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QUESTION’AIR FICHE n° Les fiches du Centre d’enseignement militaire supérieur Air 68 Droit et institutions - Mars 2013 Faut-il craindre une « explosion démographique » ? La répartition des populations et les prospectives démographiques, à l’échelle planétaire, enrichissent notre réflexion entamée avec les questions des migrations. La menace d’une « surpopulation », brandie par les géographes depuis des décennies, est sans cesse repoussée, dans les faits, à un horizon toujours proche. Désormais forte de 7 milliards, la population mondiale connaît une croissance continue depuis que les recensements permettent d’en mesurer l’ampleur. Faut-il céder, cependant, à cette angoisse récurrente d’ « explosion démographique » ? La question mérite une réponse nuancée. I. La surpopulation aura-t-elle lieu ? 1. Faut-il une politique démographique ? La nécessité d’une politique démographique, constamment réaffirmée par les gouvernements du monde entier, n’est pourtant pas sans poser de question. On peut ainsi s’interroger, en effet, sur la pertinence de la notion de « population idéale ». Qui l’établit ? Sur quels critères ? Platon, dans la Grèce antique, évoquait déjà le nombre idéal des habitants de la cité. Le concept de « maximum démographique » a été souvent avancé par les économistes et aujourd’hui par les écologistes dans une perspective résolument malthusienne. Il faut également nuancer la portée des lois d’incitation démographique : les lois « familiales » ontelles réellement une influence sur le nombre d’enfants que choisit d’avoir un couple ? Même dans des pays très marqués par le catholicisme, telle la France, la contraception a été très tôt intériorisée au sein des couples. Il aura fallu l’emploi d’une pratique brutale en Chine pour y obtenir de résultats tangibles. À l’inverse, les politiques d’encouragement à la natalité ont été un facteur plus souvent social que démographique. La politique démographique, qu’elle encourage la natalité ou incite à sa maîtrise, porte aussi sur la maîtrise des flux. Là encore, l’écart entre les prétentions affichées des gouvernements et la réalité est souvent patent. L’immigration clandestine rend les frontières plus souvent poreuses que ne l’imaginent les dirigeants. 2. Les données actuelles : la fin de la transition démographique L’équilibre entre les naissances et les décès a freiné le décollage de la population jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Guerres, épidémies et carences alimentaires compensaient, plus ou moins, un fort taux de natalité. La courbe prend son envol lorsque le taux de mortalité déclina au cours du XIXe siècle sous l’effet conjugué des progrès sanitaires et alimentaires. L’effort est surtout porté sur la mortalité infantile, indice d’un développement avancé des pays industrialisés. La fin de la transition démographique se manifeste différemment selon les régions du monde mais dès la fin du XIXe siècle on observe une diminution de la natalité dans les pays développés, bien que la population continue de croître, et ce malgré les guerres du XXe siècle. Aujourd’hui, cet « équilibre » touche l’ensemble des pays de la planète. Entre 1800 et 2013, la population mondiale aura été multipliée par sept. Une carte de la répartition de la population laisse apparaître une concentration de « jeunes » en Afrique, dans le golfe Persique et sur la frange méridionale de la Méditerranée, laissant augurer une vitalité démographique pour les années à venir. L’Europe occidentale et l’Amérique du Nord ont vu, depuis les années 1960-1970, diminuer la courbe de la natalité en même temps que s’accélérait la croissance économique et le confort de vie qui l’accompagnait. Le lien n’est pourtant pas établi si l’on en juge par la croiswww.cesa.air.defense.gouv.fr 1 www.eoaa.air.defense.gouv.fr Les fiches du CEMS Air FICHE n° Droit et institutions - Mars 2013 68 sance démographique observée depuis une décennie dans les pays les plus avancés. En revanche, l’Europe centrale et orientale (Russie, Pologne) connaît un effondrement de la natalité. Les enquêtes menées par l’OCDE1 lient cependant, de manière subtile, la hausse de la fécondité avec une meilleure conciliation entre vie professionnelle féminine et vie de famille. À l’autre extrémité de la chaîne vitale, les progrès sanitaires ont permis d’allonger substantiellement l’espérance de vie. Si les guerres et les épidémies ont la fâcheuse tendance à se renouveler en permanence, l’accès à la nourriture a réalisé un saut exceptionnel depuis soixante-dix ans, contribuant à l’amélioration des conditions de vie et donc au recul de la mortalité. Les inégalités des taux de mortalité infantile traduisent, dans une large mesure, le degré de modernisation des sociétés actuelles. 3. La croissance mais… Depuis octobre 2011, nous serions donc plus de 7 milliards d’habitants. Les prévisions des Nations unies oscillent entre 6 et 16 milliards pour la fin du siècle, chiffre vertigineux si l’on songe à la disponibilité des ressources naturelles, et notamment alimentaires. Pourtant, si la progression ne semble pas près de connaître un palier, les démographes constatent une décélération de la croissance qui passe de plus de 2 % d’augmentation annuelle à 1 % depuis 2012. Un scénario « médian » de l’Organisation des Nations unies (ONU) prévoirait même, à terme, une stabilisation de la population autour des 10 milliards d’habitants en 2100. L’« explosion démographique » prophétisée au moment du baby-boom serait donc en passe de s’atténuer. En réalité, la baisse de la fécondité que l’on supposait tardive en raison des traditions des pays du Sud a été beaucoup plus précoce que prévu. 