Paul et l`autorité politique

Transcription

Paul et l`autorité politique
Paul et le politique
---
18 - Paul et le politique
Ac 21.27-36.
Rm 13.1-7.
Ga 5.13-18.
Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n'y a pas
d'autorité qui ne vienne de Dieu, dit l’apôtre Paul dans un des passages le plus
souvent commenté, et peut-être le plus controversé, de ses épîtres. Comment faut-il
l’entendre ? Toute autorité, vraiment toute ? Hitler, Staline, Pol Pot, Amin Dada et
Videla venaient-ils vraiment de Dieu ? La réponse est dans la question.
On sait, en outre, l’utilisation que les dirigeants ont faite de ce passage. Au
début du dix-neuvième siècle, le catéchisme catholique enseigné aux enfants posait
la question : « Quels sont les devoirs des chrétiens à l’égard des princes qui les
gouvernent, et quels sont en particulier nos devoirs envers Napoléon 1 er , notre
empereur ? » La réponse était : « Les chrétiens doivent aux princes qui les
gouvernent… et en particulier à Napoléon 1 er, notre empereur, l’amour, le respect,
l’obéissance, la fidélité, le service militaire, les tributs ordonnés pour la conservation
et la défense de l’Empire et de son trône ; nous lui devons encore des prières
ferventes pour le salut et pour la prospérité spirituelle et temporelle de l’État…
Honorer et servir notre Empereur est donc honorer et servir Dieu lui-même. »
Ces remarques nous conduisent à l’interprétation pour bien entendre ce que le
passage de l’épître aux Romains dit vraiment au sujet des autorités.
Légitimité de l’état
Si on ne peut entendre que toutes les autorités, quelles qu’elles soient,
viennent de Dieu, on se doit de comprendre que l’existence de l’autorité, la nécessité
d’une autorité, relève de la volonté de Dieu pour le monde.
Dans la tradition rabbinique, les lois dites de Noé sont les lois universelles qui
s’imposent à tous les humains en dehors de toute révélation particulière. Ces lois
sont accessibles à chacun par sa conscience, ce sont les lois universelles. Selon la
tradition, la première de ces lois demande l’instauration d’un système judiciaire.
Cela veut dire que la première condition pour que les humains vivent ensemble est
qu’ils aient une justice et une police pour que les différends entre les humains soient
réglés selon la loi et non selon la violence. L’histoire nous montre que lorsqu’un
pays n’a pas d’autorité, immanquablement il ouvre la porte à l’autorité des gangs et
des maffias. Un pays qui ne peut faire respecter son système judiciaire se condamne
à vivre selon la loi du plus fort. C’est ce qui a conduit rabbi Hanina, un sage à peu
près contemporain de Paul, à écrire : Priez pour ceux qui sont à la tête de l'Etat, sans
la crainte qu’ils inspirent, les hommes s'avaleraient vivants les uns les autres 1.
Un verset de l’évangile nous aidera à considérer l’importance de l’état.
Lorsqu’un homme a demandé à Jésus d’intervenir auprès de son frère pour qu’il
partage l’héritage, ce dernier a répondu qu’il n’a pas été envoyé pour cela, sous1
Pirké avoth 3.2, in Les maximes des Pères, édition Colbo, Paris 1995, p.29.
p.1
Paul et le politique
--entendu, il y a des juges dont c’est la fonction2. Jésus n’a pas voulu se substituer à
l’autorité du juge et lorsqu’on lui a posé une question de droit civil, il a renvoyé son
interlocuteur à l’autorité compétente. De la même façon, lorsqu’on a demandé à
Jésus de payer la taxe locale, il s’est acquitté de son dû, même si pour le faire il a
manifesté que tout restait entre les mains de Dieu 3.
Lorsque nous relisons les Actes des Apôtres en nous attachant aux relations de
Paul avec l’autorité romaine, nous voyons que cette dernière n’a pas toujours été
tendre avec lui. À Antioche de Pisidie, il a subi la persécution des autorités
manipulées par les religieux 4. Cette expérience est compensée par le fait qu’à
Philippe et à Ephèse, les autorités ont agi selon le droit contre les accusations des
religieux 5. Enfin, à Jérusalem, à deux reprises les autorités romaines ont empêché
qu’il soit lynché par la foule qui avait été manipulée par les religieux 6. Dans ces cas,
l’autorité civile a protégé Paul des dérives du religieux.
