QUELS EQUILIBRES POUR L`AFRIQUE SUBSAHARIENNE
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QUELS EQUILIBRES POUR L`AFRIQUE SUBSAHARIENNE
QUELS EQUILIBRES POUR L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE ? CROISSANCE DEMOGRAPHIQUE ET DEFIS POUR LE DEVELOPPEMENT SOCIO‐ECONOMIQUE Martin BALEPA, Directeur Général d’AFRISTAT (Juillet 2009) La progression exceptionnelle de la population en Afrique subsaharienne, due essentiellement aux nivaux élevés de fécondité mais aussi à la baisse de la mortalité générale, a toujours été perçue comme un facteur majeur qui freine son développement. Dans un contexte de niveau élevé de pauvreté, de croissance économique mal distribuée, de dégradation de l’environnement et d’insécurité alimentaire, cette progression complique la réalisation du bien-être des populations. Cette situation est davantage renforcée sous l’effet d’une crise économique mondiale dont les effets sont ressentis dans cette zone comme un nouvel obstacle au développement, mais aussi comme une opportunité à saisir pour bâtir les économies sur de nouvelles bases. Ces dernières années, la problématique du développement est marquée par deux initiatives internationales originales et de grande importance, la Déclaration du millénaire pour le développement et l’Initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE). Ces initiatives entendent corriger les dérives des stratégies de développement antérieures, notamment les programmes d’ajustement structurel, basés uniquement sur la stabilisation macroéconomique et la libéralisation des économies. Les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et l’initiative PPTE visent à promouvoir une croissance durable des pays en développement et à réduire la pauvreté. Leur mise en œuvre requiert un cadre macroéconomique adéquat et l’aide de la communauté des partenaires au développement. La mise en œuvre de ces initiatives a pour ambition d’ici 2015 d’instaurer un monde meilleur. Un monde où le plus grand nombre des populations visées pourrait accéder de manière durable à de meilleures conditions de vie avec moins de pauvreté dans un environnement plus sain et avec plus d’équité, notamment entre les sexes. Le rapport (juin 2008) du Groupe de pilotage de la réalisation des OMD en Afrique laisse penser à une amélioration de la réalisation de ces objectifs si les pays persistent dans les efforts actuels. Malgré les avancées observées, la situation de l’Afrique subsaharienne n’est guère satisfaisante. Les objectifs d’élimination de l’extrême pauvreté, d’éducation pour tous et d’égalité des sexes risquent probablement de ne pas être atteints en 2015. Les causes de cette faible performance enregistrée par cette partie de l’Afrique sont nombreuses. Parmi celles-ci, le facteur le plus déterminant semble être un niveau élevé de la fécondité porté à six enfants par femme. En effet, la croissance démographique de l’Afrique subsaharienne est la plus élevée au monde et aucune lueur de son fléchissement n’est perceptible à court terme. La crise alimentaire qui a frappé l’Afrique subsaharienne en 2008, doublée de la récente crise financière internationale dont les répercussions sont considérées de faible influence pour les économies de ces pays, a accentué la précarité des populations pauvres. La fécondité n’est pas la seule cause de la croissance démographique. Bien que les efforts importants soient encore attendus, des améliorations de conditions de vie sont perceptibles : l’accès aux soins de santé primaires, à l’eau et à l’éducation est en progrès. Ces conditions et bien d’autres ont fait reculer la mortalité et progresser l’espérance de vie à la naissance. Le phénomène de vieillissement de la population devient aussi une réalité en Afrique subsaharienne. Sur un autre plan, la ville africaine concentre les opportunités d’emplois et les meilleurs services sociaux ; elle attire en conséquence plus de monde dans un espace peu préparé à accueillir une frange de population, généralement jeune et sans formation. Maîtriser la fécondité pour en faire un facteur de développement, préparer l’avenir des vieilles personnes et accueillir de nouveaux arrivants dans les villes sont parmi les principaux défis que les pays d’Afrique subsaharienne doivent relever dans les vingt prochaines années. Une croissance démographique forte Contrairement à la transition démographique constatée dans les régions développées et d’autres en développement, la croissance démographique est mal maîtrisée en Afrique subsaharienne. Dans les années 80, les taux bruts de natalité étaient proches de 50 p. mille et le nombre d’enfants par femme 1 (15-49 ans) était de l’ordre de 7, malgré une légère baisse constatée avec un décalage de 20 ans par rapport aux autres régions en développement. Cependant, cet indice reste élevé. A titre d’illustration, les Nations unies projettent le triplement voire le quadruplement de la population du Niger, du Mali et du Tchad d’ici 2050. L’utilisation de la contraception moderne est négligeable. Les approches « diffusionnistes1 » qui attribuent la faiblesse de l’utilisation de la contraception au fait que le contrôle de la fécondité est mal compris, voire pas ou mal diffusé, expliquent le maintien de la fécondité à ce niveau élevé. Bien que les opinions et les politiques affichées par les pays africains concernant la maîtrise de la croissance démographique aient favorablement