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QUESTION’AIR
FICHE n°
Les fiches du Centre d’enseignement militaire supérieur Air
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Droit et institutions - Mars 2013
Faut-il craindre une « explosion démographique » ?
La répartition des populations et les prospectives démographiques, à l’échelle planétaire, enrichissent
notre réflexion entamée avec les questions des migrations. La menace d’une « surpopulation », brandie par les géographes depuis des décennies, est sans cesse repoussée, dans les faits, à un horizon toujours proche. Désormais forte de 7 milliards, la population mondiale connaît une croissance continue
depuis que les recensements permettent d’en mesurer l’ampleur. Faut-il céder, cependant, à cette
angoisse récurrente d’ « explosion démographique » ? La question mérite une réponse nuancée.
I. La surpopulation aura-t-elle lieu ?
1. Faut-il une politique démographique ?
La nécessité d’une politique démographique, constamment réaffirmée par les gouvernements du
monde entier, n’est pourtant pas sans poser de question. On peut ainsi s’interroger, en effet, sur la pertinence
de la notion de « population idéale ». Qui l’établit ? Sur quels critères ? Platon, dans la Grèce antique, évoquait déjà le nombre idéal des habitants de la cité. Le concept de « maximum démographique » a été souvent
avancé par les économistes et aujourd’hui par les écologistes dans une perspective résolument malthusienne.
Il faut également nuancer la portée des lois d’incitation démographique : les lois « familiales » ontelles réellement une influence sur le nombre d’enfants que choisit d’avoir un couple ? Même dans des
pays très marqués par le catholicisme, telle la France, la contraception a été très tôt intériorisée au sein
des couples. Il aura fallu l’emploi d’une pratique brutale en Chine pour y obtenir de résultats tangibles. À
l’inverse, les politiques d’encouragement à la natalité ont été un facteur plus souvent social que démographique.
La politique démographique, qu’elle encourage la natalité ou incite à sa maîtrise, porte aussi sur la
maîtrise des flux. Là encore, l’écart entre les prétentions affichées des gouvernements et la réalité est souvent
patent. L’immigration clandestine rend les frontières plus souvent poreuses que ne l’imaginent les dirigeants.
2. Les données actuelles : la fin de la transition démographique
L’équilibre entre les naissances et les décès a freiné le décollage de la population jusqu’à la fin du
XVIIIe siècle. Guerres, épidémies et carences alimentaires compensaient, plus ou moins, un fort taux de
natalité. La courbe prend son envol lorsque le taux de mortalité déclina au cours du XIXe siècle sous l’effet
conjugué des progrès sanitaires et alimentaires. L’effort est surtout porté sur la mortalité infantile, indice
d’un développement avancé des pays industrialisés. La fin de la transition démographique se manifeste
différemment selon les régions du monde mais dès la fin du XIXe siècle on observe une diminution de la
natalité dans les pays développés, bien que la population continue de croître, et ce malgré les guerres du
XXe siècle. Aujourd’hui, cet « équilibre » touche l’ensemble des pays de la planète. Entre 1800 et 2013, la
population mondiale aura été multipliée par sept.
Une carte de la répartition de la population laisse apparaître une concentration de « jeunes » en
Afrique, dans le golfe Persique et sur la frange méridionale de la Méditerranée, laissant augurer une vitalité
démographique pour les années à venir. L’Europe occidentale et l’Amérique du Nord ont vu, depuis les
années 1960-1970, diminuer la courbe de la natalité en même temps que s’accélérait la croissance économique et le confort de vie qui l’accompagnait. Le lien n’est pourtant pas établi si l’on en juge par la croiswww.cesa.air.defense.gouv.fr
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sance démographique observée depuis une décennie dans les pays les plus avancés. En revanche, l’Europe
centrale et orientale (Russie, Pologne) connaît un effondrement de la natalité. Les enquêtes menées par
l’OCDE1 lient cependant, de manière subtile, la hausse de la fécondité avec une meilleure conciliation entre
vie professionnelle féminine et vie de famille.
À l’autre extrémité de la chaîne vitale, les progrès sanitaires ont permis d’allonger substantiellement
l’espérance de vie. Si les guerres et les épidémies ont la fâcheuse tendance à se renouveler en permanence,
l’accès à la nourriture a réalisé un saut exceptionnel depuis soixante-dix ans, contribuant à l’amélioration
des conditions de vie et donc au recul de la mortalité. Les inégalités des taux de mortalité infantile traduisent, dans une large mesure, le degré de modernisation des sociétés actuelles.
3. La croissance mais…
Depuis octobre 2011, nous serions donc plus de 7 milliards d’habitants. Les prévisions des Nations
unies oscillent entre 6 et 16 milliards pour la fin du siècle, chiffre vertigineux si l’on songe à la disponibilité
des ressources naturelles, et notamment alimentaires. Pourtant, si la progression ne semble pas près de
connaître un palier, les démographes constatent une décélération de la croissance qui passe de plus de 2 %
d’augmentation annuelle à 1 % depuis 2012.
Un scénario « médian » de l’Organisation des Nations unies (ONU) prévoirait même, à terme, une
stabilisation de la population autour des 10 milliards d’habitants en 2100. L’« explosion démographique »
prophétisée au moment du baby-boom serait donc en passe de s’atténuer. En réalité, la baisse de la fécondité
que l’on supposait tardive en raison des traditions des pays du Sud a été beaucoup plus précoce que prévu.
