Le référendum et la révisabilité de l`article 220 de la Constitution

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Le référendum et la révisabilité de l`article 220 de la Constitution
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Le référendum et la révisabilité de l'article 220 de la Constitution
congolaise
Il existe actuellement en République Démocratique du Congo (ci-après: RDC) un débat sur la
révision constitutionnelle de l'article 220 ou le changement de constitution par voie du
référendum. La question qui se pose est de savoir si on peut réviser cet article par référendum,
sans violer la Constitution? Autrement dit, le référendum n'est-il pas soumis au respect de la
Constitution?
Les lignes qui suivent ont pour objectif d'apporter à ce débat une modeste contribution
juridique. D'entrée de cause, il sied de préciser sans ambages que la Constitution en vigueur
ne prévoit ni sa révision totale, ni son changement qui y mettrait fin pour donner naissance à
une nouvelle constitution. Y procéder serait inconstitutionnel et supposerait une mise en
œuvre des mécanismes a-juridiques sur lesquels ne peut porter notre propos ici. Celui-ci a
pour objet la révisabilité de l'article 220. Pour cela, il interroge la Constitution et s'articule
autour des axes ci-après: le référendum et la souveraineté nationale (I), les matières
référendaires (II), l'article 220 et les limites matérielles du référendum (III).
I. Le référendum et la souveraineté nationale
1. La notion de référendum
Le référendum est une institution juridique par laquelle le peuple participe à la prise de
décisions le concernant. Il est institué par la Constitution comme une expression de la
démocratie directe.
Le terme désigne l'instrument démocratique par lequel "le corps des citoyens est appelé à
exprimer, par une votation populaire, son avis ou sa volonté à l'égard d'une mesure qu'une
autorité a prise ou envisage de prendre"1. Étymologiquement, le mot référendum fait appel à
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Julien LAFERRIÈRE 1947, cité par Olivier DUMAHEL/Yves MÉNY, Dictionnaire constitutionnel, PUF, Paris
1992, verbo "référendum".
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la notion de ratification (ad referendum) et suggère un point de rencontre entre une institution
représentative, qui propose, et le peuple souverain, qui dispose2.
Imaginé comme un mode démocratique de prise de décision, le référendum devrait, par sa
structure, trouver sa source dans l'initiative populaire 3 . En RDC, l'initiative populaire ne
concerne que la révision de la constitution (art. 218: 100.000 personnes). Mais la constitution
peut prévoir que l'initiative soit prise par un des pouvoirs constitués, le parlement ou
l'exécutif. Ce fondement constitutionnel connecte le référendum à son essence populaire, si la
Constitution a été adoptée par référendum.
2. Le référendum et la souveraineté nationale au sens de l'article 5 de la
Constitution
L'article 5 de la Constitution a la teneur suivante: "La souveraineté nationale appartient au
peuple. Tout pouvoir émane du peuple qui l’exerce directement par voie de référendum ou
d’élections et indirectement par ses représentants. Aucune fraction du peuple ni aucun
individu ne peut s’en attribuer l’exercice."
D'après cette norme, le référendum est une voie par laquelle le peuple exerce directement le
pouvoir dont il est la source, en vertu de la souveraineté nationale qui lui est dévolue par la
Constitution. Cette souveraineté permet-elle de soumettre au peuple n'importe quelle matière
par voie de référendum. Autrement dit, la souveraineté est-elle opposable à l'irrévisabilité?
II. Les matières référendaires
Une certaine conception de la démocratie en RDC est à la base de l'opinion selon laquelle le
Peuple étant souverain, on peut lui poser toute sorte de question. Il n'est pas limité par le droit.
De cette opinion on peut inférer que le peuple est au-dessus du droit et que le référendum peut
être convoqué ad nutum des dirigeants politiques. L'irrévisabilité est inopposable au
souverain. Mieux, le référendum est au-dessus de la Constitution.