évolué, leur efficacité est remise en doute compte tenu des résultats de leur mise en oeuvre. S’agissant de la mortalité, l’Afrique a enregistré un net déclin de ce phénomène, notamment la mortalité infantile et juvénile qui se traduit par l’amélioration de l’espérance de vie à la naissance. Cette amélioration n’occulte pas cependant l’aggravation de la mortalité dans cette partie de l’Afrique à cause de la détérioration de la situation sanitaire due à la crise économique et surtout à cause de la résurgence de certaines maladies endémiques (paludisme, choléra…), le VIH/Sida, l’instabilité politique (conflits et guerres civils), etc. Les différents constats (fécondité élevée, faible utilisation de la contraception et réduction relative de la mortalité) montrent que la transition démographique ne se sera pas achevée avant 2050 en Afrique subsaharienne. Un déséquilibre accentué pour les systèmes d’éducation et de santé La communauté internationale reconnaît le rôle déterminant de l’éducation (tout comme de la santé) dans le processus de développement et de maîtrise de la croissance démographique. En particulier, l’éducation de la femme, notamment la petite fille, est un véritable régulateur de la fécondité. La scolarisation de la petite fille a fait augmenter l’âge au mariage ainsi que l’utilisation de la contraception ; elle a amélioré l’accès à une meilleure alimentation et aux soins de santé. Ici, l’éducation apparaît moins comme un facteur explicatif qu’un révélateur du niveau socio-économique et culturel. La croissance démographique a un impact sur les systèmes éducatifs des pays. Certes, la scolarisation y a connu des progrès, mais des efforts importants restent à déployer tant pour augmenter les effectifs que pour faire baisser les différences selon le genre2. Les aspects divers de la santé (sécurité alimentaire, qualité de l’eau et de l’assainissement, accès aux soins et aux médicaments…) constituent des axes importants du développement humain durable en Afrique subsaharienne. Actuellement, les systèmes de santé dans cette zone sont loin de satisfaire la demande. Le système public de santé ne couvre qu’une fraction limitée de la population et la sécurité sociale est quasi inexistante. On observe une très grande inégalité face aux maladies et à la mort. Bien que les Africains aient fixé un objectif de 15 % du budget affecté aux dépenses de santé, 2/3 des pays y consacrent moins de 10 % de leur budget. La norme de l’OMS, 1 médecin pour 3 000 habitants, n’est pas respectée, plusieurs pays ayant entre 5 et 10 fois moins de médecins. A cela, il convient d’ajouter la forte émigration du corps médical africain vers d’autres pays à forte demande, ce qui accentue le déséquilibre de la situation. Un maintien des flux migratoires et un déséquilibre accentué urbain/rural Si l’on aborde la question des équilibres dans le contexte de la croissance démographique, il paraît nécessaire de rappeler les défis relatifs aux migrations concernant le continent africain. Par rapport au contexte mondial, les migrations internationales africaines sont faibles par rapport à celles des pays développés. Cependant, elles concernent essentiellement les migrations de pauvreté et les mouvements des réfugiés. Comme si cela était un paradoxe, la croissance économique des pays africains apporte un développement déséquilibré de l’espace géographique. La ville, en particulier la capitale qui abrite habituellement les institutions gouvernementales, les principales infrastructures universitaires et 1 Casterline J., diffusion Processes and Fertility Transition, in Casterline J. (ed.), Diffusion Processes and Fertility Transition: Selected Perspectives, Washington D.C., National Academy Press, 2001. 2 UNESCO, Cadre d’action de Dakar. L’éducation pour tous : tenir nos engagements collectifs, Paris, Unesco, 2000. 2 sanitaires, les grands centres de loisirs, etc., accueille de plus en plus une population provenant de la campagne, attirée comme des lucioles autour de la lumière. Cette affluence massive de population bouleverse l’équilibre démographique urbain/rural des pays. Entre 1950 et 2000 la population urbaine a pratiquement été multipliée par 10 dans les pays d’Afrique subsaharienne. De nouveaux équilibres sont en jeu, car la répartition de la population change et les pays doivent faire face à cette nouvelle distribution. La population de la plupart des grandes villes (villes millionnaires) représente le quart voire plus de la moitié de la population urbaine totale du pays. Les défis sont considérables en matière d’infrastructures, de logement, d’emploi, de services etc. Or, face aux crises multiformes qui touchent les pays africains, les emplois réguliers deviennent rares, les économies s’installent de plus en plus dans l’informel (75 % de la population urbaine active occupée) à un rythme effréné, le pouvoir d’achat de la majorité des populations urbaines s’amenuise, etc. La rupture des équilibres est d’autant plus inquiétante que la vitalité des réseaux sociaux qui apparaissaient comme des filets de sécurité perd de son efficacité. Les villes sont de plus en plus des cités d’exclusion du marché du travail, de la criminalisation croissante3. Les différentes initiatives (maîtrise du foncier, construction de lotissements, politiques de destruction des bidonvilles) n’ont à ce jour pas permis de limiter cette croissance urbaine. Ce déséquilibre entre