Fermer les yeux - Revue des sciences sociales

Transcription

Fermer les yeux - Revue des sciences sociales
MAXIME COULOMBE
Laboratoire “Cultures et Sociétés en Europe”
(UMR 7043 CNRS)
& Faculté des sciences sociales
Université Marc Bloch, Strasbourg
<[email protected]>
Fermer les yeux
Sociologie contemporaine et art posthumain
N
ous ne parlerons ici que de quelques images artistiques, voire
d’une seule, simplement. Propos simple, mais dangereux pourtant : il
nous faudra prendre le risque d’un regard
sociologique sur elles. Il s’agit d’œuvres montrant des corps transformés.
Produites par des artistes provenant de
France, des Etats-Unis et d’Angleterre,
elles sont aujourd’hui regroupées, par la
critique, sous l’appellation d’« œuvres
posthumaines ».
Visuellement, elles présentent des
hommes et parfois des animaux transformés virtuellement ou réellement par
la technologie, que ce soit par ajout ou
par retrait : ajout de bras (Stelarc), changement de couleur de peau (Kac), robotisation (Natasha Vita More), retrait des
organes génitaux (Aziz et Cucher), etc.
Entrelacs d’imaginaires du corps et de
technologie, ces œuvres présentent des
connivences et des thèmes qui ne laissent
pas le sociologue indifférent.
D’un corps transformé par l’art visuel
au corps modifié dans les sociétés actuelles, de l’imaginaire numérique aux rêves
technoscientifiques, il n’y a qu’un pas.
Un pas à la fois séduisant et risqué. Un
pas qui nous reconduit à l’épineuse question du regard sociologique sur l’art : la
sociologie doit-elle – peut-elle – regarder l’art visuel contemporain ? Ce nœud
d’équivoques, cet « objet matériel qui est
en même temps objet de connaissance »,
24
pour reprendre la définition de LéviStrauss (Lévi-Strauss 1962 : 33), cet
étrange objet connu pour son extraordinaire pouvoir émotif, critique mais aussi
ironique, peut-il être considéré comme
un objet de connaissance sociologique ?
Certes, la sociologie s’intéresse
à l’art. Elle le perçoit généralement
comme un « champ » analysable dans sa
logique de production (origine sociale
et formation de l’artiste, etc.), de diffusion (la critique, le marché, etc.) et de
réception (origine sociale du spectateur,
préférence des œuvres en fonction de
cette origine, etc.)1. Elle s’y intéresse
comme à un milieu, à un ensemble de
relations entre des acteurs occupant
des rôles plus ou moins actifs dans son
organisation. Elle s’y intéresse, mais
trop souvent préfère fermer les yeux2.
Comme l’écrivait Nathalie Heinich dans
un ouvrage récent sur la sociologie de
l’art : « […] le sociologue doit fermer les
yeux sur l’objet [artistique] qui fait parler les acteurs, de façon à les ouvrir sur
les raisons qui les font parler, et sur les
logiques du discours » (Heinich 2004 :
1173). Ainsi, selon Heinich, la sociologie « doit fermer les yeux ». Manière
de marquer un rythme, un temps, cette
fermeture va permettre de mieux les
ouvrir : « de façon à les ouvrir», ajouteelle précisément, sur « les raisons » et les
« logiques du discours »4. En sourdine
semble poindre certaines des raisons
Maxime Coulombe
pour lesquelles il importerait de siller
les yeux : l’art est bien loin de nous
présenter « des raisons », ou de mettre
de l’avant des « logiques du discours », il
nous éloigne des « résultats positifs » et
« concrets » vers lesquels devrait tendre
la sociologie (Heinich 2001 : 100).
Mais précisément, « fermer les yeux »,
ce geste de déni, ce réflexe de peur, ne
laisse-t-il pas sous-entendre que nous
serions en face d’un objet sociologique non pas inutile ou peu intéressant
(dans ce cas, pourquoi ne pas d’abord le
regarder), mais inquiétant ? Comme si
ce que nous pourrions y voir se révélait
menaçant pour ces « résultats positifs »
mêmes. D’étrange, cette question se complique littéralement de dangers, d’abîmes
– épistémologiques, pratiques – lorsque
le sociologue se décide à laisser fleurir
tout ce que contient la densité des images artistiques. Survolons donc, l’espace
d’un instant, ces dangers. Naissent parfois, au cœur des abîmes, de fascinantes
créatures.
S’abîmer dans l’image5 ■
Dans le champ de la recherche, que ce
soit en histoire des arts ou en sémiotique,
l’image est habituellement considérée
sous son jour représentatif. Ces deux
disciplines mettent en lumière, depuis
près d’un siècle, les logiques de la construction de l’image. L’image ne faisant
sens qu’à travers des lois de figurabilité
– puisque toute représentation est construction – il existe donc, entre le producteur de l’image et le récepteur, un
ensemble de conventions symboliques
et socioculturelles (la plus célèbre étant
peut-être la perspective), acquises dès
nos premiers gribouillis sous le regard
parental, permettant de voir et de donner
à voir. Une telle approche représentative
et sémiotique de l’image met en lumière
les codes permettant le passage du référent (représentation mentale de la forme
à représenter) à l’image, d’une part, et
d’autre part de l’image à son signifié (le
sens que l’ensemble de l’image possède).