1. OCDE : Organisation de coopération et de développement économique 2 Les fiches du CEMS Air FICHE n° Droit et institutions - Mars 2013 68 Les démographes s’interrogent aujourd’hui sur les liens possibles entre fécondité et crise mondiale. Les États-Unis ont ainsi vu leur taux de natalité baisser significativement depuis 2008 et la Russie a vu sa progression enrayée. Cependant, contrairement aux anticipations des spécialistes, la fécondité n’a cessé de croître dans d’autres pays pourtant touchés par la crise : ainsi la France a vu le nombre de naissances augmenter en 2010, battant au passage un nouveau record depuis les années 1980. II. Une pression inégale 1. Tendances À l’échelle régionale, plusieurs tendances se dégagent pour nuancer l’approche globale précédemment évoquée. Ainsi, la surprise est venue des continents asiatiques et amérindiens qui connaissent une baisse spectaculaire de la fécondité depuis les années 1970, mais l’impact social et culturel reste limité tant le nombre de naissances demeure encore élevé. Le fait est cependant significatif : en une génération, l’indice est passé de 5 enfants par femme à 2,5 ! Les écarts restent forts entre les pays subsahariens et les autres, mais la tendance est clairement à la baisse. Si l’Allemagne continue de voir sa population décroître, elle ne doit qu’au solde migratoire de ne pas connaître une récession démographique plus forte. À terme, la population française pourrait rattraper celle de notre voisin germanique au mitan du siècle. La vitalité démographique africaine constitue un autre sujet d’étonnement pour les observateurs. Les projections prévoient un quadruplement de sa population d’ici à la fin du XXIe siècle. Dans un continent en proie à la pandémie du sida, où la mortalité continue de croître et l’espérance de vie de diminuer, les prévisions des Nations unies peuvent surprendre mais elles prennent en compte la faiblesse des moyens de la politique de limitation des naissances pour justifier leur analyse. 2. Les discontinuités spatiales Toutes les terres émergées ne connaissent pas les mêmes densités. La concentration de la population est l’autre fait marquant de la démographie mondiale. Actuellement six pays – Chine, Inde, États-Unis, Indonésie, Brésil, Pakistan – regroupent plus de la moitié de la population mondiale. La littoralisation et la métropolisation des populations en est le signe le plus saillant : le littoral chinois et africain, les mégalopoles américaines, nippones et indiennes, la « ligne rhénane » de Londres à Milan concentrent la majeure partie des habitants de leur continent. La moitié de la population mondiale vit à moins de 200 m d’altitude et un quart à moins de 50 km du littoral. Certaines zones n’ont jamais connu d’habitation : les espaces de forêts, les zones polaires, l’Australie centrale ou encore les déserts saharien ou steppiques. L’Amérique du Sud est un exemple éclairant de l’existence de ces déserts humains. Les flux migratoires accentuent encore cette tendance : recherche de travail, héliotropisme, exil en sont les ressorts principaux. 3. Imprévisibles prévisions Les prévisions démographiques sont difficilement cernables au-delà du court terme. Aucun observateur n’avait prévu le baby-boom, encore moins la reprise d’une fécondité active, en France par exemple. Les mutations actuelles de la population nous obligent à repenser en permanence les grilles d’analyse. La soudaine baisse de la fécondité du Maghreb au cours des années 1980 puis sa tout aussi soudaine remontée avaient déjoué les pronostics démographiques. L’Algérie, le Maroc et la Libye ont même opéré une spectaculaire remontée de leur fécondité depuis le début du siècle. La moindre fascination 3 Les fiches du CEMS Air FICHE n° Droit et institutions - Mars 2013 68 Depuis la fin du XVIIIe siècle, l’espérance de vie, en France, n’a cessé de franchir des paliers pour atteindre aujourd’hui 78 ans pour les hommes et 84 ans pour les femmes. À raison d’environ trois mois de gain annuel, la durée de vie peut-elle s’allonger indéfiniment, comme le suggérait la revue Science, en 2002 ? En réalité, les rythmes de cette progression sont inégaux et dépendent étroitement des phases sanitaires. Les progrès sont moins rapides aujourd’hui qu’ils le furent au cours du XIXe siècle. Nous atteindrons, sans doute, les cent ans d’espérance de vie. Cela dépendra des innovations, en matière de thérapie génique par exemple, mais à une échéance qui nous demeure encore inconnue. La croissance démographique a donc de beaux jours devant elle mais son rythme ralentit de décennie en décennie. Cette tendance est d’abord liée à des choix de vie personnelle qui le conduisent à une restriction du nombre d’enfants par famille. On ne pourra donc faire l’économie d’une réflexion renouvelée, tant sur les questions environnementales que sur les modes de vie et les moyens de les rendre toujours plus agréables aux habitants de la planète. Pour aller plus loin : – Meslé France, Toulemon Laurent, Véron Jacques, Dictionnaire de démographie et des sciences de la population, Armand Colin, 2011. – Vallin Jacques, La démographie, La Découverte, 2001. ISSN 1963-2150 Rédaction en chef et direction de la publication : Centre d’enseignement militaire supérieur Air (CEMS Air) Édité par le Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) - École militaire - 1 place Joffre - 75700 PARIS SP 07 4 Source : Questions internationales : La Chine et la nouvelle Asie (n° 48 mars-avril 2011) pour le modèle occidental à deux enfants ainsi que la variable de l’âge au mariage ont certainement joué un rôle de levier dans ces rapides mutations.