent, les yeux pleins de reproches. A son retour, il ne
la quittait plus et ne lui lâchait plus la main.
Il aimait Anna et Clara et prenait plaisir à s’occuper d’elles. Il leur
lisait des histoires, les aidait à construire des maisons en cubes,
pousser la poussette, etc. Elles l’adoraient et elles recherchaient sa
compagnie. S’il était occupé, elles s’amusaient ensemble ; leur duo
les contentait et leur suffisait. Sa nouvelle petite sœur représentait
autre chose. Elle avait besoin de lui et de son contact. Elle glissait sa
main dans la sienne dès qu’elle le pouvait. Elle lui souriait, lui
caressait la joue ou lui embrassait la main. Il avait toute son attention
et son affection. Elle ne le quittait pas, restait dans son sillage et
devenait son ombre. Mattis se sentait important dans son rôle de
grand frère protecteur. Il ressentait ses besoins et savait qu’elle avait
souffert. Il ne voulait plus jamais voir la tristesse dans ses yeux. Ils
se créaient leur monde à eux et il aimait ça. Il était malheureux de
leur séparation. Il s’était ouvert à ses parents et Lila lui avait donné
l’explication. Maria devait s’habituer à son absence pour ne pas
souffrir à la reprise de l’école. Elle-même en avait souffert et avait
très mal vécu ces matinées sans son cher "Ma ï." Elle en gardait de
très mauvais souvenirs. Pour Maria, elle ne voulait pas cela. Mattis
avait compris et accepté ; si c'était pour le bien de sa petite Maria…
Les papys avaient prévenu leurs enfants. Mattis réagissait
avec Maria exactement comme Matt l’avait fait avec Lila, vingt ans
plutôt. Il avait la même tendresse pour Maria que son papa pour sa
Lila. Il ne la quittait que contraint et forcé. Les papys prédisaient
bien des larmes. Ils s’attendaient à entendre les célèbres phrases du
papa : "C’est ma petite sœur à moi, ma chérie à moi tout seul."
Matt et Lila avaient souri sur la phrase mémorable ; les
prévisions des papys étaient bien pessimistes. Ils étaient la preuve
vivante qu’un amour d’enfant pouvait se transformer en amour tout
court mais pour leurs enfants, ce serait différent. L'adoption ne
permettrait pas le même rapprochement.
Cela faisait onze jours que Maria partageait leur vie. Elle
s’acclimatait tout doucement et commençait à s’extérioriser. Elle
n’hésitait plus à prendre un livre, un jouet, à s’asseoir et s’amuser
avec Anna et Clara. Elle n’attendait plus l'encouragement de l’adulte.
Dans son nouveau foyer, il y avait peu d’interdiction, les
réprimandes étaient rares et toujours suivies d’une explication. Maria
222
avait expérimenté, compris et accepté cela. Un matin, déçue du
départ de Mattis, elle avait bravé une interdiction. Attirée par le feu,
elle s’approchait de la cassette et tendait sa main vers la vitre
brûlante. Lila l’avait prévenue gentiment mais elle continua. Lila lui
asséna un non ferme et catégorique. Maria se sauva dans la chambre.
Lila la ramena, ouvrit la vitre et lui montra le danger. Maria reçut la
bouffée d’air chaud sur le visage et comprit. Elle ne renouvela pas
l’expérience.
Maria appréciait la vie simple et douce au Domaine. Elle
souriait très souvent, prenait des initiatives dans les jeux, réclamait
des câlins, grimpait sur les genoux…
C’était la reprise de l’école. Matt emmenait Mattis. L’enfant
embrassa ses sœurs et sa maman. Il s’attarda auprès de Maria et la
serra contre lui. Elle le regarda franchir la porte, ses beaux yeux se
voilèrent et elle se réfugia dans la chambre. Lila déposa Anna près de
sa sœur et la rejoignit.
Maria s’était cachée sous le bureau et pleurait à chaudes larmes. Lila
lui ouvrit les bras et la recueillit contre elle.
- Je sais mon bébé. Je comprends ton chagrin. Mattis va
revenir. Je t’ai parlé de l’école, il va apprendre à lire et à écrire. Il
pourra te raconter toutes les jolies histoires que tu aimes tant.
Tu te souviens de l’horloge ? Dès que les deux aiguilles seront tout
en haut, sur le douze, le un et le deux collés ensemble, il reviendra.
Maria écoutait Lila et hochait la tête. Elle comprenait mais
son chagrin était bien présent et semblait intarissable.
Lila, la petite dans les bras, s’était assise sur le rocking-chair. Elle la
serrait contre elle et lui raconta une histoire :
- Je vais te raconter l’histoire de maman et papa. Il y a bien
longtemps, maman était une toute petite fille comme toi, Anna et
Clara. Maman avait un beau Prince qu’elle aimait très fort, papa.
Maman ne voulait pas quitter papa et elle était heureuse quand il était
avec elle. C’était papa son Prince, comme Mattis pour Maria.
Mais papa devait aller à l’école et maman devait rester à la maison
avec notre Nanny, notre grand-mère. Elle était très gentille et nous
l’aimions beaucoup, nous l’aimions autant que les papys.
Lorsque papa est parti à l’école. Je n’ai pas compris. J’ai beaucoup
pleuré. Ma Nanny était triste de me voir pleurer, elle n’arrivait pas à
me consoler. Moi, je voulais papa, je voulais qu’il revienne et qu’il
223
reste avec moi. Il est revenu lorsque les deux aiguilles de l’horloge
étaient tout en haut.
Quand il arrivait, j’étais si heureuse ! Je ne le quittais plus. Il me
racontait de belles histoires et m’apprenait tout ce qu’il savait. J’ai
appris à lire et je l’ai accompagné à l’école. J’étais avec lui toute la
journée et pour moi, c’était le paradis ! Je le suivais partout.
Bientôt, ce sera ton tour, ma Princesse. Tu accompagneras Mattis à
l’école et tu ne le quitteras plus. Quand il va revenir, tu vas sentir ton
cœur bondir, là. Tous les matins, ce sera la même chose. Il partira à
l’école et il reviendra. Tu comprends mon bébé.
Les larmes s’étaient taries, Maria secoua la tête, elle avait
compris. Elle prit la main de Lila et la posa sur petit cœur.
- Il a mal, je comprends ma chérie mais il va être tout content
au retour de Mattis. Je le sais ; le cœur de maman avait très mal, lui
aussi mais il chantait très fort quand papa revenait.
Lila lui demanda son aide. Maria s’occuperait des petites
sœurs, pendant qu’elle ferait le ménage et préparerait le repas ; la
matinée passerait plus vite. Maria acquiesça, soulagée d’être mise à
contribution et de s’occuper. Elle s’amusa une bonne partie de la
matinée. Elle regardait souvent Lila et celle-ci lui souriait et la
félicitait, son aide était précieuse. Les filles caressaient les petits
chiens, Saphir et Rubis. Mattis avait demandé de l’aide à sa maman
pour les baptiser. Elle avait proposé des noms, les deux aînés avaient
choisis.
Lila s'était bien avancée. Elle prit place sur le tapis, à coté de
ses filles. Elle récupéra le livre qui traînait "Mimi à la ferme" et lu
l'histoire de la petite souris. Mimi, habitait dans une ferme et
s’occupait des animaux. Anna et Clara le connaissaient par cœur et
ne s’en lassaient pas, Maria le découvrait. Le livre était ludique et
comportait des languettes à soulever. L'histoire terminée, Maria en
ramena un autre. A la fin, elle s'échappa et revint en traînant le
tableau magnétique. Elle voulait apprendre à lire. Mattis lui avait
assuré qu’elle l’accompagnerait à l’école quand elle saurait ses
lettres. Lila le lui avait répété ce matin, elle était motivée.
Lila lui dicta les lettres comme elle faisait avec Mattis. Maria se
débrouillait bien et retrouvait les voyelles. Quand elle se trompait,
Lila la reprenait. Elle réfléchissait avant d’en choisir une autre. Lila
lui épela les petits mots du livre. Elle réussit l’exercice et frappa dans
224
ses mains. Un grand sourire éclaira son visage. Lila ouvrit les bras et
la petite se jeta contre elle.
- Ma Princesse, je t’aime ! Tu es ma troisième et merveilleuse
petite fille. Tu es mon petit amour et je t’aime très fort.