Analytique, la perspective sémiotique
éclaire ces processus signifiants et offre
ainsi une approche permettant de discerner les logiques anthropologique et psychologique, historique et sociologique, à
l’œuvre dans la transmission du sens.
Fermer les yeux ....
Or, il faut d’emblée noter la surdétermination de l’image, point de jonction
d’un ensemble de logiques signifiantes,
conjoncturelles ou structurelles, conscientes et inconscientes se juxtaposant,
rendant impossible d’épuiser le sens et
de discerner la cause première – finale
– d’une efficacité visuelle6. Qu’on songe,
entre autres, aux couleurs et leurs connotations (la chaleur du rouge, la froideur
du bleu qui est en outre la couleur préférée des occidentaux), aux formes (la
douceur d’une courbe, la dureté d’un
angle droit), aux vecteurs de l’image
(une diagonale reliant le coin inférieur
gauche et le coin supérieur droit est perçue comme ascendante et harmonique,
tandis qu’une diagonale partant du coin
inférieur droit est quant à elle perçue
comme descendante et disharmonique), à
la prise de vue des objets représentés (la
contre-plongée donnant un air supérieur,
voire dominant à la figure représentée, la
plongée écrasant la figure), à la perspective, aux lois de la Gestalt et, bien sûr, à
la très célèbre iconographie.
La sémiologie iconographique, largement glosée, permet, suivant des règles
symboliques partagée par une culture, la
reconnaissance de référents. Cette iconographie, par la reconnaissance de certains traits dans l’image, rend possible de
saisir des motifs plus complexes. Mais,
encore une fois, l’image est en mesure
de se jouer des conventions et de semer
le doute au cœur même des certitudes
sémiotiques, s’il en est. Les rapports de
causalité, d’opposition, d’alternative, de
temporalité y sont équivoques. Dès lors,
elle s’offre comme objet à la logique
paradoxale ; Freud, dans L’interprétation
des rêves, notait d’ailleurs cette caractéristique : « Il faut dire tout d’abord que le
rêve n’a aucun moyen de représenter [les]
relations logiques entre les pensées qui
le composent. […] Les arts plastiques,
peinture et sculpture, comparés à la poésie, qui peut, elle, se servir de la parole,
se trouvent dans une situation analogue »
(Freud 1967 : 269). L’image, lisible dans
tous les sens, et sans fin, voit chacun de
ses éléments influencer, rejouer, défier
l’interprétation générale. Ainsi, le spectateur est bien devant une image comme
devant une écriture surcodée, rhizome
de signes.
Et même, est-il si certain qu’il est
devant l’image ? En effet, la nature de
l’image est bien de se jouer de cette
logique figurative, de la déjouer, pour
apparaître comme quasi présence réelle.
Dans Le Pouvoir des images, ouvrage
passé largement sous silence en France,
David Freedberg souligne que la caractéristique fondamentale de l’image se
révèle être son extraordinaire efficacité
à éveiller le désir et la crainte, d’être
appréhendée, pour le meilleur et pour
le pire, d’un point de vue émotif. Les
mannequins des frères Chapman, représentant des corps d’enfants fusionnés
dans des positions sexuelles explicites,
ne sont pas d’abord perçus comme des
formes symboliques. Bien plutôt, c’est
la répulsion, le malaise, voire le rire que
soulèvent ces œuvres qui constituent la
première réaction. Le premier regard à
l’œuvre n’est pas celui d’être face à une
représentation, à une forme symbolique,
d’être « devant l’image », mais bien d’être
« dans l’image »7, c’est-à-dire d’oublier la
nature représentative pour en éprouver les
référents, voire les signifiés. L’efficacité
de la figuration est de faire oublier ses
logiques symboliques et pour entrer dans
une relation quasi physique, empathique,
avec le regardeur. Et ainsi amener le spectateur à se perdre dans l’image.
Assurément, l’analyse des logiques
symboliques de la représentation s’avère
une voie d’analyse sociologique efficace.
Mais saurait-elle rendre compte de ce qui
anime les inquiétantes œuvres des frères
Chapman ? On comprend la difficulté
sociologique à « saisir » littéralement cet
objet de connaissance qui, comme du
sable, semble glisser entre les doigts du
chercheur. L’analyse de l’image doit donc
tenir compte de sa nature à la fois logique,
mais aussi « magique » ; une telle magie
entendue au sens que lui donnait l’anthropologue des images Aby Warburg : « La
logique construit l’espace de la pensée
– la distance entre le sujet et l’objet – au
moyen de la conceptualisation qui établit
des distinctions ; la magie vient précisément détruire cet espace en rapprochant et
reliant l’homme et l’objet, sur le plan des
idées et sur le plan pratique » (Warburg
1990 [1920] : 250-251). L’image, lieu de
condensations et de déplacements, jouant
de son extraordinaire plasticité pour dire
plus et autre chose que ce qu’elle semble
uniquement dénoter.