urbain et rural risque de s’accentuer car le monde rural ne sera plus nécessairement en mesure de répondre à la demande croissante de produits alimentaires du monde urbain. L’exode rural, la faible productivité des systèmes agraires traditionnels et l’organisation déficiente des marchés pourraient aboutir à une dépendance de plus en plus accentuée de l’importation de produits vivriers. Cette rupture alimentaire nécessite une prise de conscience car elle pourrait avoir un impact négatif sur l’articulation des économies rurales et urbaines, sans compter que l’avenir économique, politique et social de l’Afrique subsaharienne s’effectuera en majorité dans les villes. Que faire aujourd’hui et demain ? Des risques importants pèsent sur les perspectives économiques de l’Afrique subsaharienne. La vigueur de la croissance et de la stabilité macroéconomique de cette zone est mise à l’épreuve. Plus que jamais, les pays ont un défi de réagir rapidement aux chocs exogènes inattendus pour garantir le bien-être des populations dont l’effectif croît fortement malgré les programmes de planning familial mis en place. La situation est complexe : une combinaison de crises économique et alimentaire doublées de profondes crises sociales avec une limitation des financements propres et extérieurs. Comment maintenir les équilibres entre croissance démographique et croissance économique, entre la population et ses besoins, entre son évolution et l’atteinte du développement humain durable ? La relation entre « démographie », « croissance » et « développement » n’est pas immédiate, mais pluriel. Il y a la nécessité de mettre en place des politiques plus volontaristes et acceptées par tous. Bien que la population constitue la première ressource d’un pays, il s’agira de mettre en place une politique familiale plus incitative au contrôle des naissances. Certains groupes sociaux et catégories socioprofessionnelles limitent déjà librement leurs naissances face aux difficultés économiques ou pour satisfaire à leurs propres critères de bien-être. Cette tendance est aussi à mettre en relation avec le niveau d’intégration des femmes au développement. Parmi d’autres mesures, il y a lieu de renforcer les mesures pour assurer l’éducation de la petite fille dont les effets peuvent conduire au recul de l’âge de son mariage. L’accent sur le développement de l’éducation apparaît aussi comme un moyen efficace pour éviter la transmission intergénérationnelle de la pauvreté. La lutte contre la mortalité des enfants et l’accès à la santé constitue un autre axe. Elle répond non seulement aux OMD, mais également à la problématique de l’équilibre entre « population » et « économie ». La démocratisation de l’accès aux systèmes de soins et de santé permet une plus grande efficacité des politiques fondées sur le besoin de disposer de ressources humaines compétentes. Contrairement aux idées reçues, les actions et les programmes dans le domaine de la population peuvent avoir des effets à court terme par la maîtrise de la croissance des naissances et sa stabilisation rapide éventuelle qui permettent de consacrer plus de moyens pour rattraper les atteintes des OMD et du développement durable. Les programmes de population devraient être réalisés en interaction avec d’autres programmes prioritaires de développement pour renforcer leurs succès (les 3 Dubresson A. & Raison J.-P., L’Afrique subsaharienne, une géographie de changement, Paris, Amand Colin-VUEF, 2003. 3 diverses stratégies de réduction de la pauvreté abordent en détail les mesures économiques qui pourraient être associées aux programmes de population). Mais, compte tenu de la pyramide des âges actuelle, la tendance de la dynamique de population ne pourrait être véritablement inversée que dans les 25-30 ans. Entre temps, la croissance démographique de l’Afrique subsaharienne continuera à être élevée, sa population restera extrêmement jeune et il faudra satisfaire à ses besoins les plus élémentaires. Il est certain que la crise financière internationale nécessite de prendre des choix politique, économique et social. A la question des équilibres et des ruptures économiques, question à laquelle il est difficile de répondre, les projections démographiques rappellent les défis auxquels sera confrontée l’Afrique subsaharienne. Quoiqu’il en soit, l’avenir de l’Afrique subsaharienne sera conditionné par sa démographie et son rythme de croissance. Alors que les pays du Nord doivent faire face au vieillissement des populations, les pays du Sud devront mettre l’accent avec l’appui des partenaires au développement sur les programmes visant à maîtriser la croissance démographique. La forte croissance démographique reste un véritable défi qui risque d’enfoncer les pays dans la pauvreté dont ils pourraient avoir des difficultés à sortir, le problème n’étant pas lié à l’effectif de la population, mais plutôt à la poursuite ou non d’un rythme élevé de la croissance démographique. L’apparition des crises alimentaire et financière récentes constituent de véritables opportunités pour bâtir de nouvelles économies. Nourrir sa population est une mission essentielle. Au lendemain de la crise alimentaire, beaucoup de gouvernements ont sorti des tiroirs de vieux programmes de « révolution verte » qui avaient fait leur preuve. Pourquoi ne pas porter à nouveau les espoirs sur l’agriculture ? Une bonne partie de la pauvreté sera ainsi vaincue. 4