L`accouchement sous X serait-il inhumain - Accueil

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L’accouchement sous X serait-il inhumain ?
Il y a des décisions incontestablement marquantes : mercredi 26 janvier 2011, la cour d’appel d’Angers reconnaît à des
grands-parents le droit de se voir attribuer la garde de leur petite-fille née sous X.
C’est au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, principe posé par la Convention de New York 1 et repris en droit interne 2,
que les juges angevins soulignent que le culte du secret et de l’anonymat induit par l’accouchement sous X n’est pas une
notion irréversible.
Cet arrêt 3 ravive les débats autour de l’accouchement sous X et du droit de l’enfant à connaître ses origines.
Depuis quelques années, il est piquant de relever que nous assistons à une remise en cause du traitement social et
judiciaire de l’accouchement sous X : aujourd’hui, cette pratique sociale est inéluctablement associée à d’autres
questionnements tel celui de la « recherche des origines ».
Sous l’œil du droit, de récentes modifications législatives et décisions jurisprudentielles malmènent sérieusement ce
conflit entre ces deux aspirations tout autant légitimes qu’antagonistes.
Pour l’avocat comme pour le magistrat, tout aurait pu être plus simple … ou plus compliqué … quitte à confirmer le
traditionnel principe juridique du culte de l’absolu secret « sous X » ?
En confiant un bébé né sous X à ses grands-parents biologiques, la cour d'appel d'Angers remet ouvertement et
résolument en question l'accouchement sous X.
« L’affaire d’Angers » est incontestablement historique. Mais cet arrêt ne peut se comprendre qu’à la lumière d’une série
d’évènements aux conséquences juridiques convergentes. Retour aux fondamentaux.
I. De l’oubli …
Traditionnellement, la France offre cet oubli à celle qui veut donner la vie à un enfant mais qui refuse de le voir grandir.
Sous l’initiative de Vincent de Paul, prêtre catholique renommé pour sa charité, est fondée en 1638 la maison de la
Couche de Paris.
Pour lutter contre les avortements, les expositions4, ou encore les infanticides de type filicide ou néonaticide, Saint
Vincent de Paul 5 organise l’usage du Tour d’abandon : il s’agit d’une sorte de guichet tournant inséré dans la façade des
hospices : la mère dépose l’enfant dans l’anonymat et en toute sécurité puis elle agite une cloche. À ce signal, de l'autre
côté du mur, quelqu'un fait basculer le tour et recueille le nourrisson.6
1
2
Article 7-1 de la Convention de New York du 20 novembre 1989 signée par la France le 26 janvier 1990
Article L 112-4 du code de l’action sociale et des familles : « L'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins
fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le
concernant. »
3
Arrêt de la cour d’appel d’Angers du 26 janvier 2011 – avec l’aimable contribution de Me Lauren BERRUE, avocat au
barreau d’Angers (49)
4
Dans les récits bibliques, les risques d’un possible inceste étaient à l’origine de l’interdiction faite à l’enfant illégitime
de pouvoir se marier. Dans l’Antiquité déjà, on exposait les enfants abandonnés dans des lieux publics.
5
Saint Vincent fait baptiser le premier enfant abandonné qu’il recueille, Église Saint Séverin (Paris) ; Les vitraux
évoquant "les Enfants trouvés " à l’entrée de l’Eglise Saint Séverin témoignent de cet évènement
6
Un enfant trouvé avec un bandeau noir signifiait que la mère était décédée
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La consécration de l’accouchement dans le secret voit en fait le jour sous la Révolution française avec le vote de la
Convention nationale de 1793 : le 28 juin 1793 – le 10 messidor An I sous calendrier républicain – soit quatre jours après
la promulgation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : le droit de taire sa maternité est proclamé au
terme d’un paragraphe consacré au « Secours à accorder aux enfants abandonnés » 7 :
« Il sera fourni par la nation aux frais de gésine et à tous ses besoins pendant le temps de son séjour, qui durera jusqu’à
ce qu’elle soit parfaitement rétablie de ses couches : le secret le plus inviolable sera gardé sur tout ce qui la
concernera. ».