Cependant, si la Constitution définit la procédure et les matières référendaires, peut-on s'en
passer et organiser anarchiquement le référendum, en vertu du principe de la souveraineté? Ce
principe est-il juridique ou pré-juridique?
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3
DUMAHEL/MÉNY, verbo "référendum", p. 867-868.
Ibid.
3
La souveraineté est constitutionnellement attribuée au peuple dans un État qui se veut
démocratique. La démocratie s'exerce conformément au droit à travers deux institutions
constitutionnelles: le référendum et les élections. En conséquence, le référendum ne peut être
convoqué que dans le respect formel et matériel de la Constitution. La procédure référendaire
ne posant pas de problème, examinons l'objet du référendum.
La Constitution congolaise ne prévoit pas la latitude de choisir les questions à soumettre au
référendum, à l'instar de l'article de l'article 11 de la Constitution française4. Elle détermine
les matières susceptibles d'être soumises au référendum. Les unes sont obligatoirement
référendaires et les autres facultativement référendaires.
1. Les matières obligatoirement référendaires
Les matières obligatoirement référendaires sont: le transfert de la capitale dans un autre lieu
du pays (art. 2 al. 3), la cession, l'échange et l'adjonction de territoire (art. 214 al. 2)
1.1. Le transfert de la capitale dans un autre lieu
L'article 2 dispose en son alinéa 3 que " La capitale ne peut être transférée dans un autre lieu
du pays que par voie de référendum." En vertu de cette disposition, toute mesure portant sur
le transfert de la capitale de Kinshasa à un autre endroit dans le pays doit être soumise au
référendum. Autrement dit, c'est une décision qui ne peut être prise que par le détenteur de la
souveraineté nationale. Mais, il n'est pas exclu que le siège de certaines institutions nationales
soient transférés en dehors de la capitale.
1.2. La cession, l'échange ou l'adjonction de territoire
D'après l'article 214 alinéa 2, "nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est
valable sans l’accord du peuple congolais consulté par voie de référendum." En vertu de cette
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L'art. 11 al. 2 de la Constitution française dispose: " Le président de la République, sur proposition du
gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au
Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics,
sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services
publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution,
aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions."
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disposition et de l'alinéa premier5, une loi qui ratifie ou approuve un traité comportant cession,
échange et adjonction n'est valable que si le peuple donne son accord par voie de référendum.
La Constitution congolaise attribue au peuple, ici, la compétence législative, à l'instar de
l'article 11 de la Constitution française, et fonde le référendum législatif.
En dehors des matières obligatoirement référendaires, les autres matières constitutionnelles
révisables sont facultativement référendaires.
2. La révision constitutionnelle et le référendum facultatif
L'article 218 dispose en son alinéa 3 : "La révision n’est définitive que si le projet, la
proposition ou la pétition est approuvée par référendum sur convocation du Président de la
République" et en son alinéa 4: "Toutefois, le projet, la proposition ou la pétition n'est pas
soumis au référendum lorsque l'Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès
l'approuvent à la majorité des trois cinquièmes des membres les composant."
D'après ces deux alinéas de l'article 218, la révision constitutionnelle devient définitive à la
suite de l'approbation par référendum convoqué par le Président de la République ou à la suite
de l'approbation par le Congrès à la majorité des trois cinquièmes de ses membres. Il en
résulte la question suivante: Le Président de la République a-t-il le choix entre la voie
référendaire et la voie législative, ou doit-il passer obligatoirement devant le Congrès avant la
convocation du référendum? Cette question découle de la formulation peu claire de l'alinéa 4,
laquelle est à la base deux thèses différentes selon la lecture qu'on en fait.
