Soieries médiévales du Museu Episcopal de Vic
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Soieries médiévales du Museu Episcopal de Vic
Soieries médiévales du Museu Episcopal de Vic NOTES [1] M.-T. Camus, «Les stucs de Vouneuil-sous-Biard», [3] B. Palazzo-Bertholon, Ch. Sapin i C. Tréffort, «Les Cahiers de Civilisation Médiévale, XXXIII (1990), p. 151- décors de stuc de Vouneuil-sous-Biard», a: Le Stuc. Vi- 152. sage oublié de l’art médiéval (Musée Sainte-Croix de Poi- M.-T. Camus, «Stucs du prieuré de Saint-Pierre de tiers, 16 septembre 2004-16 janvier 2005), París-Poitiers, Vouneuil», a: De la création à la restauration. Travaux 2004, p. 65-95. offerts à Marcel Durliat, Toulouse, 1992, p. 69-83. Ch. Sapin (dir.), Les Stucs de l’Antiquité tardive du site de M.-T. Camus, «Les stucs peints de Vouneuil-sous- Vouneuil-sous-Biard (en premsa). sop h ie desrosiers Biard», a: M. Exner (dir.), «Stuck des frühen und hohen 150 Mittelalter. Geschichte, Technologie, Konservierung», [4] Le Stuc. Visage oublié de l’art médiéval (Musée Sainte- ICOMOS, Cahiers du Comité National Allemand, XIX, Croix de Poitiers, 16 septembre 2004-16 janvier 2005), París- Munic, 1996, p. 56-60. Poitiers, 2004. [2] Archéologie de la France, 30 ans de découvertes, París, [5] Els dos principals antecedents són «Stuck des Grand Palais, 27 septembre-31 décembre 1989 i B. frühen und hohen Mittelalter. Geschichte, Technolo- Boissavit-Camus & M. Rérolle (dir.), Romains et bar- gie, Konservierung», ICOMOS, Cahiers du Comité Na- bares entre Loire et Gironde IVe et VIe siècles, Poitiers, tional Allemand, XIX, Munic, 1996; i «Stucchi e mosaici Musées Sainte-Croix, 6 octobre 1989-28 février 1990, alto-medievali» Atti del’ottavo Congresso di Studi sull’Arte Poitiers, 1989. dell’Alto Medioevo (1959), v. I, Milà, 1962. resum abstract Soieries médiévales du Museu Episcopal de Vic Sophie Desrosiers, membre de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de París i autora del catàleg publicat recentment «Soires et autres textiles de l’Antiquité au xvie siècle. Musée National du Moyen Âge-Thermes de Cluny», va dur a terme el passat any 2004 una estada de treball al Museu Episcopal de Vic amb l’objectiu d’estudiar les col·leccions medievals del Museu. En aquesta crònica s’exposa, a partir dels exemplars medievals del Museu Episcopal, una nova visió dels possibles llocs de producció de la seda al llarg dels segles xi i xii a la Mediterrània Central i Occidental tenint present la gran importància dels intercanvis comercials. Sophie Desrosiers, affiliate of the School of High Studies in Social Sciences of Paris and author of a recently published catalogue “Soires et autre textiles de l’Antiquité au xvi siècle. Musée National du Moyen Âge-Thermes de Cluny”, last year 2004 worked for some time at the Museu Episcopal de Vic with the objective of studying the medieval collections there within. Based on the medieval artefacts that belong to the Museu Episcopal de Vic, her report presents a new vision of possible places where the production of silk may have taken place during the 11th and 12th centuries in Western and Central Mediterranean and takes into account the great importance of commercial exchanges. Paraules clau: Sedes medievals, Bizanci, Bagdad, lampàs, samit. Key words: Medieval silks, Bizanty, Bagdad, lampas, samit. 151 Depuis la rénovation du Musée Épiscopal de Vic, le visiteur qui entre dans les salles textiles au deuxième étage se trouve immédiatement en face d’une pièce majeure des collections: l’antependium aux «sorcières» (MEV 557) ainsi dénommé à cause des animaux fantastiques mi-lions, mi-aigles qui ornent sa rangée centrale. Saisissant par ses dimensions (109,5 x 249 cm), la vivacité de ses coloris, et bien sûr son décor exceptionnel, ce samit façonné attribuable au xie ou xiie siècle a une qualité de tissage qui pourrait correspondre à un atelier de la péninsule Ibérique même si d’autres hypothèses en Méditerranée orientale ne sont pas à exclure pour le moment. Cette étoffe provient du monastère de Sant Joan de les Abadesses, une origine religieuse assez courante pour un musée qui a recueilli au cours du temps un bon nombre d’enveloppes de reliques, et de vêtements