Eviter la requalification en bail commercial

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Eviter la requalification en bail commercial
JURIDIQUE
ANALYSE
Convention d’occupation précaire
Eviter la requalification
en bail commercial
Les collectivités acquièrent couramment des immeubles loués à des occupants commerciaux
ou professionnels dans le cadre d’opérations d’aménagement. La relocation de ces locaux comporte
des risques de requalification des conventions d’occupation précaires conclues à cette occasion.
LES AUTEURS
CLÉMENT
MORTINI,
avocat à la cour,
DS avocats
MICHAËL
MOUSSAULT,
avocat à la cour,
DS avocats
S
i, à terme, les occupants de propriétés acquises
par les collectivités doivent généralement quitter
les lieux en raison de travaux à réaliser, la personne publique, qui a pris l’initiative de la réalisation de l’opération d’aménagement, peut avoir
un réel intérêt à ce qu’un occupant reste sur place jusqu’à
la réalisation effective des travaux. Ce maintien dans les
lieux peut notamment permettre de limiter la réduction des
facteurs locaux de « commercialité » pour les autres commerçants, de continuer à recouvrer des loyers et, surtout,
d’empêcher l’occupation irrégulière des locaux.
Malgré tout, en raison d’impératifs opérationnels, l’aménageur doit conserver une grande flexibilité et disposer d’un
local libre à la date de commencement des travaux.
Le statut des baux commerciaux, régime d’ordre public,
ne permet pas une telle flexibilité en raison de la durée du
bail (9 ans minimum) et du fait qu’il conditionne, en principe, le départ de l’occupant au versement d’une indemnité d’éviction. L’aléa est donc fort et une telle situation
n’est généralement pas compatible avec le planning d’une
opération d’aménagement. Dans ce contexte, les collectivités et leurs opérateurs peuvent légitimement être réticents
à louer les biens acquis avant le commencement des travaux d’aménagement.
Pourtant, il est possible de convenir avec le locataire d’une
occupation à titre précaire, et donc révocable à tout moment.
La conclusion d’une telle convention précaire nécessite toutefois diverses précautions afin de limiter les risques de requalification en bail commercial. Deux situations principales peuvent être distinguées : d’une part l’occupation d’un
terrain relevant du domaine public, et, d’autre part, la location de parcelles privées.
Terrain relevant du domaine public
Il convient de s’interroger sur les risques concernant des
terrains inclus dans le domaine public à la date de la conclusion de la convention d’occupation. Selon l’article L.145-2
3° du Code de commerce, le statut des baux commerciaux
s’applique, « à condition que ces baux ne comportent aucune
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emprise sur le domaine public ». Cette règle de l’inapplicabilité du statut des baux commerciaux aux biens situés sur
le domaine public est confirmée par une jurisprudence ancienne et constante, tant des juridictions administratives
que judiciaires (1). Ce principe est d’interprétation stricte
puisque le bail conclu entre deux personnes privées sur le
domaine public ne peut être qualifié de bail commercial (2).
En outre, la jurisprudence considère que « le déclassement
d’une partie du domaine public ne peut modifier le caractère précaire du droit d’occupation de cette parcelle consenti
à un particulier » (3). Ces décisions ont été confirmées à
plusieurs reprises par la Cour de
À NOTER
Cassation (4) et récemment par
Dès lors que la
plusieurs juridictions du fond (5).
convention porte
On retiendra ainsi que « l’intensur des terrains privés,
il apparaît préférable
tion de nover ne se présume pas
de conclure un contrat
du seul effet du changement de
précaire et révocable,
propriétaire » (6) et que le déclascommunément appelé
convention d’occupation sement et la vente d’un terrain
précaire (COP).
ne modifient pas le caractère précaire de l’autorisation. Dans ces conditions, le degré d’inquiétude quant à une potentielle requalification du contrat
d’occupation précaire en bail commercial est, en l’état de
la jurisprudence, très faible, y compris lorsque les terrains
ont été déclassés puis vendus à un tiers.
Terrain appartenant au domaine privé
En revanche, cette protection jurisprudentielle ne s’applique
pas dans l’hypothèse d’un nouveau contrat portant sur un
terrain du domaine privé. Dans ce cas, le propriétaire peut
envisager de conclure un bail de courte durée, au plus égal
à deux ans (C. commerce, art. L.145-5).