Cette double distance n’est pas la dernière des difficultés que rencontre un
25
Aziz et Cucher, 1992. De la série Faith, Honor and Beauty Series, C-print.
26 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image”
regard sociologique sur l’image artistique. Il faut de même compter sur la
nature ambiguë du message iconique
de l’œuvre d’art. Si l’image publicitaire
et les messages transmis par les massmédias se font univoques et aussi clairs
que possible, l’image artistique semble
œuvrer à rebours d’une telle clarté. Barthes justifiait d’ailleurs ainsi son choix de
l’analyse d’une publicité dans sa célèbre
Rhétorique de l’image :
« On se donnera au départ une facilité
[dans l’analyse de l’image] – considérable : on n’étudiera que l’image publicitaire. Pourquoi ? Parce qu’en publicité,
la signification de l’image est assurément
intentionnelle : ce sont certains attributs
du produit qui forment a priori les signifiés du message publicitaire et ces signifiés doivent être transmis aussi clairement
que possible ; si l’image contient des
signes, on est certain qu’en publicité ces
signes sont pleins, formés en vue de la
meilleure lecture : l’image publicitaire
est franche, ou du moins empathique »
(Barthes, 1964 : 40).
Il faudrait revenir longuement, bien
sûr, sur la conception de l’œuvre d’art
qu’esquisse ici – par la négative – Barthes
en repoussoir de sa lecture de l’image
publicitaire : la possible non-intentionnalité de l’œuvre d’art (qu’entendre par
intention, lorsqu’il s’agit d’une œuvre
d’art ?), ou l’idée que l’œuvre d’art ne
serait pas forcément franche (qu’entendre ici par franchise lorsqu’il s’agit
d’image ?). Notons seulement – mais tout
de même – que la sémiotique visuelle
et la sociologie de l’image se sont plus
généralement risquées à analyser les
images publicitaires et de propagande,
car leur finalité était claire : faire vendre
ou inciter à produire une action. Cette
finalité éclaircie, le regard sur l’image
se révélait une manière de discerner les
mécanismes mis en scène afin atteindre
un tel objectif.
Or, l’œuvre d’art, et peut-être tout
particulièrement l’œuvre d’art contemporaine, se révèle au contraire équivoque.
L’impossibilité d’en saisir une finalité
claire, dans notre culture de la « transparence » et de l’information, amène bien
souvent le spectateur à chercher dans le
titre de l’œuvre son sens ou une clef de
lecture. Et lorsque le « sens-titre » se fait
« sans titre », il s’agit bien souvent de
l’ultime naufrage de cette volonté d’y
Maxime Coulombe
Fermer les yeux ....
voir quelque chose, et trop souvent aussi
le rejet de l’œuvre. Que faire en tant que
sociologues d’une œuvre figurative qui
n’affirme rien, sinon elle-même, et qui
n’exige rien du spectateur ?
Une œuvre
■
Complexité donc, ambiguïté, logiques
non-verbales, la menace d’un regard :
autant de limites à une analyse sociologique ? Il faut voir…
Prenons une œuvre de la mouvance
posthumaine (illustration ci-contre)8.
Il s’agit d’une œuvre de la série Faith,
Honor and Beauty Series de Aziz et
Cucher (1992). Une photo d’un homme
musculeux et nu marchant vers l’objectif, regardant et indiquant de la main
droite un point, hors champ, au-dessus
de l’angle de prise de vue. Il tient, de
sa main gauche, un ordinateur portable
dont le couvercle est relevé. Ses organes
génitaux et ses mamelons ont été gommés
par travail numérique et il est totalement imberbe à l’exception des cheveux.
Tout décor est absent et la profondeur
du champ est impossible à estimer : tant
le sol et que le fond de la représentation
étant remplis d’un même bleu sombre.
Iconographiquement, on peut affirmer
sans trop d’hésitation que l’ordinateur
portable au couvercle relevé – signifiant
son fonctionnement – tisse un lien direct
avec le geste et la marche du personnage.
L’ordinateur apparaît comme indiquant
un chemin, à l’instar d’une boussole
ou, mieux, d’un sextant (le personnage
regardant vers le haut). Littéralement,
la technologie semble indiquer une voie
à suivre.
