Stupeur et tremblements, Amélie Nothomb
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Stupeur et tremblements, Amélie Nothomb
Stupeur et tremblements, Amélie Nothomb Etude de la rencontre entre Amélie et Fubuki (p. 13 : « Mademoiselle Mori ? » à p. 15 : « dominer le monde ») Questions 1. Quelles qualités physiques et morales la narratrice prête-t-elle à Fubuki ? 2. Quelle attitude la narratrice adopte-t-elle face à sa supérieure ? Quelles émotions éprouve-t-elle ? 3. Quels sentiments éprouve-t-elle par rapport à sa fonction dans l’entreprise ? Comment cette attitude est-elle mise en relief dans le texte ? 4. Montrez que l’ironie est présente dans ce passage. Etude méthodique du texte selon les axes définis par les questions 1. Qualités physiques de Fubuki selon la narratrice : - - - - - - singularité de Fubuki par rapport au « type » japonais = personnage hors du commun, d’où personnalité hors du commun également « Mlle Mori mesurait au moins un mètre quatre-vingts, taille que peu d’hommes japonais atteignent » (13) ; « stupéfiante exception de sa taille » (15). cette caractéristique est soulignée comme un trait extraordinaire par la narratrice dans les lignes qui précèdent : « fille haute et longue comme un arc » (12) ; « toujours […] je revois l’arc nippon, plus grand qu’un homme. […] je repense à Fubuki, plus grande qu’un homme » (13) insistance par la répétition de la même formule, assimilation de Fubuki à l’arc nippon. supériorité par rapport aux hommes, posée d’emblée comme quelqu’un d’exceptionnel (surtout par rapport aux portraits masculins faits jusqu’alors : cf. Saito et Omochi) : « destiné à dominer le monde » (15). beauté de Fubuki soulignée par la narratrice, d’abord la silhouette avec deux adjectifs mélioratifs : « svelte et gracieuse » féminité malgré sa grandeur, élégance d’autant plus marquée qu’elle doit se soumettre à un code de conduite japonais qui impose une « raideur » (13). beauté de son visage : « splendeur de son visage » terme très fort pour mettre en relief de nouveau le caractère hors du commun de la personne et de son visage en particulier détails du visage explorés plus loin alors que la fulgurance de la rencontre est passée et qu’Amélie prend le temps d’observer Fubuki à son bureau : « elle avait le plus beau nez du monde, le nez japonais, ce nez inimitable, aux narines délicates et reconnaissables entre mille » (14) après l’avoir exclue de la masse des japonais par sa taille, elle l’inclut dans ce peuple de nouveau par ce qu’il a de plus beau selon la narratrice : la finesse, la délicatesse du nez. - - référence littéraire à un auteur japonais Junichiro Tanizaki (né en 1886 à Tokyo – mort à Yugarawa en 1965), écrivain japonais influencé par le réalisme occidental, qui retrouva les formes d’expression traditionnelles dans des romans qui mêlent érotisme et fascination de la mort : La Confession impudique, 1956 ; Journal d’un vieux fou, 1961) « teint à la fois blanc et mat » : cf. référence au maquillage de la geisha, femme cultivée et lettrée, symbole de la beauté japonaise + « œillet du vieux Japon, symbole de la noble fille du temps jadis » référence culturelle pour mettre en exergue la beauté, la noblesse de Fubuki (couleur rouge de l’œillet, référence au maquillage des lèvres de la geisha, rouge soutenu). « perfection de la beauté nippone » : Fubuki rassemble tous les critères nécessaires à faire ressortir son exceptionnelle beauté aux yeux de la narratrice exceptée sa taille mais cela la rend exceptionnelle d’une autre manière, unique. Qualités morales de Fubuki selon la narratrice : - - - Fubuki semble vouloir faire preuve d’une certaine sympathie ou familiarité avec Amélie en lui demandant de l’appeler par son prénom : « Appelez-moi Fubuki » (13) cela semble d’autant plus important que ce sont les premières paroles qu’elles échangent toutes les deux et celles prononcées auparavant par les autres personnages étaient négatives (cf. Saito). « voix douce et pleine d’intelligence », « montrait des dossiers, m’expliquait de quoi il s’agissait, elle souriait » (13) Fubuki