1°) La première thèse: d'abord l'approbation par le Congrès et, en cas d'échec, la
convocation du référendum
Toute initiative de révision constitutionnelle doit passer par le Congrès. D'après cette thèse,
l'initiative de révision constitutionnelle dont le Parlement a décidé du bien-fondé à la majorité
absolue de chaque Chambre doit être soumise au Congrès. Si ce dernier l'approuve à la
majorité qualifiée des trois cinquièmes, alors la révision devient définitive. Au cas où cette
majorité n'aurait pas été réunie, le référendum doit être convoqué6. Mais quid des matières qui
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L'art. 214 al. 1er dispose: "Les traités de paix, les traités de commerce, les traités et accords relatifs aux
organisations internationales et au règlement des conflits internationaux, ceux qui engagent les finances
publiques, ceux qui modifient les dispositions législatives, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui
comportent échange et adjonction de territoire ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi."
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C'est la thèse de Evariste BOSHAB, Entre la révision de la constitution et l'inanition de la nation, Larcier,
Bruxelles 2013, p. 409.
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ne peuvent être révisées que par référendum (art. 2 al. 2 et 214)? Pour ces matières, d'après
cette thèse, l'approbation par le Congrès ne pourrait pas rendre la révision définitive. Cela
signifie que dès lors que le Parlement a décidé de son bien-fondé, l'initiative doit être soumise
au référendum. C'est ici que se révèle la faiblesse de la première thèse qui s'estompe devant la
particule "toutefois" introduisant l'article 218 alinéa 4. Cette faiblesse ouvre à une autre thèse.
2°) La seconde thèse: l'approbation par le peuple est le principe et l'approbation par le
Congrès l'exception
Selon cette thèse, l'initiative de révision constitutionnelle ne doit pas mais peut passer par le
Congrès. Une fois que le Parlement a décidé du bien-fondé d'une initiative, c'est au Président
de la République de choisir entre la procédure référendaire et la procédure législative pour
l'approbation de la révision qui deviendrait ainsi définitive. Si le Président de la République
ne fait pas usage de cette faculté, ou s'il s'agit des matières obligatoirement référendaires, il
doit se référer au peuple, sans passer par le Congrès.
Cette thèse est d'autant plus pertinente que l'initiative de révision aura été obligatoirement
examinée par le Parlement qui doit décider de son bien-fondé pour pouvoir être soumise à
l'approbation du peuple. De plus, elle est conforme à l'article 89 alinéa 3 de la Constitution
française maladroitement transposé dans la Constitution congolaise7.
Selon l'interprétation systématique de cette disposition, en dehors des normes portant sur des
matières révisables exclusivement par référendum, le choix existe, pour d'autres matières
révisables, entre la voie tendant à l'approbation par référendum ou celle tendant à
l'approbation par le Congrès, même si la Constitution ne prévoit pas d'autorité compétente
pour convoquer le Congrès à cet effet, à l'instar de l'article 89 alinéa 3 de la Constitution
française qui attribue cette compétence au président de la République.
La révision peut être entendue au sens de résultat et de procédure. De ces deux sens on peut
déduire que le Président de la République doit convoquer le référendum. Et s'il ne convoque
pas le référendum, après la non approbation de l'initiative de révision par le Congrès dont la
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L'art. 89 al. 3 a la teneur suivante: "Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le
président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès; dans ce cas, le projet de
révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du
Congrès est celui de l'Assemblée". À noter que la proposition de révision ne peut être soumise au Congrès. Le
constituant congolais a opéré un clonage imparfait de cette disposition, en omettant toutes les précisions utiles de
la disposition clonée. Ce qui génère des interprétations libres allant dans tous les sens.
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majorité lui est acquise, quid? L'initiateur de la révision pourrait alors saisir la Cour
constitutionnelle.
On le perçoit bien: dans la procédure de révision constitutionnelle, la voie législative est donc
une alternative à la voie du référendum et non un passage obligé pour y arriver.