Cette information vient entrer en
résonance avec une autre, inscrite dans
la nature même de l’œuvre : le corps
humain est ici modifié. Et cette modification est loin d’être innocente ; ont été
éliminées certaines des principales marques de la « bassesse » originelle (jouant
ici sur une expression de Bataille) du
personnage. D’une part son sexe, représentant sa capacité à se reproduire, son
ultime manque de l’autre, a été remplacé
par une peau lisse et blanche. D’autre part
les poils, lieu d’inquiétude de la philosophie – rappelons-nous le Parménide de
Platon – représentant la nature animale
de l’homme, ont été retirés. Tout se passe
comme si l’humain n’avait été qu’une
étape entre l’animal et le posthumain,
le passage s’effectuant par l’effacement
des ancrages charnels et existentiels de
l’homme. Il se tisse donc une relation,
prolongée par la nature de l’œuvre, entre
l’ordinateur portable et la posthumanité
de l’homme : souvenons-nous qu’il s’agit
d’une photo, modifiée numériquement,
et impliquant donc – littéralement – une
modification du corps par la technologie.
Comment dès lors concilier cette lecture, ici très rapide de l’œuvre, avec une
quelconque forme d’information sociologique ? La technologie apparaît à la fois
comme indiquant une voie à suivre, voie
encore invisible mais aussi responsable
de la déshumanisation du corps. Désirs,
science-fiction ou malaise ? Une telle
analyse nous montre une trame, un nœud
d’équivoques, autant d’entrelacs entre
le corps, la technoscience, la sexualité,
l’inhumanité, l’immortalité…
Un nœud d’équivoques, qu’il faudrait
donc défaire, trancher comme Alexandre ?
Ce serait pourtant aller à l’encontre du
désir même des artistes qui l’ont élaboré,
qui ont travaillé à former, nouer ces équivoques. Rappelons la phrase de Jabès :
« La mort est un nœud défait » (E. Jabès,
Le Livre des Questions). Comprendre, dès
lors, n’est peut-être pas défaire, mais saisir le tissage même comme geste, comme
volonté expressive. Et si c’était bien là
dans ces ambiguïtés mêmes que se logeait
la richesse sociologique de ces œuvres.
Et s’il fallait plutôt percevoir la nature
de l’art visuel non pas comme un facteur
limitant l’analyse, mais bien comme une
manière de la rendre possible. Et si le
visuel nous mettait face à un objet sociologique quelque peu particulier : le doute.
Il faut peut-être penser qu’une image,
permettant de figurer une contradiction
sans l’apaiser, se révèle une manière de
donner forme à des non-évidences, à des
tissus de doutes, à des questions. L’image
aurait donc la plasticité nécessaire pour
incarner une tension qui ne sait encore se
résoudre. Cette équivoque que soulèvent
certaines images ne serait pas à percevoir
comme une confusion ou un impossible à
lire, mais peut-être davantage comme une
sensation difficile à mettre en forme dans
le fil d’une narration. Un difficile à dire.
Les images d’art posthumain seraient
ainsi à comprendre comme l’incarnation
de tensions entre le corps et les technologies.
L’équivoque comme
objet sociologique
■
À penser l’image ainsi, il faudrait
certes aussi la regarder autrement. Il faudrait peut-être élargir la notion de « donnée » sociologique et percevoir certaines
images moins comme une réponse, que
comme une interrogation se cherchant
dans sa formulation.
En sociologie, Jean Duvignaud a marqué les premiers jalons d’un tel regard9.
En tant que signe, l’œuvre d’art, écrit
Duvignaud, doit être saisie comme rencontre : « [Si] nous prenons le signe dans
son acception concrète, il nous apparaît comme une activité double (et non
comme une chose ou une simple dénomination) : la présupposition d’un obstacle
à surmonter (participation ou expression)
et tentative réelle ou imaginaire pour surmonter cet obstacle » (Duvignaud 1967 :
56). Activité double, à la fois obstacle
et tentative pour le surmonter, l’œuvre
d’art l’est d’autant plus qu’elle est formée de « tensions contradictoires qui
animent la vie collective » (Duvignaud
1967 : 55). Loin d’être apaisée, l’œuvre
d’art est le fait d’une « singulière dialectique » ((Duvignaud 1967 : 9) inapaisée,
ouverte.
Lorsqu’on demandait à Anthony Aziz
et à Sammy Cucher d’expliquer leur
usage de la technologie et du biologique dans leurs dernières œuvres, leur
réponse rendait compte d’une inquiétante étrangeté : « A crossover which is
producing a new notion of the uncanny
based in what we can call the biotechnological unconscious10 ». Et quant à leur
sentiment à cet égard : « And you are
ambivalent about it11 ? » La réponse est
claire : « Yes, we experience the new biotechnological reality as both something
comforting and disconcerting12 » (Aziz
et Cucher 2000). La réalité biotechnologique, c’est-à-dire celle qu’ils mettent en
scène depuis une dizaine d’années, n’est
pas pour eux pétrie d’évidences, bien au
contraire, elle est à la fois réconfortante
et déconcertante.
