Lettre info BIP 40

Transcription

Lettre info BIP 40
La lettre BIP 40 – n° 1 – 28 mai 2004
www.bip40.org
Nouvelle édition du BIP 40
A
VI S D
’ALERTE SSOCIALE
OCIALE
AVIS
D’ALERTE
Quoi qu’on en dise, l’économie française se
porte bien ! Elle produit aujourd’hui 60 %
de richesses en plus qu’il y a vingt ans. Le
Cac 40 a doublé, les revenus financiers ont
triplé leur part dans le revenu des ménages,
et le nombre de grandes fortunes n’a jamais été aussi élevé. Ce n’est donc pas la
crise pour tout le monde… En même temps,
Rmistes, salariés pauvres et SDF semblent
n’avoir jamais été si nombreux. L’accroissement
de l’extrême richesse et de l’extrême pauvreté
devrait logiquement signifier une hausse massive des inégalités dans notre pays. Pourtant les
chiffres de l’Insee, ne montrent aucune augmentation des inégalités, bien au contraire.
L
a nouvelle édition du Baromètre des Inégalités et de la Pauvreté (Bip 40), que
publie le Réseau d’Alerte sur les inégalités (Rai), propose un diagnostic alternatif à
celui de l’Insee, et constitue un signal d’alarme pour tout le corps social. Il en ressort
qu’après une brève amélioration en 2000 et 2001, les inégalités et la pauvreté sont
vigoureusement reparties à la hausse dès 2002.
Taux de pauvreté monétaire (Insee)
BIP 40
Source : Insee. Taux de pauvreté monétaire (au seuil
de 50%) calculé par l’Insee à partir des enquêtes portant sur les revenus fiscaux. Le champ retenu est celui
des individus vivant dans des ménages dont le revenu
déclaré au fisc est positif ou nul et dont la personne de
référence n'est ni étudiante, ni militaire du contingent.
Source : Rai. Si chacun des indicateurs élémentaires
qui composent le BIP se situait à son plus bas niveau
d’inégalité observé sur la période, le BIP afficherait une
valeur de 0 ; réciproquement avec la valeur maximale
d’inégalité pour chaque indicateur élémentaire, le Bip
40 plafonnerait à 10.
C
lin d’œil – inamical – au Cac 40, l’indice Bip 40 est construit sur la base de plus de 60
séries de données (produites d’ailleurs dans leur très grande majorité par la statistique
publique) regroupées en six grands domaines: revenus, emploi, éducation, logement, santé,
justice. Il veut offrir un « portrait social » en profondeur de la réalité des inégalités, de la pauvreté, des conditions d’emploi, de travail et de vie dans la France d’aujourd’hui. Pour chacun
de ces domaines, le Rai, avec ses modestes moyens, a tenté de recueillir les données pertinentes pour calculer un indice élémentaire qui traduit l’évolution de la « misère du monde ».
Ces indices sont ensuite combinés dans un indicateur synthétique : le Baromètre des inégalités et de la pauvreté, résume ainsi une grande quantité d’information sur les tendances de la
cohésion sociale – ou plutôt de la fracture sociale.
La fracture sociale s’élargit
Un premier constat s’impose sans ambiguïté à la lecture du graphique : le Bip 40 a fortement progressé depuis 1983. Notre indicateur est manifestement mieux en phase avec
l’opinion publique que les indicateurs officiels. Un deuxième constat, au moins aussi intéressant, suit immédiatement : la dégradation du tissu social n’est ni continue ni inéluctable. Rapide dans les années 80, elle s’est interrompue au début des années 90. Elle a repris de
1993 à 1999, puis a reculé en 2000 et surtout 2001, avant de repartir à la hausse en 2002.
L’explication de ces mouvements est complexe, et ne renvoie pas uniquement à la croissance économique. Bien sûr, quand l’économie va mieux, les salaires augmentent, le nombre de chômeurs ou de RMIstes recule, la précarité de l’emploi se stabilise, les expulsions
de locataires ou les chèques impayés sont moins nombreux. Le Bip 40 peut alors diminuer,
d’autant que nous avons choisi de donner un fort poids à l’indicateur de chômage, de précarité et de condition de travail (il pèse 25% du Bip 40, de même que l’indicateur d’inégalités de
revenu et de consommation, chacun des quatre autres domaines – santé, éducation, logement et justice – pesant pour 12,5%).