s’avère sympathique et attentive à la narratrice ; contrairement aux autres personnes rencontrées jusqu’alors, elle tente d’être compréhensive avec Amélie, de l’intégrer au système de l’entreprise + attitude agréable et non autoritaire contrairement au comportement de Saito soulignée par le verbe « inviter » : « elle m’invita à lire les documents qu’elle avait préparés sur mon bureau qui faisait face au sien » (14). terme fort employé par Amélie pour qualifier la relation qu’elle entretient avec Fubuki « son amitié » (15) après quelques jours seulement passés dans l’entreprise, ce mot peut paraître abusif mais la narratrice se raccroche à tout ce qui peut lui paraître moins glacial que l’atmosphère générale et accorde une importance démesurée à des gestes de courtoisie anodine, peut-être se fait-elle d’ores et déjà des idées fausses sur ce personnage… 2. Attitude et émotions de la narratrice face à Fubuki : - fascination de la narratrice pour sa supérieure : « pétrifiait » (13) incapable de parler ; « je n’écoutais plus ce qu’elle me disait » (13) ; « elle me parlait, j’entendais le son de sa voix […]. Je ne m’apercevais pas que je ne l’écoutais pas » (13) elle est captivée par son physique et c’est la seule chose qui l’intéresse, elle ne porte aucun intérêt à ce qui devrait retenir toute son attention : les propos professionnels de sa supérieure. (cf. attitude identique d’Amélie par rapport à la présentation de Saito, elle semble peu intéressée par le contenu des propos de ses employeurs et par la politique de l’entreprise). D’ores et déjà, l’intérêt de leur relation est pour la narratrice hors du microcosme de l’entreprise. - - elle observe attentivement Fubuki à son insu : « ses paupières baissées sur ses chiffres l’empêchaient de voir que je l’étudiais » (14) champ lexical de la vue développé dans ce passage « spectacle ; captivant ; paupières ; voir ; regarder ». Amélie est subjuguée par Fubuki : « le spectacle de son visage était captivant » (14) elle ne peut pas s’en détacher ; cela semble plus fort qu’elle, elle ne peut pas résister et reste dans un état de contemplation, comme si une force irrésistible l’attirait + « j’étais enchantée de ma collègue » (15) adjectif « enchantée » pas utilisé au hasard par l’auteur : exprime la puissance de ce sentiment, comme si elle était le jouet d’un charme, d’un pouvoir magique (cf. caractère exceptionnel de Fubuki mis en avant précédemment). 3. Sentiments de la narratrice par rapport à sa fonction dans l’entreprise : - - - détachement, désintérêt pour tout ce qui concerne l’entreprise et le travail proprement dit : la narratrice ne porte aucune attention à ce qui est relatif aux dossiers « elle me montrait des dossiers […] je ne l’écoutais pas » (13) + elle souligne discrètement l’opposition entre son comportement et celui de Fubuki face au travail : « Elle s’assit et commença à travailler. Je feuilletai docilement les paperasses qu’elle m’avait données à méditer. Il s’agissait de règlements, d’énumérations. » (14) immédiateté avec laquelle Fubuki se met au travail, de manière consciencieuse, concentrée : « ses paupières baissées sur ses chiffres » (14). Par opposition, termes choisis par l’auteur révèlent son manque d’intérêt pour ce travail : « feuilletai » attitude désinvolte face à ces documents, elle ne fait que les survoler car ils ne présentent aucun intérêt + « paperasses » : terme péjoratif. incompréhension par rapport à ce que l’on attend d’elle : « je ne comprenais toujours pas quel était mon rôle dans cette entreprise ; cela m’indifférait. Monsieur Saito semblait me trouver consternante ; cela m’indifférait plus encore » (15) parallélisme dans la construction des phrases, cataphore (= répétition d’une expression similaire à la fin d’une phrase) qui insiste sur le verbe choisi : « indifférer ». Evolution dans son attitude par rapport aux premières pages du roman dans lesquelles elle se préoccupait de la mauvaise impression produite dès son arrivée dans la firme Yumimoto. impression mise en relief par les centres d’intérêt qui sont les siens dans