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Editions Hatier
Corrigé complet
Introduction1
La révolution française de 1789 met fin à la monarchie et inaugure le régime de la République.
La connaissance historique semble ainsi résider dans le recensement des faits politiques et sociaux passés et dans
leur mise en ordre chronologique. Comme telle, elle ne suppose rien d’autre que le recours à une mémoire
collective, recueillie par l’historien dans des documents et témoignages du passé.
Pourtant, si la mémoire consiste bien à situer un événement dans le temps, à le reconnaître comme passé et à le
conserver, elle n’est pas nécessairement fidèle à l’événement lui-même, ne le restitue jamais tel qu’il s’est
produit – tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’une mémoire “ héritée ”. Or l’historien vise à recomposer
l’histoire avec le plus d’objectivité possible.
En outre, les faits historiques ne se succèdent pas au hasard mais selon un lien causal qu’il appartient à
l’historien de retrouver à travers une mémoire collective mais aussi par sa propre raison.
D’où le problème : l’histoire peut-elle être ramenée à une suite de faits dont il suffirait de conserver la mémoire
ou bien l’historien doit-il développer un point de vue rationnel sur l’histoire ?
1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
1. Oui, la mémoire suffit à l’historien
A. Le passé historique est donné dans des documents et témoignages qui constituent la mémoire collective
L’histoire est celle des faits sociaux passés, c’est-à-dire des faits intéressants une collectivité, mettant en jeu le
destin d’un groupe. Le rôle de l’historien consiste alors à dater et situer ces faits, donc à les saisir dans leur
individualité pour les ordonner ensuite chronologiquement : voilà pourquoi l’histoire constitue une connaissance
d’un genre particulier – connaissance non scientifique reposant sur la mémoire de faits rigoureusement
singuliers, tels que, par exemple, la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789.
La méthode consiste alors à passer d’un donné présent – celui que représente le document historique ou les
vestiges du passé – pour reconstruire le fait passé, en “ retrouver ” ou conserver la mémoire. Les sciences
expérimentales, au contraire, ne considèrent un phénomène, physique ou biologique par exemple, que dans ce
qu’il a de commun avec d’autres, indépendamment de la date et du lieu. La mémoire n’y joue aucun rôle.
Le passé historique est donc donné dans des documents et témoignages qui constituent la mémoire collective.
B. L’histoire se résume à une suite de faits remémorés
De ce fait, l’histoire elle-même, comme ensemble d’événements passés est considérée comme le seul fruit du
hasard et de la liberté humaine : comme telle, on a coutume de l’opposer, au XVIIe siècle, à la nature, laquelle
obéit au contraire à des lois rationnelles – c’est-à-dire universelles et nécessaires. L’histoire est le lieu de la
contingence, de l’accidentel, ce pour quoi la connaissance historique se résume à une suite de faits qu’il s’agit de
se remémorer objectivement : ainsi se développe, à partir du XVIe siècle, avec Jean Bodin, puis Don Mabillon au
e
XVII , une histoire érudite consistant à recenser les événements historiques à partir d’une recherche et analyse des
documents. Les faits sont alors considérés comme des données brutes dont l’historien doit produire la mémoire
fidèle.
Conclusion et transition
Si la mémoire suffit à l’historien, c’est que la réalité historique en elle-même est irrationnelle et n’exige pas
d’être organisée mais simplement restituée.
Toutefois, il existe dans l’histoire des récurrences et des liens de causalité entre les événements qui laissent à
penser que celle-ci n’est pas le seul résultat du hasard.
Par ailleurs, la mémoire ne nous livre jamais qu’une représentation du passé, non le passé lui-même –
représentation qu’il appartient à l’historien de juger et d’analyser à la lumière de sa raison.
2. Non, la mémoire ne suffit pas à l’historien
A. La méthode de l’historien est rationnelle
Si des faits relevés et accumulés ne constituent pas une histoire, à proprement parler, c’est que toute
connaissance historique suppose un choix et une mise en ordre des faits : d’une part, en effet, il s’agit pour
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l’historien d’expliquer des évolutions, d’établir des relations entre des faits qui se suivent dans le temps ; pour ce
faire, il est nécessaire de postuler le principe de déterminisme, d’admettre, en d’autres termes, que les lois qui
unissent des effets à leur cause étaient les mêmes il y a mille ans qu’aujourd’hui : ainsi certaines circonstances
déterminent toujours des troubles sociaux, certaines évolutions économiques engendrent toujours tel ou tel
bouleversement politique.