Mais en même temps, d’autres facteurs jouent de façon assez indépendante de la croissance économique. Ainsi les inégalités en matière d’éducation se sont nettement réduites
jusqu’en 1993, grâce au développement de la scolarisation, mais elles se maintiennent depuis. L’indicateur dans le domaine du logement augmente quand les hausses des loyers
sont très supérieures aux hausses des prix, ce qui reflète largement les cycles spéculatifs de
l’immobilier. L’indicateur en matière de justice dépend très clairement des politiques pénales
des gouvernements en place : le virage sécuritaire de 2002 a fait s’envoler les taux
d’incarcération et la proportion de détentions préventives, alors que la proportion de demandeurs d’asile qui obtiennent le statut de réfugié continue à baisser. Ces facteurs contribuent
fortement à la récente dégradation du Bip 40.
Revenus et conditions de travail : les salariés trinquent !
La pression patronale et gouvernementale sur les salaires et les cotisations, continue
depuis 20 ans, a contribué au développement des emplois à bas salaires, majoritairement
occupés par les femmes et les jeunes : les bas salaires concernent 16,2 % des salariés en
2002 contre 11,4% en 1983. Sur cette période le salaire moyen s’est rapproché du Smic : il
est passé de deux fois et demi le Smic à seulement deux fois le Smic. Le gouvernement Raffarin, tout en sortant des Smic multiples laissés par les lois Aubry, en a profité pour supprimer l’indexation du Smic sur le salaire moyen : l’écart devrait donc se creuser plus rapidement encore dans la période à venir.
La part de la population vivant de minima sociaux (6 % en 1980) approche désormais les 10
%. Rien qu’au cours des dix dernières années, le taux de surendettement des ménages et le
nombre de chèques sans provision augmentent de plus de 50 %. En même temps, les revenus financiers font plus que tripler, et le seul impôt redistributif, l’impôt sur le revenu, est raboté par tous les gouvernements : l’indice d’inégalités de revenus, qui combine ces données,
contribue à faire grimper le Bip 40, dont il constitue l’une des six composantes.
Pour autant, les conditions de travail ne se sont pas améliorées. Loin de là ! Ainsi, le travail
de nuit, dont on connaît les nombreux effets négatifs sur la santé, augmente fortement surtout pour les ouvriers. Les salariés déclarent de plus en plus devoir réaliser un travail répétitif
ou supporter des postures pénibles. Les accidents du travail déclarés, après avoir diminué
jusqu’en 1996, sont repartis à la hausse, et les maladies professionnelles (surtout les trou-
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bles musculo-squelettiques) ont explosé, à cause de la pression excessive exercée sur les
salariés pour qu’ils soient plus productifs. Entre 1990 et 2002, la dégradation des conditions
de travail tire aussi le BIP 40 à la hausse, c’est-à-dire dans la mauvaise direction.
Le chômage enraciné
Malgré les vingt milliards d’euros gaspillés chaque année par l’Etat pour les exonérations de cotisations sociales, le taux de chômage demeure élevé. Pourtant la statistique médiatisée a été « nettoyée » de toutes sortes de demandeurs d’emplois, en particulier ceux qui
ont travaillé quelques heures dans le mois. Si l’on tient compte, comme le fait le BIP 40, de
l’ensemble des salariés inscrits à l’ANPE, le taux de chômage a augmenté de plus de 60 %
au cours des vingt dernières années. Et, n’en déplaise à ceux qui dénoncent les fraudeurs
ou les paresseux, il ne fait pas bon être chômeur : la part des chômeurs non indemnisés
dépasse encore les 40 % en 2002, même si elle avait un peu diminué au tournant des années 2000. Les effets de la défunte convention Unedic de fin 2002 ne se feront pourtant sentir dans le Bip 40 que pour les chiffres de 2003.
Outre le niveau du chômage (tous chômeurs confondus), notre indicateur de chômage prend
en compte les inégalités de chômage entre les salariés (entre les femmes et les hommes,
les jeunes et les moins jeunes, les ouvriers, les employés et les cadres). Il tient compte aussi
de la durée du chômage et de la part des chômeurs non indemnisés. Sur l’ensemble de la
période 1983-2002, c’est cet indicateur de chômage qui a le plus contribué à la hausse du
Bip 40, même si une amélioration sensible a été observée entre 1998 et 2001.
