Légitimité et limites de l`autorité en milieu scolaire

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Légitimité et limites de l`autorité en milieu scolaire
Légitimité et limites de l’autorité en milieu scolaire
Quand on évoque le problème de l’autorité à l’école, ce qui vient aux esprits en général est le problème de
la violence des jeunes envers les enseignants ou les autres élèves, c’est leur attitude peu respectueuse
envers l’institution, c’est le problème de la démission des parents et des manques de repères d’une
génération démotivée par ce que la société leur offre.
J’ai décidé d’aborder le problème de l’autorité sous l’angle opposé, en m’interrogeant sur la légitimité
de l’autorité qui s’exerce sur les enfants telle qu’elle est pratiquée dans les établissements de l’éducation
nationale, en m’interrogeant sur l’existence d’une contradiction possible entre autorité et projet
d’éducation.
Cette conférence s’inscrit donc à contre-courant de la tendance actuelle qui prône le retour à l’autorité
et à la discipline dans les écoles, collèges et lycées. Cette tendance est visible à de nombreux niveaux de
notre société, du discours officiel du ministère de l’éducation nationale aux choix de programmation des
médias (supernanny, les choristes, les internats de Serlat et Chavagne…), en passant par les discours
divulgateurs de certains pédopsychiatres incontournables (comme Aldo Naori qui dans son ouvrage, Les
pères et les mères, prône le retour à l’ordre patriarcal séculaire).
Le but de mon intervention est de mettre en discussion le quasi consensus qui entoure le discours sur
l’autorité, de remettre en cause l’idée que l’éducation passe forcément par la soumission à une autorité.
La force de ce quasi consensus réside dans l’absence de débat autours de propositions alternatives. Ma
démarche consiste justement à critiquer l’organisation traditionnelle de l’école fondée sur le principe
d’autorité et à présenter des alternatives éducatives fondées sur d’autres principes que le tout autoritaire.
Or de telles alternatives sont discutées et parfois misent en pratiques depuis… l’antiquité grecque. La liste
est longue de penseurs, philosophes, pédagogues, enseignants qui, ayant réfléchis sur la question de
l’éducation, mettent en avant une pédagogie qui prend ses distances avec le principe d’autorité. Je vais me
concentrer sur les courants contemporains, discutés et parfois (rarement) mis en pratique à titre
expérimental dans le giron de l’éducation nationale et sur la façon dont cela transforme l’organisation de
l’école. En d’autres termes, le slogan serait ‘une autre école est possible’. Ayons l’esprit critique et
partons du présupposé suivant : ce qui se fait dans l’éducation nationale n’est pas forcément la meilleure
façon de procéder. Allons voir ailleurs ce qui se fait, allons voir ce que les grands pédagogues proposent,
élargissons nos horizons.
Je vais procéder en trois temps. Tout d’abord, je vais identifier les différentes formes sous lesquelles
se manifeste l’autorité à l’école. Ensuite, je vais donner les grandes lignes des pratiques pédagogiques
alternatives contemporaines les plus importantes. Et enfin, il s’agira de croiser ces deux regards pour voir
1
comment les pratiques autoritaires de l’école traditionnelle sont dépassées ou abandonnées dans le cadre
des pédagogies alternatives, nous offrant ainsi la preuve de l’existence d’une autre (éventuellement
meilleure) façon de faire.
Manifestations de l’autorité à l’école
Il semble opportun de commencer par définir ce que l’on va ensuite remettre en question.
J’entends par autorité, non pas l’autorité de compétence issue de la maîtrise d’un savoir (en ce sens un
professeur est une autorité dans sa matière parce qu’il en est un spécialiste reconnu) mais j’entends par
autorité l’ensemble des attitudes, comportements et règlements au sein de l’école qui s’imposent aux
élèves suite à l’usage légitime par le corps enseignant des pouvoirs qui leur sont conférés par l’institution.
Cet usage est légitime tant que les professeurs n’outrepassent pas leurs droits : les professeurs ont le
droits d’imposer aux élèves un mode particulier de fonctionnement de la classe, ils ont le droit d’évaluer
les élèves et ils ont le droit de les sanctionner. Ils n’ont pas le droit d’abuser de leurs pouvoirs en
imposant des règles illégales de fonctionnement, par exemple ils n’ont plus le droit de frapper ou de
bousculer les élèves.
Concrètement, l’autorité, entendue donc au sens large comme l’application des pouvoirs conférés aux
enseignants par l’institution, se manifeste sur les élèves à travers l’exercice de différents pouvoirs :
Le pouvoir d’évaluer
Le pouvoir de punir
Le pouvoir d’imposer des règles
Le pouvoir d’enseigner ou pouvoir pédagogique
Tentons de cerner le contenu de chacune de ces manifestations de l’autorité
Le pouvoir d’évaluer
trois caractéristiques
1. L’évaluation telle qu’elle se pratique dans l’éducation nationale revêt la forme d’une évaluationsanction. « l’examen sanctionne l’apprentissage », dans le sens où il en est la finalité. L’enfant, dès le
primaire, est conditionné à apprendre non pas pour acquérir de nouvelles connaissances mais pour avoir
une bonne note ou pour ne pas avoir une note trop faible, avec cette obsession pour la moyenne.
L’examen est la carotte ou le bâton – selon qu’il s’agisse d’un bon ou d’un mauvais élève – qui pousse à
l’étude. Evidemment, si on imagine un système sans notation – sanction, il est nécessaire de penser un
autre mécanisme incitatif pour pousser les élèves à l’étude (on verra justement dans la troisième partie ce
que proposent les mouvements alternatifs à ce niveau).
2
2. La notation traditionnelle véhicule des valeurs spécifiques et en particulier la valeur de compétition.
En effet, les élèves sont de fait mis en concurrence les uns contre les autres à travers une évaluation
permanente associée de classements divers et d’appréciations subjectives ; La note est le critère de
sélection par excellence qui permet d’orienter les élèves, de les autoriser ou non à poursuivre leur cursus,
de distinguer les bons des mauvais élèves ; les classements stigmatisent l’individu : les premiers de la
classe ou au contraire les derniers voient pour une large mesure leurs rapports sociaux avec les autres
enfants conditionnés par cette circonstance. « Il est premier de la classe » est une étiquette qui colle à la
peau. Enfin la compétition exalte l’individualisme au détriment de comportements solidaires. Le travail
collectif, les révisions en groupe, l’entraide à la compréhension ont peu de place dans le système
traditionnel parce qu’il s’agit au contraire de départager les élèves en leur attribuant une note individuelle
qui sanctionne leur travail personnel.