Maria souriait. Ses deux mains se posèrent de chaque coté du
visage de Lila et elle plongea son regard limpide dans le sien. Lila
ressentit tout son amour. Maria ne s’exprimait pas mais tout passait
dans ce contact. Ses mains caressaient et étudiaient le visage de celle
qui lui avait apporté affection et amour. Elle frotta sa lèvre abîmée
contre celle de sa nouvelle maman et l’embrassa à sa façon. Lila
sentit ses yeux s’embuer et serra la petite un peu plus fort.
Maria s’échappa en riant et retrouva Anna et Clara.
CHAPITRE 20
Dans dix minutes, Mattis reviendrait de l’école. Lila disposait
le couvert. Elle rappela à Maria de surveiller la pendule. Maria, les
yeux braqués sur l’horloge, frappa dans ses mains, les deux aiguilles
étaient sur le douze. Il était temps de s’habiller et de rejoindre papa et
papy.
Maria attrapa les blousons et les écharpes et patienta devant
la porte pendant que Lila les préparait. Elle sortit la poussette et
installa les petites. Maria, fièrement, la poussa vers la maison
d’accueil.
Arrivées à quelques mètres du bureau, Lila libéra Anna et
Clara. Elles filèrent toutes les trois vers le bureau du papy. Les rires
éclataient quand Lila arriva.
Le Général sortit accompagné des petites excitées. Elles
225
galopèrent vers la vieille maison. Surprendre le papa et les jeunes
était le nouveau jeu. Les trois Princesses s’engouffrèrent dans la
maison.
Lila discutait avec le Général, de la première matinée de
Maria sans son cher Mattis. La crise de larmes était logique. Sa
Princesse à lui en avait eu de nombreuses lorsque son "Ma ï" chéri
partait pour l’école. La pauvre Nanny en était désolée, elle était
incapable de la consoler.
Excepté cette crise, Maria s’acclimatait beaucoup mieux
qu’ils ne le pensaient. Sa vie avait changé du jour au lendemain et
elle prenait cela très bien.
Matt avait rejoint les deux adultes et embrassait sa Lila. Il se
plaignait d’avoir été attaqué par trois petites chipies. Elles
s’accrochaient à son pantalon et il ne pouvait s’en défaire. Elles
riaient et continuaient leurs attaques.
La voiture qui arrivait dans la cour les stoppa. Elles
attendaient la permission d’accueillir Paddy et Mattis. Elles
s’élancèrent dès le feu vert de Matt. Les deux arrivants reçurent la
même punition. Après maints bisous, câlins et rires, Anna et Clara se
calmèrent et Paddy les ramena.
Maria avait retrouvé Mattis. Elle le serrait dans ses bras et ne
le lâchait plus. Elle souriait mais ses yeux humides retenaient des
larmes. Il la reposa et la regarda. Il essuya une larme qui coulait et
l’embrassa avant de l’entraîner vers les adultes.
- Maria pleure. Pourquoi elle pleure, papa ? Elle a du
chagrin ? Je suis rentré et elle pleure, s’inquiéta Mattis.
- Ce n'est pas du chagrin, Mattis. J’ai connu cette même
expérience avec une petite fille. Elle pleurait très souvent, ses yeux
étaient toujours humides et brillants. Je m’en suis inquiété, comme
toi aujourd’hui. Ma Nanny m’avait expliqué que c’étaient des larmes
de joie.
Quand je revenais de l’école, le cœur de ma Princesse chantait si fort
qu’il débordait. C’était sa façon à elle, d’exprimer son bonheur
quand elle retrouvait son "Ma ï."
Tu devras t’y habituer, comme j’ai du le faire. Le petit cœur de Maria
débordera souvent. Elle a la même maladie que ma Princesse à moi.
Vois-tu de qui je parle ?
- Tu parles de maman, je connais l’histoire. C’était ta chérie à
226
toi tout seul, rit Mattis.
- C’est toujours "ma chérie à moi tout seul" enfin presque !
- Moi aussi j’ai mes petites sœurs chéries et ma petite Maria,
comme toi. Je suis désolé ma petite Maria mais tu ne guériras jamais
de ta maladie. Maman a très souvent le cœur qui chante et qui
déborde. Elle a de la pluie dans ses yeux quand elle est contente. Ça
arrive très souvent quand papa lui dit des secrets à l’oreille ou quand
Anna et Clara lui font des bisous. Si je lui dis que c’est la plus
gentille et la plus belle des mamans du monde tout entier, elle
pleure ! Il y a plein de raison pour que son cœur déborde. Si tu as la
même maladie que maman, ton cœur va déborder souvent, lui
expliqua Mattis en essuyant ses yeux.
Tu sais, je serai bientôt en vacances et nous ne nous quitterons pas.
Je te le promets ma Princesse à moi, termina-t-il en l’embrassant.
Maria secoua la tête et buvait ses paroles. Elle approuvait tout
ce qu’il lui disait. Elle lui souriait, les yeux brillants.
Les jours passaient et se ressemblaient. Les quatre enfants
s’entendaient à merveille et Maria faisait partie intégrante de la vie
du Domaine. Rien ne la différenciait des trois enfants du couple.
Anna et Clara recherchaient sa présence et son affection. Mattis
l’adorait et c’était réciproque. Elle savait ce qu’elle voulait et se
faisait comprendre. Elle était intelligente et très attentive aux
discutions des adultes. Son plaisir restait le tableau magnétique et la
découverte des lettres. Elle respirait la joie de vivre et souriait tout le
temps.
Le médecin l’avait revu et l’avait à peine reconnue. Il
ramenait avec lui, les coordonnés d’un médecin spécialisé dans les
problèmes de la face. Il était réputé et connaissait les grandes lignes
de l’histoire de Maria. Matt et Lila pourraient l’appeler, dès qu’ils le
souhaiteraient. Il s’inquiéta de la demande d’adoption. S’il pouvait
aider par son témoignage ou autre, il répondrait présent. La mère ne
devait pas récupérer cette enfant.
Le couple précisa qu’il demandait la tutelle. Ils n’étaient pas
de bons candidats pour l’adoption simple et encore moins pour la
plénière. Concernant l’adoption plénière, ils ne remplissaient pas les
conditions. Aucun des deux n’avait l’âge requis de trente ans, Lila
avait vingt-deux ans et Matt à peine vingt-cinq ans. Ils étaient mariés
depuis trois ans, il en fallait cinq. Le couple avait trois enfants en
227
bas-âge, Anna et Clara de deux ans et demi et Mattis bientôt six. Le
juge pouvait décider qu’un enfant supplémentaire de cinq ans
pourrait perturber la famille…
L’assistante sociale leur avait conseillé la tutelle, les impératifs
étaient moindres donc les chances plus grandes. Restait un problème
de taille, la mère avait encore un mois pour revenir sur sa décision.
Passé ce délai de trois mois, elle ne pourrait revenir en arrière.
L'assistante sociale les avait beaucoup aidés et avait facilité les
démarches. La demande d’agrément avait été déposée à la
D.A.S.E.S, la Direction de l’Action Sociale de l’Enfance et de la
Santé. Le dossier avait été préparé et envoyé rapidement. Il contenait
les photocopies d’actes de naissance, de mariage, les extraits de
casier judiciaire, certificats médicaux, des photos familiales.
La présence des papys, leur aide au quotidien restaient de
précieux atouts. Ils s’occupaient des enfants et servaient de nounous
avec bonheur.
Les certificats médicaux de Lila et Matt étaient bons, les
radios pulmonaires et l’examen psychologique ne posaient aucun
problème. Le psychologue, habilité par la préfecture, certifiait le bon
équilibre de la famille et la maturité de celle-ci. Il n’y avait que des
points favorables.
L’enquête financière attestait des ressources du couple. Lila
avait arrêté son travail au Domaine mais elle le retrouverait dès
qu’elle le souhaiterait. De nombreuses lettres de banques et des
employeurs de Matt certifiaient ses ressources. Les comptes
bancaires, l’argent placé et le domicile garanti à vie étaient des points
positifs.
Les lettres de moralités avaient été ajoutées ; elles étaient
importantes et pourraient influer sur la décision du juge.
Le maire connaissait la famille depuis toujours et sa lettre
était élogieuse. Elle témoignait du civisme, de l’honnêteté et la
maturité du couple. Il insista sur le sérieux, la moralité et la fidélité
du couple. Il n’oublia pas leur emploi respectif, le travail important
de Matt et les avantages que le Domaine apportait à leur petit village
depuis plus de vingt ans.