Officialisé par le décret impérial du 19 janvier 18118, Le Tour d'abandon est supprimé par la loi du 27 juin 1904 relative
au service des enfants assistés ; le système d’un Bureau des admissions ouvert jour et nuit est désormais instauré pour
permettre un abandon d’enfant tout en questionnant la mère.9
Cette longue tradition française de l’accouchement anonyme est reprise par le décret-loi du 2 septembre 1941 sur la
protection de la naissance adopté par le gouvernement de Vichy.10
II. … au droit au secret
Ce n’est en fait que depuis 1993 que l’accouchement sous X est régi par le Code civil.
L'article 341-1 du code civil, inséré par l’article 27 de la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 dispose que « Lors de
l'accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé. » (nouvel article
326 du Code civil).
Au bénéfice des dispositions de l’article 57 du Code civil, Il n'est plus fait la mention dans les actes de l'Etat Civil de
"père et mère inconnus".
La femme dispose d'un délai de réflexion de 2 mois après l'accouchement durant lequel elle peut revenir sur sa décision et
reconnaître l'enfant. Durant cette période, I'enfant n'est pas adoptable.
Désormais inscrit dans le Code civil, l'accouchement anonyme impose que le secret de l’identité de la mère soit préservé :
aucune pièce d'identité n'est exigée et il n'est procédé à aucune enquête 11. A la naissance, l'enfant est confié à la DASS en
vue de son adoption ; il ne peut pas retrouver ses origines, sa mère ayant droit au secret le plus absolu.12
Un accompagnement psychologique et social est proposé13 … pour autant, rien ne vient garantir l'anonymat lors du suivi
de grossesse.14
III. Du maintien du secret à la mémoire dévoilée
En 2002, une profonde réflexion sur l'accouchement sous X et les problèmes identitaires qu'il génère chez les enfants
placés vivant sous le sceau du secret de leurs origines bouscule profondément l’état du droit positif : 15
7
Convention nationale du 28 juin au 8 juillet 1793, § II article 7
« Décret concernant les enfants trouvés ou abandonnés, et les orphelins pauvres », Titre II, article 3 : « Dans chaque
hospice destiné à recevoir les enfants trouvés, il y aura un tour où ils devront être déposés. »
9
Bureau où la mère peut confier secrètement son enfant, sans décliner son identité, tout en lui indiquant les conséquences
de cet abandon. La collectivité publique propose des secours à la mère mais elle a la responsabilité totale de ces enfants
désignés comme Pupilles de l’Etat
10
Ce décret prévoit également une prise en charge gratuite de la femme enceinte pendant le mois qui précède et le mois
qui suit l'accouchement
11
Article 42 du Code de la famille et de l'aide sociale et du Code de la santé publique - Hôpitaux, article 20, décret n°7427 du 14.01.74
12
Si la mère n'est pas revenue sur sa décision dans un délai de 2 mois (Art. 348.3 du Code civil – loi du 05 juillet 1996),
l'enfant est adoptable.
13
Loi du 5 juillet 1996
14
Et ce, malgré le secret professionnel protégé par l’article 378 du Code pénal (actuel article 226-13 du Code pénal) tant
les exceptions existent : par exemple celles prévues par les articles 226-14, 434-3, 434-4 et 223-6 du Code pénal
8
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« Toute femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité par
un établissement de santé est informée des conséquences juridiques de cette demande et de l'importance pour toute
personne de connaître ses origines et son histoire. Elle est donc invitée à laisser, si elle l'accepte, des renseignements sur
sa santé et celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son
identité. Elle est informée de la possibilité qu'elle a de lever à tout moment le secret de son identité et, qu'à défaut, son
identité ne pourra être communiquée que dans les conditions prévues à l'article L. 147-6. Elle est également informée
qu'elle peut à tout moment donner son identité sous pli fermé ou compléter les renseignements qu'elle a donnés au
moment de la naissance ».
Pour faciliter la recherche de parents est aussi créé le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP).
Le constat est alors inévitable : le droit à la connaissance des origines fragilise désormais progressivement mais
inéluctablement16 le droit au maintien du secret et le droit à la vie privée de la mère.
