ACTUALITE STRATEGIQUE en ASIE

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ACTUALITE STRATEGIQUE en ASIE
N°11
02 mai
07
ACTUALITE STRATEGIQUE en ASIE
Réforme(s) ou statu quo : quel avenir pour le Bangladesh ?
Les temps troubles. Sur les terres -- malmenées par la nature
et les hommes -- du Prix Nobel de la paix 2006 (Muhammad Yunus),
dans ce recoin d’Asie du sud où, sur un territoire de la taille du quart de
l’Hexagone se concentre deux fois et demi la population française, le
calme et la sérénité non jamais été des notions allant de soi.
Assassinats politiques, coups d’Etat militaires, violence pré (et post)
électorale, état de droit inexistant, catastrophes naturelles (tableau
p.2) et épidémies, accoutumance à la mauvaise gouvernance et à la
corruption (idem p.2), grèves générales, jalonnent son cours
tumultueux, pareils au Ganges et au Brahmapoutre, ses fleuves
nourriciers. Le dernier semestre ne nous démentira pas. Ainsi va le
Bangladesh, nation pas encore quadragénaire issue, au tournant de la
décennie 70, du démembrement du Pakistan, lorsqu’elle en était
encore la province orientale. Près de quatre décennies ont passé ; or, il
n’est guère de secteur qui ait durablement profité d’une quelconque
amélioration. En mai 2007, le quotidien du citoyen se pense toujours en
difficultés, carences, frustration ; désespoir aussi.
Une fin d’année 2006 difficile (comme souvent).
Conformément à la lettre de la Constitution, à l’issue de son mandat de
cinq ans, madame Khaleda Zia, chef de file du Bangladesh National
Party (BNP) et 1er ministre en exerce depuis 2001, remit les « clefs »
du gouvernement à une administration intérimaire. A charge –
théoriquement – pour cette dernière de préparer sereinement, au-delà
des considérations partisanes, les prochaines élections législatives et
d’expédier durant le trimestre à venir les affaires courantes. Un
schéma plus délicat à mener à bien qu’il n’y parait ; surtout pour ce qui
est de l’impartialité … Ainsi, dès octobre 2006, l’opposition mobilise ses
troupes, agite l’opinion, et laisse entendre par la violence (à laquelle ne
tardera pas à répondre la police) que le choix du Chief Election
Commissioner MA Aziz, jugé trop proche du BNP du 1er ministre
sortant, lui était insupportable. Derrière la puissante Awami League
(AL) de madame Hasina Wajed, elle-même ancienne 1er ministre
(1996-2001), une coalition déterminée de 14 partis politiques brandit
la menace d’un énième chaos ; la multiplication des heurts, la
promesse de boycotter le prochain scrutin, auront raison du Chief
Election Commissioner, qui démissionnera en décembre. Dans un
climat délétère, le scrutin prévu pour le 22 janvier est annulé ; l’état
d’urgence est déclaré. Courant janvier, au grand soulagement d’une
population redoutant le pire, le Président Fakhruddin Ahmed prend les
rênes de l’administration intérimaire. Ce dernier bénéficie du soutien de
l’armée, incontournable acteur de la vie politique, et appuie dès sa
« prise de fonction » sa démarche sur des fondamentaux jusqu’alors
inédits : traitement égalitaire des diverses formations (BNP ; AL). Et
surtout, lancement à l’échelle du pays d’une impitoyable lutte anticorruption qui aura tôt fait, dès avril, de faire converger vers les
hospitalières geôles bangladaises des dizaines de politiciens,
convaincus de fraude et corruption, toutes confessions confondues.
Fin de partie pour les « dames de fer » ? En quelques
semaines, des milliers d’individus sont arrêtés : citoyens lambda,
militants, anciens ministres, criminels et terroristes. Des islamistes
Golfe
Persique
convaincus d’actes terroristes sont pendus. Personne n’y échappe
; les
deux bégums (terme désignant la mère, sœur ou épouse des anciens
souverains indiens) en personne voient le cours des choses leur
E.A.U
échapper et se restreindre leur proverbiale impunité.
Le Bangladesh, frêle nation du souscontinent indien
Pakistan
Chine
Népal
Bhoutan
Inde
Myanmar
Baie du
Bengale
Thaïlande
Sri Lanka
Indonésie
Repères
République populaire
du Bangladesh
•
•
•
•
capitale
superficie
population
régime
•
religions
•
•
•
•
PIB
PIB/capita
croissance 2006
dévpt humain
Dacca
144 000 km²
150 millions
démocratie
parlementaire
islam (84%) ;
hindouisme (15%)
70 milliards $
460 $
+6%
136e rang mondial
Entre carences et sous-développement
Analphabétisme
L’agriculture emploie
IRAN
Pop. sous le seuil
de pauvreté
6 adultes
sur 10
2PAKISTAN
actifs
sur 3
1 homme
sur 2
Pop. sans accès à
1 homme
l’eau courante Gwadar sur 4
Enfants 0-5 ans
sous-alimentés
OMAN
1
(1/2)
1
sur 2
Mer
d’Arabie
N°11
02 mai
07
ACTUALITE STRATEGIQUE en ASIE
Réforme(s) ou statu quo : quel avenir pour le Bangladesh ?