Percevant la société comme une forme
en mouvement, en transformation, perpétuellement animée, Duvignaud soulignait
27
que l’imaginaire, loin d’être à détacher
de celle-ci, loin d’être à désincarner,
serait bien plutôt à saisir comme là où
les questions, les espoirs et les peurs se
confrontent et se nouent, s’articulent et
s’opposent aux cadres sociaux et aux perpétuelles transformations sociales13. Comme il l’écrivait à propos du style dans
sa Sociologie du théâtre : « [L]e style
mesure l’intensité avec laquelle un artiste
s’empare de ‘l’outillage mental’ que lui
fournit une époque, le modifie selon les
formes propres de sa vie psychique, de
son insertion dans un monde et de ce qu’il
attend de ce monde, pour formuler une
classification sublimée et transposée »
(Duvignaud 1965 : 41).
Cette notion d « outillage mental »
habite toute la pensée sur l’art de Duvignaud et constitue ici l’un des termes
clefs d’une réflexion possible sur l’image
artistique en sociologie. C’est cet outillage mental qui permet de tracer une relation entre la création artistique comme
phénomène généralement personnel et
ses échos et racines dans le social. Il
importe donc de s’y pencher. Comme
l’écrivait Duvignaud : « Mais toujours,
et chaque fois d’une manière nouvelle,
[la création artistique] brasse, manipule,
bricole, ajuste et réajuste tout ce qui
compose l’ ‘outillage matériel et mental’
d’une époque – langage, sons, couleurs,
instruments, idées communes. Et les
détourne de leur fonction coutumière en
les ‘donnant à voir’, à lire, à entendre »
(Duvignaud 1967 : 7).
L’ « outillage mental », de même que
l’utilisation du verbe « bricoler » n’est
évidemment pas sans rappeler le concept
de bricolage élaboré par Lévi-Strauss
dans La pensée sauvage (Lévi-Strauss
1962 : 26-44). Pour Lévi-Strauss, le bricolage et la pensée mythique posséderaient
des logiques sensiblement similaires. Le
bricoleur, travaillant à l’aide d’un répertoire d’objets limités, élaborerait des
formes originales ; ces objets, marqués
par leur emploi précédent, formeraient
ainsi un corpus de signifiés récupérés en
tant que signifiants à assembler. Comme
l’écrit Lévi-Strauss : « d’anciennes fins
sont appelées à jouer le rôle de moyens :
les signifiés se changent en signifiants, et
inversement » (Lévi-Strauss 1962 : 31).
Or, cette nouvelle forme, et telle est bien
là la richesse de la pensée Lévi-Strauss,
serait révélatrice, par le choix des objets
et par leur assemblage, de la personne /
pensée mythique l’ayant élaborée14. C’est
donc à la fois dans la sélection des signifiés, mais peut-être surtout à la manière
dont ceux-ci sont mis en rapport, que
les logiques d’une pensée, voire d’une
société, apparaissent.
Arasse, dans son ouvrage Le sujet
dans le tableau, avait emprunté dans une
telle voie avec ce qu’il avait nommé
« iconographie analytique », c’est-à-dire
la manière dont les thèmes iconographiques, dans le tableau, interagissent.
« [I]l faut enregistrer cette potentialité
associative du figural et tenter de déchiffrer les associations d’idées, d’idées et
d’images, que la figuration peut introduire dans le ‘message’ de la représentation. Autrement dit, il faut tenter une
‘iconographie analytique’ seule à même
de démêler les enjeux qui sont à l’origine des associations d’idées dont jouent
certaines images – et qui motive leur
production. […] si ces thèmes ont été
associés, c’est qu’ils pouvaient l’être – en
particulier à travers les rapprochements
virtuels que leurs définitions réciproques
autorisent. Employée à démêler ces associations, l’iconographie permet d’identifier des ‘dénominateurs communs’ entre
des thèmes objectivement distincts que
peut exploiter l’artiste, à des fins intimes » (Arasse 1997 : 11).
Arasse souligne que la forme transmet
un contenu, et c’est bien en fonction
d’un choix de contenus que les formes
s’imposent15. Ces « dénominateurs communs » entre ces thèmes structuraux sont
envisageables sous la perspective d’un
usage intime du sujet.
Il faut toutefois demeurer prudent,
afin qu’une telle intuition ne tienne pas
de la recette, c’est-à-dire d’une logique
qui, plaquée sur son objet, le détermine.
Qu’il ne s’agisse que d’une recherche de
« thèmes », de ce que Arasse, à la suite
de Panofsky, appelle iconographie. Une
telle lecture, superficielle manquerait à
saisir ce qui incite un individu à tenter de
mettre en forme, en sens, une image.
Ainsi, à ce premier terme clef, « bricolage » – certains diraient « structure » –,
il importe d’en joindre un second : le
désir. Duvignaud l’avait bien compris.