La conclusion d’un tel bail n’est toutefois pas sans risque
puisque si, à l’expiration de la durée prévue, « le preneur
reste et est laissé en possession », il s’opère un nouveau
bail soumis au statut des baux commerciaux. Il en est de
même, à l’expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes
parties, d’un nouveau bail pour le même local. En défini-
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ANALYSE
tive, dès lors que la convention porte sur des terrains privés, il apparaît préférable de conclure un contrat précaire
et révocable, communément appelé convention d’occupation précaire (COP). Née de la pratique, elle est définie par
la doctrine comme « un contrat par lequel les parties manifestent leur volonté de ne reconnaître à l’occupant qu’un
droit de jouissance précaire moyennant une contrepartie
financière modique » (7).
Justifier la condition de précarité
Pour que la jouissance de locaux échappe aux règles d’ordre
public du statut protecteur des baux commerciaux et constitue incontestablement une convention d’occupation précaire opposable aux parties, plusieurs conditions doivent
être remplies. Il n’y a ainsi précarité que si l’occupation des
lieux n’est autorisée qu’à raison de circonstances exceptionnelles et pour une durée dont le terme est marqué par
une cause autre que la volonté des parties (8). L’intention
de celles-ci doit ainsi être « corroborée » par différents éléments tangibles (9). En effet, la circonstance qu’un contrat
soit intitulé « convention précaire » ne constitue pas un élé-
ment suffisant puisque le juge n’est pas tenu par la dénomination donnée par les parties et peut requalifier un contrat
dénommé « précaire » en bail commercial (10).
Afin d’éviter une requalification de la convention d’occupation précaire, il est préférable de pouvoir justifier de certaines conditions.
Justification de circonstances particulières
Principal critère, la convention d’occupation précaire implique l’existence d’un « élément de précarité ». L’occupation des lieux doit être autorisée à raison de situations exceptionnelles, la précarité devant être caractérisée par des
circonstances particulières (11).
A titre d’illustration, constituent un motif de précarité : l’attente d’un permis de démolition, un litige en cours mettant
en jeu les droits du propriétaire de l’immeuble, la jouissance
intermittente des lieux loués, une expropriation prochaine,
une opération d’aménagement en cours, etc.
RÉFÉRENCES
Code de commerce
(C. commerce),
art. L.145-1,
L.145-2 3°, L.145-5.
●●Code de l’urbanisme (C. urb.),
art. L.221-2.
●●
Fragilité du droit de l’occupant
L’occupant ne doit pas pouvoir espérer pérenniser les relations contractuelles. Il doit au contraire savoir qu’elles peuvent disparaître du jour au lendemain. Une réelle incertitude sur le terme de la convention doit donc exister (12). (•••)
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RÉFÉRENCE
Conseils pratiques pour minimiser les risques de requalification
« Contrats civils
et commerciaux »,
F. Collart-Dutilleul
et P. Delebecque,
Précis Dalloz,
6e éd., n° 361.
Pour minimiser les risques, il est préférable de conclure
une convention d’occupation précaire et de
mentionner dans le contrat un maximum d’éléments
de précarité.
Une convention « type » pourrait ainsi être rédigée
comme suit :
• Indiquer, en page de garde et clairement qu’il s’agit
d’une convention précaire.
• Mentionner formellement que les dispositions du
Code de commerce relatives aux baux commerciaux
sont inapplicables.
• Préciser que la précarité est justifiée par l’opération
d’aménagement en cours de réalisation et que la re-
Limitation du droit de l’occupant
La précarité peut également être justifiée par la limitation
du droit de jouissance de l’occupant, en particulier l’absence
de local au sens de l’article L.145-1 du Code de commerce.
Ces limitations peuvent également prendre la forme d’une
occupation intermittente des lieux (13).
Une redevance modique
●●
Selon une jurisprudence constante, le montant de la redevance que paye l’occupant doit nécessairement être modique (14). Le faible montant de la rémunération du propriétaire, notamment par rapport au marché, constitue la
contrepartie pour l’occupant de la fragilité de son droit de
jouissance et établit pour le juge judiciaire un indice fort de
précarité (15). La circonstance que la redevance ne soit pas
révisable est également un indice de précarité (16).
Autres critères pris en compte par la jurisprudence
●●
Le juge judiciaire a également reconnu que l’absence d’entretien à la charge du preneur ou le maintien des abonnements divers au nom du bailleur pouvaient « corroborer »
l’existence d’un contrat précaire (17). Peuvent encore être
pris en compte l’absence de dépôt de garantie, de clause résolutoire, de révision triennale, de délai de préavis de six
mois, l’aspect rudimentaire du local et de son équipement
réduit au maximum (18).
Dispositions législatives ou réglementaires.