3. la relation maître-élève est totalement conditionnée par la notation, ce pouvoir immense que détient
le professeur qui est le juge en dernier ressort. Etant donné le poids que revêt la réussite scolaire pour les
parents, pour la société, pour l’élève lui-même, un enfant n’est jamais à même de s’exprimer
véritablement librement face à celui qui détient le pouvoir de vie ou de mort sur lui. Tout est finalisé à
l’examen. Le reste n’est que fioriture. Les professeurs détiennent en outre un pouvoir suprême, celui de
faire redoubler, pouvoir dont il est fait très largement usage en France malgré les nombreuses études qui
mettent en doute son efficacité. Le redoublement, en tout cas le recours massif au redoublement est une
spécificité du système scolaire français. Il touche près de la moitié des élèves entre le CP et la terminale
alors que l’usage du redoublement est pratiquement ignoré dans d’autres pays européens comme la
Finlande où il touche moins 0,5 % des élèves avec des résultats en termes d’apprentissage qui sont même
meilleur (étude PISA).
Le pouvoir de punir
On touche là un sujet tabou. La publication d’un rapport officiel du ministère en 87 par Pierre Prum
inspecteur général de l’EN, a fait beaucoup de bruit, mettant en évidence l’écart entre les textes officiels
qui ne prévoyaient alors pas explicitement l’existence de punition et la pratique avec un florilège de
modalité de punir (des lignes, du travail supplémentaire, la retenue, les colles, l’exclusion, l’isolement
etc...). Contrairement à ce que préconisent les textes officiels, les punitions sont une pratique courante,
ordinaire dans l’école (Prum recense 43 types de punitions dans les collèges). Dans le discours, quasiment
tous les enseignants s’accordent pour dire que punir est contreproductif en matière d’apprentissage, que
cela ne résout pas les problèmes alors que dans la pratique, les punitions apparaissent comme un rite
propre à l’école.
Face à la diversité des pratiques et les dérives possibles liées à l’absence d’un cadre règlementaire
précis, une circulaire officielle vient préciser depuis juillet 2000 l’organisation des procédures
3
disciplinaires dans le secondaire. La volonté est alors de faire appliquer à ce niveau les grands principes
du droit et en particulier
• Le principe de la légalité des sanctions et des procédures,
i.e. la liste des punitions et sanctions doit être précisée dans le règlement intérieur afin d’éviter
l’arbitraire ; (remarque : les sanctions concernent les manquements graves à l’intégrité des personnes ou
des biens et sont du ressort du directeur d’établissement ou du conseil de discipline alors que les punitions
concernent des manquements mineurs aux devoirs des élèves et sont données par l’enseignant afin
d’instaurer une atmosphère calme et studieuse dans sa classe)
• Le principe du contradictoire,
i.e. chacun doit pouvoir exprimer son point de vue, s’expliquer et se défendre (dans le cadre de sanction,
mais pas de punitions) ;
• Le principe de la proportionnalité de la sanction,
elle doit être pensée en proportion de la gravité du manquement afin de jouer un rôle pédagogique visant
à responsabiliser l’élève ;
• Le principe de l’individualisation de la sanction.
Les punitions ou sanctions collectives sont interdites, en d’autres termes nul ne peut être mis en cause
pour un acte dont il n’est ni l’auteur ni le complice. Remarquons à ce niveau que François Fillon, l’ex
ministre de l’éducation, dans le cadre de sa politique en faveur du retour à l’autorité et dans la lignée de
son prédécesseur Luc Ferry, avait récemment fait marche arrière à ce niveau en revenant sur cet acquis et
légitimant le recours aux punitions collectives. Dans une circulaire d’octobre 2004, il est indiqué que
«dans le cadre de l'autonomie pédagogique du professeur, quand les circonstances l'exigent, celui-ci peut
donner un travail supplémentaire à l'ensemble des élèves». Beaucoup de voix se sont élevé contre cette
régression qui pousse les élèves à la délation et est justement contraire au principe juridique de
l’individualisation des peines.
Il aurait été possible d’insister sur d’autres principes de droit aussi essentiels ; par exemple,
-
les règles doivent s’appliquer à tous, adultes comme enfants ;
-
nul ne peut être juge et partie (or dans le cadre des punitions, l’enseignant décide des actes à
considérer comme des manquements et décide de la punition)
4
-
nul ne peut être mis en cause pour un comportement qui ne porte tort, strictement qu’à lui-même
(ainsi un devoir non fait ne pourrait pas faire l’objet d’une punition)
-
le citoyen obéit à la loi parce qu’il la fait avec les autres citoyens (or, le règlement intérieur ne fait
pas l’objet d’une discussion ouverte, d’une explication et il est difficilement accessible en termes
de compréhension aux élèves)
La circulaire donne à titre indicatif une liste de punitions qu’il est possible de prévoir dans le règlement
intérieur :
•
inscription sur le carnet de correspondance ;
•
excuse orale ou écrite ;
•
exclusion ponctuelle d'un cours (elle doit demeurer tout à fait exceptionnelle)
•
retenue pour faire un devoir ou un exercice non fait ;
•
devoir supplémentaire assorti ou non d'une retenue.
Il est à noter que les punitions ne doivent pas avoir pour motif une insuffisance de résultats et
inversement qu’une conduite irrégulière ne peut être sanctionnée par une mauvaise note.1
La circulaire de juillet 2000 précise enfin que les punitions infligées doivent respecter la personne de
l'élève et sa dignité : sont proscrites en conséquence toutes les formes de violence physique ou verbale,
toute attitude humiliante, vexatoire ou dégradante à l'égard des élèves. Rappelons à ce titre que les
châtiments corporels sont interdits depuis 1884, mais il est également interdit depuis 1890 d’envoyer des
élèves au piquet, de les priver totalement de récréation, d’imposer des pensums.
Pour ce qui est de la maternelle et du primaire, rappelons les principes suivants :
-
en maternelle, l’enseignant n’a pas le droit de punir l’enfant, il peut juste le réprimander ou bien
l’isoler (sous surveillance) un très court moment pour lui permettre de se reprendre si sa conduite
perturbe la classe.
-
Au primaire, l’enseignant peut également priver l’enfant d’une partie de la récréation mais il ne
peut retenir un élève après la classe qu’en engageant sa responsabilité.
Si l’enseignant respecte le cadre légal ainsi définit, la pratique de la punition est légitime. Cela n’empêche
pas de se poser la question de la légitimité du pouvoir de punir en relation avec l’aspiration pédagogique
de l’école et les pédagogies alternatives ont au moins le mérite, comme nous le verrons dans la troisième
1
Ce dernier principe semble cependant remis en question pour la rentrée prochaine (2006) puisque qu’une note de
discipline fera sont apparition dans les carnet de correspondance des élèves.
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partie, de s’interroger sur cet aspect et de proposer des alternatives à la punition telle qu’elle est envisagée
dans nos écoles traditionnelles.
Le pouvoir d’établir les règles
Il faut distinguer ici deux niveaux : les règles à l’intérieur de l’établissement et les règles à l’intérieur de
la classe.
Au premier niveau, les règles de fonctionnement les plus générales sont de la compétence du conseil
d’administration de l’établissement et les textes officiels recommandent seulement de procéder par
concertation avec la communauté éducative. Ces règlements ne sont pas appliqués indistinctement à tous
mais concernent en priorité les élèves.2 Les règlements intérieurs ont donc cette double caractéristique
qu’ils soulignent la différence de statut entre enseignants et enseignés et sont imposer sans concertation
véritable avec les principaux intéressés.
