Stevia : quels intérêts en œnologie pour cet

Transcription

Stevia : quels intérêts en œnologie pour cet
Stevia : quels intérêts en œnologie
pour cet édulcorant ?
40
résumé La stevia est une plante possédant un fort
pouvoir édulcorant qui n’apporte ni sucre fermentescible, ni calorie. Son pouvoir sucrant est de 200 à 300
fois celui du glucose. Ces dérivés sont maintenant
utilisés en agroalimentaire dans de nombreux produits « sans sucres » tels que des sodas, des sirops …
En partenariat avec la Chambre d’agriculture, le
groupe ICV a mesuré l’intérêt de la stevia en œnologie.
abstract Stevia is a plant with a strong sweete-
Deux axes prioritaires ont été étudiés : sa stabilité
ning power that does not add neither fermentable
biochimique et son impact organoleptique.
sugars, nor calories. Its sweetening power is 200
Nous avons ainsi pu vérifier que sa présence dans les
to 300 times that of glucose. These derivatives are
jus ne perturbait pas la fermentation alcoolique et
now used in many «sugar free» food products such
que les molécules de stevioides ne sont pas fermen-
as sodas, syrups....In partnership with the Chamber
tescibles par les microorganismes du vin.
of agriculture, ICV group measured the stevia interest in oenology. Two main fields were studied: its
Lucile PIC
Département Recherche et
Développement-Groupe ICV
La Jasse de Maurin
34 970 Lattes
[email protected]
04 67 07 04 99
Charly FABRE
Chef de Service des
productions végétales
Chambre d’Agriculture
Mas de Saporta
34 875 Lattes cedex
[email protected]
Laurent GOURDON
Service productions végétales
Chambre d’agriculture
de l’Hérault
Mas de Saporta
34 875 Lattes cedex
gourdon@
herault.chambragri.fr
Lucile PIC
Mots clés
stevia, rebaudioside, edulcorant,
stabilité microbiologique
biochemical stability and its organoleptic impact. We
were able to verify that its presence in the juice did
not disrupt the alcoholic fermentation and that the
stevioides molecules are not fermentable by wine
microorganisms.
Keywords
Stevia, rebaudioside, sweetener,
microbiological stability
raisins et vinifications
Stevia : an interest in œnology ?
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S
tevia rebaudiana est une plante de la
famille des Astéracées (comme le pissenlit, la chicorée…) La stevia est originaire de
la vallée de Rio Monday dans le nord-est du Paraguay. Les Indiens Guarani l’appelaient Ka’a-hée,
ce qui signifie « herbe sucrée », et ils l’utilisaient
pour sucrer les boissons amères comme le mate.
La particularité de cette plante est de renfermer
dans ses feuilles des composés qui leur donnent
un goût sucré. Pour cette raison la stévia est utilisée depuis des siécles en Amérique du sud pour
sucrer les boissons et les aliments. Les feuilles de
stévia contiennent des glycosides, qui sont, pour
une grande part, des steviosides dont le rebaudioside A. Cette molécule, jusqu’à 300 fois plus
sucrée que le sucre, ne contient aucune calorie
(car elle n’est pas métabolisée par l’organisme).
Le stevioside est très utilisée au Japon depuis la
préférence donné aux édulcorants naturels en
© ICV
1970, mais aussi en Amérique latine, en Chine,
en Corée. La production commerciale a principalement lieu en Amérique Centrale, aux ÉtatsUnis, en Israël, en Thaïlande et en Chine.
L’intérêt du rebaudioside A est connu depuis
de nombreuses années par l’industrie agro-alimentaire qui recherche une alternative aux édulcorants artificiels. Mais l’utilisation de cette molécule naturelle n’était jusqu’à présent pas autorisée
en France. Ainsi, l’arrêté interministériel du 26
août 2009 qui autorise l’emploi du rebaudioside
A (extrait de Stevia rebaudiana) comme additif alimentaire et celui du 8 janvier 2010, qui l’autorise
comme édulcorant de table, ont rendu pertinent
l’enjeu de la culture de stevia en France. Cependant, il reste à savoir si une telle culture est envisageable dans notre région. Cette évolution de la
réglementation a été à l’origine d’essais mis en
place par la Chambre d’agriculture de l’Hérault
Stevia : quels intérêts en œnologie pour cet édulcorant ?