Une précarité multiforme
Parmi les salariés qui ont officiellement un emploi, la précarité a développé plusieurs
visages, que le Bip 40 s’efforce de décrire. Le « sous-emploi » concerne ceux qui travaillent
malgré eux à temps partiel : ils sont un million aujourd’hui, notamment dans des secteurs tels
que la restauration ou l’hôtellerie. Le nombre d’intérimaires comptabilisés par l’Insee est multiplié par quatre entre 1985 et 2002 : si à court terme l’augmentation de l’intérim peut refléter
une reprise de l’activité et se transformer en embauches fermes par la suite, une telle augmentation sur longue période apparaît comme un facteur important de précarisation de la
main-d’œuvre. En même temps le nombre de salariés sous contrat à durée déterminée a été
multiplié par trois. Au sein du Bip 40, l’indice reflétant la précarité n’a cessé de croître sur
toute la période, hormis une légère baisse en 2002 liée au léger recul de l’intérim avec la
récession.
Santé : l’inégalité la plus radicale
La répartition des richesses, l’organisation de la protection sociale, le niveau des inégalités ont un effet bien plus important en matière de santé que les progrès de la médecine.
Le Bip 40 confirme ce constat : de toutes les statistiques mobilisées, celle qui reflète
l’inégalité la plus criante, s’il en faut une, concerne les écarts d’espérance de vie. En 1982,
un cadre vivait en moyenne presque cinq années de plus qu’un ouvrier. Vingt ans plus tard,
l’écart atteint un niveau record de huit années. Outre l’amélioration des conditions de vie et
de travail, l’accès égal aux soins (qu’il s’agirait aujourd’hui de mieux gérer) ou la prise en
charge collective des dépenses médicales (que M. Douste-Blazy a prévu de réduire)
s’avèrent essentiels pour que la lente progression de la part des soins de santé dans la richesse créée puisse bénéficier également à tous. Ainsi, la création de la CMU a pu constituer un progrès, même si, notamment en raison de ses conditions d’accès, certaines populations en restent exclues. Cependant, parmi les 100 mesures de la récente loi de santé publique, une seule porte directement sur les inégalités. La volonté de « responsabiliser » les
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patients qui s’affirme aujourd’hui avec les projets de réforme de l’assurance maladie ne peut
conduire qu’à un accroissement des inégalités, puisqu’il s’agit de laisser à la charge des patients une part plus grande de la dépense de santé. Après de réels progrès, il ne faudrait pas
que le droit à la santé redevienne un droit inaccessible à une part importante de la population.
Un toit, c’est un droit ?
La réalité du droit au logement a été sérieusement remise en cause au cours des vingt
dernières années. La part de la dépense des ménages consacrée au logement est en forte
augmentation depuis vingt ans, pour atteindre 20 % aujourd’hui. Le récent rapport de
l’Observatoire de la pauvreté remarquait d’ailleurs que ce taux d’effort est encore bien plus
important pour les ménages pauvres. L’évolution du Bip 40 dépend également de la confrontation de l’indice des prix des loyers à l’indice global des prix à la consommation (tous deux
calculés par l’Insee). En 2002, les prix des loyers augmentent deux fois plus vite que la
moyenne des prix, alors que dans le même temps était prise la décision de geler les aides
personnelles au logement. La politique du logement adoptée dans la période récente ne
semble pas favorable à une réduction des inégalités : alors que depuis 1999 le nombre
d’expulsions est de nouveau en hausse, l’action gouvernementale se concentre sur l’accès à
la propriété et la relance du logement locatif privé.
La statistique publique s’intéresse-t-elle réellement aux questions sociales ?