Inévitablement, la jurisprudence contribue également à l’éclatement progressif du mur du silence qui entoure
traditionnellement l’accouchement sous X :
- en 2003 17, la Cour européenne des droits de l’homme estime que la législation française relative à l’accouchement sous
X ne viole pas les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme car elle tend à atteindre un
équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause ; pour autant, la Cour reconnaît le droit à l’accès aux
origines personnelles (CNAOP)
- le 7 avril 2006, la 1ère Chambre de la Cour de cassation déduit des principes du Code civil et des traités internationaux18
que l'accouchement sous X a seulement pour objet de protéger le secret de l'admission et de l'identité de la mère ; ainsi, au
nom de l’intérêt de l’enfant, la filiation naturelle peut être établie entre un père et son fils né sous X et produire tous ses
effets juridiques. Le placement de l'enfant en vue d'une adoption ne peut plus faire obstacle à toute reconnaissance par le
père intervenant avant le consentement à une adoption donnée par le conseil de famille habilité ni même à toute
restitution de l'enfant.19
IV. L’affaire d’Angers : la fin de l’accouchement sous X ?
Pour la première fois en France, un juge des référés fait droit à la demande des grands-parents tendant à établir un lien de
filiation à l’égard d’une petite fille née sous X le 7 juin 2009.20
Défiant la jurisprudence constante de la Cour de cassation21, le juge des référés relève alors « l'attitude ambiguë de la
mère » âgée de 23 ans qui a permis aux grands-parents de voir l'enfant né prématurément peu après sa naissance,
« établissant ainsi un lien avec le bébé ».
Curieusement, le préfet du Maine-et-Loire ne fait pas appel de cette ordonnance de référé.
15
Loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’Etat ; Article
47 du Code de la famille et de l'aide sociale devenu l'actuel article L. 222-6 du code de l'action sociale et des familles ;
Décret n° 2002-781 du 3 mai 2002 relatif au Conseil national pour l’accès aux origines personnelles et à
l’accompagnement et l’information des femmes
16
Par exemple, à l’occasion de la réforme de la protection de l'enfance, la loi n°2007-293 du 5 mars 2007 reconnaît à tout
enfant ayant atteint l'âge de discernement, sous réserve de l'accord des représentants légaux, le droit d’avoir accès aux
informations laissées par ses parents ; ou encore, la loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009 qui permet aux enfants nés sous X
d’engager une action en recherche de maternité
17
Arrêt du 13 février 2003, req. n° 42326/98, Affaire Pascale Odièvre contre France
18
Article 7.1 de la Convention de New York du 20 novembre 1989 sur les droits de l'enfant : « L'enfant a, dès sa
naissance et dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents »
19
N° 05-11285. A rapprocher donc de l’article 352 du Code civil : « Le placement en vue de l'adoption met obstacle à
toute restitution de l'enfant à sa famille d'origine. Il fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance. »
20
8 octobre 2009 ordonnance de référé TGI Angers
21
Civ. 1re, 8 juillet 2009 : (n° 08-20153) l’action des grands parents en contestation de l’adoption plénière de leur petit
enfant né sous X suppose l’établissement d’un lien de filiation pour leur conférer la réunion d'un intérêt et d'une qualité
pour agir ; or, le nom de la mère ne figure pas dans l'acte de naissance de l'enfant Constantin, celle-ci ayant, au contraire,
souhaité que son identité ne soit pas connue ; en sorte qu'en l'absence de filiation établie entre leur fille et l’enfant
Constantin, les grands parents n'ont pas qualité pour intervenir à l'instance en adoption
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Pour faire échec à la procédure d'adoption de l’enfant qui dans l'attente de placement vivait chez une assistante familiale,
les grands-parents saisissent ensuite le tribunal de grande instance d’Angers pour obtenir la garde de leur petite-fille. Le
26 avril 2010, le tribunal les déboute au motif que l'expertise génétique effectuée est contraire à l'article 16-11 du Code
civil. Partant, il autorise l’adoption de l’enfant comme pupille de l’Etat.