Prenant enseignement de la pensée
structuraliste et poststructuraliste, il faut
les déplacer pour souligner de nouveau
que la mise en représentation n’est pas
28 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image”
qu’histoire d’épistémè, ou de structure.
Il n’est d’outillage mental que compliqué
de désirs et de craintes. En cela, l’art
posthumain exprime l’imaginaire social,
tramant les aspirations et ce qui semble
permettre de les combler, les craintes
et ce qui pourrait les apaiser. Non pas
simple répétition d’une structure symbolique, il constitue un lieu offrant la
liberté et la plasticité nécessaire pour
l’expérimenter, la modifier, voire jouer
son renversement. De telles formulations
posthumaines, exprimées moins sous
la forme de réponses que de questions
ouvertes, s’expérimentant dans leur affirmation même, aboutissent à ces thèmes
artistiques parfois contradictoires. Derrida l’écrivait en une formule fulgurante :
« Et comme toujours la cohérence dans
la contradiction exprime la force d’un
désir » (Derrida 1967 : 410).
D’où cette tension inapaisée dans l’art
posthumain : ces œuvres apparaissant
comme d’étranges oxymores où la fatalité de chair se mêle à la puissance de la
technologie, la lenteur du corps à la vitesse de la machine, l’épaisseur de l’être à la
transparence des réseaux. Où s’éprouve,
à la fois, le malaise de la remise en question de ce « véhicule de l’être au monde »
(Merleau-Ponty) qu’est le corps et le vertige des possibilités que semble offrir la
technologie. Comme l’écrivait Nietzsche :
« Croyez-vous que les sciences auraient
pu jamais se développer et grandir si elles
n’avaient eu pour avant-garde les magiciens, les alchimistes, les astrologues et
les sorcières dont les promesses et les
mirages devaient d’abord susciter la foi,
la faim, l’agréable avant-goût des puissances cachées » (Nietzsche, cité dans
Ardenne 2001 : 433). C’est rappeler que
l’imaginaire, et celui de la technologie
n’y échappe pas, est d’abord histoire de
désirs. Et si l’œuvre d’art posthumain est
l’incarnation de cette tension inapaisée
entre le corps et la technologie, son étude
permet d’approcher la manière dont cette
tension se spécifie, comment ce corps et
cette technologie se nouent. S’attachant
tant à l’étude des conceptions du corps
qu’au développement de la technologie,
la sociologie actuelle est équipée pour se
pencher sur ces oeuvres, pour étudier la
conception du corps nécessaire à sa mise
en rapport avec la technologie, les « manques à être » que cette dernière semble
permettre de solutionner l’inquiétude,
Maxime Coulombe
Fermer les yeux ....
la menace qui semble poindre de cette
mise en rapport. En effet, si la notion de
« corps » est une fiction, si la technologie est d’abord un moyen plutôt qu’une
fin, leur mise en rapport est l’affaire de
désirs, d’aspirations et de craintes qu’il
faut, qu’il faudra, étudier16.
L’image sociologique
comme objet
contingent
■
Toutefois, cette « singulière dialectique », cette mise en mouvement de
l’imaginaire technoscientifique actuel,
s’incarnant dans l’art posthumain, ne peut
s’appréhender qu’à travailler d’abord sur
des particularités, celles d’œuvres artistiques d’abord révélatrices d’une intimité.
Regardons de nouveau l’œuvre d’Aziz et
Cucher. La transformation apportée au
corps n’est pas sans remettre en question
l’humanité de l’homme. La disparition
des organes génitaux, des poils et des
mamelons, la peau musclée et glabre, le
regard porté au-dessus de l’angle de vue,
déshumanise le personnage, et lui donne
une froideur quelque peu inquiétante.
Mais tout à la fois cette bipolarité n’est
pas poussée jusqu’à sa limite. Par exemple, le visage du personnage, siège de
l’identité, n’a pas été touché. Plutôt que
d’être un questionnement de toutes les
dynamiques et lieux de rencontre entre
le corps et la technologie, cette œuvre
dialectise leur rapport sous une forme
bien précise : c’est ici la vulnérabilité,
mise en tension avec la déshumanisation
qu’elle pose comme corollaire, qui est
soulignée.
Aziz précisait, dans sa réponse concernant son ambivalence à propos des
développements biotechnologiques, l’un
des forts ancrages personnels qu’avait ce
thème chez lui : « I was diagnosed with
HIV in 1989, and was very ill for a couple of years. Yet, I owe my current active
life to the fact that there were medicines developed out of recent research in
bioengineering which allowed scientists
to study the AIDS virus and design these
very particular drugs that attack or inhibit its replication. It’s an example of
how our ability to tamper with the biomolecular world through technology has
produced Protease Inhibitors which have
literally changed the relationship of my
body to the AIDS virus. Whereas once
my body was just deteriorating before my
very eyes, now it’s a body that functions
very well. It’s an active body17 » (Aziz
et Cucher 2000). Le rapport du corps
et de la technologie, dans le cas de Aziz
et Cucher, se tisse d’un rapport direct à
la sexualité : rappelons-nous que dans
l’œuvre analysée ici, les organes génitaux avaient été lissés. La technologie,
permettant de prolonger la vie, bouleverse la manière que Aziz a de percevoir
son corps. Mais, à même ce regard, une
inquiétude naît. Une inquiétude perceptible dans leur production artistique et
dans leur discours, une inquiétude liée
aux limites de telles technologies et à
leurs possibles incidences : « we experience the new biotechnological reality as
both something comforting and disconcerting » (citée précédemment).
