Comm Iraqi

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Comm Iraqi
Communication
« Le roman à caractère autobiographique. D Chraibi et
A Sefrioui ». Pr. Rhita IRAQI
Journée d’études
Autobiographie et Roman
Poreuses frontières
22 novembre 2016, FLSH Ain Chock
Avant de commencer cette journée de réflexion autour de
l’autobiographie et du roman, il est nécessaire de définir l’une et
l’autre.
Commençons par l’autobiographie. Le terme biographie est
composé de auto et biographie. Etymologiquement c’est le fait
d’écrire (graphie) sur soi-même. La biographie est un « genre d’écrit
qui a pour objet l’histoire de vie particulières ». Dans ce genre, la
biographie, on distingue nettement l’auteur de celui qui est raconté.
Un auteur retrace ainsi la vie d’un personnage célébré qui s’est
distingué par son rôle politique, se connaissances scientifiques, ses
performances sportives ou autres. Dans biographie, l’auteur raconte
la vie de la célébrité dans son intégralité, jusqu’à la mort.
Revenons à l’autobiographie : elle se définit dans les dictionnaires
comme la biographie d’un auteur faite par lui-même. Or, un auteur
ne peut que narrer une partie de sa vie et non sa totalité,
contrairement au biographe qui recueille des informations des
témoignages d’origine diverses sur la vie entière de celui dont il fait la
biographie.
On a dit que les écrits biographiques concernent des personnages qui
ont marqué l’histoire et dont la vie mérite d’être connue de tous.
Cela revient à dire qu’un auteur qui entreprend d’écrire sa biographie
estime que sa vie est particulière et qu’elle doit être partagée par le
grand public.
Nous pouvons nous référer à une autobiographie célèbre. « Les
confessions » où J.J. Rousseau livre à ses lecteurs ses pensées les plus
intimes et les événements qui ont le plus marqué sa vie.
Cependant, Rousseau à la fois observateur et sujet de sa propre vie
est conscient des limites de la démarche autobiographique et évoque
la mémoire affective qui tantôt embellit les événements tantôt
enlaidit ou pire encore le rejette totalement. Il reconnaît que « Le
connais-toi toi-même n’est pas une maxime si facile à suivre qu’il ne
l’avait cru » (Les rêveries du promeneur solitaire).
Cet exemple montre que l’autobiographie est un exercice périlleux
dans la mesure où l’auteur et le je qui devraient être en harmonie ne
se rencontrent que difficilement au moment de l’écriture. Ecrire sa
propre vie, c’est compter sur sa mémoire qui souvent ne livre que ce
qui l’a marquée.
La distance entre le souvenir et l’instant de la narration, la distance
entre celui qui écrit et celui qui a vécu est telle qu’être totalement
relève de l’impossible.
Selon Philippe Le jeune dans son essai, Le Pacte autobiographique
(1975), définit l’autobiographie comme « Le récit rétrospectif en
prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence lorsqu’elle
met l’accent sur sa vie individuelle, sa personnalité ». Tout dans
l’autobiographie doit être vrai et l’auteur se doit de dire toute la
vérité sans rien omettre. Cet engagement est signifié au début de
l’œuvre par un pacte explicite ou non que l’auteur établit avec son
lecteur. Voici pour l’autobiographie.
Qu’en est-il du Roman ?
On peut définir brièvement le roman comme une histoire inventée
par un auteur et où des personnages imaginaires vivent des
situations vraisemblables, c’et-à-dire qui semblent vrai mais qui sont
issues de l’imagination de l’écrivain et auxquelles selon l’égo de
l’écrivain le lecteur peut s’identifier.
-Le roman à caractère autobiographique serait donc, une histoire
imaginaire dans laquelle le je de l’auteur est dissocié, distinct du je du
personnage.
Comment alors la confusion peut-elle s’établir entre l’autobiographie
qui a ses propres règles et le roman autobiographique ?
Deux de nos écrivains marocains ont été accusés en 1954 d’avoir
raconté leur vie dans leurs romans. Driss CHRAIBI avec le Passé
simple et Ahmed Sefrioui avec la Boite à Merveilles.
Ces deux romanciers considérés comme les pionniers du roman
d’expression française au Maroc ont pourtant utilisé l’un le discours
homodiégétique et l’autre le discours hétérodiégétique (je, le). Cela
n’a pas empêché la critique de considérer leurs romans comme la
narration de leur vie réelle.
Driss Chraïbi qui a subi les critiques les plus violentes se défend
d’avoir évoqué sa vie « en aucun cas (…) il ne s’agit d’un livre
autobiographique ». Il est vrai que le prénom de l’auteur et celui du
personnage sont identiques, il est vrai que leurs parcours est
similaire, mais tout ceci ne peut mener à conclure qu’il s’agit d’une
autobiographie.
Les critiques ont également souligné l’aspect autobiographique dans
la Boîte à merveilles, alors qu’il s’agit d’un discours hétérodiégétique
(troisième personnage) et que les prénoms de l’auteur et du
personnage principale sont différents (Ahmed/Sidi Mohammed).
Comment alors, par quel raccourci, on a accusé Chraïbi et Sefrioui
d’avoir écrit leur autobiographie puisqu’aucun critère de
l’autobiographie telle que définie plus haut n’y correspond.
Dans Le Passé simple un jeune se révolte contre le système patriarcal
estimé archaïque. Or, en 1954, le Maroc est colonisé par la France et
écrire en français les tords de la société marocaine était perçu
comme une explication à l’occupation du Maroc par la France
considéré comme un pays moderne.
Dans la Boîte à merveilles, un Maroc paisible et serein, faisant de
l’histoire du Maroc est décrit à travers le regard d’un petit garçon. Ici
encore, la critique n’a pas accepté cette image exotique et en deçà
de la réalité historique.
Selon la critique, ni Chraïbi, ni Sefrioui ne se sont engagés dans la
libération de leurs pays avec une plume patriotique.
Par l’accusation d’avoir écrit leur autobiographie, la critique
considérait ainsi leur parcours comme individuel et non commun aux
marocain.
Selon nous, ni le discours homodiégétique, ni la correspondance
vague des évènements vécus par l’auteur et son personnage ne
peuvent conduire à classer un roman qui relève de la fiction dans la
catégorie autobiographie.
François Mauriac dit à ce propos dans Le romancier et ses
personnages (1933) « qu’un garçon de 18 ans ne peut que faire un
livre qu’avec ce qu’il connaît de la vie, c’est-à-dire de ses propres
désirs, ses propres illusions ».
On peut ajouter que c’et aussi le cas de tout écrivain quel que soit
son âge. Prendre la parole en disant « je » ou même « il », en
racontant ce qui aurait pu être vécu, semble une étape nécessaire et
universelle dans l’approche de l’écriture.
Tout écrivain a besoin de passer par ce chemin, qui tient en quelque
sorte d’analyse de soi.
Ce n’est qu’après une telle démarche qu’il peut commencer à élargir
son horizon et à observer le reste de l’univers.