D’autre part, il s’agit également pour l’historien d’établir un ordre d’importance entre des phénomènes
contemporains, de considérer certains facteurs par conséquent comme plus importants que d’autres dans la
production d’un événement – le choix de l’importance de l’un de ces facteurs (démographiques, politiques,
économiques, ou idéologiques) variant nécessairement d’un historien à l’autre.
Enfin, les documents sur lesquels travaille l’historien sont nécessairement partiaux, subjectifs, incomplets ; ils
sont le plus souvent l’expression des différentes idéologies morales et politiques d’un temps : ainsi l’historien ne
peut-il “ retrouver ” directement la vérité historique dans la presse française de 1914 qui, dans un but
propagandiste, exaltait l’héroïsme et l’enthousiasme présumé des soldats partant “ la fleur au fusil ”. Ou encore,
on ne saurait créditer certains témoignages qu’il nous reste de l’époque du nazisme, où est récupérée une
mythologie de la race aryenne, exalté un passé imaginaire et glorieux de barbares germaniques puissants et
disciplinés luttant contre l’individualisme et la décadence des autres peuples.
En un mot, l’historien ne saurait s’en remettre aux documents comme à une mémoire “ objective ”, à un
enregistrement impartial des faits.
B. Il existe une rationalité dans l’histoire
Non seulement l’historien doit procéder à une critique rigoureuse et rationnelle de la mémoire livrée dans des
documents et des témoignages qu’il confronte et dont il analyse à la fois le degré de sincérité et d’exactitude,
mais encore il doit supposer, comme on l’a vu, que l’histoire obéit à des lois.
Il y a plus : l’évolution des techniques et des sciences en particulier, mais également l’accroissement général des
libertés morales et politiques semblent témoigner d’un progrès objectif de l’humanité à travers son histoire. N’y
a-t-il pas alors, plus que des liens de causalité très partiels entre les événements, une grande loi de la raison
humaine qui déterminerait l’ensemble des phénomènes historiques, en commanderait l’évolution ? C’est cette foi
en une rationalité dans l’Histoire qu’expriment les grandes philosophies de l’Histoire au XIXe siècle, celle
d’Auguste Comte en particulier, pour qui le progrès de l’esprit humain vers la raison, automatique et nécessaire,
s’accomplit à travers trois grands états traversés par l’humanité : l’état théologique dans lequel l’esprit humain
rapporte d’abord tout phénomène à l’action de forces divines à l’œuvre dans la nature, l’état métaphysique où,
cherchant à unifier la diversité des phénomènes, l’homme en attribue la cause à un principe ontologique, l’état
positif, enfin, qui marque l’avènement et le triomphe de la science (cf. Discours sur l’esprit positif).
Conclusion et transition
L’historien ne saurait se dispenser de juger, de critiquer, de trancher en faveur d’une “ vérité ” historique plutôt
que d’une autre, puisque celle-ci ne lui est pas donnée dans une expérience objective, mais à travers le filtre
déformant des documents. Bref, il doit user d’une méthode rationnelle et se défier de la mémoire partielle, voire
fabriquée, dont il dispose. Par ailleurs, la mémoire semble d’autant moins suffisante à l’historien qu’il lui est
nécessaire de postuler, au-delà de la diversité des phénomènes “ mémorisés ”, l’existence d’une loi historique
immuable du développement de la raison : celle-ci progresse en effet jusqu’à son accomplissement, à travers des
étapes qu’il semble possible d’énoncer et repérer.
Toutefois, si un sens total est donné sous les apparences, si une loi peut-être retrouvée a priori dans l’histoire
quels que soient les événements qui y surviennent, la “ mémoire ” du passé ne devient-elle pas, paradoxalement,
superflue ?
3. Si la mémoire ne suffit pas, c’est qu’elle n’est pas donnée mais réélaborée par chaque
historien
A. Le rôle de l’historien est de donner sens aux faits à travers la mémoire ou représentation du passé qu’il
choisit d’élaborer
D’une part, il convient de renoncer à tout “ monisme ” explicatif, à toute interprétation a priori et totalisante de
la réalité historique, sans pour autant renoncer à introduire de la rationalité dans l’histoire. D’autre part, la
mémoire des faits doit être à la fois réhabilitée et repensée, comme représentation présente du passé – l’illusion,
comme on l’a vu, consistant à croire que le passé constitue une donnée objective. Revenons d’abord sur le
premier point.
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Avec la revue fondée en 1929, L’École des annales, on assiste à une remise en cause des grands systèmes
économiques et philosophiques de l’histoire.