●●
L’article L.221-2 du Code de l’urbanisme prévoit que la personne publique qui s’est rendue acquéreur d’une réserve
foncière en vue d’une opération d’aménagement ne peut
louer ces immeubles qu’en signant des « concessions temporaires qui ne confèrent au preneur aucun droit de renouvellement et aucun droit à se maintenir dans les lieux
lorsque l’immeuble est repris en vue de son utilisation définitive ». En conséquence, la conclusion d’un contrat de
bail autre que précaire sur des immeubles acquis en vue de
leur démolition est nulle (18). Dès lors, la simple incorporation d’un bien dans une réserve foncière serait en principe
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prise des locaux sera conditionnée par les besoins de
celle-ci, notamment en fonction de la date des travaux
ou de la déclaration d’utilité publique.
• Faire état de la « fragilité » du droit d’occupation qui
­découle du planning prévisionnel de ladite opération.
• Indiquer que l’occupant ne dispose d’aucun droit au
maintien dans les lieux ni à aucune indemnité d’éviction.
• Prévoir les délais dans lesquels l’occupant, avisé par le
bailleur, par lettre recommandée avec accusé de réception, devra libérer les locaux et indiquer que les règles
d’éviction prévues par le Code de commerce sont inapplicables.
• Prévoir une redevance modique.
de nature à justifier, à elle seule, la précarité de la convention d’occupation. Néanmoins, en cas de sortie du bien du
périmètre de l’opération, la cause de précarité n’existe plus
et la convention peut logiquement être requalifiée en bail
commercial (19).
(1) CAA Marseille 23 nov. 1999, Cne Bandol, Juris-Data n° 1999-117383 ;
CE31 juill. 2009, Sté Jonathan Loisirs, req. n° 316534 ; CE 19 janv. 2011, Cne
Limoges, req. n° 323924 ; 3e civ. 24 janv. 1996, Juris-Data n° 1996-000100 ;
CA Paris 26 juill. 2006 ; 3e civ. 10 mars 2010, Cne Palavas-les-Flots,
n° 09-12714.
(2) 3e civ. 20 déc. 2000, n° 99-10896.
(3) CA Paris 6 juin 1990, SARL Multipose, n° 90-002923 ; CA Paris 13 sept.
1996, SARL Atecver, n° 94-028383.
(4) 3e civ. 5 mars 1997, Epx Durand c / Semaest, n° 95-12.384, Bull. Civ. III,
n° 47, p. 30 ; 3e civ. 13 mai 1997, Les ateliers de la voûte, n° 95-14994.
(5) CA Paris 11 mai 2011, Ville de Paris c/ Homebox, n° 0912287 ; CA
Versailles 5 avr. 2011, SA West restauration c/ SCI Gare Versailles,
n° 10-00550.
(6) CA Paris 11 mai 2011, préc.
(7) « Contrats civils et commerciaux », F. Collart-Dutilleul et P. Delebecque,
Précis Dalloz, 6e éd., n° 361.
(8) 3e civ. 19 nov. 2003, Théâtre Le Rex, n° 02-15.887.
(9) CA Paris 14 avr. 1992, M. Calanca, n° 91/1568.
(10) 3e civ. 9 nov. 2004, SCI Alcazar c / Université de Lille III, n° 03-15.084.
(11) 3e civ. 9 nov. 2004 préc.
(12) CA Grenoble 30 janv. 2008, Conforama, n° 06/1785.
(13) 3e civ. 29 juin 1994, Sté Trans Sud Services, n° 92-17314.
(14) 3e civ. 25 avr 1990, M. Dupire, n° 88.16643 ; CA Aix-en-Provence,
24 juin 2007, SCI Arpero, n° 07/03569.
(15) 3e civ. 29 juin 1994, Sté Trans Sud Services, n° 92-17314 ; CA Grenoble
30 janv. 2008, Conforama, n° 06/1785.
(16) CA Aix-en-Provence 3 mai 2007, SARL Cedric, n° 04/17743.
(17) CA Caen 14 avr. 2005, Clemencet c/ Legentil, n° 04/00441 ; CA Limoges
3 déc. 1987, Labrune / SARL GAM DIFF, Juris-data n° 1987-045333.
(18) CA Paris 14 avr. 1992, M. Calanca, préc. CA Lyon 6 déc. 2000, SARL
ADM, n° 1999/07480.
(19) CA Paris 4 juill. 2007, Ville de Paris, n° 06/09704.
À RETENIR
˲˲Eléments conventionnels de précarité.
Une convention précaire, conclue dans le
cadre d’une opération d’aménagement,
aura en définitive peu de chances d’être
requalifiée en bail commercial si la
convention d’occupation précaire comprend
un minimum d’éléments de précarité.

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