l’entreprise, l’unique centre d’intérêt qu’elle y trouve et qui rend son travail supportable et plus : « J’avais eu l’impression de passer une excellente journée. Les jours qui suivirent confirmèrent cette impression. […] Son amitié me paraissait une raison plus que suffisante pour passer dix heures par jour au sein de la compagnie Yumimoto » (15). Disproportion, décalage entre les motivations de la narratrice et ce qu’elles devraient être. 4. Présence de l’ironie dans ce passage : - - - Bilan : référence historique et humoristique au nez de Cléopâtre : « Si Cléopâtre avait eu ce nez, la géographie de la planète en eût pris un sacré coup » (14) décalage par rapport au contexte de l’entreprise japonaise. compétences linguistiques et professionnelles - en général – de la narratrice peu mises à profit, elle le prend avec humour et distance, regard ironique qui apparaît à travers la figure de style choisie = antiphrase (phrase qui exprime le contraire de ce qu’elle prétend traduire) « le soir, il eût fallu être mesquine pour songer qu’aucune des compétences pour lesquelles on m’avait engagée ne m’avait servi » (14) elle écrit le contraire de ce qu’elle pense. « Après tout, ce que j’avais voulu, c’était travailler dans une entreprise japonaise. J’y étais. » (14) elle ne tire aucun profit personnel de ce travail de même que l’entreprise ne tire aucun profit de ses compétences personnelles. Constat d’échec transformé en constat de réussite dans la mesure où elle réduit ses objectifs à sa présence au sein d’une entreprise japonaise. cette rencontre entre Fubuki et la narratrice est construite sur le modèle de la rencontre amoureuse classique en littérature (fascination de l’amoureux(se) pour l’être aimé, mise en avant de ses qualités physiques et morales, rencontre foudroyante…) mais elle est détournée et présentée de manière ironique : contexte de l’entreprise japonaise ; rencontre entre deux femmes ; rencontre à mettre en perspective avec la suite de l’œuvre (véritable nature des sentiments de Fubuki à l’égard de la narratrice). Prolongements : tout au long du roman, les sentiments amoureux de la narratrice pour sa supérieure s’accentuent malgré les brimades successives dont elle est la victime. Elle voue un véritable culte à la beauté de sa tortionnaire : cf. pages 59, 60, 72, 75, 79 & 84 (fantasmes d’Amélie), 107, 115, 116 (délire passionnel d’Amélie envers Fubuki), 117, 128, 130, 144, 159 (renversement des valeurs, comparable à celui qu’elle effectue lorsqu’elle est nommée à l’entretien des toilettes, cf. p. 136), 185. Au fur et à mesure que l’on progresse dans le roman, on peut constater que l’admiration d’Amélie pour sa supérieure ne cesse de croître alors même que les humiliations augmentent : sorte de masochisme de la part de la narratrice, sentiment amoureux plus fort que tout le reste. Yasmine RENAULT [email protected] Stupeur et tremblements, Amélie Nothomb Etude de la confrontation entre Amélie et Fubuki (p. 53 : « Mademoiselle Mori » à p. 57 : « Je n’avais pas d’estime pour vous. ») Questions : 1. Quel est l’intérêt de la forme dialoguée de ce passage ? 2. Quelles différences et oppositions notez-vous entre l’attitude des deux femmes l’une par rapport à l’autre ? entre leurs sentiments réciproques ? Introduction : après la première rencontre entre ces deux personnages féminins, construite sur le modèle de la rencontre amoureuse, on assiste ici un passage dialogué au cours duquel les deux femmes s’affrontent. 