Constituer une telle base de données est un exercice instructif également quant aux
questions qu’une société préfère ne pas se poser. On l’a dit, le système statistique public ne
donne aucune vision d’ensemble de la distribution des revenus dans notre société, ce qui est
proprement incroyable. Mais d’autres lacunes sont criantes. On n’évoquera ici que les inégalités entre hommes et femmes : le seul domaine où il est relativement aisé de les retracer est
celui du travail. Nous avons retenu trois indicateurs sexués : le taux de chômage relatif des
femmes (qui connaît une nette baisse sur l’ensemble de la période), le rapport entre les salaires moyens féminin et masculin (qui s’est lui aussi amélioré mais n’évolue plus guère depuis 1993), et la part des femmes dans les contrats à temps partiel (qui reste désespérément
à plus de 80%). Pour le reste, il n’existe aucune statistique sexuée permettant de décrire les
évolutions de long terme, qu’il s’agisse d’éducation, de santé, de logement… Pourtant, la
question des familles monoparentales, pour la plupart dirigées par des femmes, est certainement une dimension majeure de la précarité dans notre pays. Ajoutons que le Bip 40 ne
comporte malheureusement pas d’indicateurs de la participation citoyenne à la vie politique
et associative, faute d’avoir pu trouver de tels indicateurs annuels ; a fortiori nous n’avons
pas d’indicateurs des inégalités de genre dans ce domaine…
Le Bip 40 conduit aujourd’hui à tirer la sonnette d’alarme
On peut bien sûr, comme pour tout indicateur synthétique, discuter des coefficients et
pondérations accordés à telle ou telle de ses composantes1. On peut même contester le
principe d’un indicateur synthétique, qui est forcément réducteur. D’autres séries auraient pu
être choisies, et nous ne prétendons aucunement avoir constitué un instrument parfait.
L’étendre à d’autres pays de l’Union européenne serait une avancée considérable. Il reste
que sur les six indicateurs par domaines qui composent le Bip 40, cinq décrivent une augmentation des inégalités et de la pauvreté sur l’ensemble de la période 1983-2002. Seul
1
Sur le site internet du Bip40, chacun peut moduler les pondérations affectées aux différentes séries statistiques
et recalculer l’indice pour s’apercevoir que les conclusions seront peu différentes.
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l’indicateur d’éducation s’est légèrement amélioré, surtout d’ailleurs au cours des années
1980.
L’intérêt de l’outil réside surtout dans sa fonction politique. Contrairement aux pauvres statistiques de la pauvreté que publie l’Insee, il permet aujourd’hui de lancer un avis d’alerte sur
l’état de la société française, sur le manque d’ambition des politiques sociales mises en œuvre, sur le caractère multiforme et envahissant des manifestations de la décohésion sociale
dans notre pays. Nul doute que la crise de la démocratie ne se nourrisse de tous ces éléments de décomposition. En même temps il est frappant que le 21 avril 2002 soit survenu à
l’issue d’une période de nette amélioration du Bip 40. Peut-être les électeurs avaient-ils déjà
compris la grande fragilité de cette embellie, en l’absence d’une réorientation radicale des
politiques économiques et sociales, à l’échelle française et européenne, qui seule pourrait
durablement inverser la dangereuse croissance du Bip 40.
Thomas Coutrot, Anne Fretel, Michel Maric
Cet article est paru dans Politis n° 803 du 27 mai 2004
Entretien avec Pierre Concialdi
L’évolution de la pauvreté est analysée depuis quelques années
par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion
sociale. Un rapport du Conseil de l'emploi, des revenus et de la
cohésion sociale (Cerc) de Jacques Delors a publié un rapport
sur taux de pauvreté chez les enfants, et la Direction des recherches du ministère des Affaires sociales (Drees) a publié une
étude sur l’inégalité d’accès aux soins qui touchent les allocataires de minima sociaux. Pourquoi y ajouter aujourd’hui un
baromètre des inégalités et de la pauvreté (Bip 40) ?
Le Réseau d’alerte sur les inégalités (RAI) a
publié une première version du Bip 40 juste
avant l’élection présidentielle de 2002.
L’idée avait été lancée par Denis Robert,
l’auteur de Révélation$, et apportée au RAI
par Jean-Baptiste Eyraud, le porte-parole du
DAL. Il s’agissait d’avoir un baromètre des
inégalités et de la pauvreté qui prenne en
compte, autant que possible, l’ensemble des
dimensions qui contribuent à la formation des
inégalités. Dans le domaine du logement, de la
santé, du chômage, etc. les associations travaillant sur le terrain tirent de plus en plus la
sonnette d’alarme depuis une vingtaine
d’années.
Le message délivré par la statistique officielle
de l’Insee, et qui porte essentiellement sur les
inégalités et la pauvreté monétaire, est franchement en décalage avec cette réalité : selon
l’INSEE, les inégalités et la pauvreté ont baissé
jusqu’au milieu des années 1980 et sont restées
ensuite à peu près stables. Notre indicateur montre
au contraire qu’entre le début des années 1980 et
2002 les inégalités et la pauvreté ont progressé en
France.