Le prêtre du village nota la vertu et les mérites de ce couple
exemplaire. Il raconta comment les jeunes avaient pris soin de leur
Nanny, jusqu’à la fin de sa vie, l’amour qu’ils portaient à leurs
228
enfants et leur dévouement l’un à l’autre. Leurs principes sur la
famille étaient irréprochables et ils élevaient leurs enfants dans le
respect, la politesse et la droiture.
Il termina, comme le maire, sur la fidélité et la moralité du couple.
Le médecin y ajouta la sienne et détailla la santé des enfants
et commenta les progrès de Maria. Il se permettait de donner son
opinion personnelle, l’intérêt et le bonheur de Maria seraient assurés
dans cette famille. Les enfants recevaient beaucoup d’amour et Maria
était considérée comme la quatrième enfant de ce couple modèle.
De nombreuses autres lettres témoignaient pour eux.
Tout était fait, les démarches étaient engagées. Il ne restait
qu’à attendre.
Le second projet de Matt et Lila leur tenait tout autant à cœur,
réparer la bouche de Maria. Le médecin de famille leur avait donné
les coordonnées du spécialiste de l’hôpital pédiatrique Robert Debré
à Paris. Une consultation les renseignerait sur sa malformation.
Elle pourrait être auscultée concernant son silence. Soit, elle pouvait
parler, soit, elle était muette mais ils seraient fixés. Si le problème
était inguérissable, elle apprendrait à vivre avec son handicap, la
langue des signes l’aiderait…
Quel que soit le problème psychologique, neurologique ou autre, il y
avait quelque chose à faire. Sa santé était bonne et il était grand
temps qu’elle puisse être comme les autres, tout au moins,
physiquement.
Les papys étaient d’accord. Maria avait deux problèmes. Si
les deux pouvaient être examinés ensemble ce serait parfait. Ils
s’occuperaient des trois enfants pendant son hospitalisation.
Lila s’occupa du rendez-vous. Le chirurgien recevrait Maria
le vingt-six mars. Il leur proposa de garder une place dans son
planning d’opération ; le couple venait de loin et s'il pouvait leur
éviter un second déplacement… Il agissait souvent de cette manière.
Pour le logement, l’hôpital disposait d’une "maison des parents" à
proximité. Lila réserva une chambre.
C’était le grand jour. Ils étaient devant l’hôpital. Celui-ci était
immense. Lila se sentait perdue et inquiète. Elle détestait ces lieux de
douleurs et prenait sur elle. Le bien de Maria était essentiel.
Maria, dans les bras de Matt, était apeurée. Elle n’était jamais
sortie du Domaine. Toutes ces voitures, cette agitation et ce bruit
229
étaient étourdissants et déroutants. Elle cachait son visage dans le
cou de Matt et ses petits bras l’enserraient. Elle connaissait le but de
ce voyage. Lila lui avait expliqué qu’elle allait rencontrer un gentil
docteur pour guérir sa bouche.
Lila n’était pas beaucoup plus vaillante. Sa main se glissa
dans celle, rassurante de Matt ; l’autre triturait la peluche de Maria.
Dans la salle d’attente, Maria épiait chaque bruit, chaque
porte qui s’ouvrait. Elle regardait les infirmières s’agiter, les patients
qui disparaissaient par une porte, les autres qui entraient par une
autre. C’était une vraie fourmilière.
Matt lui expliquait ce qui se passait. Bientôt, leur tour arriverait et
eux aussi franchiraient cette porte.
Après une heure d’attente, leur nom fut annoncé. Ils passèrent
la mystérieuse porte, longèrent un couloir avant de se retrouver dans
une petite salle. Le spécialiste, un homme jeune et accueillant ouvrit
la discussion, le dossier de Maria ouvert devant lui. Il bavarda avec
Maria avant de l’ausculter. Lila ne les quittait pas des yeux et souriait
à sa fille.
Quand l’examen fut terminé, elle la récupéra bien vite et la serra
contre elle. Le chirurgien dessina et commenta la malformation de
Maria.
- Votre fille a une malformation appelée "fente labiale"
autrefois appelé "Bec-de-lièvre." Dans le cas de Maria, la
malformation est simple ; la fente de la lèvre supérieure est visible et
unilatérale ; elle exige une simple correction chirurgicale de la lèvre.
Le nez et la gencive ne sont pas touchés et il n’y a pas de division
palatine. C’est une opération courante et j’ose dire bénigne. Nous
opérons des enfants de cinq ou six mois.
Voici un dessin d’une lèvre supérieure avec sa double courbure,
appelé "Arc de Cupidon." Il ne manque pas grand chose à Maria.
Nous allons lui dessiner le coté gauche. Des incisions seront
pratiquées des deux cotés de la lèvre, ici et ici. Une suture
rapprochera les deux parties et remodèlera la lèvre. La lèvre va
croître, c’est un élément que nous ne maîtrisons pas et plus tard, vers
l’adolescence, nous procéderons à des retouches, des corrections
esthétiques si nécessaire.
Matt et Lila regardaient le dessin et écoutaient religieusement
le docteur. Matt lui demanda l’origine de ce traumatisme.
230
- Il peut-être héréditaire mais d’autres causes sont possibles,
infection ou maladie. Certains médicaments, ingérés entre la
quatrième et la sixième semaine de gestation, peuvent-être
responsables. Ils agissent à la formation des lèvres de l’embryon…
mais je vous le répète, les causes sont diverses.
- Vous pourrez l’opérer ?
- Oui bien sûr ! Je peux la prendre demain matin. Comme je
vous l’avais précisé au téléphone, je lui avais gardé une place. Vous
la ramenez ce soir pour dix-huit heures ; vous pourrez rester avec elle
jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Demain matin, nous procéderons aux
examens de routine.
- Vous la garderez longtemps ?
- Rassurez-vous, pas plus de deux jours ! Après l’opération,
elle restera en salle de réveil. Le lendemain, elle retrouvera sa
chambre mais nous garderons un œil sur elle. Maria sera chez vous
pour le week-end.
Ne vous inquiétez pas, nous sommes très bien équipés et avons la
meilleure équipe.
- Bien ! Nous vous remercions pour tout. Nous serons là ce
soir.
Ils quittèrent le médecin. Après avoir téléphoné aux papys, ils
cherchèrent le logement. C’était une bonne chose, ce logement mis à
la disposition des parents. Il était à deux pas de l’hôpital ce qui
permettait de gagner un temps précieux. Ils traversèrent une grande
cuisine et gagnèrent leur chambre par un escalier en colimaçon. Les
bagages déposés, ils sortirent.
L’heure du repas était passée depuis longtemps. Ils n’avaient
pas faim mais s’arrêtèrent dans une brasserie pour Maria. Ils avaient
tout l’après-midi devant eux et décidèrent de l’emmener au zoo.
Elle était contente et admirait les animaux. Ses yeux
brillaient, elle avait oublié l'hôpital.
Devant une grande volière, elle contempla les oiseaux exotiques, les
grands aras multicolores la passionnaient. Elle gigota et Matt la posa
sur le sol.
Elle sourit devant les fauves étendus sur les rochers. Une lionne
paressait et prenait un bain sous un pâle soleil. Un lion se roulait
dans l’herbe, d'autres sommeillaient un peu plus loin.
Elle s’animait et s’émerveillait de tous les animaux, des gros
231
éléphants aux singes hurleurs en passant par les gorilles et les ours.
Mais l’heure avançait, il était temps de retourner à l’hôpital.
Dans son petit lit blanc, Maria, écoutait l’infirmière lui
raconter ce qui se passait. Elle souriait à cette jolie petite fille
courageuse qui supportait la prise de sang sans verser une larme.
L’infirmière partie, Maria tendit les bras à Lila. Elle
s’empressa de la récupérer et la garda contre elle. Elles attendaient le
retour de Matt qui remplissait les papiers d’admission. Il revint et se
plaqua un sourire sur le visage. Il embrassa ses deux Princesses et
attrapa Maria qui lui tendait les bras. Il s’amusa avec elle jusqu’au
repas. Maria était fatiguée de cette journée riche en évènements. Le
réveil avait sonné très tôt, ensuite le long voyage, l’activité
parisienne puis le zoo ; elle s’endormit dans les bras de Lila.
Ils attendirent deux heures avant de l’allonger dans son lit. Ils
l'embrassèrent puis Lila coinça la peluche dans son bras. Matt la
savait proche des larmes et lui serra la main. Enlacés, ils quittèrent
l’hôpital rapidement. Ils se sentaient bien malheureux ; leur petite
Maria était seule.