1. Forme dialoguée : - - - - - extrait introduit par un passage narratif : « Mademoiselle Mori accueillit ma proposition […]. Nous nous y installâmes. » sorte de mise en scène, comme une didascalie qui annoncerait une scène de théâtre proprement dite, une confrontation entre les deux personnages (cf. Les Combustibles, 1994 ; pièce de théâtre, l’auteur a déjà pratiqué cette forme d’écriture). alternance régulière des répliques de l’un et l’autre personnage, de longueur quasi identique ; répliques assez brèves ce qui donne implicitement un rythme rapide à l’échange verbal. Succession sans temps mort des répliques qui s’enchaînent et qui démontrent la capacité de répartie des deux femmes joute verbale. interruption du dialogue par des phrases narratives qui traduisent les sentiments de la narratrice : irruption de ces commentaires dans le dialogue qui fait revivre la scène « en direct » : « elle proférait ces phrases horribles avec un calme ingénu et affable » (54) ; « j’eus le tort de sortir une réplique efficace » (54) ; « je l’avais certainement vexée […] » (55). évolution de l’attitude de la narratrice au fur et à mesure que la conversation progresse : « je commençai d’une voix douce et posée » (53) calme et sérénité d’Amélie qui ne se résout pas à croire que Fubuki a été capable d’une telle infamie. Puis difficulté à s’humilier davantage : « sortir une réplique efficace » (54) certaine familiarité du vocabulaire avec le choix du verbe « sortir » qui indique que cela s’est fait tout seul, presque malgré elle, répartie naturelle. Ensuite, certain agacement : « je soupirai » (55). parallèlement, évolution du comportement de Fubuki par rapport à Amélie : elle aussi passe du calme au début du dialogue à une attitude plus agressive : « calme ingénu et affable » (54) ; « elle sourit » (55) attitude narquoise ; « elle eut un petit rire méprisant » (56) ; « elle eut un rire élégant » (57) elle affiche sa supériorité et sa distance par le changement de ton contenu dans son rire même. 2. Attitude / sentiments des deux femmes l’une par rapport à l’autre : - - - - différence de registre en ce qui concerne les sentiments des deux femmes. Amélie se place au niveau de l’affectif, cf. champ lexical de l’amitié : « je pensais que nous étions amies » (53) ; « amitié » (54) ; « réconciliation » (55) ; « si haute estime » (57). Fubuki, elle, se place uniquement sur le registre de relations purement professionnelles : « j’ai appliqué le règlement » (54) ; « bonnes relations entre collègues » (54) ; « une faute grave » (54) ; « vous avez brigué une promotion à laquelle vous n’aviez aucun droit » (56) ; « je suis votre supérieure » (56). Amélie s’exprime avec sincérité, avec naïveté : « je ne comprends pas » (53) ; « le règlement est-il plus important pour vous que l’amitié » (54). Elle persiste à croire qu’il est possible de trouver une solution pour arranger les choses : « vous ne manquez pas d’humour Fubuki » (54) ; « à votre avis, Fubuki, pourquoi ai-je demandé à vous parler ? » (55). Elle ne peut accepter de se résigner à l’attitude glaciale de Fubuki alors qu’elle avait projeté d’autres types de relations entre elles : « vous êtes intelligente et fine. Pourquoi faites-vous semblant de ne pas comprendre ? » (55) ; « ma chance ne vous lésait en rien » (56). Toutefois, elle sait manier l’ironie : « C’est curieux. Je croyais que les Japonais étaient différents des Chinois. […] La délation n’a pas attendu le communisme pour être une valeur chinoise. » (54 – 55). Fubuki est méprisante : « Ne soyez pas prétentieuse. Vous êtes très facile à cerner. » (56) elle a besoin d’affirmer sa supériorité hiérarchique par rapport à Amélie ; « croyez-vous que vous soyez en position de me donner des leçons de morale ? » (55). Sarcastique : « si vous vous excusez, je n’aurai pas de rancune » (54) elle fait preuve d’une mauvaise foi à toute épreuve en renversant la situation et en la présentant à son avantage ; « C’est moi qui avais des raisons d’être indignée par votre attitude » (56). Distante : « amitié est un bien grand mot » (54). Froide : « Je n’ai rien à nier. J’ai appliqué le règlement » (54). Jalouse : « J’ai vingt-neuf ans, vous en avez vingt-deux. […] Et vous, vous imaginiez que vous alliez obtenir un grade équivalent en quelques semaines ? » (56). Sadique : « Moi, je ne suis pas déçue. Je n’avais pas d’estime pour vous. » (57) Fubuki prend plaisir à maltraiter la narratrice, à être cruelle avec elle. Bilan : la narratrice et Fubuki ont des attitudes radicalement opposées au cours de cet entretien restitué de manière vivante sous la forme du discours direct. Fubuki adopte un point de vue exclusivement professionnel et se comporte de manière hautaine et indifférente tandis que la narratrice se place d’un point de vue affectif. Ses aspirations sont donc condamnées à être déçues. Yasmine RENAULT [email protected] Stupeur et tremblements, Amélie Nothomb Etude des désillusions d’Amélie (p. 131 : « Récapitulons » à p. 133 : « tomber plus bas ») Questions 1. Montrez que cet extrait prend la forme d’un bilan. Pourquoi la narratrice le fait-elle à ce moment précis du roman ? 