Au second niveau, dans la classe, l’enseignant est le seul maître à bord, dans les limites bien sûr de la
légalité et de sa capacité à imposer sa volonté aux élèves : il établit ou tente du moins d’établir des
normes de fonctionnement qui lui sont propres. Ainsi tel professeur autorise les chuchotements, tel autre
permet les déplacements alors qu’un autre encore se réserve le droit d’autoriser ou non la prise de parole,
etc… L’enseignant a donc à ce niveau un pouvoir qui est également physique : il peut contraindre à
l’immobilisme, au silence, autant de postures très contraignantes pour des jeunes gens pleins de vitalité.
Il est intéressant de remarquer que ce point d’autorité est celui qui concentre le plus les craintes des
enseignants de ne pas être à la hauteur de la tâche qui leur est confiée puisque lorsque l’on parle de
problème d’autorité, la première chose qui vient à l’esprit est le problème d’une classe indisciplinée,
d’élèves violents que l’enseignant ne parvient pas à contrôler. Ne pas être respecté des élèves est la pire
chose qui puisse arriver à l’enseignant. Les étudiants en IUFM, les jeunes enseignants, reprochent
d’ailleurs massivement à l’éducation nationale de les envoyer sur le terrain sans une formation spécifique
préalable qui leur donnerait des trucs et astuces pour imposer la discipline dans leur classe et se faire
respecter des élèves (une telle formation est prévue dans d’autres pays comme par exemple au Canada).
Quoi qu’il en soit le mode de fonctionnement dans la classe est, dans l’absolu, imposé par le
professeur et souvent la crainte de ne pas se faire respecter, entendu comme l’incapacité à imposer ses
propres règles de fonctionnement peut prendre le dessus sur d’autres préoccupations d’ordre
pédagogiques et être vécu comme un échec personnel très lourd.
Pouvoir pédagogique
(magistère / passivité)
2
Dans les départements français d’outremer par exemple, le port de l’uniforme est obligatoire. Personne n’a jamais suggéré
d’imposer l’uniforme aux enseignants, il est évident que cette obligation s’adresse exclusivement aux élèves.
6
La relation maître-élèves est fondamentalement asymétrique du point de vue de la connaissance et les
élèves sont là justement pour intégrer les apprentissages que leur transmet le maître. Le modèle est donc
celui de magistère, c’est-à-dire centré sur les connaissances du maître et organisé sur la transmission
unilatérale du savoir. Le pouvoir (d’enseigner) du maître est à ce niveau limité par les directives
ministérielles qui définissent les programmes scolaires qu’il a l’obligation de suivre. A l’intérieur de ce
cadre de référence, l’enseignant est libre de choisir le mode de transmission du savoir qu’il considère le
mieux adapté à ses élèves. Ce pouvoir pédagogique (dans le jargon le terme utilisé est celui d’autonomie
pédagogique) n’est pas illimité mais bien évidemment et comme pour toute action il est contraint par la
légalité. Par exemple, l’enseignant du primaire ne peut donner de devoirs écrits à la maison, ou encore,
l’enseignant ne peut plus utiliser la méthode globale pour l’enseignement de la lecture. Cependant, la
caractéristique, intéressante pour notre propos, du pouvoir pédagogique du maître est qu’il n’est pas
partagé avec les élèves puisqu’il découle de la supériorité du maître en termes de savoirs. Ce pouvoir est
en effet légitimé par le principe selon lequel le détenteur du savoir est le seul à même de choisir les
techniques de transmission du savoir (par exemple, on ne peut pas s’attendre de quelqu’un qui ne sait pas
lire d’être en mesure de trancher entre méthode globale ou syllabique d’apprentissage de la lecture, mais
tout est une question de mesure et peut-être qu’un élève du secondaire peut être à même de juger de la
pertinence du « par cœur » dans certaine situation comme méthode de transmission du savoir)…Quoi
qu’il en soit, les élèves sont dépendants des choix pédagogiques des enseignants. En d’autres termes, il
n’est pas prévu d’espace où les élèves pourraient utiliser activement les connaissances du maître pour
satisfaire leur propre curiosité d’apprentissage. Les programmes déterminent les enseignements, le maître
détermine les techniques d’apprentissages, les élèves sont en situation de réception passive.
L’apprentissage tel qu’il est ainsi proposé n’a aucunement l’ambition de développer l’autonomie
intellectuelle des élèves. L’objectif est autre : remplir d’un savoir uniforme des élèves qui n’ayant pas de
latitude pour exprimer leurs curiosités et leurs désirs sont peu à peu conditionnés à accepter sans critique
ce qui leur est proposé, dans le fond et dans la forme.
Aperçu des principes de base des pédagogies alternatives
Je me concentre sur ce que proposent les principales alternatives éducatives contemporaines. J’ai décidé
de discuter de pédagogies pragmatiques, i.e. qui n’existent pas seulement dans les livres et en tant que
théorie ou utopie mais qui sont effectivement mises en pratiques et qui bénéficient d’une certaine
reconnaissance de leur efficacité. Je vais ainsi me concentrer sur les mouvements Freinet, Montessori, de
pédagogie institutionnelle, sur les pratiques d’éducation autogestionnaires à travers l’expérience
7
d’Alexander Neill et de son école anglaise de Summerhill.3 Certaines de ces pratiques sont reprises dans
le cadre de l’éducation nationale au sein d’établissements publics expérimentaux.
La pédagogie Freinet
La pédagogie Freinet est peut être la plus connue des pédagogies alternatives. Elle inspire rien qu’en
France la pratique de quelques milliers d’enseignants dans le public et le privé. C’est un ensemble de
techniques d’apprentissage et d’organisation de la classe qui visent à l’épanouissement de l’enfant.
Certains auteurs parlent même à son propos d’organisation scientifique du travail scolaire.
L’idée de base est que l’enfant n’apprend réellement que ce pour quoi il a un intérêt personnel. C’est
pourquoi les apprentissages traditionnels se font de façon indirecte à travers la réalisation de projets
personnels ou collectifs qui tiennent à cœur aux enfants et qu’ils auront eux-mêmes définis. Le rôle de
l’enseignant est alors de les guider dans la réalisation de ces projets. L’enseignant, ni trop présent ni
absent, doit aider l’enfant à trouver tout seul les réponses à ses questions par aller-retour entre théorie et
pratique, par essais et erreurs, par observation et recherche.
L’aboutissement de ses projets fait systématiquement l’objet d’une communication aux autres enfants
ou à d’autres adultes, sous forme d’exposé, de dossier, de film. Faire quelque chose afin de le présenter
aux autres impose une forme de rigueur et d’autodiscipline propice à l’apprentissage. Le jugement des
autres remplace la notation traditionnelle. L’évaluation sert aux enfants pour savoir personnellement où
ils en sont et non à développer un esprit de compétition entre eux.
