Espace Vét_Semence sexée

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Espace Vét_Semence sexée
L’Espace Vétérinaire N° 103, Mars – Avril 2012, p. 6-7
Le sexage de la semence : rêve ou réalité
Ismaïl Boujenane
Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II
Introduction
Le sexage de la semence bovine ou la séparation des spermatozoïdes des taureaux en fonction
de leur sexe est une technique qui fait son bonhomme de chemin vers les élevages bovins. Il
permet de maîtriser le sexe du veau à naître. Cette technique était connue depuis les années
1980, puisque le premier veau vivant issu d'une vache laitière inséminée avec de la semence
sexée est né en 1989, mais ce n’est que durant les années 1990 qu’elle a été mise en
application par les centres d’insémination artificielle. La semence sexée est de plus en plus
utilisée dans les élevages bovins des pays développés. Elle va sûrement faire son entrée
prochainement au Maroc.
L’objectif de cet article est d’apporter quelques éclaircissements concernant cette
biotechnologie afin que les éleveurs comprennent bien de quoi il s’agit, et d’en profiter
pleinement afin d’améliorer la rentabilité de leurs élevages.
Principe de la détermination du sexe
Les cellules somatiques des individus d’une espèce donnée possèdent un nombre constant de
chromosomes (structure dans le noyau de la cellule qui contient le matériel génétique). Ceuxci sont groupés par paires, au nombre de N-1 paires de chromosomes homologues ou
chromosomes autosomes et une paire de chromosomes non homologues ; ce sont les
chromosomes sexuels X et Y. Le sexe dont les chromosomes sexuels sont identiques est dit
« sexe homogamétique » ; tous les gamètes (cellules sexuelles) portent le chromosome X. Le
sexe dont les chromosomes sexuels sont différents est dit « sexe hétérogamétique » ; les
gamètes portent soit le chromosome X, soit le chromosome Y. Chez les mammifères, le sexe
homogamétique est le sexe femelle. Par conséquent chez cette classe d’animaux, c’est le mâle
qui détermine le sexe du descendant. En effet, tous les ovules (gamètes femelles) portent le
chromosome sexuel X en plus d’un exemplaire de chaque paire des chromosomes
homologues, alors que les spermatozoïdes (gamètes mâles) portent soit le chromosome X soit
le chromosome Y, en plus d’un exemplaire de chaque paire des chromosomes homologues. Si
l’ovule, qui porte toujours le chromosome X, est fécondé par un spermatozoïde gagnant
portant également le chromosome X, le foetus aura deux chromosomes sexuels XX et sera de
sexe femelle. En revanche, le foetus aura les chromosomes sexuels XY et sera de sexe mâle si
l’ovule, qui porte toujours le chromosome X, est fécondé par un spermatozoïde gagnant
portant le chromosome Y. Chez les bovins, le nombre de chromosomes est de 60, c’est-à-dire
30 paires de chromosomes, dont 29 paires de chromosomes homologues et une paire de
chromosomes sexuels XX ou XY.
Le sexage de la semence consiste à séparer les spermatozoïdes selon le chromosome sexuel
qu’ils portent, c’est-à-dire trier d’un côté les spermatozoïdes femelles qui portent le
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chromosome X, et de l’autre côté les spermatozoïdes mâles qui portent le chromosome Y.
Ainsi, si l’éleveur souhaite produire des veaux femelles (cas des bovins laitiers), il utilisera
pour l’insémination artificielle la semence portant les spermatozoïdes femelles. En revanche,
s’il veut produire des mâles (cas des bovins à viande), il utilisera les spermatozoïdes mâles
pour l’insémination de ses vaches.
Principe du sexage de la semence
Le sexage de la semence est réalisé grâce à la technique de la cytométrie en flux. Cette
technique repose sur la différence de masse du matériel génétique (ADN=
acide désoxyribonucléique) qui existe entre les deux chromosomes sexuels X et Y. Comme le
chromosome X est de taille supérieure au chromosome Y (Photo 1), il possède, selon l’espèce,
2 à 4% de matériel génétique de plus que le chromosome Y. L’intensité de fluorescence émise
par un spermatozoïde marqué et excité par un faisceau laser est directement proportionnelle à
son contenu en ADN. Ainsi, la quantité de fluorescence émise par le spermatozoïde X sera
supérieure, selon l’espèce, de 2 à 4% à celle émise par le spermatozoïde Y.