III. L'art. 220 et les limites du référendum
Parmi les dispositions constitutionnelles pertinentes de la RDC, en regard de son histoire,
figure l'article 220. D'après cette norme, certaines matières constitutionnelles ne peuvent faire
l'objet d'aucune révision. De ce fait, elles ne sont pas susceptibles d'être soumises au
référendum, contrairement à d'autres normes constitutionnelles.
En effet, l'article 220 pose une limite matérielle au référendum. En définissant les matières
irrévisables, il exclut celles-ci de toute procédure de révision, qu'elle soit par référendum ou
devant le Congrès. Par conséquent, tout référendum sur la révision des matières intangibles
est inconstitutionnel, même s'il est organisé conformément à la procédure constitutionnelle et
législative. Le droit doit être respecté dans sa forme et dans son fond.
Dans le cadre d'une révision constitutionnelle, soumettre à l'approbation du Congrès ou du
peuple une matière irrévisable, en respectant la procédure, serait une fraude à la Constitution;
sauf à fonder une quatrième République qui succèderait à la troisième. Ce serait alors une
interruption
de
la
Constitution
qui,
sans
fondement
constitutionnel,
est
une
inconstitutionnalité.
Il est vrai qu'en vertu du principe de parallélisme de formes, seul peut déverrouiller celui qui a
verrouillé. En l'espèce, c'est le pouvoir constituant originaire (qui n'est pas à confondre avec le
peuple) à l'origine d'une nouvelle constitution fondant un nouveau régime. En conséquence, il
ne s'agira pas de réviser la Constitution en vigueur qui ne prévoit pas sa révision totale, mais
de produire une nouvelle constitution.
Néanmoins, cet article ne prévoit pas expressément son autoprotection ou auto-verrouillage.
Mais son objet étant verrouillé, il est de ce fait relativement verrouillé. Il ne peut être révisé
qu'en vue de s'intangibiliser ou d'intangibiliser d'autres matières, et non en vue d'envisager la
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possibilité de toucher aux matières intangibles8. Les matières que l'article 220 intangibilise
échappe donc absolument au référendum, mais lui-même y échappe relativement9. Mais peuton alors soumettre l'abrogation de l'article 220 au référendum ?
Un référendum sur l'abrogation de l'article 220 dans le but de réviser les matières intangibles
serait aussi anticonstitutionnelle, car c'est une violation de cet article fondamental. Il s'agit
d'une atteinte grave à la volonté du constituant originaire qui a institué l'intangibilité de
certaines matières qui doivent être tenues pour fondamentales pour la 3e République.
Pareille abrogation anti-juridique ne peut passer que par l'adoption d'une nouvelle constitution
par un pouvoir constituant originaire qui n'est lié par aucune règle constitutionnelle, étant
donné que la constitution précédente a perdu, de facto, sa vigueur, et la nouvelle n'est pas
encore adoptée. Le pouvoir constituant originaire s'exerce dans une période de "non
constitution".
Conclusion
La souveraineté nationale ne doit s'exercer que conformément au droit et sur la base du droit.
Partant, la décision de convoquer un référendum pour réviser les matières intangibles est
inconstitutionnelle, comme le sont tout projet, toute proposition et toute pétition initiant une
révision ayant ces matières pour objet. Et un acte déclaré contraire à la constitution est nul de
plein droit, selon le deuxième alinéa de l'article 168. D'où la nécessité de l'intervention du
juge constitutionnel dans la procédure de révision, notamment pour examiner la validité d'un
projet, d'une proposition ou d'une pétition tendant à la révision d'une disposition de la
Constitution, celle de la décision de leur bien-fondé ainsi que celle de convoquer le
référendum.
Prof. Constantin YATALA NSOMWE NTAMBWE
Docteur en droit
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Cf. Constantin YATALA NSOMWE NTAMBWE, La révision constitutionnelle et l'intangibilité de l'article 220 de la
Constitution congolaise, http://www.droitcongolais.info/files/REVISION-220-CSTRDC-II.pdf
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Cf. YATALA, ibidem.