2. Relevez tous les termes péjoratifs employés par la narratrice pour se qualifier. Comment vit-elle sa nouvelle situation ? 3. Quel ton emploie-t-elle ? Pourquoi ? 4. Dans ce passage, le « je » renvoie-t-il toujours à la même personne ? Justifiez votre réponse. Introduction : après avoir été conduite par Fubuki jusqu’aux toilettes du 44ème étage où elle a été affectée, la narratrice fait un bilan de sa vie, à la lumière de la situation qui est la sienne à cet instant précis. Elle semble n’avoir connu que des désillusions successives. 1. Un bilan : - - - - premier terme utilisé : « récapitulons » (131) impératif présent qui invite le lecteur à suivre le bilan que la narratrice va dresser. Adresse au lecteur mais aussi adresse à elle-même, comme exhortation à revenir sur son trajet de vie et à faire le point. récit chronologique de sa vie : « petite » (131) ; « adulte » (132) ; « affectation ultime » (132) + accent mis sur la rapidité des prises de conscience successives il ne lui faut pas longtemps à chaque fois pour s’apercevoir qu’elle s’est fourvoyée : « très vite » (131) ; « rapidement » (131) ; « pas de frein » (132) ; « foudroyante » (132). temps utilisés : système de temps du récit imparfait : « je voulais » (131) ; « c’était » (132) ; « avait » (132) + passé simple : « je compris » (131) ; « j’eus » (131) ; « je me résolus » (132), etc. Mais elle emploie également le présent avec différentes valeurs : présent de l’impératif : « récapitulons » (131) + présent de l’indicatif : « je me permets » (132) ancré dans la situation d’énonciation, présent d’énonciation ; l’action se déroule au moment où elle l’envisage. Présent de vérité générale : « il est permis » (132) ; « on dit » (132) ; « on récure » (133) ; « on ne doit » (133) valeur de généralité renforcée par la tournure impersonnelle. Amélie effectue ce bilan à ce moment précis du roman car elle est tombée au « plus bas » (133), alors que ses aspirations originelles la menaient au plus haut : elle « [voulait] devenir Dieu » (131). Passage d’un extrême à l’autre d’où nécessité de faire un bilan pour voir ce qui s’est produit de l’un à l’autre. 2. Un autoportrait négatif : - - - alors qu’elle a des ambitions qui semblent démesurées dés sa toute petite enfance : « je voulais devenir Dieu » (131), elle adopte très rapidement un profil plus humble et va de désillusion en désillusion. Cette « chute » (132) ( // avec la chute d’Adam et Eve ; la chute de l’ange déchu terme fort, référence biblique même s’il ne s’applique ici qu’à sa vie « sociale » (132). ) + prolongement = lecture des premières pages de Métaphysique des tubes : elle se vit comme étant Dieu. decrescendo qui semble ne pas avoir de fin : son seuil d’exigence diminue au fur et à mesure qu’elle avance dans la vie « je compris que c’était trop demander […] je serais Jésus » (131) ; « excès d’ambition » (132) ; « moins mégalomane » (132) ; « trop bien pour moi » (132) ; « foudroyante chute sociale » (132) ; « poste de rien du tout » (132) ; « rien du tout, c’était encore trop bien pour moi » (132) ; « nettoyeuse de chiottes » (132). Longue énumération qui insiste sur le caractère inéluctable de cette chute : « j’aurais dû m’en douter » (132) ; « inexorable » (132). Rien ne semble pouvoir la stopper. Chute marquée même dans le langage : registre de vocabulaire très familier voire vulgaire à la fin : « chiottes ». même si cela n’est pas facile à vivre, cf. emploi de mots comme : « hélas » , « malheureusement » , « la stupéfaction passée » (132) dans un premier temps, la narratrice se débrouille pour tirer profit de la situation et la retourner autant que faire se peut à son avantage. Elle essaie d’en extraire les points positifs : « la première chose que je ressentis fut un soulagement étrange. L’avantage […] c’est que l’on ne doit plus craindre de tomber plus bas » (133) elle n’a plus rien à craindre, plus rien à perdre. 