D’ailleurs, la classe est organisée de sorte à favoriser l’émergence d’un esprit de coopération entre les
élèves. Ils vivent quotidiennement la citoyenneté à travers leur participation démocratique active à la vie
scolaire. Ainsi, à travers le Conseil des Enfants, ils discutent et votent certains aspects du règlement
intérieur, planifient leur travail hebdomadaire, décident ensemble des projets collectifs et se consultent
même pour décider des punitions à infliger en cas d’incident.
Enfin, une dernière caractéristique importante de la pédagogie Freinet est que la classe est ouverte sur
l’extérieur. Le journal de la classe et la correspondance avec d’autres écoles ou avec des étrangers
deviennent des outils d’apprentissage déterminants : il faut se concerter sur le contenu du journal, écrire
les textes, les corriger, inventer les jeux, les rubriques etc… Les élèves peuvent aller chercher des
réponses hors de l’école à leurs interrogations (comment fonctionne la Poste ? Allons voir). Ce sont les
sorties-enquêtes. Enfin, des parents, des gens du quartiers ou de passage peuvent être invités dans la
classe pour discuter d’une question ou aider à une activité qui les touche.
3
La pédagogie Steiner répond bien aux exigences de pragmatisme et de reconnaissance puisqu’il existe de part le monde
environ 800 écoles Steiner dont les résultats sont reconnus par l’Unesco ; mais étant donnée l’ambiguïté qui entoure les
principes fondateurs de ce mouvement, je n’ai pas jugé judicieux de l’inclure dans cette présentation : en gros, la philosophie
qui sous-tend cette pédagogie, l’anthroposophie, suit une forte tendance mystique, ce qui pose la question de savoir si oui ou
non il s’agit là d’une secte.
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La pédagogie Montessori
Il existe des centaines d’écoles Montessori à travers le monde et plus d’une soixantaine en France, de
la maternelle au primaire en général mais parfois jusqu’au lycée. Ce sont le plus souvent des
établissements privés hors contrat. L’idée de base ici est que l’enfant est le meilleur guide de son
développement. Encore faut-il que les moyens nécessaires à son développement soient à sa portée et que
les adultes ne viennent pas contrecarrer son plan naturel de développement. Tout l’enjeu de l’éducation
est de venir à la rencontre des besoins de l’enfant au bon moment. Une attention toute particulière est
donnée à l’environnement dans lequel évolue l’enfant, à l’ambiance dans laquelle il baigne. Dans une
école Montessori, les enfants ont libre accès à un matériel didactique particulier (puzzles, lettres et
chiffres en papier de verre, cyclindres et pièces à encastrer, bouliers divers, etc…). Le matériel didactique
montessorien a les caractéristiques suivantes : il est sensoriel ou abstrait ; il est accessible aux enfants qui
font le libre choix de l’utiliser ou non ; il permet une utilisation autonome afin que chaque enfant en
adapte l’usage selon ses propres besoins et selon son propre rythme ; il est organisé de la difficulté la plus
élémentaire à la plus complexe mais chaque objet ne comporte qu’une unique difficulté ; il est autocorrectif (l’enfant s’aperçoit tout seul s’il réussit ou non à maîtriser la difficulté en question, sans qu’il ne
soit besoin de l’avis de l’éducateur).
L’objectif est de provoquer une activité spontanée de l’enfant qui focalise sur une difficulté à la fois,
progresse à son rythme d’un niveau à l’autre par confrontation interne à travers une expérience qui
s’inscrit profondément dans la mémoire.
L’éducateur doit se mettre en retrait et surtout ne pas s’ériger en modèle ou en détenteur-transmetteur
d’un savoir. Il ne corrige pas les erreurs des enfants et ne les aide que s’il y est sollicité dans une optique
du ‘aide-moi à faire tout seul’. Il doit faire preuve de beaucoup de d’écoute pour pouvoir rendre
accessible le matériel didactique approprié au bon moment.
Pédagogie institutionnelle
Fernand Oury (1920 – 1998), instituteur et chef de file du mouvement de la PI, part d’une critique sévère
de l’organisation traditionnelle de l’école : il l’appelle ‘l’école –caserne’, avec sa discipline carcérale où
éduquer signifie apprendre à l’enfant à obéir, où les règles s’imposent de façon anonyme, sans critique
possible, en infantilisant des élèves dont l’apprentissage est passif, où les enseignants eux-mêmes sont
peu valorisés et démotivés…
La P.I. a pour objectif de permettre aux élèves et aux enseignants de remplacer les institutions qui leur
sont imposées (règlements, modes de fonctionnement) par de nouvelles règles du jeu - c’est ce que
recouvre le terme général « d’institution » - qu’ils auront discuté et choisi ensemble et qui seront plus
adaptées aux besoins propres du groupe. Il s’agit de modifier la relation enseignants-enseignés qui
traditionnellement confère une autorité indiscutable au maître afin de procéder à un véritable partage du
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pouvoir avec les élèves. Le rôle de l’enseignant est repensé. Il n’est plus un simple dispensateur de savoir
mais le coordonnateur du groupe qu’il guide et dont il assure la sécurité ; il n’est pas privé de toute
autorité puisqu’il détient le droit de véto dans la prise de décisions collectives, il est le garant de la loi
commune et demeure le responsable en matière d’apprentissage et de pédagogie. Par rapport à ce dernier
point, il est à noter que la PI repose pour l’essentiel sur les techniques Freinet d’apprentissage (sorties
enquêtes, journal, correspondances, projets personnels et collectifs…). Mais la PI se base également sur la
définition d’institutions originales et qui lui sont propres comme les ceintures de comportement et la
monnaie intérieure que je décrierai plus en détail dans la troisième partie.
Il existe deux établissements qui suivent la PI en France, tous deux privés hors contrat, sous forme
d’internat de semaine afin de faire de la scolarité un aspect parmi d’autres de la vie collective, éduquer
signifiant bien plus qu’enseigner. Il s’agit de l’école de l’API fondée en 1991 à Saint-Evroult et l’école de
la Neuville à Chalmaison, créée en 1974 sous le parrainage de Fernand Oury et Françoise Dolto.
L’autogestion et l’expérience d’Alexander Neill
Summerhill est une école autogérée, ouverte depuis 1921 par A. S. Neill en Angleterre dans la région de
Londres. Elle est le symbole mondial d’une éducation radicalement non autoritaire. Elle accueille en
internat une soixantaine d’enfants du monde entier, âgés de 5 à 16 ans environ.
La caractéristique la plus marquante de l’école est que les cours y sont totalement facultatifs. Les
enfants peuvent, sans le moindre problème, décider de ne pas suivre de cours pendant aussi longtemps
qu’ils le désirent (de trois mois en moyenne à plusieurs années dans quelques cas extrêmes).