Avec ce baromètre, le RAI ne prétend pas fournir le
« vrai » chiffre des inégalités, ce qui serait une illusion. Il s’agit de mettre en débat la question des
inégalités et de la pauvreté, dans une démarche
tout à fait transparente, puisque la méthodologie et
l’ensemble des informations ayant servi à la construction de l’indicateur sont accessibles à travers un
site internet. Le RAI estime que ce débat n’est pas
porté aujourd’hui dans la société et surtout dans
ses différentes dimensions. Notre baromètre donne
une représentation de la réalité qui nous permet
d’avoir une critique plus fine des indicateurs et des
chiffres proposés par l’Insee.
5
Que reprochez-vous précisément à l’Insee, et sans
doute à d’autres organismes statistiques ?
Et que dites-vous des autres statistiques, par exemple
celle du chômage ?
Il y a certainement un tabou, très fortement
intériorisé dans la société française, sur les
inégalités. A la fin des années 80, le Centre
d’études des revenus et des coûts1 avait publié
un rapport sur ce sujet, et cela a probablement
contribué, au moins en partie, ….à sa disparition. Sur la question plus précise de la pauvreté, il y a en fait peu très peu de temps que
l’Insee publie des chiffres. Jusqu’au début des
années 1990, il n’y avait pas de statistiques
sur le taux de pauvreté. Malgré les progrès qui
ont pu être accomplis depuis une dizaine
d’années, notamment avec la création de certaines directions statistiques dans les administrations sociales, il reste encore de larges
champs inexplorés en matière de statistiques
sociales.
L’idée du baromètre est de dire, ce que personne
ne conteste, que la mesure des inégalités et de la
pauvreté ne peut se limiter à des indicateurs purement monétaires et qu’il est important de prendre
en compte d’autres dimensions. C’est pour cela que
le Bip 40 inclut également des indicateurs sur
l’emploi, le chômage, l’éducation, la justice, le logement, la santé,…
La façon dont l’Insee mesure les inégalités
pose problème parce que ces statistiques sont
basées sur des sources fiscales. Or on sait
que ces sources prennent très mal en compte
les revenus du travail indépendant et, surtout,
une grande partie des revenus du patrimoine,
tout simplement parce qu’une large majorité de
ces revenus échappent à l’impôt progressif.
Pourquoi cela pose-t-il problème ? Le problème vient du fait que ces revenus de la propriété ont explosé depuis la fin des années 1980 : la masse des revenus du patrimoine a été multipliée par trois en francs constant entre 1988 et 2002. Peu de personnes ont
vu leur revenu multiplié par trois dans la même
période.
Cela biaise évidemment la mesure des inégalités. D’autant plus que l’Insee qui « redressait »
auparavant les données fiscales, comme disent les statisticiens, pour tenir compte de ce
phénomène, ne le fait plus depuis une dizaine
d’années. Seul un lecteur attentif des publications de l’Insee peut déceler dans les petits
caractères des encadrés méthodologiques
l’incidence de ces choix sur la mesure de la
pauvreté monétaire. Selon que l’on réimpute
ou non ces revenus du patrimoine, la différence n’est pas mince! Le seuil de pauvreté
non redressé est de 530 € (3 500 francs) et le
seuil redressé est de 690 € (4 500 francs).
Bien évidemment, le taux de pauvreté est aussi bien supérieur lorsqu’on prend en compte
l’ensemble de ces revenus du patrimoine.
1
Le Centre d’études des revenus et des coûts (Cerc), seul
organisme qui contribuait à la connaissance des inégalités
sociales, a été créé en 1966 puis supprimé par Edouard
Balladur en 1993, avant de renaître en 1999.
6
Sur la question du chômage, le Bip 40 prend en
compte les indicateurs publiés par l’Insee, le fameux taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT), et aussi ceux du Ministère du
travail qui sont établis sur la base des données
fournies par l’ANPE. Mais il intègre aussi les diverses formes de sous-emploi, ce que l’on appelle le
taux de chômage déguisé. Cet indicateur complémentaire est tout à fait nécessaire car le baromètre
officiel du chômage ne prend en compte que deux
des huit catégories de chômeurs recensées par
l’ANPE. Or il se trouve que ces catégories non
comptabilisées ont augmenté nettement plus vite
que la moyenne et que cela fausse la mesure du
chômage.