Il était à peine huit heures, le couple pénétrait dans la
chambre. Des médecins étaient présents. Bouleversée par ces
inconnus en blouse blanche qui l'avaient auscultée, palpée et
observée, Maria accueillit ses parents les bras tendus et les larmes
aux yeux. Une infirmière arrivait et injecta un calmant dans le
cathéter. Maria partait en salle d’opération. Ses parents devaient se
retirer.
Un médecin souhaitait les voir, ils le suivirent. Il les
renseigna sur le silence de Maria.
- Votre fille Maria est normalement constituée. Nous n’avons
détecté aucun problème susceptible d’expliquer son silence. Elle a un
retard de langage, c’est sûr, mais sur le plan moteur rien ne peut
l’expliquer. Les examens ne détectent pas de problème. Nous
penchons sur un blocage psychologique.
Dans son cas, le retard peut-être du au modèle familial, la relation
mère-enfant qu’elle a connue, pourrait en être la cause.
Je m’explique, entre deux et six ans, c’est la période du
développement du langage et d’après les renseignements de son
dossier, le problème pourrait en découler. Une mère qui ne s’occupe
pas de son enfant, ne le regarde ni ne le stimule fait que l’enfant se
232
"ferme" et se tait.
Il s’habitue à cet état et semble muet.
L’environnement de Maria vient d’être modifié. Elle se trouve dans
une nouvelle famille avec des parents qui prennent soin d’elle, trois
enfants et deux grands-pères. Le conseil que je vous donne, est
d’attendre. Je pense qu’il faut un déclic et que ce déclic va se faire.
Quand ? Je ne peux répondre, je ne peux faire aucun pronostic sur ce
point.
S’il n’y a aucun changement dans les mois qui viennent, nous
chercherons plus loin, sur le plan neurologique. Dans l’immédiat, le
fait de lui parler la stimulera et l’aidera.
- C’est une bonne nouvelle. Maria est intelligente et sait se
faire comprendre. Nous ne faisons pas de fixation sur son silence et
ne prenons pas cela comme un handicap. Nous lui parlons comme
s’il n’y avait pas de souci.
- Vous agissez dans le bon sens et devez continuer. Il ne sert à
rien de la contraindre, d’exiger quoi-que-ce soit ; cela ne ferait que
renforcer son blocage. Elle a beaucoup vécu pour une si jeune enfant,
son passé n’est pas idéal. Tant que vous arrivez à la comprendre…
- Généralement, un sourire veut dire oui. Nous lui posons des
questions, l’incitons à parler mais ne la poussons pas. Nous agissons
avec elle comme avec nos trois autres enfants. Nous les éduquons,
comme nous l’avons été, dans la sécurité et l’amour. Nous pensons
que de cette façon, ils recevront des bases solides pour s’épanouir.
Nous souhaitons qu’elle s’exprime, mais avant tout, nous la voulons
heureuse et le bonheur qui se lit sur son visage nous rassure, le
renseigna Matt.
Lila n’avait pas dit un mot mais elle écoutait le médecin.
Ainsi, leur Princesse ferait entendre le son de sa voix quand elle se
sentirait en sécurité. De la patience et de l’amour, la famille en avait
à revendre.
Ils se retrouvèrent sur le parking. Dans deux heures, ils
prendraient des nouvelles ; deux heures qui s’annonçaient
interminables. Ce n'est qu'en début d’après-midi, qu'ils pourraient
l'embrasser.
Le couple se retrouva dans la brasserie. Assis côte à côte, ils
buvaient un café en silence. Lila était effrayée. Matt lui prit la main
et entrelaça ses doigts avec les siens.
233
- Tout va bien se passer, ma chérie. Notre Maria est
courageuse comme sa maman.
- Plus que sa maman, j’espère. Mon courage est resté à la
maison. Je puise dans le tien pour tenir le choc. Sans ton soutien, je
ne surmonterais pas mes phobies. J’ai si peur des médecins, des
hôpitaux, de l’anesthésie. La perdre… Mon Dieu, ce serait atroce,
abominable. Je n’imagine pas rentrer à la maison sans notre fille.
- Ne dis pas cela. Les anesthésies sont fréquentes et
surveillées. Il n’y aura aucun problème pour Maria. Nanny dirait
"Dieu ne nous a pas donné un enfant pour nous le reprendre." Elle
avait toujours raison, ma chérie.
- Je me sens si faible, si impuissante…
- Tu te trompes, tu es forte comme une lionne quand il s’agit
de la famille.
- Pas dans ce cas là ! Je me repose sur toi, j’envie ton
assurance et ta détermination. Tu ressembles tant à papa. Tu es si
fort, si sûr de toi, invincible. Serre-moi fort, mon amour.
- tout va bien, ma chérie ! Garde confiance !
- Tu as raison. Avec toi à nos cotés, rien de mal ne peut
arriver. Tu es solide, notre roc, notre montagne de granit. Tu arrives à
parler à des sorcières, à de grands médecins aussi facilement qu’avec
nos bouts de chou.
- Ce sont des êtres humains, comme toi et moi, ma Lila !
- Ils sont si puissants, ils tiennent des vies entre leurs mains,
je les considère comme des surhommes. Ils sont si importants…
- Toi aussi, tu es importante. Tu es essentielle à ta famille. Tu
n’en es pas consciente mais tu détiens un grand pouvoir ! Le
courage, tu l’as tous les jours quand tu t’occupes de notre grande et
belle famille. Nous, nous reposons sur toi, tu es notre mentor et notre
guide ! Tu débordes de tendresse et d’amour, nous le ressentons tous
les jours, à chaque minute de notre vie. Le bonheur, c’est toi qui nous
l’apportes ! Tu as aimé Maria à la seconde où tu l’as vue. Tu lui as
apporté plus en trois mois que sa mère en quatre ans. Tu es
merveilleuse et c’est pour tout cela que je t’aime.
- Je t’aime moi aussi ! Je suis heureuse que tu sois à mes
côtés chaque jour que Dieu fait. Sans toi, aujourd’hui, je n’y
arriverais pas. Je me sens vide et perdue. Tu es ma vie. Tu es mon
havre de paix et de bonheur. Sans ton soutien et ton amour, je ne suis
234
rien, je ne surmonterais pas mes angoisses.
- Tu me prends pour un roc, mais tu te trompes, sans toi, je
me sens comme un grain de sable. Je puise mon courage dans ton
amour. Séparés, nous sommes deux petites personnes, réunis nous
devenons un couple fort. Nous, nous complétons et nous nous
soutenons depuis toujours. Notre force vient de notre amour, ma
chérie.
- Je suis d’accord avec toi. Tu as une force intérieure, une
puissance et j’y ajoute mon petit courage. Notre force n’en deviendra
que plus grande. Un grand courage pour notre couple, pour une seule
et même personne, pour soutenir notre enfant qui en a bien besoin.
Ils quittèrent la brasserie et musardèrent dans les rues. Il
fallait tuer le temps. Ils rentrèrent dans un grand magasin. Acheter un
cadeau à Maria passerait encore une petite heure. Ils sortirent avec
une grande et jolie poupée, sa première poupée.
Deux heures plus tard, ils téléphonaient. L’opération s’était
bien passée. La fente labiale était réparée. Maria avait repris
conscience en salle de réveil, tout allait bien. Ils étaient attendus en
début d'après-midi.
A treize heures, ils étaient de retour à l’hôpital. Maria dormait
d'un sommeil agité. Un vilain hématome rouge sang remplaçait la
malformation. Il disparaîtrait pour ne laisser que deux petites
cicatrices. Un tout petit pansement soutenait la suture et maintenait
les chairs soudées.
Le couple, penché sur le petit lit, attendait. Maria était
complètement perdue. Elle secouait la tête et pleurait, le corps agité
de tremblements. Lila caressait le visage tourmenté ; Matt tenait sa
main. Les petits doigts se refermèrent sur son index. Lila lui parlait
mais elle n’entendait pas. Les mots ne pénétraient pas les brumes de
son inconscience. Matt appela une infirmière. Pour elle, tout était
normal, c'était le résultat de l’anesthésie. Lila demanda à prendre sa
fille dans ses bras. L’infirmière la lui confia en prenant garde à la
perfusion. Aussitôt dans les bras de sa maman, Maria se calma. Lila
la serrait contre elle et lui racontait la comptine qu’elle aimait bien.