Photo 1. Chromosomes sexuels X et Y
Technique de la cytométrie en flux
La première étape de cette procédure est la dilution du sperme à très basse concentration,
suivie de l’application d’une teinte fluorescente. Dans une buse (trieur), le sperme est
fractionné en microgouttelettes qui, dans la mesure du possible, ne contiennent qu’un seul
spermatozoïde. Le sperme teinté est envoyé dans le cytomètre en flux à une vitesse d’environ
90 km/h sous une pression de 40 à 60 psi. Lors du passage des spermatozoïdes un par un, un
rayon laser active la teinte fluorescente appliquée plus tôt à l’échantillon de semence. Du fait
de la plus grande taille du chromosome X, les spermatozoïdes femelles des taureaux émettent
3,8% de fluorescence de plus que les spermatozoïdes mâles. Des capteurs mesurent avec
précision la quantité de fluorescence émise et assignent des charges électriques positives ou
négatives à chaque microgouttelette contenant chacune un spermatozoïde : l'ordinateur est
capable d'interpréter 30000 données par seconde. Des plaques de métal chargées
électriquement (champ magnétique) trient l’échantillon en trois flux. Les particules chargées
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positivement correspondant à un sexe sont déviées dans une direction, les particules chargées
négativement correspondant au sexe opposé sont déviées dans une autre direction, tandis que
les particules non chargées, contenant éventuellement plus d’un spermatozoïde par
microgouttelette, les spermatozoïdes dont le sexe n’a pas été identifié ou les spermatozoïdes
morts ou déficients, passent tout droit dans la machine pour être écartées (déchet) (Figure 1).
Dans le cas de la semence destinée aux bovins laitiers, la semence enrichie en chromosome X
est ensuite mise en paillettes selon les procédés habituels, et une partie de la semence enrichie
en chromosome Y peut aussi être mise en paillettes pour servir dans les accouplements des
mères à taureaux. Dans le cas de la semence des taureaux à viande, c’est la semence enrichie
en chromosome Y qui sera conservée en paillettes.
Figure 1. Procédure de sexage de la semence par cytométrie en flux
Rythme de production et coût de la semence sexée
Le facteur limitant de la biotechnologie de sexage de la semence est la vitesse réduite de
production des paillettes de semence. En effet, les spermatozoïdes doivent être analysés
individuellement et en file indienne, soit environ 6 à 7000 par seconde, ce qui fait qu’un
éjaculat est trié durant 8 heures consécutives. Par ailleurs, la vitesse de tri des spermatozoïdes
est inversement proportionnelle à la pureté de la semence sexée. Pour cela, un compromis
entre la vitesse de tri et la qualité ou la fiabilité de la semence sexée a été trouvé.
Actuellement, un cytomètre produit seulement 7 à 10 doses par heure avec une fiabilité de
90%. Par conséquent, le rythme de production des doses est assez lent. De plus, seulement
30% des spermatozoïdes analysés sont retenus, le reste est soit des spermatozoïdes morts, soit
ceux qui n’ont pas pu être identifiés correctement. À ce jour, il n’a pas été possible
d’augmenter la performance des trieurs. Et pour satisfaire la demande de plus en plus élevée
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en semence sexée, les laboratoires font donc tourner plusieurs cytomètres en même temps, 24
heures sur 24 et 7 jours sur 7.
Afin de maintenir les coûts de la semence sexée à un niveau acceptable, les doses de semence
sexée sont plus fortement diluées que les doses conventionnelles ; 2,1 millions de
spermatozoïdes/paillette de semence sexée contre 18 millions de spermatozoïdes/paillette de
semence conventionnelle. Ce nombre réduit de spermatozoïdes par dose diminue le taux de
conception des vaches inséminées. Néanmoins, sa fiabilité est d’environ 90%, c’est-à-dire sur
100 doses de semence sexée utilisées, il y a 90 veaux femelles et 10 veaux mâles qui sont nés.
Par ailleurs, 20% des taureaux n’ont pas une semence qui peut être sexable, et ce, parfois,
pour des raisons inconnues. Dans certains cas, un taureau est non sexable à cause d’une
semence trop peu concentrée en spermatozoïdes ou d’une semence de moindre qualité. Dans
d’autres cas, le cytomètre ne parvient pas à distinguer une assez grande proportion de
spermatozoïdes du sexe voulu et à rendre le processus profitable. Les taureaux utilisés pour la
production de la semence sexée sont généralement des taureaux testés très favorablement,
encore vivants et ayant déjà fait l’objet de 2 à 3 années d’utilisation. Néanmoins une fois triée,
la semence sexée est de qualité optimale parce que l’appareil ne sélectionne que les
spermatozoïdes vivants.