L’assemblée générale hebdomadaire touche à tout ce qui a trait à la vie de groupe. Tout le monde peut
y participer et à droit à la parole. Chacun a le même pouvoir de décision. Les lois qui sont discutées et
votées lors de l’AG s’appliquent à tous, enfants et adultes, sans hiérarchie, sans privilèges et sans
bureaucratie. L’AG est également le lieu où se règlent les tensions par la parole et où sont décidées les
mesures contre les offenses faîtes à la communauté.
A Summerhill, les adultes et les professeurs ne
jouissent pas d’un statut particulier qui leur assurerait une quelconque reconnaissance ou respect. Au
contraire, l’objectif des adultes est d’éliminer toute discipline, toute supériorité par rapport au statut de
l’enfant, jusqu’à refuser le rôle de guide ou de modèle. L’idéal est que l’adulte réussisse à ‘faire partie de
la bande’.
Pour autant, ce n’est pas l’anarchie : le principe fondateur est de laisser les enfants vivrent leur vie et
rechercher leurs véritables intérêts tant que cela n’empiète pas sur la liberté des autres et de la
communauté. Le chaos peut exister à Summerhill, mais il est temporaire. L’autogestion repose sur le pari
que du chaos émerge un ordre social spontané et juste.
Summerhill défraye régulièrement la chronique. Récemment, l’école a été menacée de fermeture suite à
un rapport d’inspecteur défavorable selon lequel Summerhill incitait les élèves à confondre la paresse
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avec l'exercice de leur liberté personnelle. Finalement, un accord signé en mars 2000 entre l'école et le
ministère britannique de l'Education, a reconnu à l'établissement le droit de maintenir ses méthodes
d'éducation sans contrainte. Il s’agit de la première reconnaissance officielle de la pédagogie de Neill.
Etablissements expérimentaux
Régulièrement, de petites brèches s’ouvrent dans le système de l’éducation nationale, qui permettent la
mise en place d’écoles publiques ‘alternatives’, dits établissements ‘expérimentaux’ ou ‘pilotes’ ou
encore ‘innovants’. Ils sont peu nombreux mais offrent des exemples très intéressants d’organisation
originale de l’enseignement. TOUT CECI DANS LE CADRE DE L’EDUCATION NATIONALE.
Ces établissements ne suivent pas une pédagogie particulière - bien que l’influence de la pédagogie
Freinet soit dominante - et sont organisés selon des modalités très diverses. Cependant, la « charte des
établissements pionniers » donne l’orientation générale :
-
les établissements pionniers font partie intégrante de l’éducation nationale (ce ne sont pas des
écoles privée sous contrat) ;
-
le suivi des élèves est individualisé avec des évaluations régulières et transparentes pour eux et
leurs parents (c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de confronter les élèves entre eux) ;
-
les programmes de l’éducation nationale sont suivis de façon flexible (le seul impératif est de
soutenir les examens nationaux en fin de cursus –brevet des collèges, bac) ;
-
ce sont des espaces de citoyenneté où sont mises en pratique les idées de solidarité, d’entraide et
de coopération, où sont prévus des temps de rencontre et de débat collectif (les fameux conseils où
discutent et votent élèves et enseignants sur la vie de leur établissement).
Les écoles expérimentales les plus anciennes et les plus connues sont l’école élémentaire Vitruve à Paris
créée en 62 sous la tutelle d’un inspecteur départemental entreprenant, et l’école Ovide Decroly à SaintMandé, créée en 45 au départ comme une annexe de l’Ecole Normale. Notons que l’Auto-école créée en
92 à Saint-denis a par la suite inspiré l’organisation des classes-relais qui se sont multipliées dans toutes
la France (une à Sainte-Rose) et qui cherchent à réintégrer les élèves décrocheurs. En 1982, est créer le
LAP, lycée autogéré de Paris, qui est certainement le plus radical des établissements publics
expérimentaux. Il s’adresse à des élèves en situation de décrochage scolaire. Les membres du lycée,
élèves et enseignants, partagent l’ensemble des tâches de gestion de l’établissement et l’assiduité aux
cours n’est pas obligatoire. L’unique obligation pour les élèves est de participer aux réunions collectives.
L’expérience du LAP a été inspirée du lycée expérimental d’Oslo et plus généralement des thèses de
l’autogestion pédagogive.
Analyse transversale
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Les pédagogies alternatives se déclinent selon plusieurs variantes mais laissent toutefois apparaître
d’importants principes communs. Le principe commun essentiel est de tenter d’organiser la transmission
du savoir sur la base d’une relation enseignant-enseigné plus équilibrée et en particulier sur la base d’un
partage des différents pouvoirs qui sont habituellement réservés aux maîtres.
Le pouvoir d’évaluer
L’ensemble des pédagogies ici considérées cherche par un moyen ou par un autre à remplacer
l’évaluation-sanction par d’autres mécanismes. En particulier, l’objectif est de rompre le schéma
traditionnel d’incitation par la note, par le classement. Il faudra trouver ailleurs la motivation de l’élève.
C’est une arme puissante dont les maîtres prennent ici le pari de se défaire puisque l’autorité de la note est
bien la seule qui reçoive l’adhésion quasi unanime des élèves.
Ainsi, la pédagogie Freinet pratique l’évaluation formative. Les erreurs ne sont pas sanctionnées mais
sont présentées comme des occasions de progresser. D’ailleurs, les apprentissages ne sont pas énoncés par
le maître et imposé aux élèves comme la vérité à ingurgiter mais sont au contraire construits par les élèves
par essais et erreurs, par tâtonnement. L’erreur a bel et bien un statut formateur. Par ailleurs, des fichiers
adaptés permettent l’auto-évaluation et rendent presque inutile le jugement du maître ; enfin, les activités
sont sanctionnées indirectement, à travers la communication, sous une forme ou sous une autre, aux
autres élèves.
L’auto-évaluation est également le mode privilégié par la pratique Montessori puisque l’une des
caractéristiques principales du matériel pédagogique Montessori est d’être auto-correctif (pour les
niveaux scolaires plus avancés, les élèves utilisent des fiches individuelles autocorrectives de type
Freinet) ;
Evidemment les idées même d’examen et de note sont totalement étrangères à la logique de l’école de
Summerhill ;
Dans le cadre de la PI, un système original est mis en place. Comme au judo, les élèves reçoivent des
ceintures de différentes couleurs selon leurs niveaux d’apprentissage mais aussi en fonction de leur degré
de socialisation. Ces ceintures ne sont pas attribuées unilatéralement par les enseignants mais par le
conseil de coopérative où siègent également les élèves. Les différentes couleurs donnent accès à des
responsabilités et des droits différents (accès au matériel, droits de prendre en charge d’autres enfants ou
de gérer des activités).
Au collège public expérimental Anne Franck du Mans, la notation n’existe pas. Les élèves ont bien un
travail individuel écrit par semaine à faire, mais il ne donne pas lieu à notation. Il s’agit simplement de
s’entraîner pour les examens nationaux. Chaque élève soutient en fin d’année en public et face à un jury
de professeurs et d’invités le projet personnel sur lequel il a travaillé toute l’année.