La dérive du religieux, c’est l’absolutisme. Nous savons que, dans l’histoire,
les religions ont donné le meilleur… et le pire. Le meilleur quand elles ont nourri la
spiritualité, la dignité, la générosité et l’accueil de l’autre, elles ont alors aidé des
hommes et des femmes à vivre. Le pire lorsqu’elles se sont dévoyées dans le
fanatisme et l’intégrisme. Le propre du religieux est de nous mettre en lien avec
l’ultime. L’ultime peut élargir notre regard et donner du souffle à notre vie, il peut
aussi nous faire perdre le sens des limites. Le politique qui cantonne le religieux
dans son espace le protège contre lui-même.
Lorsque Paul affirme que l’autorité civile, non religieuse, vient de Dieu, il
pose les fondements de la laïcité, cette idée selon laquelle l’état n’est pas une
catégorie religieuse. Le rôle de l’état est de permettre aux humains de toutes les
croyances de vivre ensemble – et d’assurer la liberté religieuse – il n’est pas de nous
parler de Dieu. C'est la raison pour laquelle, par exemple, la question d’un parti
politique chrétien n’est théologiquement pas pertinente. Il peut y avoir des partis
politiques humanistes qui reposent sur des valeurs qui sont aussi les valeurs de
l’Évangile mais il y a confusion à associer l’Église et le politique, ce qui ne veut pas
dire que l’Église n’ait rien à dire au politique.
Définition de l’état
Le chapitre 13 de l’épître aux Romains dit à propos de l’autorité que son rôle
est d’arrêter le mal et de favoriser le bien. Il ajoute qu’elle est au service de Dieu
pour ton bien 7. Le mot service en grec a donné diacre et ministre, il peut avoir une
dimension religieuse. Le fonctionnaire, le policier, le magistrat qui œuvre pour
favoriser le bien et arrêter le mal est un serviteur de Dieu. Ce verset est important car
il nous rappelle que le respect que nous devons à l’autorité civile n’est pas une
concession faite parce que nous n’avons pas le choix mais qu’il entre dans le plan de
Dieu pour la conduite du monde. De plus, ce verset interdit une vision sectaire de
2
Lc 12.13-14.
3
Mt 17.24-27.
4
Ac 13.50.
5
Ac 16.35-39, 19.38-39.
6
Ac 21.31-32, 23.10.
7
Rm 13.4.
p.2
Paul et le politique
--l’Église qui consisterait à considérer que l’état relève des affaires de notre monde
dont nous ne devrions pas nous occuper pour ne nous consacrer qu’aux affaires de
Dieu. En affirmant que l’autorité est au service de Dieu, Paul accorde toute sa dignité
à l’instance politique.
Le chrétien doit être reconnaissant à l’autorité d’assumer sa fonction pour que
nous vivions dans un monde stabilisé. Comme l’a écrit le théologien Jean Ansaldi :
« Pour que la prédication de l’Évangile soit audible, il faut que le monde tienne
debout dans une certaine cohérence, une certaine justice, une certaine solidité ; s’il
basculait dans le déluge, l’annonce du salut devient inopérante. »
C’est parce que nous sommes reconnaissants de vivre dans un état qui permet
d’organiser les relations entre les citoyens que nous devons payer des impôts, et
même le faire… avec reconnaissance. Il n’est jamais agréable de payer ses impôts car
on n’a jamais assez d’argent mais je ne dois jamais oublier que l’impôt est le rempart
nécessaire, même s’il n’est pas suffisant, contre la corruption et la prévarication.
À la méditation de ce passage, j’ai trouvé le moyen de rendre le paiement des
impôts moins pénible. Lorsque je mets mon chèque dans l’enveloppe, j’y joins… une
prière de reconnaissance pour le privilège que j’ai de vivre dans un état de droit.
Essayez, cela change notre rapport à l’impôt.
Dérives de l’État
En réfléchissant à la fonction du pouvoir, Montesquieu a écrit que « C'est une
expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. » Le
pouvoir est comme une drogue, quand on commence à y goûter, on entre dans un
engrenage qui nous conduit à toujours vouloir augmenter les doses.
Dans la Bible, cette dérive de l’état est exprimée à travers la symbolique
diabolique. Parmi les trois tentations que Jésus a affrontées au désert, se trouve celle
du pouvoir politique. Le diable emmène Jésus sur une haute montagne et lui dit : « Je
te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, tout cela m’a été remis et je
le donne à qui je veux. Si tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi. 8 » Dire
que le pouvoir est diabolique, c’est dire qu’il est une « puissance spirituelle » qui
nous influence plus que nous ne voulons nous l’avouer. Notre relation au pouvoir
n’est pas transparente, nous sommes travaillés de l’intérieur par un rapport
contradictoire avec le pouvoir et le désir de domination. Le pouvoir a une logique qui
conduit à perdre ce pour quoi il est fait (le service du bien) pour ne chercher qu’à
augmenter ses prérogatives. Nous pouvons relire l’actualité politique de nos régions
et de notre pays pour voir plusieurs exemples d’hommes qui s’accrochent au pouvoir
alors que le bien commun voudrait qu’ils passent la main.
