Fermer les yeux - Revue des sciences sociales
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Fermer les yeux - Revue des sciences sociales
MAXIME COULOMBE Laboratoire “Cultures et Sociétés en Europe” (UMR 7043 CNRS) & Faculté des sciences sociales Université Marc Bloch, Strasbourg <[email protected]> Fermer les yeux Sociologie contemporaine et art posthumain N ous ne parlerons ici que de quelques images artistiques, voire d’une seule, simplement. Propos simple, mais dangereux pourtant : il nous faudra prendre le risque d’un regard sociologique sur elles. Il s’agit d’œuvres montrant des corps transformés. Produites par des artistes provenant de France, des Etats-Unis et d’Angleterre, elles sont aujourd’hui regroupées, par la critique, sous l’appellation d’« œuvres posthumaines ». Visuellement, elles présentent des hommes et parfois des animaux transformés virtuellement ou réellement par la technologie, que ce soit par ajout ou par retrait : ajout de bras (Stelarc), changement de couleur de peau (Kac), robotisation (Natasha Vita More), retrait des organes génitaux (Aziz et Cucher), etc. Entrelacs d’imaginaires du corps et de technologie, ces œuvres présentent des connivences et des thèmes qui ne laissent pas le sociologue indifférent. D’un corps transformé par l’art visuel au corps modifié dans les sociétés actuelles, de l’imaginaire numérique aux rêves technoscientifiques, il n’y a qu’un pas. Un pas à la fois séduisant et risqué. Un pas qui nous reconduit à l’épineuse question du regard sociologique sur l’art : la sociologie doit-elle – peut-elle – regarder l’art visuel contemporain ? Ce nœud d’équivoques, cet « objet matériel qui est en même temps objet de connaissance », 24 pour reprendre la définition de LéviStrauss (Lévi-Strauss 1962 : 33), cet étrange objet connu pour son extraordinaire pouvoir émotif, critique mais aussi ironique, peut-il être considéré comme un objet de connaissance sociologique ? Certes, la sociologie s’intéresse à l’art. Elle le perçoit généralement comme un « champ » analysable dans sa logique de production (origine sociale et formation de l’artiste, etc.), de diffusion (la critique, le marché, etc.) et de réception (origine sociale du spectateur, préférence des œuvres en fonction de cette origine, etc.)1. Elle s’y intéresse comme à un milieu, à un ensemble de relations entre des acteurs occupant des rôles plus ou moins actifs dans son organisation. Elle s’y intéresse, mais trop souvent préfère fermer les yeux2. Comme l’écrivait Nathalie Heinich dans un ouvrage récent sur la sociologie de l’art : « […] le sociologue doit fermer les yeux sur l’objet [artistique] qui fait parler les acteurs, de façon à les ouvrir sur les raisons qui les font parler, et sur les logiques du discours » (Heinich 2004 : 1173). Ainsi, selon Heinich, la sociologie « doit fermer les yeux ». Manière de marquer un rythme, un temps, cette fermeture va permettre de mieux les ouvrir : « de façon à les ouvrir», ajouteelle précisément, sur « les raisons » et les « logiques du discours »4. En sourdine semble poindre certaines des raisons Maxime Coulombe pour lesquelles il importerait de siller les yeux : l’art est bien loin de nous présenter « des raisons », ou de mettre de l’avant des « logiques du discours », il nous éloigne des « résultats positifs » et « concrets » vers lesquels devrait tendre la sociologie (Heinich 2001 : 100). Mais précisément, « fermer les yeux », ce geste de déni, ce réflexe de peur, ne laisse-t-il pas sous-entendre que nous serions en face d’un objet sociologique non pas inutile ou peu intéressant (dans ce cas, pourquoi ne pas d’abord le regarder), mais inquiétant ? Comme si ce que nous pourrions y voir se révélait menaçant pour ces « résultats positifs » mêmes. D’étrange, cette question se complique littéralement de dangers, d’abîmes – épistémologiques, pratiques – lorsque le sociologue se décide à laisser fleurir tout ce que contient la densité des images artistiques. Survolons donc, l’espace d’un instant, ces dangers. Naissent parfois, au cœur des abîmes, de fascinantes créatures. S’abîmer dans l’image5 ■ Dans le champ de la recherche, que ce soit en histoire des arts ou en sémiotique, l’image est habituellement considérée sous son jour représentatif. Ces deux disciplines mettent en lumière, depuis près d’un siècle, les logiques de la construction de l’image. L’image ne faisant sens qu’à travers des lois de figurabilité – puisque toute représentation est construction – il existe donc, entre le producteur de l’image et le récepteur, un ensemble de conventions symboliques et socioculturelles (la plus célèbre étant peut-être la perspective), acquises dès nos premiers gribouillis sous le regard parental, permettant de voir et de donner à voir. Une telle approche représentative et sémiotique de l’image met en lumière les codes permettant le passage du référent (représentation mentale de la forme à représenter) à l’image, d’une part, et d’autre part de l’image à son signifié (le sens que l’ensemble de l’image possède). Analytique, la perspective sémiotique éclaire ces processus signifiants et offre ainsi une approche permettant de discerner les logiques anthropologique et psychologique, historique et sociologique, à l’œuvre dans la transmission du sens. Fermer les yeux .... Or, il faut d’emblée noter la surdétermination de l’image, point de jonction d’un ensemble de logiques signifiantes, conjoncturelles ou structurelles, conscientes et inconscientes se juxtaposant, rendant impossible d’épuiser le sens et de discerner la cause