La conséquence intéressante de ce rejet unanime du principe de la notation-sanction est que le
redoublement est quasiment voire totalement banni de la pratique de ces pédagogies alternatives. En fait,
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le redoublement n’a pas de sens dans des organisations où la classe traditionnelle disparaît au profit de
cycles sur plusieurs années ou de groupes hétérogènes centrés sur des travaux ponctuels, groupes qui se
fonts et défont au gré des projets.
Le pouvoir de faire les règles
Plutôt que d’enseigner la citoyenneté aux élèves, il s’agit de proposer une école plus démocratique aux
élèves dans laquelle ils puissent vivre la citoyenneté au quotidien. Maintenant, les enfants ont leur mot à
dire sur les règles qui les regardent. L’apprentissage de la citoyenneté passe par le respect de certaines
règles de vie commune. Ces règles sont d’autant mieux respectées qu’elles sont comprises par les élèves,
qu’elles s’appliquent à tous sans discrimination de statut, qu’elles ne sont pas stupides (i.e. inutiles,
posées dans le seul but d’exercer un pouvoir sur les élèves), qu’elles ne sont pas inamovibles mais au
contraire sont l’objet de discussions, d’explications et de vote de la part des élèves.
En gros, l’idée de base sur ce point des pédagogies alternatives est la suivante : l’élève qui respecte les
règles de son école par la coercition, i.e. par peur de la retenue, du mot sur le cahier de correspondance,
deviendra un adulte qui éventuellement respectera les règles mais par peur du gendarme. Devenir un
adulte responsable et respectable signifie autre chose. Un citoyen respecte les règles qu’il contribue luimême à établir parce qu’il a conscience d’appartenir à une communauté, parce qu’il a compris que sa
liberté est assurée par ces règles de vie communes. Et un adulte responsable est également capable de
remettre en cause des règles qui lui semblent injustes. L’histoire nous a montré que la désobéissance
civile est un devoir citoyen fondamental dans certaine situation d’oppression.
Dans la pédagogie Freinet, le maître est très présent dans le groupe. On est loin de l’auto-gestion de
Summerhill ou de certains établissements expérimentaux. Cependant, l’éducation est dans une certaine
mesure cogérée à travers le conseil de coopérative. Le maître confère aux enfants des espaces de liberté
clairement délimités. Ainsi, les enfants gèrent la trésorerie de la coopérative, le secrétariat, la tenue des
conseils, les projets collectifs. Ils décident également de l’organisation hebdomadaire du travail, du
contenu du journal, de la correspondance et de la régulation de la vie de groupe dans la classe et dans
l’école.
Il n’y a pas d’espace de parole prévue pour les élèves dans les textes de Maria Montessori. Cependant
dans la pratique, la parole de la pédagogue est extrapolée : la proposition centrale de la pédagogie
Montessori est de créer un environnement adapté aux besoins fondamentaux des enfants. Or, une fois
devenus des adolescents, le besoin d’autonomie devient primordial et l’environnement à favoriser est par
conséquent construit autours d’une expérience d’autogestion avec des prises de décision collectives et
quotidiennes.
Le recours à l’avis des enfants prend une autre dimension encore dans le cadre de la PI et de l’école
de Summerhill dans la mesure où la sphère de compétences des élèves y est substantiellement élargie. Le
conseil de coopérative est une institution centrale de la PI. L’objectif est de libérer enfants ET enseignants
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du pouvoir hiérarchique imposés de l’extérieur et de lui substituer des institutions internes, propres à
l’école, au groupe. Le conseil discute et vote les lois et règlements sur la vie scolaire, valables pour tous.
Elles peuvent même être annulées si elles n’ont plus lieu d’être. C’est également le lieu de dénouement
par la parole des tensions. Le cahier du conseil permet aux élèves de noter à tout moment et en toute
liberté ce qu’ils soumettront à l’ordre du jour du prochain conseil.
Le livre de Neill est truffé d’anecdotes qui montrent que le pouvoir des enfants est bien réel à
Summerhill dans la mesure où absolument tout ce qui a trait à l’organisation de l’école est décidé à
l’occasion du conseil hebdomadaire des enfants (mis à part tout de même des impératifs de sécurité –
baignade surveillée – la gestion du personnel pour des raisons de viabilité de la structure) et que tout le
monde y a strictement le même poids : un enfant de 4 ans a le même poids électoral que le directeur de
l’école et chaque séance est présidée à tour de rôle par les enfants de l’école. Dans un rapport officiel du
ministère britannique de l’éducation nationale, deux inspecteurs écrivaient en 1949 que la liberté accordée
aux enfants est bien réelle et non théorique en ce sens qu’elle n’était pas retirée aux enfants dès qu’elle
pose problème. Les inspecteurs décrivent le conseil des enfants comme un véritable parlement scolaire,
avec un pouvoir de discussion qui semble infini et un pouvoir législatif assez large.
L’apprentissage de la citoyenneté par la pratique de la démocratie dans l’école est prévu dans la charte
des établissements innovants. Prenons l’exemple du lycée autogéré de Saint-Nazaire. L’organe de
décision important est le conseil d’établissement (notez qu’il n’y a pas de chef d’établissement d’ailleurs).
Les représentants des élèves qui y siègent sont élus par les élèves et ont autant de voix que les membres
de l’équipe pédagogique. Cet organe de décision s’occupe de la gestion matérielle et pédagogique de
l’établissement. Concrètement, c’est le conseil qui organise la gestion de la cafétéria, de l’accueil des
visiteurs mais c’est également le conseil qui décide des thèmes pluridisciplinaires d’enseignements
autours desquels sont organisés les ateliers du matin et du choix des enseignants chargés d’animer ces
ateliers. Le conseil valide les choix de programmation pédagogique de chaque élève en termes de travaux
personnels, de choix de suivi de tel ou tel atelier d’apprentissage…
Le pouvoir de punir
Là encore, la caractéristique commune des pédagogies alternatives est de désaisir le maître de son pouvoir
absolu. Rappelons que dans certaines langues, Grec et Hebreux, éduquer et punir se disent avec le même
mot.
L’histoire de la coercition nous enseigne que la punition est une pratique universelle, très largement
diffuse dans l’espace et le temps mais contrastée i.e. avec des écarts très importants entre la théorie et la
pratique. Dès le premier siècle, les théoriciens de l’éducation mettent en doute la légitimité et l’efficacité
des méthodes d’enseignement violentes telles que les grecs et les romains la pratiquaient. Les pédagogues
contemporains se rejoignent sur ce point et tous critiquent cet amalgame entre apprentissage et coercition.
