Logique médicale versus logique éducative : par Marie Scotti

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Logique médicale versus logique éducative : par Marie Scotti
 Logique médicale versus logique éducative : par Marie Scotti,
infirmière
Parfois des tensions épuisantes, en voici un exemple
Pour 2011, J’ai eu envie de parler d’une personne accueillie pour laquelle l’accompagnement a été
difficile pour moi, pour mes collègues aussi, bien sûr. En fait, cette personne a provoqué un vécu
difficile pour tous les professionnels de l’institution.
Cette personne est restée plus d’un an dans l’institution et, de mon point de vue, n’a eu de cesse,
pendant cette année de mettre à mal tout ce qu’on a organisé pour elle.
Lors de son premier séjour, en 2009, côté médical, c’est une personne qui a été dans la plainte
somatique très fréquemment. De nombreux examens et consultations extérieurs ont été organisés
afin d’éclairer un diagnostic. La plupart de ses maux (problèmes de peau, douleurs abdominales,
douleurs de dos, démangeaisons, micro abcès…) n’ont pas montré de cause physiologique et se sont
plutôt avérés comme étant liés à une trop grande nervosité et à de nombreuses angoisses. Angoisses
massives qu’il avait beaucoup de mal à repérer, et à nommer.
Malgré son obstination à mettre en avant le somatique, il a entendu, semble t-il, qu’une bonne
partie de ces maux était bien réelle, mais fortement en lien avec son état émotionnel et psychique.
Pour son deuxième séjour en 2011, les mêmes plaintes somatiques sont revenues, occasionnant de
nombreuses visites chez notre médecin, (plus particulièrement des douleurs abdominales, diarrhées,
constipations). Sur sa demande pressante, nous l’avons accompagné chez un gastro-entérologue, une
coloscopie a donc été programmée. Malgré un accompagnement extrêmement rapproché et soutenant,
l’examen n’a pu être réalisé.
L’angoisse ?… le stress ?…les contraintes ?….la nécessité d’un minimum de discipline ? Visiblement
trop de facteurs qu’il était incapable de gérer.
Quelques semaines ont passés, les plaintes abdominales se sont arrêtées, et, nous dit- il : puisque
« mes douleurs sont nerveuses » et qu’il s’agit d’angoisse,
il souhaite changer son traitement
psychotrope, reprendre un traitement qu’il a déjà eu et
qui lui paraissait plus confortable. On
organise une rencontre avec le psychiatre, il étaye sa demande, et en juin elle est acceptée.
Un examen sanguin de contrôle de la concentration du médicament doit être fait 15 jours après.
Peu de temps après, la mise en place du traitement, toutes sortes de maux se font jour, celui ci
ne lui convient pas , les cachets sont trop gros, ils le « tassent » , il ne les prend pas, il change les
heures de prise etc. bref il fait n’importe quoi et surtout me le montre, montre qu’il associe ce
traitement avec de l’alcool, cherche ma complicité dans son dysfonctionnement, se réjouit de mon
opposition, cherche…cherche… je ne sais quoi qui n’est pas de mon ressort. Il ignore ses rendez-vous
avec le généraliste et le psychiatre, « on » le cherche, « on » lui court après, il est insaisissable au
niveau du pôle médical.
Dans un premier temps, on tente de tenir le cadre, on lui donne son traitement à la journée, petit à
petit il ne vient plus le chercher, les éducateurs passent chez lui pour le lui apporter, quelquefois il
n’ouvre pas son appartement, et il me paraît devenir un électron libre.
Puis à sa demande, on tente de le responsabiliser. On lui laisse son traitement en autogestion à la
semaine et il le gobe en une fois.
Bref il s’applique à faire n’importe quoi, ou peut-être pas n’importe quoi justement ! …
Durant tout son séjour, on va aménager en permanence son accompagnement, avec une extrême
souplesse diront les uns, voire un certain laxisme diront les autres.
Coté médical, il n’est plus en contact avec nous, on l’a perdu de vue.
En fait petit à petit, entre les avis pour et les avis contre, des tensions internes au sein de l’équipe
se font sentir, entre les éducateurs, entre les IDE et les éducateurs, entre le médical et l’éducatif,
entre nous-mêmes et nous-mêmes …
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Coté infirmerie, personnellement, j’ai épuisé mes ressources créatives, on attaque l’été dans le
désordre le plus complet, l’automne n’amène pas plus de cohérence, en octobre on n’a toujours pas fait
le contrôle du dosage du traitement, « pas la peine dit-il : je ne le prends pas régulièrement ». Il
semble faire tout son possible pour faire tout capoter.
Personnellement, j’oscille entre la colère et le rejet, je vais chercher des trésors de compassion
pour tenter de comprendre, donner du sens et mieux tolérer son comportement. Je me rends compte
qu’il nous cherche dans les affects, « vous m’aimez, vous devez faire quelque chose pour moi », ou
« vous êtes les meilleurs, vous pouvez là ou d’autres ont échoué ».
A ce jour je me questionne encore.
Comment une personne accueillie pour laquelle un traitement a été prescrit avec son accord et qui
ne le prend pas, l’affiche, évite de rencontrer les médecins, peut elle être considérée encore en soin
chez nous, et sinon que nous dit elle ?
Comment je me place en tant qu’IDE ?
Comment travailler avec « l’éducatif », comment faire entendre nos exigences médicales ?
N’avons-nous pas les mêmes limites ? Avons-nous les mêmes ambitions dans le soin ?
Ne pouvons nous admettre que nous ne pouvons pas tout, que dans certains cas nous ne savons plus
faire ?
Ou bien faut-il nous former pour décoder ce comportement paradoxal. Notre superviseur fait
l’hypothèse qu’en venant jouer son histoire familiale, il est venu rendre impuissant toute l’équipe à
tour de rôle, comme il a rendu ses parents impuissants. Il ajoute qu’il aurait été intéressant de
travailler nos dualités internes pour désamorcer son système, ne plus lui donner prise, et lui
permettre de ce décaler dans son fonctionnement ?
Comment faire ?
Je n’ai bien sûr aucune réponse, la seule constatation est qu’il nous aura fait réfléchir, et que j’ai
le sentiment d’en sortir un peu trop épuisée.
Trois jours avant son départ il vient me voir très calme et me dit : « c’est de votre faute, aussi, il
y a 6 mois vous auriez du m’arrêter je faisais n’importe quoi ».Au delà de l’aspect provocateur de son
propos, je me demande s’il n’y a pas un peu de vrai dans son invective.
NB : Il est parti après un Conseil de discipline lié à ses agissements, qui l’a autorisé à attendre en
appartement la fin des fêtes de fin d’année puisqu’il devait avoir une place en maison-relais début
janvier.
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