Matt se tenait près d’elles et son inquiétude diminuait. Il avait repris
la petite main dans la sienne. Bercée et câlinée par Lila, Maria se
tranquillisait et s’éveillait calmement.
Elle s’agita, ses bras battirent l’air et elle ouvrit les yeux. Ils étaient
235
encore brumeux et vitreux et cherchaient les visages connus. Lila
continuait à l’embrasser et à lui parler. Elle n’oubliait pas son papa ;
son papa qui avait choisi un beau cadeau pour sa Princesse. La petite
main de Maria frôla la joue de Lila, en une caresse légère. Elle tendit
la main vers son papa. Il l’attrapa et lui embrassa la paume.
Elle essaya de sourire mais la douleur se réveilla. Elle voulait toucher
sa lèvre mais Lila retint sa main. Elle ne voulait pas que Maria
enlève le minuscule pansement. Elle lui rappela que le docteur avait
enlevé son bobo. Une fois bien réveillée, Matt lui offrit son cadeau.
Elle admira la poupée et l’installa sur ses genoux.
Le médecin rendit visite à Maria et la trouva bien nichée dans
les bras de sa maman. Il les rassura, Maria était sortante dès demain à
quatorze heures.
Une infirmière lui apporta son repas. Pendant que Lila aidait
Maria à souper, Matt sortit et ramena deux cafés et deux sandwiches
de la cafétéria. Comme la veille, ils attendirent que la petite
s’endorme avant de rentrer.
Le lendemain matin, ils quittaient le logement et retournaient
à l’hôpital, pour la dernière fois. Dès quatorze heures, ils rentreraient
à la maison. Lila souriait et Matt l’embrassa, heureux lui aussi.
Pendant que Matt remplissait les papiers de sortie, Lila
euphorique, habillait sa fille. Plus que quelques heures et ils
embrasseraient leurs amours et les chers papys.
La voiture quitta Paris, direction leur paradis. Ce soir, ils seraient
réunis.
Les premiers jours à la maison furent idylliques. Maria
passait des uns aux autres et recherchait les contacts et les câlins.
Elle réclamait les bras, comme Anna et Clara. Lila s’y soumettait
avec grand plaisir. Elle lui faisait un gros baiser et Maria repartait
heureuse. Mattis n’y échappait pas et en recevait à chaque instant.
Elle lui tendait son visage et claquait des lèvres, il cédait,
l’embrassait et la serrait dans ses bras.
Les repas restaient sa plus grande joie, toute la famille était
présente. A midi, elle prévenait Lila, le doigt levé vers la pendule. Il
était temps de rapatrier les papys, le papa et Mattis. Elle sortait les
blousons et les écharpes et les apportait à Lila puis les trois petites
s’élançaient pour rapatrier le papy et le papa. Ensuite, elle attendait
la voiture, Paddy ramenait son cher Mattis. Elle le serrait dans ses
236
bras, l’étouffait de baisers et ne le quittait plus.
Elle refusait de se mettre à table tant que tout le monde n’était pas
arrivé. Si un papy avait un contre temps, elle l’attendait à la porte,
inquiète. Dès son arrivée, elle le menait à la table, souriante et
rassurée. Le café la retrouvait sur les genoux d’un adulte. Elle tendait
la main à Mattis qui s’asseyait sur l’adulte le plus proche d’elle. Elle
gardait sa main prisonnière dans la sienne. Elle refusait le jeu, tant
que les hommes n’étaient pas repartis au travail.
Son plus grand plaisir restait ces réunions familiales.
Son séjour à l’hôpital avait laissé des traces. Elle était perturbée et
refusait de quitter Lila. Dès qu’elle ne la voyait plus, l’inquiétude
apparaissait, Lila ne pouvait plus quitter la maison. Chaque jour, elle
distribuait de l’aliment et du foin aux chevaux et aux poneys près de
la maison. Elle ne s’absentait pas bien longtemps mais à son retour,
elle retrouvait Maria en larmes, derrière la porte. Elle la câlinait,
l’embrassait et la rassurait, jamais elle ne laisserait ses enfants !
Maria hochait la tête, elle comprenait mais son comportement ne
changeait pas. Elle ne parvenait pas à se tranquilliser.
Les nuits n’étaient pas plus sereines. Ses gémissements réveillaient
Mattis. Il prévenait ses parents. L’un d’eux se levait et la rassurait en
attendant qu’elle se rendorme, jusqu’au prochain cauchemar. Toutes
les nuits se ressemblaient entrecoupées de trois ou quatre réveils.
La fatigue se lisait sur les visages. Le couple décida que cela
devait cesser. Si le problème persistait, ils la prendraient dans leur
chambre. Lorsqu’elle ferait des nuits complètes, elle réintégrerait sa
chambre.
La nuit fut calme et les suivantes aussi. Lila et Matt
reprenaient espoir, Maria s’était rassurée.
Les nuits redevenues sereines, le lever ne posait plus de
problèmes. Mattis se réveillait frais et reposé. Un matin, comme il
n’arrivait pas, Lila se dirigea vers la chambre. Elle eut la surprise de
trouver les deux enfants endormis ensemble. Elle s’était posé des
questions. Du jour au lendemain, Maria faisait ses nuits ? Elle
découvrait le pot aux roses.
Discrètement, elle appela Matt et lui aussi comprit.
L’histoire se
répétait. Matt sourit et chuchota "tel père tel fils." Lila réveilla
doucement son fils en l’embrassant. Il s’extirpa du lit difficilement ;
Maria était à moitié allongée sur lui.
237
Mattis expliqua à ses parents qu’elle dormait bien et ne se
réveillait plus quand il était avec elle. La crainte d’être séparé de
Maria, l’avait décidé à agir. Dès qu’il l’entendait, il se levait et
l’emmenait dans son lit. Il la prenait dans ses bras et la consolait.
Elle se rendormait contre lui et ne pleurait plus.
Ses parents décidèrent de laisser les enfants dormir ensemble.
Maria avait besoin de Mattis pour se rassurer ; ils étaient les premiers
à les comprendre !
Mattis avait réglé les problèmes des nuits blanches. Soutenu
par ses parents, il en profita. Il n’attendait plus les pleurs et invita
Maria avant l’histoire du soir.
Le petit lit avait été acheté pour Matt, à son arrivée au
Domaine. Il y avait près de vingt ans de cela ! Le Général pensait
que les enfants pourraient dormir, dans l’une ou l’autre maison, sans
souci. Matt et Lila avaient dormi dans le même lit, dès la première
nuit et ne s’étaient jamais séparés. Le petit lit ne serait pas plus utile
à Maria qu’il ne l’avait été pour l’un de ses parents. Il resterait
décoratif.
238
CHAPITRE 21
La crise arriva sans prévenir. Lila s’était réveillé la gorge en
feu. Elle tint deux jours avant de prendre un rendez-vous chez le
médecin. Elle profiterait de la voiture, Matt emmènerait Mattis à
l’école et elle chez le médecin. Le Général garderait ses trois petitesfilles.
L’absence ne dura pas plus d’une heure. A leur retour, le
Général les attendait près du portail, dans ses bras, Maria était en
larmes. Lila se précipita et récupéra sa petite larmoyante. Elle
s’accrocha à elle bredouillant des "maman" pathétiques. Elle
s’exprimait enfin ! Le mot, toujours le même, franchissait ses lèvres
si aisément…
Tout en la consolant, elle regarda Matt et le Général. Elle ne
rêvait pas ; eux aussi entendaient le son de sa voix. Le Général leur
précisa qu’elle n’avait cessé de pleurer et d’appeler sa maman depuis
leur départ.
Maria ne s’occupait pas de la conversation. Elle avait
retrouvé sa maman, plus rien ne comptait. Elle se calmait et laissait
reposer sa tête dans le cou de Lila. Elle murmurait toujours "maman"
pour le plus grand plaisir des adultes. Lila décida d’agir comme si
tout était normal.
- Ma petite Princesse, tu savais que papa emmenait maman
chez le docteur, je te l’avais dit. Tu ne dois pas pleurer.
- Maria bobo là, fort, fort, affirma-t-elle en touchant son
cœur. Maria peur ! Maman, papa…
Son signe de la main indiquait parti, volatilisé.
- Papa et maman ne laisseront pas leurs enfants ni les papys
jamais, jamais, lui expliqua Lila.
- Papa, maman partis !