Le 26 janvier 2011, la cour d’appel d’Angers censure cette décision et octroie la garde d’une enfant née sous X à ses
grands-parents biologiques : « La question à trancher n’est pas de savoir si la volonté des grands-parents doit supplanter
celle des parents, et en l’espèce celle de la mère, puisque juridiquement ils n’existent pas, mais de rechercher l’intérêt
supérieur de l’enfant tel qu'il a été posé en principe par la convention de New York du 20 novembre 1989. L’enfant
bénéficie ainsi, aux termes de l’article 7-1 de la convention, de droits fondamentaux, à savoir le droit à un nom et celui
de connaître ses parents et d'être élevé par eux. ».
La Cour rappelle également le bon sens qui préside à sa décision en soulignant : « S’il est exact qu’ils ne connaissent pas
Héléna en raison des décisions du Conseil général, qui leur en fait grief aujourd’hui, l’enfant ne connaît pas davantage
ses potentiels parents adoptifs » ; « [Les grands-parents] seront qualifiés pour affronter les questions légitimes que se
pose tout enfant adopté sur ses origines et son rejet par sa mère, ayant, dans les faits, une connaissance approfondie de
la réalité. ».
Sous le visa complémentaire de l’article 375-3 du Code civil qui pose le principe de subsidiarité avant tout placement
ASE, la cour annule l’arrêté préfectoral portant admission de la petite-fille en qualité de pupille de l’Etat puis elle déclare
qu’il est dans l’intérêt de l’enfant d’être confiée à ses grands-parents.
Un possible pourvoi en cassation ? 22 Juridiquement, cette voie de recours n’est pas ouverte à la mère biologique qui
n’est pas partie au procès ; seul le ministère public ou la tutelle seraient alors susceptibles de se pourvoir en cassation.
Avec le Duché du Luxembourg et l’Italie, la France reste le seul pays à permettre l'accouchement anonyme et à garantir
cet anonymat à vie.
Conçu à l’origine pour protéger mère et enfant, ce modèle est de plus en plus remis en question : parfois soutenu par de
justes motifs, parfois associé au « virus de la démocratie familiale », le débat oscille entre culpabilité parentale et intérêt
« négocié » de l’enfant.
Sous prétexte de pratiques humanisantes, notre société actuelle exhorte chacun de nous à fusionner autour du « tout
transparent » et de la communication à tout-va … à telle enseigne que le secret n’est plus une vertu de discrétion.
Entre l’intérêt d’une « mère de l’ombre » qui fait le choix de donner la vie anonymement et celui d’un enfant qui a le
droit de connaître ses origines, aucune suprématie d’un droit sur l’autre ne mériterait l’attention du juriste.
Pour autant, celui-ci pourrait rappeler que le droit de l'enfant à connaître ses origines tel que posé en principe par l’article
7-1 de la Convention des droits de l'enfant, n’existe que « dans la mesure du possible ».
Aussi, l’accouchement sous X deviendrait un droit qui serait désormais défini en creuset de cette « mesure du possible »
laquelle notion marque l’exception aux droits de l’enfant.
De même, l'accès au dossier d'identité de l'enfant né sous X reste un droit, non une obligation. Et il est fort probable qu’il
y aura de plus en plus de demandes devant les tribunaux tant l’appréciation d’un lien de filiation relève en grande partie
plus du juge et des parties que du législateur.
A certains égards, une prise de conscience juridique s’impose en conclusion : pour être de plus en plus otage de seules
postures idéologiques et n’être compris que dans le huis clos d’un cercle vertueux de la vie familiale traditionnelle,
l’intérêt de l’enfant ne préparerait-il pas la remise en cause du droit à l’interruption volontaire de grossesse et celui de la
contraception ?
A moins que … puisque par hypothèse l’intéressé le sait toujours mais est censé l’ignorer, ce soit un secret de
Polichinelle !
Kamel Benamghar
Avocat à la Cour
22
L’arrêt de la cour d’Angers est intervenu le jour même où la député UMP du Tarn-et-Garonne Brigitte Barèges
remettait au Premier ministre un rapport de mission parlementaire proposant de débattre de la levée en France de
l'anonymat pour les accouchements sous X afin d'aider les enfants qui le souhaitent à retrouver leurs parents biologiques.
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