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avec le soutien du Département de l’Hérault,
de la région Languedoc Roussillon et de France
Agrimer.
En parallèle des essais agronomiques conduits
par ces équipes, il a été identifié que, la valorisation de la plante en œnologie méritait une étude
particulière dans notre région à dominante viticole. Parmi les usages envisagés, celui d’agent
d’édulcoration est le plus évident. Il serait ainsi:
• Une alternative potentielle à l’utilisation des
MCR, certes viticoles mais importés
• Une alternative pour l’édulcoration des
vins, moins risquée pour leur conservation par
rapport au MCR (les steviols sont a priori non
fermentescibles) et donc une réduction des
contraintes de stérilisation à mettre en oeuvre au
conditionnement.
De fait, les professionnels du vin (Vignerons
indépendants, Vignerons coopérateurs, Association IGP,Vin de Pays d’Oc, groupe ICV) se sont
associés et, avec le soutien de la Chambre d’agriculture et du Conseil Général de l’Hérault, ont
commencé les travaux d’évaluation de la stevia en
oenologie.
Matériel et méthodes
Comparaison
des cinétiques
fermentaires des jus
avec ou sans ajout de
stéviosides avant FA.
microbiologique des vins additionnés de ces
molécules.
Pour atteindre ces objectifs, deux axes expérimentaux sont proposés :
Axe 1 : mesure de l’impact analytique et organoleptique des différentes molécules issues de la
stevia en comparaison au MCR.
Axe 2 : validation de la non fermentescibilité
par les principaux germes du vin des différentes
molécules du steviol, afin d’évaluer la stabilité
figure 2
1110
30
densité Stévia
densité témoin
25
1070
20
1050
15
1030
10
1010
5
990
0
2
4
6
jours après levurage
8
10
0
12
Tre en C°
densité
1090
Tre Stévia
Tre témoin
• Matières premières
➔ Stevia
La poudre que nous avons utilisée pour ces
essais est une poudre de stevia à 60% de rébaudioside A et 95% de stéviols glycosides. Les
contrôles analytiques ont confirmé ces caractéristiques (rébaudioside A : 63,5% poids sec, stéviols
glycosides: 96,5% poids sec, pouvoir sucrant :
200 à 300).
➔ Jus blanc
Le jus blanc utilisé est un jus de sauvignon,
riche en sucres mais qui conserve un pH bas et
des teneurs importantes en acides malique et
tartrique.
• Plan expérimental
Un plan expérimental basé sur la production de
3 lots (fig. 1) a permis de comparer d’une part les
cinétiques fermentaires du jus avec et sans stévia
ajoutée avant levurage et d’autre part les profils
raisins et vinifications
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moût de raisin :
sauvignon
témoin
vinification standard
+stevia
(rébaudioside A60 - 140 mg/L)
levurage et fermentation alcoolique
édulcoré MCR
au conditionnement (5 g/L)
stevia
au conditionnement (35 mg/L)
conditionnement
figure 1
© ICV
Résultats
organoleptiques des vins «sucrés» avec stevia ou
avec du MCR.
Des bilans analytiques complets des lots
(dont stevioside et rébaudioside A) ont été réalisés à différentes étapes. Ils ont été complétés
par un bilan microbiologique complet en fin de
FA : dénombrement des bactéries lactiques et
acétiques, des levures de type Saccharomyces et
Brettanomyces. Enfin une Analyse Sensorielle
Descriptive Quantifiée des 3 vins a été effectuée
par un jury expert.
Sucre
(g/L)
217,8
tableau 1
• Pas d’impact des rébaudiosides sur les
cinétiques fermentaires et les populations
microbiennes
Le suivi des fermentations alcooliques (fig.2)
met en évidence l’absence d’impact de la présence des rébaudiosides sur la cinétique de
dégradation des sucres.