L’art est, et en tant même qu’expression d’un sujet, expression du social.
Rappelons-nous Elias : « la forme de commande psychique du comportement d’un
individu est, du fait même qu’il a grandi
au sein d’un certain groupe […] absolument ‘typique’ de ce groupe, et elle est
en même temps, du fait qu’il a grandi en
occupant un position relationnelle unique
dans le réseau de sa société, absolument
individuelle, c’est une version unique
de ce caractère ‘typique’. » (Élias 1987 :
102-105). L’image artistique est un lieu
significatif de la culture. Non pas qu’elle
délivre une vérité plus profonde ou plus
vive, mais elle s’offre comme une illustration de la manière dont les structures
et les imaginaires de notre culture sont
parcourus de désirs. De tels imaginaires,
dans une culture de plus en plus encline à
être normalisée par les images (songeons
entre autres à la publicité, à la télévision
et au cinéma), n’empruntent pas forcément le discours verbal. Pourtant, leurs
incidences sur la consommation, sur la
recherche scientifique – songeons aux
technosciences et à la biologie –, sur le
rapport aux corps, n’en sont pas moins
considérables (Le Breton 1998).
Il s’agit donc de laisser s’exprimer
toute la complexité de l’image d’art, de
la même manière que sociologue reste
sensible, lors d’une interview, aux nuances et aux silences de l’interviewé. Il
doit rester sensible aux paradoxes comme
des moments particulièrement denses et
riches, pour difficiles qu’ils soient à sai-
sir, où se joue la signification. Il doit
laisser parler les images comme il donne
la parole aux gens rencontrés. On le sait,
donner la parole suppose un corollaire
indispensable : celui d’écouter ; et écouter implique de laisser le discours filer
même – et peut-être surtout – s’il paraît
contradictoire, le relancer au cœur du
silence tout en étant empathique à cette
parole qui s’exprime là où les mots manquent. C’est d’abord à partir d’une telle
complexité que peuvent prendre sens les
récurrences sociologiques. Et si une telle
sensibilité est bien au cœur de la recherche sociologique, le sociologue possède
l’essentiel pour saisir ce qui se joue au
cœur de l’art posthumain.
29
Bibliographie
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païenne dans les écrits et les images à l’époque de Luther », in Essais Florentins, Paris,
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Notes
1. Nous renvoyons ici le lecteur intéressé à
ces questions à l’ouvrage d’introduction
Sociologie de l’art (Heinich 2001).
2. Nous prenons à témoin, ici, la sociologie
de l’art de Nathalie Heinich. Représentante d’une conception passablement positiviste de la sociologie (c.f. infra et Heinich
2001 : 100), elle a un fort écho – et tonne
d’une voix cherchant le débat – dans la
sociologie de l’art. Elle se fait l’exemple-limite des difficultés, perdurant en
sociologie, à penser l’objet artistique.
3. Elle écrivait ailleurs : « Un premier enjeu
[de la sociologie de l’art] réside dans la
nécessaire autonomisation de la sociologie de l’Art par rapport à son objet même :
tant que la fascination pour ‘l’art’ et le
désir de concurrencer l’histoire ou la critique d’art tiendront lieu de programme,
il y aura peu de chances de dépasser le
stade d’une ‘esthétique sociologique’ à
la fois arrogante et peu productive, riche
de programmes mais pauvre en résultats,
parce qu’enfermée dans les problématiques lettrées – privilège accordé de facto
aux œuvres, apories normatives et manies
interprétatives » (Heinich 2001 : 101).
4. Il faudrait, mais l’espace nous manque,
nous pencher sur la distinction que Heinich semble instituer entre les arts visuels,
d’une part, et le théâtre et la littérature,
d’autre part. En effet, si la sociologue de
l’art a bien analysé des œuvres littéraires et
pièces de théâtre dans le cadre de travaux
d’enquête (Heinich 1999), prêchant, pour
ce faire, sur une sociologie tenant compte,
dans une trichotomie fort lacanienne, tant
de l’imaginaire, du symbolique, que du
réel (Heinich 1999 : 179), si elle prône
une rupture avec l’hégémonie du réflexe
causaliste en sociologie (Heinich 1999 :
178), ces arguments semblent, dans son
argumentaire, difficilement s’étendre aux
arts visuels.
