Le Forum de Davos, un nouvel outil de diplomatie mondiale
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Le Forum de Davos, un nouvel outil de diplomatie mondiale
28 JANV 11 Quotidien Paris OJD : 314318 14 BOULEVARD HAUSSMANN 75438 PARIS CEDEX 09 - 01 57 08 50 00 Surface approx. (cm²) : 435 N° de page : 14 Page 1/2 Le Forum de Davos, un nouvel outil de diplomatie mondiale ParagKhanna* et Félix Marquardt Pour les auteurs, respectivement chercheur dans le think-tank New America Foundation et président fondateur des Dîners de l'Atlantique, le Forum économique mondial reste un rassemblement éclectique de décideurs. u'elles soient politiques, économiques ou sociales, les crises mondiales ont toujours appelé la critique des élites. À plus ou moins juste titre, celles-ci sont en effet jugées responsables du marasme qui résulte de ces crises. C'est dans pareil contexte que s'est ouvert cette semaine le Forum économique mondial, de loin le plus grand et le plus éclectique rassemblement de décideurs de toutes sortes. Sans doute plus encore en France qu'ailleurs, Davos symbolise un nouvel ordre mondial au sein duquel les riches et les puissants, les méchants et les cyniques, donc, se rassembleraient une fois par an pour se partager le terrain de jeu mondial comme autrefois Metternich Q de préoccupations professées de la recherche du bien commun. Cette vision caricaturale du Forum économique mondial est révélatrice du climat et des idées r j reçues qui I régnent ' dans le pays devenu le plus pessi- RECLAM 9906796200505/RLA/AZR/1 Eléments de recherche : / 28 JANV 11 Quotidien Paris OJD : 314318 14 BOULEVARD HAUSSMANN 75438 PARIS CEDEX 09 - 01 57 08 50 00 Surface approx. (cm²) : 435 N° de page : 14 Page 2/2 miste du monde quant à son avenir dans la mondialisation II faut avoir la mémoire bien courte pour oublier que c'est à Davos qu'en 1989 pour la première fois des ministres de Corée du Nord et de Corée du Sud se sont rencontres tandis qu'a cette même édition du forum Helmut Kohi discutait de la réunification allemande avec le premier ministre de RDA Hans Modrow Ou encore que c'est ici que se rencontrèrent tout d'abord Arafat et Rabin ciers, sujets aussi cruciaux qu'interdépendants que les sphères publiques, privées et des ONG doivent traiter main dans la main et de concert, ce que permet le cadre m formel m officiel du Forum économique mondial Pourtant, les grands forums internationaux ne manquent pas de nos jours et on assiste même a ce que les Anglo Saxons appellent « Summit Fatigue » du fait de la récente multiplication de ces rassemblements Dans ces circonstances, comment le S'il fut une époque où Davos représentait la rencontre des grandes puissances occidentales (...), il est aujourd'hui devenu l'endroit où les puissances émergentes se rencontrent entre elles A u-delà de ces exemples, si l'on croise bien sûr moult dirigeants politiques et grands patrons au pied de la Montagne magique chère a Thomas Mann, on y rencontre bien d'autres personnalités, du mufti de Sarajevo a l'archevêque de Dublin (qui se sont rencontres ici et s'entendent comme larrons en foire), en passant par des responsables d'ONG, de créateurs de start up, qu'ils ou elles soient indiens, israéliens ou chinois ou encore certains des universitaires et penseurs les plus avant gardistes du monde A Davos ils ont la possibilité de se rencontrer et d'échanger sur des sujets aussi variés que la reprise de l'économie mondiale, la sauvegarde de l'environnement, l'aide aux pays pauvres ou encore la régulation des marchés finan- RECLAM 9906796200505/RLA/AZR/1 Forum économique mondial reste t il un rendez vous aussi pertinent et utile pour tous ceux qui s'y retrouvent "> L a réalité du Forum de Davos est qu'il est devenu un des plus efficaces outils de la diplomatie mondiale La vieille diplomatie, celle réservée aux seuls chefs d'Etat et leurs représentants, n'est plus Depuis l'ère Kissinger et la fin de la guerre froide, l'écosystème diplomatique est devenu si complexe que des relations entre Etats ne sont plus qu'une partie seulement du jeu diplomatique mondial Tandis que les récentes révélations du site WikiLeaks mettent a mal la diplomatie traditionnelle (ce qui n'est qu'un début car ne nous leurrons pas, les émules de Julian Assange sont déjà légions) les entreprises, les ONG et toute la faune que réunit le Forum économique mondial occupent depuis quelques années une place croissante dans la faciktation des rapports internationaux Or, c'est précisément ce qui se passe a Davos, et ce qui fait de ce Forum un ras semblement unique au monde L'éclectisme des personnalités qu'on y rencontre favorise et renforce cette diplomatie nouvelle Loin des habituels clichés, on ne croise pas que des patrons avides de Eléments de recherche : / contrats (qui n'ont pas besoin de venir ici pour en signer de juteux) dans ce bourg enneige A u delà des parcours varies mais £\ toujours impressionnants des participants, ce qui frappe c est d'où ils vien nent et surtout ou ils vont S'il fut une époque ou Dav os représentait la rencontre des grandes puissances occidentales, puis une autre époque (a partir des années 1990) ou le forum devint le heu de rencontre privilégié des pays émergents avec les représentants des puissances occidentales, il est aujourd'hui devenu l'endroit ou les puissances émergentes se rencontrent entre elles ' Les Indiens viennent aujourd'hui a Davos pour y rencontrer les Colombiens et les Ka zakhstanais, et les Chinois, les Brésiliens et les Sud-Africains Alors que les délégations des pays Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine) sont de plus en plus importantes ces dernières années, il va falloir désormais compter avec un autre acronyme anglophone les Civets (Colombie, Indonésie, Vietnam Egypte, Turquie et Afri que du Sud) La « penphéne » venait jadis rencontrer le « centre » a Davos Aujourd'hui, alors que le « centre » semble s'essouffler, la soi-disant «périphérie» est composée des principaux relais de croissance des entreprises d'envergure mondiales et n'a plus grand-chose de périphérique C'est en cela que le Forum, créé il y a quarante ans par l'économiste Klaus Schwab, a su évoluer pour ne pas rester le rassemblement des vieilles économies ou celui du monde pré crise En 2011, ce heu de partage et de mélange des Weltanschauung qu'est Davos œuvre pour le fleurissement d'initiatives avec une portée réellement mternationa le et permet de prendre le pouls du monde au travers de celui de ses élites car si ces dernières sont jugées responsa blés de la plupart des maux qui frappent notre planète, c'est également, entre autre, sur elles que nous comptons pour les résoudre * Ancien conseiller du président Obama et auteur de l'ouvrage « How fo Run thé World », Editions Random House Translation of the opinion column published in Le Figaro on January 28th, 2011 By Parag Khanna* and Felix Marquardt The World Economic Forum: a new tool for world diplomacy For the authors, respectively researcher at the New American Foundation think tank and Founding President of the Atlantic Dinners, the World Economic Forum remains an eclectic gathering of decision-makers. Whether economic, political or social, world economic crisis have always been a reason to criticize the elite. And this might be justified since they are mostly blamed for our economic stagnation. The World Economic Forum opened this year in such a context, as the largest and most eclectic gathering of world leaders. In France more than anywhere else, “Davos” symbolizes a new world order in which the “wealthy, the mighty, the mean and the cynics” meet to divide the pie of world power, as Metternich and his peers once did, ignoring their own professed objective of common welfare. This simplistic portrayal is a good illustration of the ideas and beliefs especially in a country which ranks as the most pessimistic in the world with regards to its future in the globalized economy. One must however have short term memory to forget that it is in Davos in 1989 that officials from North and South Korea met for the first time and that at the very same time Helmut Kohl was discussing the German reunification with East Germany’s then Prime Minister Hans Modrow. Or that it is in this very resort that Arafat and Rabin met first… Beyond these examples, if one can meet many political and business leaders at the base of Thomas Mann’s “Magic Mountain”, many other profiles are to be found, like Sarajevo’s Mufti or the Archbishop of Dublin (who met here and have become great friends), NGO executives, start-up gurus, whether Indian, Israeli or Chinese, or even some of the most ground breaking researchers and academics in the world. In Davos, they have the ability to meet and exchange on matters like the world economic recovery, saving the planet’s environment, development aid and financial markets regulation. All these matters are crucial and require the private sector, the public sphere and NGOs to discuss and address them together, which the WEF’s informal setting helps achieve. However, there is today a plethora of international forums and we are witnessing a certain level of “summit fatigue”, as some have put it. Under these circumstances, how does the WEF maintain its relevance and utility for its participants? The reality is that the WEF has become one of the most efficient tools of world diplomacy. The old diplomacy, reserved to Heads of state and their minions, has long passed away. Since the Kissinger era and the end of the cold war, the diplomatic environment has become so complex that interstate relations are not the only component of the diplomatic game. While recent Wikileaks revelations have hurt traditional diplomacy (which is only the beginning considering the number of Julian Assange followers and imitators), corporations, NGOs and the entire crowd gathered in the WEF have played a growing part in the smoothing of international relations. And this is exactly what happens in Davos and makes it a unique international gathering. The diversity of the people you can meet here strengthens and favors this new brand of diplomacy. Far from the usual cliché, one doesn’t meet in this posh skiing resort any greedy capitalists in search for new contracts (they don’t need the WEF for that). If the participants’ resumes are always impressive, what really strikes the observer is where they come from and where they are going. There used to be a time where Davos was a gathering place for Western leaders. In the 1990s, it became the place where Western and emerging leaders met; it is now a place where emerging leaders meet each other! Indians come to Davos to meet their Columbian and Kazakhstani counterparts and the Chinese come to meet Brazilians and South Africans. While the BRIC country delegations become larger every year, we are going to have to get used to another acronym: CIVETS (Columbia, Indonesia, Vietnam, Egypt, and South Africa). There used to be a time that the “outsiders” came to meet the “insiders” in Davos. Today, as the West seems to lose its steam, the so-called “outsiders” are the main growth focus for multinational corporations. In that very sense, the Forum which the economist Klaus Schwab created 40 years ago, has managed to transition successfully in order not to symbolize an old world order. In 2011, this Forum of exchange is the perfect platform where new ideas can come to fruition through global initiatives. It is a way to take the pulse of our planet through its elite. An elite which has been blamed for many of our problems, but which we still count on to solve them. *Former Advisor to President Obama and author of “How to run the World”, published at Random House.