et parements liturgiques jadis conservés dans les églises et monastères de la région. Fait aussi partie des collections un ensemble particulièrement intéressant pour l’histoire du textile et de Vic: les tissus et vêtements trouvés dans la tombe de sant Bernat Calbó, évêque de la cité, enterré dans la cathédrale en 1243. La trentaine de pièces que j’ai eu l’occasion d’examiner lors d’un bref séjour à Vic en avril 2004 illustre les grandes catégories de soieries produites aux xie-xiiie siècles dans la péninsule et ailleurs. Les tissus simples sont bien représentés par des fragments de petites dimensions qui ont parfois gardé les traces des plis caractéristiques des enveloppes de reliques. Taffetas unis ou barrés de soie polychrome, taffetas changeants (avec chaîne et trame de couleurs différentes produisant des reflets changeant selon l’incidence de la lumière), taffetas barré de bandes en fil d’or et/ou en soie de divers coloris liés en sergé (MEV 2182, 2287, 7777, 8644, 16013, 16016), bandes longues et étroites (L. 14 cm) alternant du taffetas avec de fines barres à petits décors double-face trame (MEV 2081, 15992), enfin fragments de tapisserie de soie et d’or de la tombe de sant Bernat Calbó (MEV 1319). A l’exception des fragments de tapisserie et de quelques pièces que l’on peut situer chronologiquement grâce à des comparaisons et/ou au contexte de leur conservation, il est bien difficile de dater ces tissus jusqu’ici peu étudiés et au décor minimaliste. Mais l’on peut espérer que les spécialistes s’intéressent de plus en plus à ces étoffes qui ont représenté une part quantitativement très importante de la production de soieries médiévales. Plus diversifiées sont les soieries complexes, dites façonnées car leur décor a été réalisé au cours du tissage grâce à des métiers équipés d’organes de commande supplémentaires. Ces tissus se rattachent à plusieurs groupes dont quelques uns ont été étudiés en détail, permettant alors de les insérer avec une relative précision dans l’histoire des soieries médiévales. Cependant, il existe encore beaucoup d’incertitude pour certaines pièces, soit parce qu’elles sont isolées, soit parce que le groupe auquel elles appartiennent n’a pas encore de limites bien déterminées. C’est le cas du tissu aux «sorcières» et des autres samits façonnés à fond rouge et motifs bleu ou vert foncé aux contours et éventuels détails jaunes et/ou blancs. Leurs caractéristiques varient sans que ces variations aient conduit jusqu’ici à cerner des sous-groupes cohérents. Le tissu aux griffons dans une mandorle 152 Antepedium aux «sorcières». MEV 557 bordée d’une inscription arabe (MEV 4132), et les petits fragments provenant du manteau de Nostra-Senyora-de-la-Victoria de Thuir (MEV 17467) sont aussi dans ce cas. Par contre, le tout petit fragment de mêmes coloris avec un entrelacs (MEV 9781) qui, à première vue, peut leur être associé est un lampas dont les traits techniques, en particulier le fond en sergé 3 lie 1, permettent de la classer parmi les tissus nasrides du xive siècle. Le samit aux aigles de la chasuble de sant Bernat Calbó (MEV 790) est d’une qualité toute différente, évoquant plutôt un atelier byzantin du xie siècle, tout comme l’exemple aux griffons sur fond bleu foncé découvert dans le reliquaire de la sainte croix de Sant Martí de Tost (MEV 8642). Cette série de samits se termine avec un cas particulier lié en chevron sens trame de sergé 2 lie 1. Son décor comporte des roues entourant deux aigles affrontés dont les corps se confondent partiellement (MEV 9187). Les coloris (fond bleu, décor jaune, blanc et vert clair), et des détails du décor et de la technique semblent indiquer ici un atelier moyen-oriental. Dans la catégorie des lampas, la tombe de sant Bernat Calbó a livré deux pièces relevant du fameux «groupe de Bagdad» –le tissu à l’étrangleur de lions (MEV 791) et celui aux sphinx (MEV 1000, 1001)– auxquels on peut ajouter un petit fragment sans provenance (MEV 9189) et un autre avec de grands aigles dans des roues entrelacées issu du monastère de Sant Pere Cercada (MEV 8537). Le nom de ce groupe vient d’une soierie trouvée dans la tombe de San Pedro de Osma (+ 1109) sur laquelle apparaît une fausse