- Oui, mais papa et maman sont revenus.
Maria regarda Matt et lui tendit les bras, elle le reconnaissait comme
son papa.
- Alors ma jolie petite Princesse a eu un gros chagrin ?
- Maria peur !
- Maria a peur de quoi ?
239
- Maman partie, oubliée Maria !
- Maman n’a pas oublié Maria, ni Clara et Anna. Maman
avait bobo à sa gorge, elle est allée chez le docteur. Le gentil
monsieur qui a soigné le bobo sur la bouche de Maria.
- Docteur sucette ?
- Oui, c’est docteur sucette. Maria n’a pas joué avec Anna,
Clara et papy ?
Papy fait plein câlins à Maria. Papy gentil.
- Oui ! Papy aime Maria, c’est notre Princesse chérie comme
Anna et Clara et nous t’aimons très fort, affirma Matt en la serrant
contre lui.
Les adultes étaient de plus en plus surpris. Maria parlait
correctement. Ils devenaient muets à leur tour.
A la maison, ils retrouvèrent Paddy. Il avait préparé le
couvert, épluché les pommes de terre et enfourné le rôti. Appelé à la
rescousse par le Général, il avait géré le problème.
Lila partie, Maria était inconsolable. Sa crise de larmes avait
inquiété les deux petites et elles s’y étaient mises. Le Général
dépassé par trois enfants en pleurs avait appelé Paddy. Sortir Maria
de la maison, lui avait semblé être la meilleure solution. Même les
chiens s’étaient agités.
Tout était redevenu normal. Anna et Clara jouaient sagement devant
la cheminée avec Saphir et Rubis. Trio et Belle dormaient sur leur
carpette. Tout allait bien.
Maria rejoignit Anna et Clara et s’installa avec elles. Les quatre
adultes réfléchissaient.
- Le déclic ! Oui, c’est cela ! Le spécialiste parlait d’un
problème psychologique. Il ne s’expliquait pas son silence
autrement. Il attendait un déclic, un choc pour qu’elle se mette à
parler. C’est peut-être cela, Maria a eu peur de perdre sa maman,
peur de l’abandon… présuma Matt.
- Maria n’avait jamais été séparée de Lila. Depuis trois mois,
elles ne se sont pas quittées. Maria ne la lâche pas, renchérit le
Général.
- En tout cas, notre Princesse a parlé et elle s’exprime plutôt
bien pour quelqu’un qui débute dans le langage, releva Lila.
- Tu y es pour beaucoup. Tu l’as toujours considérée comme
une enfant intelligente sans prendre en compte son handicap. Tu lui
240
parles comme tu le fais avec Mattis sans la bêtifier. Tu lui expliques
tout ce qui se passe, ce que tu fais, les pourquoi, les comment… Elle
retenait et comprenait tout. Elle a appris beaucoup à ton contact. Je
crois que nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
- Merci mon chéri, mais nous l’avons tous considérée comme
une enfant normale. Je n’ai pas fait d’exploit. Tu as raison pour le
déclic. Elle a eu peur de l’abandon mais à mon avis, Maria se serait
décidée un jour ou l’autre. C’est l’amour qui l’a guérie. Elle se sent
bien dans notre famille, elle s’est décidée à nous le montrer et surtout
à le dire.
- Je ne sais pas ce qui l’a sortie de son mutisme mais j’en suis
heureux. Bon ! Je dois retourner au bureau, je vais vous laisser. Nous
avons un week-end d’adoption à préparer.
- Je te suis, Général. J’ai laissé la distribution d’aliment
quand j’ai entendu la cloche. Les chevaux vont s’impatienter.
- Tu sais Lila, Matt à raison. Tu as tout fait pour cette petite,
comme pour tes trois petits. Sans toi, elle n’en serait pas là
aujourd’hui. Tu as raison, toi aussi, sur un point ; l’amour que vous
apportez à cette enfant fait des miracles.
Sur ces belles paroles, Paddy et le Général retournèrent à
leurs occupations. Le repas prendrait du retard, ce n’était pas le plus
important.
Matt apporta un café, il n’était pas pressé de retourner à la
vieille maison. Il espérait entendre Maria parler de nouveau. Il posa
la tasse sur la table et se recula ; Lila reprit sa place. Il y avait
longtemps qu’ils ne s’étaient partagé un café au milieu de la matinée.
Les enfants demandaient du temps et leur donnaient beaucoup de
travail. Matt aidait Lila matin et soir. Il s’occupait du lever ou des
petits déjeuners. Le soir, du bain des plus grands… A vingt heure
quinze, c'était l'histoire pour Anna et Clara puis l'opération se répétait
dans la seconde chambre. Les enfants endormis, ils s’attaquaient à la
vaisselle et remettaient de l’ordre. Ensuite, la soirée leur appartenait.
Le couple se retrouvait et soufflait devant un café. Ils discutaient et
prenaient plaisir à se retrouver en tête-à-tête.
Ce petit échange imprévu n’était pas pour leur déplaire. Ils
surveillaient Maria mais elle ne se décidait pas à parler. Elles
jouaient toutes les trois en silence avec leurs poupées.
Lila regarda Matt et lui sourit.
241
- Tu as de la chance que nous ne sommes pas seuls. Tu as des
étoiles plein les yeux, je devrais me méfier. Tu me regardes comme
si tu voulais me dévorer.
- C’est vrai. Je suis heureuse. Maria parle et nous avons une
récréation, c’est si rare ! Je t’aime mon chéri et je vais te voler un
baiser.
- Inutile de risquer la prison pour un vol aussi agréable, je te
l’offre de bon cœur.
Matt s’exécuta et le baiser dura, dura… Quand il prit fin, une
Princesse curieuse et souriante se tenait devant eux et les dévisageait.
- Papa bisou maman.
- Oui, papa aime embrasser maman et maman aime les bisous
de papa.
- Maria aime bisous. Maria bisou ?
Maria reçut ce qu’elle demandait et les rendit en riant. Son
rire l’étonna et elle regarda les adultes. Devant leurs mines réjouies,
elle recommença pour le plaisir.
Anna et Clara s’étaient approchées ; les trois petites se
casèrent sur les genoux des parents.
Maria accueillit Mattis avec des cris de joie. Elle répétait son
prénom sans se lasser. Mattis était étonné mais sa surprise ne dura
pas longtemps, il prenait cette merveilleuse nouvelle comme une
évidence.
- Sa voix est si jolie, c’est comme un trésor. Maria voulait
être sûre que nous la méritions avant de nous l’offrir. C’est comme
avec le père Noël, si les enfants ne sont pas gentils, ils n’ont pas de
cadeau. Nous sommes gentils avec Maria et elle nous offre un
cadeau. Nous avons de la chance, les vilaines femmes du château ne
l’entendront jamais. Elles ne le méritaient pas.
- La logique des enfants est bien belle. Notre Nanny aurait
parlé de don de Dieu, murmura Paddy.
- Moi j’ai parlé d’amour. Je pense que chacun à sa version et
chaque interprétation est intéressante. Que ce soit, l’amour, le père
Noël ou le bon Dieu, le résultat est génial, notre Maria sait
s’exprimer.
Maria prenait plaisir à s’entendre. Elle appelait :
- Maman ?
- Oui Maria ! Tu veux quelque chose ?
242
- Non rien !
Maria passait les membres de la famille en revue. Elle posait
toujours la même question, et n’attendait pas de réponse. Mattis n’y
échappait pas, elle le sollicitait à chaque instant, pour le plaisir. Il
s’en amusait et retournait le jeu à son avantage et posait les
questions. Ils venaient d’inventer un nouvel amusement.
Elle était entrée dans la famille depuis cinq mois. Tout se
passait très bien, rien ne la différenciait de ses petites sœurs. Elle ne
se sauvait plus vers la maison dès qu'un étranger se montrait, ne se
cachait plus derrière l’adulte... Ils avaient été doucement avec elle et
il était temps qu'elle sorte du Domaine et rencontre des gens autres
que la famille. Paddy suggéra une sortie au marché, comme par le
passé. Cette échappée était un vrai plaisir, Maria l’apprécierait.
La proposition fut acceptée. Deux voitures étaient nécessaire la
famille se sépara.
Le marché était un plaisir pour les enfants et Maria n’échappa
pas à la règle. Elle s’intéressait à tout. Dans les bras de Paddy, elle
était rassurée, elle voyait les personnes de haut et ne ressentait pas de
crainte. Elle regardait les étals, les questions n’arrêtaient pas :
- Papy, quoi ça ? Paddy ça ?