Les suivis microbiologiques ne mettent en
évidence aucun impact de la présence de stevia
Ac Totale
(gH2SO4/L)
Ac Volatile
(gH2SO4/L)
pH
Ac. Malique
(g/L)
Ac Tartrique
(g/L)
Potassium
(g/L)
N Ass en
mg/L
Turbidité
en NTU
5,01
<0,1
3,23
4,08
5,90
1,21
114
40
Caractéristiques analytiques du jus utilisé.
1050
Lot
Plan d’expérience pour
l’évaluation de l’impact
de la stevia sur la
cinétique fermentaire
et sur le profil
organoleptique.
Fin FA
Levures SC
Bactéries acétiques
Levures SC
Bactéries acétiques
Levures type
Brettanomyces
+ MCR sur vin
45 Millions
< 1 000
3 Millions
< 1 000
< 1 000
< 1 000
+ Stevia sur moût
48 millions
< 1000
2 Millions
< 1 000
< 1 000
< 1 000
ND
ND
2.5 Millions
< 1 000
< 1 000
< 1 000
+ Stevia sur vin
tableau 2
Suivi microbiologique des lots- Germes en unités formant colonies/mL.
Bactéries lactiques
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44
90
80
Ribaudioside A (mg/l)
dosage sur jus
75,60
71,08
70
dosage sur vin conditionné
60
50
40
30
23,98
20
10
0
+ Stévia : 140 mg/L sur jus
+ Stévia : 35 mg/L sur vin
Ribaudioside A attendu : 88,9 mg/L
Ribaudioside A attendu : 22,22 mg/L
figure 3
Teneurs en Rebaudioside A
mesurée sur jus et sur vin
conditionné sur chacun des
lots de l’essai.
dans le jus sur les niveaux de populations viables :
Les rébaudiosides n’affectent en rien le développement des Saccharomyces. Ils ne favorisent pas
non plus le développement de micro-organismes
d’altération.
• Les rébaudiosides : des molécules stables
en milieu œnologique, non métabolisés par
les micro-organismes du vin
La figure 3 met en évidence que la teneur
en rébaudioside A n’évolue pas au cours de la
fermentation alcoolique et de l’élevage (l’écart
mesuré entre jus et vin conditionné est lié à l’incertitude de mesure de l’analyse). Par ailleurs,
sur les deux lots, nous vérifions que la teneur
mesurée est cohérente avec la teneur attendue
au regard de la quantité de poudre ajoutée et de
sa concentration en rébaudioside A.
Ces résultats confirment donc que les rébaudisoside A ne sont pas métabolisés par les
Saccharomyces.
© ICV
montre aucune différence significative entre les
lots. Seul l’ajout de MCR effectué en fin de FA
modifie comme il se doit la teneur en glucose et
fructose (tabl. 3).
• Impact organoleptique
Les profils organoleptiques des vins (fig. 4)
ont été réalisés 3 mois après conditionnement
des essais par un jury expert selon la méthode
d’Analyse Sensorielle Descriptive Quantifiée.
D’un point de vue olfactif, les différences
sont faibles : on notera cependant que les deux
lots ayant bénéficié d’un ajout de stevia présentent des notes agrumes, fruits exotiques et
fruits blancs plus intenses.
• Pas d’impact analytique des
rébaudiosides
Le suivi analytique aux différents stades de
la vinification (données non présentées) ne
Profils analytiques des
vins 2 semaines après
conditionnement.