Dans la Bible, la « puissance spirituelle » majeure porte deux noms : le diable,
diabolos, qui est étymologiquement celui qui divise, qui désunit ; et le Satan qui
signifie l’accusateur. La division et l’accusation sont aux antipodes de l’Évangile qui
repose sur l’accueil inconditionnel et la bienveillance. Il est facile de relire notre
actualité politique sous le registre de la division et de l’accusation.
Pour apporter une limite à la tendance du pouvoir à s’absolutiser, le Premier
Testament propose une première séparation du pouvoir lorsqu’il instaure, à côté de
l’autorité du roi, celles du prêtre et du prophète. La séparation entre les autorités
politique et religieuse date de l’exode lorsque Aaron, le frère de Moïse, a reçu la
8
Lc 4.6-7.
p.3
Paul et le politique
--seconde. Dans le livre des Chroniques, le roi Ozias, qui est pourtant reconnu comme
un bon roi – ce qui est rare – a été atteint par la lèpre parce qu’il a commis une
grosse faute : il est entré dans le temple et a voulu faire brûler des parfums pour
Dieu 9. Ozias a été puni pour ne pas avoir respecté la séparation du politique et du
religieux.
L’apparition du prophète comme contre-pouvoir est moins claire, et pourtant,
nous voyons dans la Bible que certains hommes, comme Nathan sous le roi David,
jouent le rôle de prophète officiel. Le prophète a alors la charge de la vigilance
éthique, au nom de Dieu, face au roi. Comme un contre-pouvoir n’est jamais
agréable, les rois ont souvent suscité des prophètes de cour – les faux prophètes – qui
caressent le roi dans le sens du poil. Dans le livre d’Ésaïe, le peuple dit au prophète :
Ne nous prophétisez pas des choses justes, dites-nous des choses agréables 10. Le vrai
prophète ne caresse pas le peuple dans le sens de son attente, il parle de justice même
quand ce n’est pas agréable à entendre et de malheur même quand on préfère se
boucher les yeux.
Au temps de Paul, la petite Église à qui il adresse ses épîtres n’avait aucune
influence au niveau de l’organisation de l’État, c’est pourquoi il n’aborde pas la
question des contre-pouvoirs institutionnels. En revanche, nous pouvons considérer
que ses propos sur la liberté donnée en Christ posent le chrétien comme un sujet
rebelle à toute absolutisation de l’État. Il est à la fois libre et respectueux des
autorités politiques. Un slogan définit le protestant comme un anarchiste qui traverse
dans les clous, cette définition s’applique aussi à Paul dans son rapport à l’état. Il
nous appartient d’être obéissant et en même temps vigilant contre toutes les
déviations autoritaires du pouvoir. Au nom de l’obéissance, nous devons demeurer
dans la soumission à l’État et au nom de la liberté chrétienne, nous pouvons entrer en
résistance lorsque ce dernier a tendance à abuser de ses pouvoirs.
Entre l’obéissance et la liberté, la soumission et la résistance, parfois la ligne
de crête est étroite, c’est la vocation du chrétien qui est le plus libre et le plus soumis
de tous les hommes comme le disait Luther dans l’introduction de son traité de la
liberté chrétienne.
9
2 Ch 26.16-19.
10
Es 30.10.
p.4
Paul et le politique
---
La crainte et la conscience
Il est nécessaire d’être soumis, non seulement par crainte de la punition, mais
encore par motif de conscience. Il y a quelques mois, j’ai eu la désagréable surprise
de recevoir chez moi une contravention pour excès de vitesse de 90 euros parce que
je roulais à 57 km/heure au lieu de 50 en agglomération. Inutile de vous dire qu’en
tant que bon Gaulois, j’ai commencé par protester en disant que le dépassement était
minime et l’amende élevée au regard de mon salaire de pasteur. Et puis j’ai réfléchi
et je me suis souvenu que depuis que le gouvernement avait mis en place une mesure
répressive pour les excès de vitesse le nombre des victimes de la violence routière a
diminué. Sur plusieurs années, les vies épargnées se comptent en dizaines de
milliers. Parmi ces vies épargnées se trouve peut-être celle d’un membre de mon
Église, ou de ma famille… et j’ai rendu grâce : non seulement par crainte de la
punition, mais encore par motif de conscience.
Normalement, ma conscience devrait suffire pour me permettre d’être un bon
citoyen qui obéit aux lois et respecte les limites de vitesse, je suis obligé de
reconnaître, à ma plus grande honte, que la crainte de la contravention y est aussi
pour quelque chose.
p.5

Documents pareils