Parmi les contemporains, il n’y a guère que le philosophe Alain pour aller à contre courant et affirmer
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l’intérêt de la punition et de l’ordre sévère de l’instruction. La situation est paradoxale. Paradoxe entre
théorie et pratique mais aussi schizophrénie des enseignants. Dans le discours, la plupart reconnaissent
l’inefficacité de la punition sur le plan des apprentissages et malgré tout la punition est de pratique
courante dans l’institution scolaire. Cette situation amène à se poser une question embarrassante : quelles
sont alors les vraies raisons du maintien de cette pratique ? Si pédagogiquement la punition n’apporte
rien, pourquoi alors les enseignants punissent ? Alexander Neill va rechercher la réponse dans la
psychanalyse : pour lui, la punition doit toujours être comprise comme un acte de haine envers l’enfant
(en tout cas, c’est ainsi que l’enfant l’interprète), doublé d’un abus de position dominante de l’adulte qui
s’érige en juge suprême (détenteur de la moralité) et se prend pour Dieu. Concrètement, la finalité de la
punition est la recherche de la soumission de l’élève, la reconnaissance de l’autorité du maître. La place
de la punition dans l’organisation de l’enseignement laisse à penser que sur le plan pédagogique, il y a
confusion des valeurs et que se mêlent indistinctement autorité, soumission, moralisation et
apprentissage. Un bon élève est un élève soumis et patient, pas un élève curieux et critique. Le mérite des
pédagogies alternatives est de revenir sur la définition du projet éducatif et de re-expliciter l’échelle des
valeurs. L’objectif recherché à travers l’éducation est l’émancipation et surtout pas la soumission. Est-ce
que cela signifie la levée de tous les interdits ? pas de punitions ? pas de règles à enfreindre ? Non. Encore
une fois la solution proposée par les pédagogies alternatives consiste à partager le pouvoir, cette fois le
pouvoir de punir. L’enseignant n’est pas Dieu, il n’est pas le détenteur de la vérité et de la moralité, il ne
peut décider seul de l’importance du manquement, de la culpabilité de l’enfant et de la réparation (i.e.
policier, procureur et juge tout à la fois).
L’objectif évidemment est de ne pas avoir besoin de recourir à la punition. C’est le pari de la
pédagogie Montessori. Une ambiance adaptée aux besoins de l’enfant crée des enfants coopératifs et
équilibrés. Un environnement oppressif crée des enfants dissipés, à la recherche de la confrontation. Plus
précisément, les comportements déviants sont générés, selon la pédagogie Montessori, par deux causes :
l’enfants veut agir mais ses mouvements sont limités – problème d’environnement ; la volonté des adultes
se substitue à celle de l’enfant. Lorsque les comportement déviants disparaissent, Montessori parle de
normalisation. La normalisation passe par un travail indirect sur l’ambiance, sans intervention de l’adulte
et par le type de travail proposé à l’enfant. Les enfants normalisés sont spontanément obéissants et il n’est
pas possible de penser l’instruction avant la normalisation.
A Summerhill, l’enseignant ne punit pas les élèves pour deux raisons. La première est qu’il n’en a pas
le pouvoir. Seule l’assemblée des enfants a le droit de décider d’une réparation suite à une offense envers
la collectivité. La seconde raison tient au fait que la punition est dommageable pour la construction de la
personnalité. Selon Alexander Neill, interdire à un enfant par la punition d’explorer un domaine qui
l’intéresse est le meilleur moyen pour fixer cet intérêt dans son esprit et l’empêcher de se tourner vers
autre chose de plus constructif pour lui. La thèse de l’épuisement des intérêts consiste à ne pas
réprimander les conduites antisociales afin de permettre à l’enfant d’épuiser sa curiosité pour des sujets
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malsains et immoraux qui l’éloignent de l’apprentissage scolaire. Ce n’est qu’après que l’enfant ait fait le
tour de la question que ces comportements indésirables disparaissent spontanément et que le désir
d’apprendre peut voir le jour. Il ne faut pas interpréter cette théorie comme la porte ouverte à toutes les
conduites, sans aucun garde-fou. Il existe une loi à summerhill, c’est celle du conseil des enfants et il
existe une ligne de conduite générale : tout est permis tant que cela n’empiète pas sur la liberté des autres.
Le principe juridique fondamental sur lequel cette pratique se repose est que nul ne peut être mis en cause
pour un comportement qui ne porte tort, strictement qu’à lui-même. Un enfant ne veut pas se laver, c’est
son problème, il se lavera spontanément s’il s’aperçoit que le groupe le met à l’écart parce qu’il sent
mauvais. Il s’agit de responsabiliser l’enfant plutôt que de continuer à l’infantiliser par la coercition.
Bon, mais en cas de conduite nuisible à autrui ? La punition n’est-elle pas inévitable ? Dans la
philosophie de Neill, il est légitime que le groupe se retourne contre un comportement qui remette en
cause sa liberté. Le pouvoir de punir appartient à la collectivité. Et en fin de compte, on retrouve ce
principe dans toutes les autres pratiques d’éducation alternative : que ce soit la pédagogie Freinet ou la PI
ou dans les établissements expérimentaux, la punition perd son caractère personnel et arbitraire
puisqu’elle est discutée et décidée par la collectivité offensée (conseil de coopérative, conseil
d’établissement) et s’inscrit donc dans le cadre d’une recherche de la responsabilisation de l’élève, de la
compréhension de l’impact de sa conduite sur le groupe, de la compréhension de ce que sa liberté dépend
de celle des autres. Dans le cadre de la PI, notons que la punition est de plus gérée à travers la mise en
place d’une institution particulière : la monnaie intérieure. I.e. que les punitions donnent lieu à des
amendes dont le montant est décidé par le conseil et dont l’objectif est de couper court à tout discours
moralisateur et d’échapper à l’arbitraire d’une punition imaginée par le maître.
Le pouvoir d’enseigner
Il nous reste maintenant à remettre en cause le dernier bastion qui fonde l’autorité du maître, la légitimité
de son autonomie pédagogique. Il s’agit de voir comment à ce niveau se positionnent les pédagogies
alternatives et les solutions qu’elles proposent pour arrêter de considérer les élèves comme des
réceptacles passifs de connaissances.
Dans la classe Freinet, les enfants sont des découvreurs. Il s’agit d’exploiter leur curiosité naturelle
pour construire le savoir et accéder aux connaissances. L’apprentissage se fait par expérimentations, par
essais et erreurs. Il n’est pas question d’imposer un savoir préconstruit aux enfants. Une question suscite
un intérêt dans la classe, le maître guide le groupe dans sa démarche de recherche de la réponse. La
construction du savoir part donc de l’enfant, d’un intérêt qu’il exprime pour un sujet – pédagogie centrée
sur l’enfant. Les connaissances acquises sont ensuite systématiquement mises en forme dans les fiches
pédagogiques ou bien à l’occasion de communication à d’autres personnes. La communication est en effet
un important vecteur d’apprentissage. Apprendre en vue d’un examen est différent d’apprendre en vue
d’expliquer aux autres. L’assimilation se fait plus profonde et durable dans le second cas. La pédagogie
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Freinet est joliment décrite à ce niveau comme une pédagogie de la dédicace. La motivation de
l’apprentissage est de partager avec les autres. Cet aspect coopératif de l’apprentissage est renforcé par la
pratique du multi-âge dans la classe où les plus grands aident les plus petits.