tableau 3
Lot
Glucose +
fructose
(g/L)
Degré en %
Ac Totale
(gH2SO4/L)
Ac Volatile
(gH2SO4/L)
SO2 Libre
(mg/L)
SO2 Total
(mg/L)
pH
Ac. Malique
(g/L)
Ac Tartrique
(g/L)
Potassium
(g/L)
+ MCR sur vin
4,1
12,31
4,75
0,34
26
126
3,17
2,70
2,90
0,70
+ Stevia sur moût
0,4
12,60
4,82
0,38
34
144
3,16
2,81
2,79
0,71
+ Stevia sur vin
0,1
12,41
4,81
0,36
23
119
3,15
2,77
3,05
0,71
raisins et vinifications
45
3,0
+ Stevia sur vin
profils olfactifs ASDQ
+ MCR sur vin
2,5
+ Stevia sur moût
moyenne intensité ASDQ
2,0
1,5
1,0
0,5
0,0
e
urs
od
s
ée
ufr
so
e
qu
yli
am
cé
rba
he
ot
ric
illé
n
va
ab
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ue
es
rum
q
oti
ex
its
ag
fru
Descripteurs
its
fru
s
nc
bla
au
op
sir
ts
i
fru
fits
con
figure 4
4,0
+ Stevia sur vin
profils gustatifs
ASDQ
+ MCR sur vin
+ Stevia sur moût
3,5
moyenne ASDQ
3,0
2,5
2,0
1,5
1,0
volume
acidité
rugosité
astringence
sécheresse
amertume
Descripteurs
figure 4*
D’un point de vue gustatif, les effets sont plus
marqués : notamment, l’ajout sur moût (140 mg/L)
conduit à une forte hausse de la sensation de volume,
qui s’accompagne d’une baisse de l’acidité mais aussi
d’une hausse de la sécheresse et de l’amertume.
L’ajout effectué sur vin, réalisé en quantité plus
faible (35mg/L) a des effets gustatifs différents :
le volume est comparable à celui du vin additionné de MCR, mais l’astringence, la rugosité la
sécheresse et l’amertume sont fortement réduits.
Profils organoleptiques
des vins trois mois
après conditionnement
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Conclusions et perspectives
L’ensemble des suivis réalisés sur ce sauvignon
n’a mis en évidence
• ni d’impact pénalisant de la présence de steviosides (rébaudioside A majoritairement) dans
les jus sur le développement des levures et sur
leur activité fermentaire,
• ni d’instabilité de cette molécule en présence
des principaux micro-organismes du vin (teneurs
stables entre le jus et le conditionnement)
Par ailleurs, nous n’avons mesuré aucun impact
analytique de l’ajout de steviosides (rébaudioside
A majoritaire) sur les principaux paramètres analytiques de ces vins blancs.
Le profil organoleptique qui a été réalisé a mis
en évidence un impact fort de l’ajout effectué
sur jus sur le profil gustatif, mais ces conclusions
sont à nuancer au regard de la quantité ajoutée
Bibliographie
• Geuns JM., 2003. Stevioside. Phytochemistry. 2003
Nov ; 64 (5) : 913-21.
• Stevia. Les expérimentations se précisent. Paysan
du midi, 12 Octobre 2012
• Journal officiel de la République française du
15 janvier 2010, Arrêté du 8 janvier 2010 relatif
à l’emploi du rébaudioside A (extrait de Stevia
rebaudiana) comme additif alimentaire.
à ce stade (140 mg/L) qui en terme de pouvoir
sucrant correspond à environ 40 g/L de glucose/
fructose.
L’ajout réalisé sur vin fini est moins marqué,
en lien probablement avec la quantité employée
(35 mg/L), équivalent à un pouvoir sucrant de
10g/l de glucose/fructose. Cependant ce lot se
distingue encore nettement du vin édulcoré au
MCR (5g/L), mais là encore les conclusions
doivent être nuancées par les différences de pouvoir sucrant des deux vins.
Ces premiers résultats sont encourageant
quant à l’intérêt de la stevia comme édulcorant
non fermentescible et donc stable en milieu
œnologique.
Il serait cependant intéressant d’affiner l’évaluation de l’impact organoleptique de ce produit
sur blanc, notamment en vérifiant l’évolution
dans le temps. Par ailleurs ces premiers résultats
mériteraient d’être confirmés sur d’autres types
de matrices, intégrant des vins rouges.