3. Un ton humoristique et ironique : - - formule créée par l’auteur qui donne à ce passage une tonalité humoristique et ironique alors que le propos est plutôt grave et pourrait prêter à une toute autre tonalité. Dès le début : « je mis un peu d’eau bénite dans mon vin de messe » (131) détournement de la formule proverbiale : « mettre de l’eau dans son vin » qui signifie revoir ses ambitions à la baisse. Adaptation et récréation de la formule avec le champ lexical de la religion. Aspect irrévérencieux et comique. tournure propre au langage enfantin : « acceptai de « faire » martyre quand je serais grande » (132) mise en valeur du verbe choisi par l’emploi de guillemets. Qui plus est, l’aspect comique de cette phrase tient non seulement à la forme mais au fond : utilisation du mot « martyre », sens premier = chrétien mis à mort ou torturé en témoignage de sa foi (cf. champ lexical de la religion qui se poursuit) ; personne qui a souffert la mort pour sa foi religieuse ou pour une cause à laquelle elle s’est sacrifiée. Fascination certaine pour la souffrance que l’on retrouve dans un certain nombre de ses romans : étude de cas au cours desquels des personnages en font souffrir d’autres (cf. Hygiène de l’assassin ; Les Catilinaires ; Mercure…) + dans Stupeur et tremblements : attitude de la narratrice à l’égard de Fubuki alors que cette dernière prend un malin plaisir à l’humilier. - - différence de registre qui suscite le rire : « s’extasier » (132). Elle provoque ce rire : « il est permis » (132). Chute vertigineuse résumée dans une formule brève et évocatrice parce qu’elle réunit des termes qui semblent ne jamais être destinés à être rassemblés : « parcours inexorable de la divinité aux cabinets » (132), passage de l’immatériel au concret le plus sordide. comparaison avec la cantatrice : champ lexical du chant lyrique : « cantatrice ; soprano ; contralto ; tessiture ; chanter » (132). Le rapprochement entre les deux statuts de cantatrice et de dame pipi est d’autant plus efficace d’un point de vue comique qu’il réunit là encore deux mondes, deux univers qui semblent s’opposer : la beauté de la voix et le rêve qu’elle peut inspirer à la médiocrité et au dégoût. Parallèle établi entre la chute de la narratrice et les hauteurs de voix évoquées : de la plus haute (« soprano , Dieu ») à la plus basse (« contralto , madame Pipi »). NB : majuscule à « Pipi » (132) comme s’il s’agissait d’un patronyme ironie, mettre de la noblesse dans ce statut. 4. Les diverses identités du « je » : - - - le « je » qui s’exprime au début du passage est celui qui révèle les aspirations enfantines de la narratrice ; emploi de formules propres à l’enfance : « Petite, je voulais devenir » (131) ; « faire martyre » (132) ; « quand je serais grande » (132). suite du passage « je » adulte qui vit la situation dans l’entreprise Yumimoto : « je me résolus à être moins mégalomane et à travailler comme interprète dans une société japonaise » (132) considérations, objectifs plus « lucides », aspirations plus raisonnables. « je reçus mon affectation ultime » (132) ; « je ressentis […] un soulagement étrange » (133). « je » d’une nature différente au cœur de l’extrait : « je me permets de souligner l’extraordinaire tessiture de mes talents » (132) intrusion de l’auteur qui fait un commentaire personnel sur ce qu’elle est, regard ironique sur elle-même. L’écrivain prend de la distance par rapport à son personnage même si ce personnage n’est autre que lui-même. Bilan : au cours de ce passage, la narratrice revient sur son parcours social en mettant l’accent sur ses déconvenues successives, sur la chute vertigineuse de ses ambitions. Elle procède à cet examen rétrospectif avec humour et ironie par rapport aux événements mais aussi par rapport à elle-même. Yasmine RENAULT [email protected]