La PI emprunte les techniques d’apprentissage Freinet et on retrouve également cette orientation dans
la plupart des établissements expérimentaux. L’exemple de la pratique pédagogique au lycée
expérimental de Saint-Nazaire est intéressante parce qu’elle illustre parfaitement le principe de partage du
pouvoir pédagogique entre le maître et les élève, partage de pouvoir sans lequel il est inutile de prétendre
à ce que l’élève soit un acteur de la construction de sa connaissance. Sans partage du pouvoir
pédagogique, l’élève ne peut que subir l’apprentissage. Dans ce lycée, la pratique pédagogique est
organisée autours de la notion clé de programmation. I.e. que chaque élève est appelé à construire son
propre plan d’étude afin de construire sa propre formation. Ce plan découle de la confrontation des
intérêts personnels de l’élève avec les objectifs de l’équipe éducative et les contraintes de la réalité. La
programmation des études doit être validée par le conseil d’établissement où je rappelle, siègent avec un
pouvoir de décision équivalent, représentants des élèves et équipe enseignante. La co-gestion regarde la
logistique ET la pédagogie.
Le maître se fait encore plus discret dans le cadre de la pédagogie Montessori puisque selon cette
approche l’adulte n’est pas qualifié pour servir de modèle pédagogique à l’enfant. La croyance qui soustend cette affirmation est assez mystique : l’enfant serait plus proche de dieu que l’adulte, l’intervention
de l’adulte ne peut être que dommageable, il faut faire confiance à l’enfant qui possède en lui la capacité
d’un développement harmonieux de sa personnalité et donc concrètement, l’attitude du maître est
simplement de seconder de façon appropriée les besoins des enfants. Il s’assure que le matériel approprié
est bien accessible aux enfants et que l’environnement est propice à la concentration. De façon encore
plus radicale que chez Freinet, le savoir se construit par un processus de découverte et d’expérimentation,
laissant peu de place à l’explication théorique des adultes. Etant donné que l’apprentissage est basé sur
l’autonomie des élèves, il est facile de mélanger les enfants de niveaux différents et de mettre en place des
classes par cycle multi-âge dans le but de favoriser l’entraide et la socialisation.
A Summerhill, comme on pouvait s’y attendre, la position est encore plus radicale. La question de la
pédagogie proprement dite est jugée superflue. Le principal est de ne pas contraindre l’enfant à apprendre.
Le pari est qu’une fois le désir d’apprendre présent chez l’enfant alors, peu importe les méthodes
utilisées, l’apprentissage a lieu de toutes façons et l’enfant est capable de rattraper en quelques temps un
retard important. Neill critique même les pédagogies ludiques (parmi lesquelles explicitement
Montessori) qui cherchent à intéresser l’enfant par le jeu pour lui transmettre un savoir : pour lui jouer
n’est pas une perte de temps et il faut l’envisager comme une fin en soi et non comme un moyen de
rendre l’apprentissage agréable. Faire apprendre quelque chose à un enfant par le jeu demeure un acte
coercitif. Les enfants n’apprennent réellement que ce qu’ils veulent, que l’apprentissage soit ou non
assaisonné de jeu.
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Conclusion
L’autorité du professeur est-elle légitime ? Tout dépend par rapport à quoi l’on juge de la légitimité.
-
Légitimité vis-à-vis de l’institution de l’éducation nationale ? alors là oui, indubitablement
puisque c’est l’école qui confère ces pouvoirs aux enseignants. L’autorité des enseignants est de ce point
de vue légitime tant qu’ils n’abusent pas de leurs pouvoirs et tant qu’ils restent dans la légalité. Un
professeur n’abuse d’aucun pouvoir quand il met un zéro à un devoir complètement manqué, il est dans
l’illégalité s’il met le zéro pour mauvaise conduite ou bien s’il bouscule un élève. Plus généralement, les
règlements intérieurs ne peuvent aller (ne devraient pas aller) à l’encontre des règles de droits qui
régissent notre société et les punitions infligées aux élèves sont encadrées par la législation.
-
Légitimité vis-à-vis des valeurs démocratiques ? certainement pas. L’une des conditions
nécessaires à la démocratie est la nette séparation des trois pouvoirs institutionnels du législatif (écrire la
lois), de l’exécutif (faire appliquer la loi) et du judiciaire (sanctionner les hors-la-lois). Les professeurs
face à leur classe sont à la fois policiers, juges et procureurs puisqu’ils cumulent, face aux élèves, ces trois
pouvoirs. Les élèves subissent les règlements intérieurs et les règles de fonctionnement de la classe telles
que les enseignants les leur imposent – i.e. ils écrivent la loi dans l’école et la mettent en pratique,
pouvoir législatif et exécutif ; les enseignants évaluent les manquements à ces règles et les écarts de
comportement ; ils sanctionnent les élèves qu’eux-mêmes jugent fautifs – pouvoir judiciaire. On exalte
universellement les valeurs de la démocratie et voilà que le microcosme de notre société que représente
l’école en bafoue la règle la plus élémentaire.
- légitimité par rapport au projet pédagogique ? J’espère vous avoir convaincu que la réponse n’est
pas un oui franc et massif mais qu’elle est beaucoup plus complexe. J’ai cherché des éléments de réponse
et des pistes de réflexion dans le cadre de pratiques différentes de l’éducation. Ces pratiques ont comme
point commun d’oser le partage du pouvoir entre adultes et enfants. C’est-à-dire qu’en fin de compte, le
point de départ de leur réflexion est bel est bien la mise en doute de la légitimité de la position de force de
l’enseignant par rapport aux élèves.
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Freinet
Montessori
P.I.
Summerhill
Pouvoir
d’évaluer
Evaluationformative
Auto-évaluation
Autocorrection
Ceintures de comportement
Pas d’évaluation du tout
Pouvoir de
punir
Conseil de
coopérative
Travail sur
l’ambiance
Conseil de coopérative ;
Monnaie intérieure
Conseil des enfants ;
Thèse de l’épuisement des
intérêts
Pouvoir de
règlementer
Conseil de
coopérative
Expérience
d’autogestion et
prises de décision
collectives
Conseil de coopérative
Conseil des enfants
Pouvoir
d’enseigner
Enfants
découvreurs ;
Méthodes de
l’expérimentation
du tâtonnement
de la dédicace
Enseignant en
retrait ;
Autonomie des
enfants ;
« Aide moi à faire
seul »
Techniques Freinet
Pas de méthode particulière
19
Etablissements
pionniers
Collège A.
Franck :
Pas de notes mais
soutenances
publiques et
entraînements
Conseil
d’établissement
(Saint Nazaire) ;
Commission
« régulation des
conflits » (LAP)
Conseil
d’établissement de
St-Nazaire ;
LAP : groupes de
base,
réunion générale
de gestion, AG et
commissions
Programmation
(St-Nazaire)