1. OCDE : Organisation de coopération et de développement économique
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Les démographes s’interrogent aujourd’hui sur les liens possibles entre fécondité et crise mondiale.
Les États-Unis ont ainsi vu leur taux de natalité baisser significativement depuis 2008 et la Russie a vu sa
progression enrayée. Cependant, contrairement aux anticipations des spécialistes, la fécondité n’a cessé de
croître dans d’autres pays pourtant touchés par la crise : ainsi la France a vu le nombre de naissances augmenter en 2010, battant au passage un nouveau record depuis les années 1980.
II. Une pression inégale
1. Tendances
À l’échelle régionale, plusieurs tendances se dégagent pour nuancer l’approche globale précédemment évoquée. Ainsi, la surprise est venue des continents asiatiques et amérindiens qui connaissent une
baisse spectaculaire de la fécondité depuis les années 1970, mais l’impact social et culturel reste limité tant
le nombre de naissances demeure encore élevé. Le fait est cependant significatif : en une génération, l’indice
est passé de 5 enfants par femme à 2,5 ! Les écarts restent forts entre les pays subsahariens et les autres, mais
la tendance est clairement à la baisse.
Si l’Allemagne continue de voir sa population décroître, elle ne doit qu’au solde migratoire de ne pas
connaître une récession démographique plus forte. À terme, la population française pourrait rattraper celle
de notre voisin germanique au mitan du siècle.
La vitalité démographique africaine constitue un autre sujet d’étonnement pour les observateurs. Les
projections prévoient un quadruplement de sa population d’ici à la fin du XXIe siècle. Dans un continent
en proie à la pandémie du sida, où la mortalité continue de croître et l’espérance de vie de diminuer, les
prévisions des Nations unies peuvent surprendre mais elles prennent en compte la faiblesse des moyens de
la politique de limitation des naissances pour justifier leur analyse.
2. Les discontinuités spatiales
Toutes les terres émergées ne connaissent pas les mêmes densités. La concentration de la population
est l’autre fait marquant de la démographie mondiale. Actuellement six pays – Chine, Inde, États-Unis,
Indonésie, Brésil, Pakistan – regroupent plus de la moitié de la population mondiale. La littoralisation et
la métropolisation des populations en est le signe le plus saillant : le littoral chinois et africain, les mégalopoles américaines, nippones et indiennes, la « ligne rhénane » de Londres à Milan concentrent la majeure
partie des habitants de leur continent. La moitié de la population mondiale vit à moins de 200 m d’altitude
et un quart à moins de 50 km du littoral.
Certaines zones n’ont jamais connu d’habitation : les espaces de forêts, les zones polaires, l’Australie centrale ou encore les déserts saharien ou steppiques. L’Amérique du Sud est un exemple éclairant de
l’existence de ces déserts humains. Les flux migratoires accentuent encore cette tendance : recherche de
travail, héliotropisme, exil en sont les ressorts principaux.
3. Imprévisibles prévisions
Les prévisions démographiques sont difficilement cernables au-delà du court terme. Aucun observateur n’avait prévu le baby-boom, encore moins la reprise d’une fécondité active, en France par exemple. Les
mutations actuelles de la population nous obligent à repenser en permanence les grilles d’analyse.
La soudaine baisse de la fécondité du Maghreb au cours des années 1980 puis sa tout aussi soudaine remontée avaient déjoué les pronostics démographiques. L’Algérie, le Maroc et la Libye ont même
opéré une spectaculaire remontée de leur fécondité depuis le début du siècle. La moindre fascination
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Depuis la fin du
XVIIIe siècle, l’espérance de vie, en France,
n’a cessé de franchir des
paliers pour atteindre
aujourd’hui 78 ans pour
les hommes et 84 ans
pour les femmes. À raison d’environ trois mois
de gain annuel, la durée
de vie peut-elle s’allonger indéfiniment, comme
le suggérait la revue
Science, en 2002 ? En réalité, les rythmes de cette
progression sont inégaux
et dépendent étroitement
des phases sanitaires. Les
progrès sont moins rapides aujourd’hui qu’ils
le furent au cours du XIXe siècle. Nous atteindrons, sans doute, les cent ans d’espérance de vie. Cela dépendra des innovations, en matière de thérapie génique par exemple, mais à une échéance qui nous demeure
encore inconnue.
La croissance démographique a donc de beaux jours devant elle mais son rythme ralentit de décennie
en décennie. Cette tendance est d’abord liée à des choix de vie personnelle qui le conduisent à une restriction du nombre d’enfants par famille. On ne pourra donc faire l’économie d’une réflexion renouvelée,
tant sur les questions environnementales que sur les modes de vie et les moyens de les rendre toujours plus
agréables aux habitants de la planète.
Pour aller plus loin :
– Meslé France, Toulemon Laurent, Véron Jacques, Dictionnaire de démographie et des sciences de la
population, Armand Colin, 2011.
– Vallin Jacques, La démographie, La Découverte, 2001.
ISSN 1963-2150
Rédaction en chef et direction de la publication : Centre d’enseignement militaire supérieur Air (CEMS Air)
Édité par le Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) - École militaire - 1 place Joffre - 75700 PARIS SP 07
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Source : Questions internationales : La Chine et la nouvelle Asie (n° 48 mars-avril 2011)
pour le modèle occidental à deux enfants ainsi
que la variable de l’âge
au mariage ont certainement joué un rôle de
levier dans ces rapides
mutations.

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