Le sexage de la semence par ce procédé et dans ces conditions est donc forcément coûteux.
Actuellement, le surcoût du sexage est de l’ordre de 30 à 35 € la dose.
Avantages et inconvénients de l’utilisation de la semence sexée
•
Avantages
Il est certain que l’intérêt pour la semence sexée revêt des avantages multiples et en partie
cumulatifs. Le premier d’entre eux est qu’elle permet à l’éleveur de choisir de faire procréer
les femelles de renouvellement, et les mâles destinés à l’engraissement ou à la reproduction de
façon ciblée, en fonction de ses besoins et des caractéristiques de chacune de ses vaches.
Ainsi, la semence sexée permet à l’éleveur laitier d’obtenir un plus grand nombre potentiel de
femelles, ce qui augmente ses possibilités de choisir les meilleurs sujets de remplacement
issus des vaches sélectionnées, et donc d’assurer le renouvellement de son troupeau avec des
génisses provenant de ses meilleures vaches. De cette façon, l’éleveur a la possibilité
d’accroître la taille du troupeau avec ses propres sujets de remplacement réduisant ainsi les
risques sanitaires des achats extérieurs.
Alors qu’en suivant les méthodes d’élevage traditionnelles, un troupeau de vaches produit
50% de femelles et 50% de mâles, la semence sexée permet d’aboutir à 90% de naissances de
femelles. Les élevages laitiers ne sont plus obligés d’inséminer la majorité de leurs vaches
avec des taureaux de race laitière. L’éleveur pourra assurer le renouvellement de son troupeau
en inséminant seulement un peu plus de la moitié des vaches avec des semences de race
laitière. Les autres vaches pourront être inséminées par la semence de taureaux de race à
viande pour obtenir de préférence des mâles, plus aptes à l’élevage pour l’embouche. Ainsi,
les élevages laitiers vont passer de 0% à 10% de croisements, à 30% voire 40%. De ce fait, ils
vont contribuer plus à la production de viande bovine.
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Le stress au vêlage est généralement moindre en cas de naissance femelle, car elle est d’un
moindre poids et d’un volume plus restreint. Donc, les conséquences physiologiques sont
minimisées : le démarrage en lactation s’en ressent positivement et le retour du cycle est plus
précoce. De plus, le risque des vêlages difficiles sur génisses est diminué nettement, puisque
90% des veaux obtenus sont de sexe femelle. Ceci contribue fortement à baisser les risques de
vêlage dus aux gros veaux et donc le nombre de césariennes, à diminuer les coûts associés à la
main-d'œuvre, aux soins médicaux et aux mortalités à la naissance.
Le sexage de la semence pourrait effectivement avoir un impact considérable sur
l’amélioration génétique des troupeaux, et donc sur la rentabilité des fermes laitières. En effet,
les meilleures vaches laitières, inséminées avec de la semence femelle, produiront des
génisses de qualité. Il sera ainsi possible d’améliorer la génétique d’un troupeau en quelques
générations. Des vaches de moins bonne qualité pourront être croisées avec de la semence
mâle des races à viande. Ce qui permettrait à l’éleveur de produire davantage de veaux issus
de croisement industriel et donc d’une valeur marchande plus élevée.
La semence sexée permet aux centres d’insémination artificielle de réduire le coût de testage
des taureaux, car peu d’inséminations seront nécessaires pour produire le nombre requis de
filles des taureaux en testage.
La semence sexée permet d’augmenter les chances d’avoir une femelle sur une race qui serait
en faible effectif ou en danger d’extinction en raison d’un ratio défavorable mâle-femelle.
Au Maroc, la semence sexée est une aubaine. D’une part, elle permettra d’augmenter la
population de vaches d’une race améliorée pure (Holstein et Montbéliarde), et ainsi réduire ou
même arrêter les importations de génisses. D’autre part, les pépiniéristes auront plus de
chances de faire naître davantage de femelles de leurs meilleures vaches, réduisant ainsi le
coût de la production locale des génisses de races améliorées pures.
•
Inconvénients
Malgré ses nombreux avantages, la semence sexée souffre également de certains
inconvénients.
Le talon d'Achille de la semence sexée est l'écart de fertilité avec la semence conventionnelle.