inscription arabe signalant que l’étoffe aurait été tissée à Bagdad. Mais l’orthographe du premier mot et l’étude de plusieurs pièces comparables conservées en Espagne montrent que ces lampas aux caractéristiques proches ont été tissés dans la péninsule, peut-être à Alméria, pendant la première moitié du xiie siècle. C’est-à-dire très vite après que le lampas ait été mis au point en Méditerranée orientale vers la fin du xie siècle ou dans les premières années du xiie siècle. Se rattachent également au «groupe de Bagdad» trois étoffes au décor beaucoup plus petit (MEV 4133, 7775, 7776, 8135, 10954) dont les caractéristiques retracent l’évolution du lampas en Espagne entre xiie et xiiie siècle. 153 Au xiiie siècle, on observe une diversification des croisures des soieries façonnées tissées dans la péninsule accompagnée d’une réduction de la taille des décors souvent composés ou inclus dans des formes géométriques simples, carrés, cercles et surtout losanges. Les collections de Vic illustrent clairement cette tendance avec une gamme de croisures beaucoup plus large qu’auparavant: taffetas liserés et lancé (MEV 6241, 9192, 9782, 10543), double-face trame de la famille des draps d’areste (MEV 9194), taquetés, pseudolampas et lampas (MEV 7213, 7255, 7256). Fragment de tissu du reliquaire de Tost. MEV 8642 En contrepoint, trois soieries montrent comment certains types d’étoffes étaient tissés ailleurs, offrant des points de repère pour distinguer les productions des divers centres de tissage et éventuellement repérer des transferts de techniques. Les deux premières (MEV 6240, 10544, 15993) sont des draps d’areste tissés en Languedoc avec des fils de chaîne beaucoup plus gros et moins denses que les exemples exécutés au sud des Pyrénées. La troisième (MEV 6241, 9782, 10543) est un taffetas liseré losangé avec une chaîne en soie grège réalisé au plus tard pendant la première moitié du Fragment de tissu de la famille des draps d’areste. xie siècle puisque le fragment a été trouvé dans le reliquaire d’une église consacrée en MEV 9194 1050 (Sant Julià de Vilatorta). La qualité de la chaîne et la date assez reculée du fragment en font une importation, peut-être de Chine. Comme la technique est identique à celle du tissu de la tunicelle et de la dalmatique de Pere d’Urg, évêque de la Seu d’Urgell (1257-1269) (MEV 6241, 9782, 10543), et que les losanges en sont très proches, on peut se demander si une étoffe semblable n’a pas servi de modèle aux ateliers hispano-mauresques qui cherchaient à diversifier leur production. NOTES [1] Pour un catalogue complet de la collection, voir R. [5] Les draps d’areste ont été identifiés par D. King M. Martín i Ros, Teixits, in Catalunya Romanica, vol. («Two medieval textile terms: “draps d’ache” et “draps xxii, de l’arrest”», p. 83-88, in S. Desrosiers (ed.), Soieries pp. 268-292. Y sont cités les inventaires et la bi- bliographie antérieurs. médiévales (Techniques & culture 34), 1999), et étudiés plus en détail par S. Desrosiers («Draps d’areste (II). [2] Pour la définition des termes techniques, voir le Vo- Extension de la classification, comparaisons et lieux de cabulaire français du CIETA, Lyon, s. d. fabrication», p. 89-119, in ibid. Pour une définition et une étude de pseudo-lampas, [3] F. E. Day, «The Inscription of the Boston “Baghdad” voir G. Vial, «Les vêtements liturgiques dits de saint Silk. A Note on Method and Epigraphy», Ars Orientalis, Valère. Étude technique de pseudo-lampas à fond (ou I, 1954, p. 191-194; D. G. Shepherd, «A Dated Hispano- effet) double-étoffe», p. 67-81, in ibid. et R. M. Martín Islamic Silk», Ars Orientalis, II, 1957, p. 373-381. i Ros, «Les vêtements liturgiques dits de saint Valère. Leur place parmi les tissus hispano-mauresques du [4] R. Schorta, Monochrome Seidengewebe des hohen xiiie siècle», p. 49-66, in ibid. Mittelalters, Berlin, 2001. En conclusion, les collections de soieries médiévales du Musée Épiscopal de Vic sont d’une richesse indiscutable pour la période des xie-xiiie siècles, et l’étude de ce corpus est d’un grand intérêt pour comprendre l’histoire de la production et du commerce des soieries dans la péninsule Ibérique et ailleurs, même au-delà de la Méditerranée. 154 155