Anna et Clara, dans les bras de leurs parents, regardaient tout
ce qui se passait. La poussette était bannie du marché ; les petites ne
voyaient rien et ne profitaient pas de la sortie. Dans les bras, c’était
bien plus passionnant et instructif.
Le Général surveillait Mattis qui tirait le caddy à roulettes.
Devant le charcutier, de beaux poulets tournaient et cuisaient
dans la rôtissoire. Matt en réserva deux. Le caddy remplit, les
courses se terminaient. Lila reçut sa belle rose et Nanny son bouquet
hebdomadaire.
Mattis pressait les adultes vers le manège. Anna et Clara
choisirent un petit avion et s'y installèrent. Mattis incita Maria à les
rejoindre mais elle refusa. Le manège, elle ne savait pas ce que
c’était et ressentait de la crainte.
Lila ne la força pas. Le manège démarra avec les trois enfants. Maria
ne perdit pas une miette du spectacle. Elle les regardait tourner, partir
et revenir. Le tour terminé, les enfants récupérés, Matt à nouveau,
proposa un tour à Maria. Elle secoua la tête et cacha son visage dans
le cou de l’adulte. Il n’insista pas, elle irait une prochaine fois.
243
La sortie se terminait par la visite au cimetière et un passage
par la boulangerie.
La brave femme, toujours émotive, recevait Anna et Clara avec des
cris de joie. Les petites l’aimaient bien, elles recevaient un gros bisou
et un bonbon. Elle considérait Mattis comme un grand garçon et
s’adressait à lui pour la commande ; il en était très fier. Il avait
réclamé le croissant, non plus coupé en trois, mais en quatre. Devant
la surprise de la boulangère, il s’était expliqué :
- Nous sommes allés dans un château. Il y avait une petite
fille malheureuse comme la Cendrillon du livre, et nous l'avons
ramenée. C'est la nouvelle petite sœur.
Paddy avait acheté deux croissants, coupés en deux. Il avait
rajouté quelques mots aux explications de Mattis sans s’étendre sur
les malheurs de Maria. Depuis, elle s’intéressait à la nouvelle petite
sœur et n’oubliait jamais de demander de ses nouvelles. La brave
femme n’en savait pas plus et était impatiente de faire sa
connaissance.
Il n’y avait pas grand monde dans la boutique. Les quatre
enfants rentrèrent suivis de leurs parents. Maria, pas très rassurée,
serrait la main de Clara et de Mattis. Il lui expliquait la boulangerie,
le bon pain et le croissant du mercredi et du samedi étaient fabriqués
ici.
La boulangère s’approcha et embrassa les quatre enfants.
Mattis lui présenta la nouvelle petite sœur. Tout en discutant avec les
enfants, elle sortit le bocal à sucettes, leur tendit et les laissa choisir
la précieuse friandise. Maria ne bougeait pas et n’osait se servir. La
boulangère lui sourit et l’incita à faire comme les autres. Maria
regarda Matt et Lila et d’un signe de leur part, plongea la main dans
le bocal et en ressortit une sucette. Victorieuse, elle courut se réfugier
dans les bras de Lila.
- Vous avez une bien jolie petite ! Oh oui, une bien jolie petite
! Mattis parlait de sa nouvelle sœur avec tant de bonheur que j’étais
pressée de la connaître. Elle est bien mignonne la petiote. Vous avez
montré, encore une fois, que vous avez un grand cœur. Pauvre petit
ange, elle va être heureuse maintenant. Vous étiez déjà de bons
enfants et vous êtes devenus de bons et généreux adultes malgré vos
épreuves. Je suis heureuse de vous compter parmi mes plus fidèles
clients. Vous avez une bien belle famille !
244
Je suis surprise, on jurerait que c’est votre fille. Elles se ressemblent,
toutes les trois. Elles ont la même teinte de cheveux, les mêmes
mimiques... elles sont bien jolies. En grandissant, elles briseront bien
des cœurs. Mattis aura fort à faire pour veiller sur elles, comme son
papa, avant lui.
Avez-vous des nouvelles de l’adoption ?
- Non pas encore. Nous attendons avec impatience et crainte
à la fois.
- Il n’y aura pas de soucis. Il faut toujours garder espoir. C’est
votre Nanny qui m’a appris cette phrase.
- Je dois vous dire que nous avons mis la boulangerie en
vente. A la fin de l’année, nous prenons notre retraite. Nous partons.
Nous souhaitons nous rapprocher de nos enfants et petits-enfants.
Nous voulons en profiter, ils grandissent si vite ! Ils nous rendent
visite mais nous sommes toujours en plein travail, le pain doit se
vendre même le week-end. C’est comme votre croissant. Il a été
coupé en deux puis en trois lorsque ce petit bonhomme est arrivé ;
aujourd’hui, c’est six morceaux qu’il faudrait. Le croissant devient
trop court, la part de chacun diminue. C’est un peu comme les
années, plus elles passent et moins il n’en reste. Eh oui ! La roue
tourne. Il est temps pour nous de passer la main et de nous
rapprocher des nôtres.
Lorsque nous voyons votre famille si soudée, vos chérubins avec
leurs papys, nous vous envions. Nous espérons le même bonheur.
- Nous comprenons ce que vous voulez dire. Nous sommes
conscients de nos privilèges. Nous pouvons compter les uns sur les
autres chaque jour que Dieu fait et c’est magnifique. Nos papas sont
très importants pour nous.
- Ce sont vos papas les privilégiés, Matt ! Il y a peu d’enfants
qui restent vivre près de leurs parents. Les villes les attirent et ils ne
reviennent pas dans leurs villages. Je vois beaucoup de choses, vous
savez ! Les conflits de générations sont fréquents. Les jeunes
délaissent souvent leurs vieux parents. Combien de parents ne voient
leurs enfants et petits-enfants qu’à la Noël pour les cadeaux ou les
étrennes ?
- Nous ne pourrions agir ainsi. Quitter nos chers papas est
inconcevable, notre famille serait amputée. Nous sommes heureux
ensemble et n’imaginons pas vivre autrement. Notre bonheur, c’est
245
avant tout, la famille au complet ; il n’y a rien de plus important.
Nous sommes attachés à d’anciennes valeurs et elles participent à
notre idéal de vie. Je vous souhaite le même idéal.
- C’est pour cette raison que je parle de privilèges pour vos
papas. Je dois dire qu’ils les ont mérités. Ils se sont bien occupés de
vous avec votre grand-mère. Cette brave et chère Nanny doit être
fière si elle voit le résultat. Pauvre femme, elle a eu des malheurs
dans sa vie et un si grand courage. Elle s’est bien battue seule contre
tous, pendant longtemps.
Elle était à bout de force et baissait les bras, elle était désespérée.
Elle disait que le ciel avait entendu ses prières juste à temps. Il lui
avait envoyé une seconde famille. Elle a retrouvé l’espoir, vous lui
avez rendu la joie de vivre. Elle vous aimait tant ! Vous l’avez rendue
heureuse.
Aujourd’hui, vos papas récoltent les fruits de cette bonne éducation.
Vous formez une famille soudée et harmonieuse. De nombreuses
personnes du village envient votre vie et vos principes.
- Ils sont très simples. Ce sont les règles de vie qui nous ont
été inculquées et nous les respectons. La famille et le travail,
l’honnêteté et le respect des autres. Nous vous souhaitons beaucoup
de bonheur près de vos enfants.
- Ce sera différent. Nos enfants ont leur vie. Ils se sentiraient
rapidement envahis si nous allions les voir tous les jours. Ils ne
l’accepteraient pas et ils auraient raison. Nous les visiterons le plus
souvent possible et ce sera déjà très bien.
- Vous nous manquerez, vous savez.
Les adultes discutèrent encore quelques minutes avant de
sortir. La boulangère allait leur manquer, ils la connaissaient depuis
toujours.
Mattis était rentré de l’école, enchanté. C’étaient les vacances
d’été, deux mois de vacances, l’éternité ! Il était euphorique et Maria,
comme à son habitude, participa à sa joie. Elle riait de ses paroles
sans bien comprendre. Assis sur une chaise, Maria à ses cotés, il
demanda à sa maman :
- Maman, pourquoi nous n’avons pas la télévision à la maison
? C’est bien la télé. Paul dit qu’il y a plein de choses à regarder.