L’historien prend alors le parti de revenir aux faits pour leur donner sens, en fonction de la place singulière qu’ils
occupent, chacun, dans le réseau des événements qui constituent une période historique donnée. De ce point de
vue, défendu par des historiens tels que Lucien Febvre, ou des philosophes tels que Ricœur ou Raymond Aron,
aucun facteur, politique ou économique, ne sera considéré une fois pour toutes comme prédominant, mais
différentes causes (sociales, économiques, politiques) contribueront inégalement à la production d’un
événement, selon la période que l’historien aura pour tâche d’interpréter et de comprendre, et, partant, l’intuition
qu’il en aura. Ainsi, et en un sens, l’histoire n’est-elle pas seulement l’affaire de la mémoire, mais encore celle
de la raison qui se charge de formuler des hypothèses historiques, d’établir des analogies entre les faits, de
hiérarchiser entre elles et de manière toujours inédite les différentes causes d’un événement afin d’en saisir la
singularité. Bref, le rôle de l’historien est de donner sens aux faits à travers la mémoire ou représentation du
passé qu’il choisit d’élaborer.
B. L’historien doit corriger les représentations proposées par la mémoire collective et individuelle
Dans ce but, l’historien a pour tâche première et essentielle de corriger les représentations du passé proposées
par la mémoire collective et individuelle. Voilà pourquoi la mémoire des faits occupe néanmoins, dans cette
conception de l’histoire, une place prépondérante.
Tout d’abord en effet, s’il n’y a pas une seule histoire ou version de l’histoire mais plusieurs, c’est qu’il revient à
chaque historien de donner sens à l’histoire, de formuler un point de vue qui ne saurait prétendre à l’objectivité
totale, et qui n’est pas pour autant arbitraire. Voilà pourquoi les commémorations, multipliées en France depuis
les années 80, ont été contestées par bon nombre d’historiens ; ayant pour principale vocation de créer un
sentiment de solidarité autour d’un passé commun, d’alimenter la mémoire de la collectivité nationale, elles
modifient souvent la vérité historique dans ce but au profit d’une version unilatérale des faits : ainsi le baptême
de Clovis en 496, la conversion du prince franc au catholicisme, a-t-il été commémoré en France en 1996 ;
Clovis y était alors présenté comme le fondateur de la France alors que celle-ci ne pouvait exister encore, n’était
qu’un ensemble de communautés germaniques.
Une communauté peut donc imposer officiellement une explication unilatérale de l’histoire, un point de vue
unique sur les faits, ce pour quoi un souci d’honnêteté et de rigueur, un travail fait sur les représentations
proposées par la mémoire collective plutôt qu’un “ devoir ” de mémoire, est nécessaire.
Ensuite, l’historien ne saurait lui-même s’abstraire de l’histoire, ce pour quoi sa représentation du passé exprime
toujours, au moins partiellement, les préoccupations d’un temps : ainsi le rôle des femmes à Athènes, dans
l’Antiquité, susceptible d’intéresser un historien d’aujourd’hui, est-il au contraire indifférent à un historien du
e
XVIII , pour qui la femme n’occupe dans la société où il vit qu’une place secondaire. Voilà pourquoi l’historien
doit à la fois être conscient du caractère nécessairement relatif de la “ mémoire ” ou représentation du passé sur
laquelle il s’appuie et, autant que faire se peut, la dépouiller des préjugés sociaux et culturels que, comme toute
mémoire, elle véhicule.
Conclusion
Présumer que la mémoire suffit à l’historien revient à croire que l’histoire se réduit à une suite de faits bruts que
la mémoire collective engrangerait tels quels et sans filtre – telles des réponses toutes faites aux questions que
nous nous posons. Or en réalité l’histoire, en ce sens plus proche de la philosophie que de la science, “ ne résout
pas les questions ”, comme l’écrit Fustel de Coulanges, “ elle nous apprend à les examiner ”.
À cette insuffisance de la mémoire pour reconstituer l’histoire, on peut trouver deux raisons : d’une part en effet,
la mémoire collective ne peut jamais être totalement corrigée ni celle, individuelle, de l’historien expurgée tout à
fait, des a priori sociaux et culturels qui interviennent inévitablement dans l’interprétation que celui-ci donne du
passé. D’autre part – et cela prouve que, pour autant, l’histoire n’est pas une connaissance arbitraire –, le travail
fait sur la mémoire doit être complété par un effort pour introduire du sens et de la rationalité dans l’histoire
grâce à la rigueur d’une méthode.
En un mot, parce que la mémoire ne porte pas sur le passé mais sur des représentations du passé elles-mêmes
relatives à un contexte défini, elle ne saurait “ suffire ” : elle n’est pas donnée en effet, mais produite et
réélaborée par chaque historien.
Ouvertures
LECTURES
– Auguste Comte, Discours sur l’esprit positif, Vrin.
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