5. La partie qui suit, mettant de l’avant la
densité et la complexité de l’image, mettant de l’avant, autrement dit, sa nature,
est bien loin d’être exhaustive. Elle ne
présente pas non plus tous les auteurs
clefs. Introductive et illustrative plutôt
qu’exhaustive, elle vise surtout à montrer
30 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image”
l’ampleur d’une telle complexité. Nous
renvoyons le lecteur à la bibliographie
commentée de l’ouvrage de Martine Joly,
Introduction à l’analyse de l’image, qui
constitue un bon survol des ouvrages fondamentaux sur certaines de ces questions
et sur la sémiotique visuelle (Joly 1993).
6. Comme l’écrivait Derrida : « Or, dans tout
espacement silencieux ou non purement
phonétique des significations, des enchaînements sont possibles qui n’obéissent
pas à la linéarité du temps logique, du
temps de la conscience… du temps de la
représentation verbale » (Derrida cité dans
Saint-Martin 2000 : 47) Toute l’œuvre
de Fernande Saint-Martin vise d’ailleurs
à explorer les logiques non-verbales
de l’image, principalement à travers la
sémiotique topologique qu’elle a fondée.
Voir d’ailleurs à cet effet l’ouvrage fondamental Sémiologie du langage visuel
(Saint-Martin 1987).
7. L’expression du « devant-dedans » est
en voie de passer dans le langage commun de la recherche sur l’image pour
rendre compte de cette double distance
(c.f. entre autres, Didi-Huberman 1990 :
188 ; Didi-Huberman 1992 : 14 ; Tisseron
2001-2002 : 29).
8. L’espace ici imparti nous force à nous
limiter à une seule œuvre, toutefois le présent travail constitue, en quelque sorte, la
trame de notre thèse de doctorat où cette
démonstration bénéficie d’un développement plus complet.
9. On pourrait toutefois souligner la proximité de ces analyses avec les notes personnelles d’Aby Warburg, anthropologue
des images et historien d’art du début
du XXe siècle. Voir à cet égard l’excellente étude de Georges Didi-Huberman,
L’image survivante, Histoire de l’art et
temps des fantômes selon Aby Warburg,
Paris, Éditions de Minuit, 2002.
10. « Un croisement qui produit une nouvelle
notion de l’étrange à partir de ce qu’on
pourrait appeler l’inconscient biotechnologique. »
11. « Et êtes-vous ambivalent à propos de
cela ? »
12. « Oui, nous éprouvons la nouvelle réalité
biotechnologique comme quelque chose
d’à la fois rassurant et d’inquiétant. »
13. Il faudrait, répétons-le, faire dialoguer
les travaux d’Aby Warburg, tels que les
présentent Georges Didi-Huberman, et la
conception de l’art de Duvignaud. Qu’on
songe seulement : « comme si les images
avaient précisément, selon Warburg, la
vertu – peut-être la fonction – de conférer
une plasticité, intensité ou réduction de
l’intensité, aux choses les plus affrontées
de l’existence et de l’histoire » (DidiHuberman 2002 : 183).
Maxime Coulombe
Fermer les yeux ....
14 Nous récusons à la suite de Derrida la
distinction que Lévi-Strauss instaure entre
œuvre d’art et bricolage. Nous croyons en
effet que toute œuvre d’art est fondamentalement bricolage (Derrida 1967 : 418).
15. Significatif en fait de certaines des structures d’une société, telle que pouvait
les concevoir le Foucault de Les mots
et les choses et de L’archéologie du
savoir. Duvignaud le rappelait d’ailleurs :
« Michel Foucault n’a tort de dire, dans
Les mots et les choses, que nous ne connaissons que cela même que nous permet
de concevoir la structure mentale d’une
époque. […] Au point que toute image
de ‘ce qui est naturel’, de la ‘nature’ ou
du ‘réel’ rejoint les ‘normes’ relatives qui
définissent la ‘normalité’. C’est pourtant
à cette image-là de la nature socialisée
que se réfère nécessairement un artiste. »
(Duvignaud 1967 : 33).
16. Comme l’écrivait Deleuze : « nous ne
trouverons jamais le sens de quelque
chose (phénomène humain, biologique
ou même physique), si nous ne savons
pas quelle est la force qui s’approprie la
chose, qui l’exploite, qui s’en empare ou
s’exprime en elle » (Deleuze 1962 : 3).
17. « J’ai été diagnostiqué comme ayant le
HIV en 1989 et j’ai été très malade pendant quelques années. Depuis, je dois
ma vie au fait que se sont développés
des médicaments à partir des récentes
recherches en biologie moléculaire qui
ont permis aux scientifiques d’étudier le
virus du SIDA et de créer des drogues
spécifiques qui attaquent et bloquent sa
réplication. Alors que mon corps se détériorait sous mes yeux, c’est maintenant
un corps qui fonctionne très bien. C’est
un corps actif. »
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