- Je t’avoue que je ne sais pas. Je ne me suis jamais posé la
question.
246
- Papa et toi, vous n’avez jamais eu la télé ?
- Non. Nanny en avait une dans sa petite maison, mais nous
n’étions pas intéressés.
- Pourtant c’est super.
- Tu as regardé la télévision, à l’école ?
- Non, c’est cet après-midi. Tu as oublié ? Pour le dernier jour
d’école, la maîtresse avait dit que nous allions regarder des dessinsanimés, pas le film de la dernière fois.
- Le film sur les dangers ? Sur les vilaines choses que les
adultes n’ont pas le droit de faire aux enfants ? Sur le vilain monsieur
qui cherche son chien. Tu t’en souviens ?
- Oui, je n’ai rien oublié. Papa m’en parle des fois. Il faut
faire très attention. C’est pour ça que je surveille mes petites sœurs ;
elles ne savent rien, elles, sur les voleurs d’enfants et les vilains
messieurs.
- Tu as raison mon garçon ! C’est très bien ce que tu fais. Je
suis très fière de toi.
- J’aurais bien aimé aller à l’école cet après-midi, voir les
dessins-animés mais je veux jouer avec mes petites sœurs aussi.
- Le choix est difficile.
- Je préfère jouer avec mes petites sœurs. Si on avait la télé à
la maison, on pourrait regarder plein de choses. Paul, il la regarde
tous les jours. Pendant les vacances, il a le droit de la regarder toute
la journée.
- Tu trouverais le temps de regarder la télévision ? Tu
rouspètes déjà que les journées sont trop courtes ! Rappelle-moi ce
que tu as prévu pendant tes vacances.
- Le matin, je joue avec mes petites sœurs et j’apprends à
Maria à monter Caramel. L’après-midi, je lui apprends les lettres et à
écrire, comme ça, à la rentrée, elle viendra avec moi à l’école. On
mange et après la sieste, Maria et moi, on fait de l’ordi dans la
grande maison. Encore du poney avec toi et Anna et Clara et le soir,
Maria et moi, on aide les papys à soigner les chevaux.
- Tu as un emploi du temps chargé. Tu trouverais le temps de
regarder la télévision ?
- Je pourrais me coucher plus tard.
- Nous en parlerons à papa et nous déciderons.
- C’est dans longtemps Noël ?
247
- Noël ? C’est dans six mois. Pourquoi cette question ?
- Tu crois que le père-Noël serait d’accord si je lui demandais
des poneys ?
- Une télévision, des poneys, tu ne trouves pas que tu
demandes beaucoup de choses ?
- Alors j’oublie la télévision mais pas les poneys. Si mes
petites sœurs avaient un poney, ce serait bien. Nous pourrions faire
de belles balades. C’est pas facile de s’amuser avec Caramel. Je les
aide à monter toutes les trois et je tiens la corde. Je suis sûr que ça le
fatigue.
- Non mon garçon, tes petites sœurs sont légères. Mais tu as
raison, si vous aviez un poney en plus, le jeu serait plus intéressant
pour toi. Nous en parlerons ce soir avec papa et les papys, ils
trouveront une solution.
Au Domaine, c’était une chose aisée de trouver un poney. Les
adresses ne manquaient pas et les poneys de centres équestres à
sauver étaient nombreux. Les papys n’eurent aucun mal à trouver
une jolie ponette tricolore. Concernant la télévision, Mattis changea
d’avis, les journées étaient définitivement trop courtes.
Fin juin, la lettre si attendue, arriva. L’agrément était accordé.
Un mois plus tard, le second courrier si redouté était dans la
boite à lettre. Le rendez-vous avec le juge était prévu pour la fin
septembre.
L'inquiétude revint. Lila et Matt savaient qu’ils n’étaient pas
les candidats idéaux. La bataille risquait d’être âpre.
Lila espérait l’aide de la mère de Maria. Elle leur avait confié
Maria, et son accord était devenu définitif ; Maria vivait avec eux
depuis six mois, le délai légal, avait été respecté. Quand ils seraient
devant le juge, en septembre, neuf mois se seraient écoulés. Ils
devraient prouver que tout était fait pour et dans l’intérêt de Maria.
La famille en discuta après le repas du soir. Il fallait prévoir
une défense, préparer des réponses aux questions qui pourraient être
posées et trouver des arguments recevables et indiscutables.
Paddy conseilla d’appeler l’avocat de la mère de Maria. Il
pourrait les conseiller et leur indiquer les mots adéquats. Il serait
bien que la mère intervienne en leur faveur. Elle pourrait avoir de
gros soucis si la tutelle n’était pas acceptée. L'inquiétude était
perceptible. Les quatre adultes regardèrent les enfants s’amuser
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ensemble. Maria avait sa place dans leur foyer. Elle était devenue la
troisième fillette de la maison. Se séparer d’elle aujourd’hui était
impensable.
Les papys se levèrent et embrassèrent les enfants avant de se
retirer. Il ne servait à rien de s’inquiéter trois mois à l’avance. Tout
serait entrepris pour que la famille reste telle qu’elle était
aujourd’hui.
Matt et Lila acquiescèrent avant de s’occuper de leurs
enfants. Les bains furent rapides. Anna et Clara clapotaient dans
l’eau pendant que les parents les lavaient. Ensuite, Maria et Mattis se
partagèrent la baignoire. Les parents, pendant ce temps, préparaient
et couchaient les deux plus jeunes. Ils recommencèrent avec les
aînés. En pyjama, à leur tour, ils se dirigèrent vers leur chambre.
L’histoire endormit rapidement les deux plus jeunes. Quelques bisous
encore et les parents rejoignirent la seconde chambre. Les enfants
s’amusaient sur le lit, ils s’engouffrèrent en riant, sous les
couvertures et l’histoire commença. Celle-ci terminée, les gros câlins
suivirent avant de laisser les enfants s’endormir, Maria bien nichée
dans les bras de Mattis.
- Si le juge pouvait venir et voir nos quatre enfants jouer
ensemble, les regarder dormir l’un dans les bras de l’autre, je suis
sûre qu’il n’aurait pas le cœur à nous retirer Maria ; murmura Lila
inquiète.
Les deux mois d’été passèrent rapidement. Mattis suivait son
emploi du temps et s’occupait de ses petites sœurs. Maria s’échinait
sur les lettres et sur les chiffres.
Lila s’occupait beaucoup de sa grande famille. Les cours de
poneys se faisaient dans la joie et le jeu. Caramel et Suzy, la nouvelle
ponette, faisaient le bonheur des enfants et les rires éclataient.
En août, au Domaine, c’était la fête, Maria avait cinq ans.
Sous la tonnelle décorée, la famille s’était réunie avec les jeunes et
les jumeaux. Maria était à l’honneur et reçut de nombreux cadeaux.
Elle n’hésita pas à les ouvrir et remercia chacun. Sa timidité était
loin, son bonheur faisait plaisir à voir.
Mattis reprit l’école, Maria l’accompagna, motivée et
heureuse. Lila avait prévu deux matinées par semaine, pour
commencer. Maria protesta : "elle voulait apprendre les lettres pour
lire les livres." Lila céda et la laissa y aller tous les matins.
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C’était le grand jour ! La famille attendait dans la grande
salle du tribunal. Anna et Clara, sur les genoux des papys, étaient
sages. Les deux aînés, encadrés par leurs parents, étaient inquiets.
Mattis serrait la main de Maria et celle de son papa. Il connaissait
l’importance de cette convocation. Il n’imaginait pas perdre sa chère
Maria. Ses parents stressaient et lui communiquaient leurs craintes.
Matt fut appelé, l’assistante sociale et l’avocat de la mère de
Maria se levèrent et s’approchèrent. Le juge survola le dossier, une
dernière fois. Il questionna l’assistante sociale, celle-ci appuya la
demande, idem pour l’avocat. Dix minutes plus tard, tout était
terminé, Matt était nommé tuteur légal de Maria.
La stupeur se peignait sur les visages, la stupeur et le bonheur
! Lila embrassa ses deux enfants et se retourna vers les papys. La joie
se lisait dans les yeux. Sans perdre de temps, ils sortirent de la salle
et retrouvèrent Matt, l’assistante sociale et l’avocat.
Les congratulations et les remerciements n’arrêtaient pas. La
famille venait de s’agrandir ; Maria était sous leur responsabilité.
L’avenir leur appartenait.
Jamais retour au Domaine ne fut plus joyeux.
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