Le nombre total de personnes inscrites à l’ANPE a,
par exemple, quasiment doublé depuis une vingtaine d’années, passant de 2,2 millions fin 1981 à
4,3 millions fin 2003. Pourtant, la statistique officielle du chômage délivre un message bien différent : la hausse du nombre de chômeurs « officiels » aurait été inférieure à 50%. Il faut aussi tenir
compte du sous-emploi et des personnes à temps
partiel contraint qui ne sont pas inscrites à l’ANPE.
Au total, les mesures sur les vingt dernières années
montrent qu’effectivement il y a un décalage croissant entre le taux de chômage officiel et la réalité
globale du sous-emploi en France. En fait, la frontière entre l’emploi et le chômage est de moins en
moins étanche. Parmi les demandeurs d’emploi
aujourd’hui inscrits à l’ANPE, 30 % travaillent chaque mois. Au début des années 1990, il y en avait
10 %.
Comment recueillez-vous les données dans d’autres
domaines ?
Le Bip 40 repose essentiellement sur la collecte
d’informations qui sont dans le domaine public. Il
est donc aussi largement tributaire des lacunes du
système statistique public. C’est le cas, notamment,
dans le domaine de la santé. On dispose bien de
quelques indicateurs, par exemple sur l’espérance
de vie différenciée entre ouvriers et cadres, mais
ces informations ne sont pas publiées annuellement. Un des enseignements de ce travail est
d’ailleurs de mettre en évidence les zones d’ombre,
voire les trous noirs de la statistique. On espère ainsi inciter le système statistique public à
progresser dans la connaissance et la mesure
des inégalités.
L’objectif du baromètre n’est-il pas aussi de faire
apparaître un indicateur qui s’inspire de
l’indicateur de développement humain initié par le
programme des Nations unies pour le développement (Pnud) ?
Nous avons repris une démarche analogue, mais
les indicateurs ne varient pas dans le même sens.
Plus l'IDH est élevé mieux c'est, alors que quand le
Bip 40 augmente cela indique que les inégalités et
la pauvreté s'accroissent.. Notre objectif est de
contribuer au débat en mettant cet indicateur sur la
table. On ne prétend pas avoir obtenu le meilleur
indicateur, on pense qu’il est perfectible, et qu’il
peut faire débat.
Propos recueillis par Thierry Brun
Sur le site…
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Recalculez le BIP40 !
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rigidités sociales : il faut libérer les énergies, bien comprendre que les profits d’aujourd’hui font les
emplois de demain, que l’on n’a jamais raison contre les marchés, que les prélèvements obligatoires sont trop élevés et qu’il faut baisser les impôts... C’est la chanson néo-libérale, à la gloire de la
liberté d’entreprendre - promue valeur suprême de nos sociétés. Pendant ce temps l’égalité et la
fraternité-solidarité ne cessent de reculer. Car les politiques néo-libérales (politiques d’ajustement
au Sud ou de réforme structurelle chez nous) n’ont pas réduit le chômage mais elles ont fort bien
réussi à rétablir la rentabilité des capitaux, à augmenter partout la concentration des richesses et
des pouvoirs.
Les politiques de la mondialisation refusent de s’assumer comme telles : les responsables
seraient les technologies, les consommateurs, bref les lois naturelles du marché auxquelles il faudrait nous adapter, indépendamment de tout choix démocratique. Porteurs de ce discours qui naturalise les intérêts et les politiques des puissants, la plupart des médias réduisent le débat économique et social à une simple question de technique et de pédagogie : il s’agit d’expliquer au peuple
que c’est pour son bien. Les inégalités, la précarité, l’insécurité sociale et écologique qui minent la
possibilité de faire société ? Des effets collatéraux, inévitables et temporaires, de la modernité.
Avec des millions de citoyens et militants de par le monde, nous refusons ce discours mensonger.
D’autres politiques, une autre Europe, une autre mondialisation sont possibles, qui visent
le bien commun et renforcent la démocratie. Mais il ne suffit pas de l’affirmer, encore faut-il le démontrer. Face au conformisme de la plupart des " experts " médiatiques, face au matraquage permanent du Cac et du Nasdaq, de plus en plus de citoyens recherchent des analyses et des éclairages alternatifs, qui permettent de résister aux fausses évidences dominantes. BIP40.ORG souhaite
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