En visite privée aux Etats-Unis, Hasina Wajed apprend le 22 avril
qu’un mandat d’arrêt vient de lui être délivré ; elle est inculpée de
complicité de meurtre et décide (prudemment) de prolonger son séjour
outre-Atlantique. Sa rivale de toujours n’est pas à l’abri : en avril
toujours, ses fils Arafat et Tarique Rahman, accusés de corruption, sont
arrêtés. L’exil négocié avec les autorités vers l’Arabie Saoudite lui est
« suggéré ». En quelques semaines d’un gigantesque coup de balais
rendu possible par le concours manu militari de 60 000 soldats, la
scène politique bangladaise, une des plus corrompues d’Asie (voir cicontre), est apurée de ses moins reluisants éléments… à la grande joie
de la population, lassée, désabusée par l’incurie et les abus de ses
représentants. Ce même peuple qui avait demandé avec tant de
conviction, au début des années 90, que la démocratie retrouve droit de
citer, loue aujourd’hui l’assistance des militaires au gouvernement de
technocrates et sa logique de purge. Au point de souhaiter, perspective
hier encore inenvisageable, un terme à la (trop) longue carrière de ses
deux impitoyables « dames de fer », indissociables dans l’ambition et
l’histoire du pays : la 1er ministre sortante, Khaleda Zia, est la veuve de
l’ancien (général tout d’abord) Président (1977-81) Ziaur Rahman,
assassiné lors d’une tentative de coup d’Etat (1981). Hasina Wajed est
quant à elle la fille ainée du « père de la nation » et premier Président,
Sheikh Mujibur Rahman, assassiné lors d’un coup d’Etat militaire en
1975. Tristes destins familiaux et politiques entremêlés, souvent pour le
pire, chez ces redoutables quinquagénaires ; plusieurs décennies après
les drames, rancœurs et implications -- plus ou moins avérée -- des
différents camps dans les tragédies de l’autre alimentent une lutte sans
merci ; et sans fin. A la population (45% sous le seuil de pauvreté) d’en
souffrir les maux.
Signaux contradictoires de l’armée. Conscient de cette
adhésion populaire (momentanée ?)… tout comme des limites
prévisibles, à terme, du « tout-répression », l’administration intérimaire
et son sponsor (armée) entendent aller le plus loin possible… sans pour
autant frapper trop fort ; l’exil de Khaleda Zia vers Ryad et l’interdiction
de rentrer au pays pour Hasina Wajed sont déjà passablement
assouplis… Après l’euphorie, dans cet environnement de pénurie, il
faudra colmater le neuf avec l’ancien ; il s’agit de se montrer décidé ;
mais également prudent.
Et quid des hommes en uniforme ? D’ici fin 2008, période avant
laquelle l’organisation des élections nationales ne peut techniquement
être envisagée (mise à jour des listes électorales avec photo ; nouvelle
carte d’identité pour tous), l’ambition des uns et des autres est
susceptible de prendre des tours bien différents. A l’image du chef
d’état major des armées, le Lieutenant Général Moin U Ahmed qui, dans
un discours récent, déclarait : « Le Bangladesh va devoir construire sa
propre version de la démocratie. Ce processus nécessitera que nous
réinventions un système de gouvernance avec un nouveau leadership à
tous les niveaux ». On sent poindre de ces propos, pas nécessairement
très rassurants, quelque ambitieux projet futur pour la hiérarchie
militaire. Une évolution à surveiller, pour le « père » du microcrédit,
Muhammad Yunus, comme pour la communauté internationale,
traditionnellement plus active an Bangladesh par ses dons que par son
action.
Olivier GUILLARD
Directeur de recherches Asie
2
(2/2)
CHRONOLOGIE
1947
- Fin du Raj britannique.
-Création de l’Inde et du Pakistan
1949 - Awami League (AL) débute sa campagne en
faveur de l’indépendance
1970 -Victoire de l’AL aux législatives. Islamabad
refuse la défaite. Début des émeutes
1971 -Indépendance du Bangladesh, avec l’aide de
l’Inde. Sheikh Mujibur 1er Min.
1975 -Sheikh Mujibur assassiné.
-Coup d’Etat militaire.
1977 -Général Ziaur Rahman élu Président.
1986 -Elections présidentielles et législatives
1990 -Contestations populaires pro-démocratie
1991 -Khaleda Zia 1er Ministre (mandat de 5 ans)
1996 -Hasina Wajed 1er Ministre
2001 -Retour au pouvoir de Khaleda Zia
2005 -Explosion de 400 bombes dans tout le pays
fin
-Fin du mandat de 5 ans de Khaleda Zia.
2006 -Le peuple dénonce la partialité de
l’administration intérimaire (prisme pro BNP)
jan. 07 -Elections reportées (fin 2008). Etat d’urgence
décrété. Gouvernement intérimaire (militaires).
avril
07
-Procédures anti-corruption contre des
dizaines de politiciens, dont Mmes Zia et Wajed.
Le Bangladesh et la corruption
(selon Transparency Int.)
classement
Asie
1er
2e
3e
4e
22e
23e
classement
monde
1er
5e
9e
15e
142e
151e
24e
156e
25
160e
N. Zélande
Singapour
Australie
Hong Kong
Pakistan
Cambodge
BANGLADESH
Myanmar
Catastrophes naturelles : un pays
terriblement exposé
année
1991
1974
1970
1965
1963
1961
1943
1942
1918
catastrophe
Cyclone
Inondations
Cyclone
Cyclone
Cyclone
Cyclone
Famine
Cyclone
Epidémie
victimes
140 000
29 000
300 000
35 000
11 500
11 000
1 900 000
61 000
393 000