La fertilité de la semence sexée est inévitablement influencée par les stress successifs
(dilution, coloration, pression, centrifugation, congélation…) qu’elle doit subir durant le
procédé de triage. Mais c'est surtout du côté de la plus faible concentration en spermatozoïdes
qu'il faut chercher la principale explication de la baisse de fertilité. En effet, une paillette de
semence conventionnelle contient environ 18 millions de spermatozoïdes contre seulement
2,1 millions dans une paillette de semence sexée, et après décongélation, il ne reste qu'environ
60% de spermatozoïdes vivants. Tous ces facteurs font que le taux de conception avec la
semence sexée est de 10 à 15% inférieur que celui obtenu avec la semence conventionnelle.
L’autre inconvénient est le manque de disponibilité de la semence sexée issue de taureaux
élites. En moyenne, seulement 30% d'un éjaculat sert à fabriquer des doses de semences
sexées. Autrement dit, 70% de l'éjaculat est éliminé. Quand un taureau élite est très demandé
et que son stock de semence est limité, le sexage n'est pas vraiment d'actualité. Ce qui fait que
la plupart des taureaux élites (les cracks) sont rarement utilisés pour produire de la semence
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sexée, puisque la production conventionnelle arrive à peine à satisfaire la demande. Il en
résulte une diminution du niveau d'intensité de la sélection.
Le prix de la semence sexée est supérieur à celui de la semence conventionnelle. Une paillette
de la semence sexée coûte entre 30 et 50 € selon la race, le centre d’insémination artificielle et
la valeur génétique du taureau. Ceci montre que les éleveurs ont tout intérêt à réussir au mieux
leurs inséminations.
Recommandations pour l’utilisation de la semence sexée
Les éleveurs doivent être conscients que la semence sexée doit être utilisée de manière ciblée.
Le prix de la dose de la semence sexée est environ deux à trois fois plus cher que celui de la
semence conventionnelle, et les taux de conception sont inférieurs en moyenne de 10 points
par rapport à ceux obtenus avec de la semence conventionnelle. Il est absolument nécessaire
que les conditions de l’insémination soient optimales. Ainsi:
- La semence sexée est de préférence utilisée chez les génisses vierges, de poids et de
taille adéquats, lors de chaleurs naturelles. Son utilisation chez les vaches en lactation
ou chez les vaches synchronisées aboutit à des taux de conception plus faibles que
chez les génisses.
- Comme pour tous les aspects de la reproduction, les meilleures pratiques de conduite
d’élevage donneront toujours les meilleurs résultats. Avec un taux de conception
faible, une détection efficace et vigilante des chaleurs demeure l’élément le plus
important à contrôler. De plus, l’insémination doit être pratiquée au bon moment,
c’est-à-dire entre 12 et 24 heures après les chaleurs observées ou exprimées.
- L’un des objectifs principaux pour un éleveur laitier est d’assurer avant tout le
renouvellement de son troupeau. Ainsi, il peut utiliser de la semence sexée sur ses
meilleures vaches pour se garantir l’arrivée des futures laitières. Le reste des vaches
peut être inséminé avec de la semence conventionnelle en race pure afin de réduire le
coût de l’insémination, ou pour certaines en croisement avec une race à viande afin
d’augmenter la valorisation bouchère de ses veaux.
- L’utilisateur doit réaliser que la semence sexée a été fragilisée par le processus de
sexage et qu’elle doit être décongelée et manipulée dans les meilleures conditions
possibles.
- Même si la semence sexée est disponible pour un certain nombre de taureaux,
l’éleveur doit toujours sélectionner les taureaux à utiliser selon leurs caractères de
production, de conformation, de facilité de naissance et de santé.
Conclusion
La commercialisation de la semence sexée a aujourd’hui transformé le rêve des nombreux
éleveurs à pouvoir maîtriser le sexe des veaux en une réalité. Toutefois, le faible rendement de
production de la semence sexée et le coût élevé de la méthode, associés à une baisse de la
fertilité induite par le procédé de tri, limitent encore son utilisation à grande échelle. C’est vrai
que l’utilisation de la semence sexée augmente fortement la probabilité d'engendrer un veau
de sexe désiré (généralement une femelle dans le cas des bovins laitiers et un mâle dans le cas
des bovins à viande) et augmente le progrès génétique à l’intérieur d’un troupeau d’environ
4,4% par année. Néanmoins, il serait judicieux de se demander si le coût additionnel en vaut
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la chandelle pour les éleveurs marocains. Des études comparatives ont montré que le recours à
la semence sexée est payant seulement si son niveau de fécondation est élevé.
La sélection génomique pourrait offrir une opportunité au sexage de la semence en permettant
de connaître la valeur des taureaux dès leur plus jeune âge. Les taureaux élites pourraient
alors être orientés vers le sexage avant la fin de leur carrière.
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