première – finale – d’une efficacité visuelle6. Qu’on songe, entre autres, aux couleurs et leurs connotations (la chaleur du rouge, la froideur du bleu qui est en outre la couleur préférée des occidentaux), aux formes (la douceur d’une courbe, la dureté d’un angle droit), aux vecteurs de l’image (une diagonale reliant le coin inférieur gauche et le coin supérieur droit est perçue comme ascendante et harmonique, tandis qu’une diagonale partant du coin inférieur droit est quant à elle perçue comme descendante et disharmonique), à la prise de vue des objets représentés (la contre-plongée donnant un air supérieur, voire dominant à la figure représentée, la plongée écrasant la figure), à la perspective, aux lois de la Gestalt et, bien sûr, à la très célèbre iconographie. La sémiologie iconographique, largement glosée, permet, suivant des règles symboliques partagée par une culture, la reconnaissance de référents. Cette iconographie, par la reconnaissance de certains traits dans l’image, rend possible de saisir des motifs plus complexes. Mais, encore une fois, l’image est en mesure de se jouer des conventions et de semer le doute au cœur même des certitudes sémiotiques, s’il en est. Les rapports de causalité, d’opposition, d’alternative, de temporalité y sont équivoques. Dès lors, elle s’offre comme objet à la logique paradoxale ; Freud, dans L’interprétation des rêves, notait d’ailleurs cette caractéristique : « Il faut dire tout d’abord que le rêve n’a aucun moyen de représenter [les] relations logiques entre les pensées qui le composent. […] Les arts plastiques, peinture et sculpture, comparés à la poésie, qui peut, elle, se servir de la parole, se trouvent dans une situation analogue » (Freud 1967 : 269). L’image, lisible dans tous les sens, et sans fin, voit chacun de ses éléments influencer, rejouer, défier l’interprétation générale. Ainsi, le spectateur est bien devant une image comme devant une écriture surcodée, rhizome de signes. Et même, est-il si certain qu’il est devant l’image ? En effet, la nature de l’image est bien de se jouer de cette logique figurative, de la déjouer, pour apparaître comme quasi présence réelle. Dans Le Pouvoir des images, ouvrage passé largement sous silence en France, David Freedberg souligne que la caractéristique fondamentale de l’image se révèle être son extraordinaire efficacité à éveiller le désir et la crainte, d’être appréhendée, pour le meilleur et pour le pire, d’un point de vue émotif. Les mannequins des frères Chapman, représentant des corps d’enfants fusionnés dans des positions sexuelles explicites, ne sont pas d’abord perçus comme des formes symboliques. Bien plutôt, c’est la répulsion, le malaise, voire le rire que soulèvent ces œuvres qui constituent la première réaction. Le premier regard à l’œuvre n’est pas celui d’être face à une représentation, à une forme symbolique, d’être « devant l’image », mais bien d’être « dans l’image »7, c’est-à-dire d’oublier la nature représentative pour en éprouver les référents, voire les signifiés. L’efficacité de la figuration est de faire oublier ses logiques symboliques et pour entrer dans une relation quasi physique, empathique, avec le regardeur. Et ainsi amener le spectateur à se perdre dans l’image. Assurément, l’analyse des logiques symboliques de la représentation s’avère une voie d’analyse sociologique efficace. Mais saurait-elle rendre compte de ce qui anime les inquiétantes œuvres des frères Chapman ? On comprend la difficulté sociologique à « saisir » littéralement cet objet de connaissance qui, comme du sable, semble glisser entre les doigts du chercheur. L’analyse de l’image doit donc tenir compte de sa nature à la fois logique, mais aussi « magique » ; une telle magie entendue au sens que lui donnait l’anthropologue des images Aby Warburg : « La logique construit l’espace de la pensée – la distance entre le sujet et l’objet – au moyen de la conceptualisation qui établit des distinctions ; la magie vient précisément détruire cet espace en rapprochant et reliant l’homme et l’objet, sur le plan des idées et sur le plan pratique » (Warburg 1990 [1920] : 250-251). L’image, lieu de condensations et de déplacements, jouant de son extraordinaire plasticité pour dire plus et autre chose que ce qu’elle semble uniquement dénoter. Cette double distance n’est pas la dernière des difficultés que rencontre un 25 Aziz et Cucher, 1992. De la série Faith, Honor and Beauty Series, C-print. 26 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image” regard sociologique sur l’image artistique. Il faut de même compter sur la nature ambiguë du message iconique de l’œuvre d’art. Si l’image publicitaire et les messages transmis par les massmédias se font univoques et aussi clairs que possible, l’image artistique semble œuvrer à rebours d’une telle clarté. Barthes justifiait d’ailleurs ainsi son choix de l’analyse d’une publicité dans sa célèbre Rhétorique de l’image : « On se donnera au départ une facilité [dans l’analyse de l’image] – considérable : on n’étudiera que l’image publicitaire. Pourquoi ? Parce qu’en publicité, la signification de l’image est assurément intentionnelle : ce sont certains attributs du produit qui forment a priori les signifiés du message publicitaire et ces signifiés doivent être transmis aussi clairement que possible ; si l’image contient des signes, on est certain qu’en publicité ces signes sont pleins, formés en vue de la meilleure lecture : l’image publicitaire est franche, ou du moins empathique » (Barthes, 1964 : 40). Il faudrait revenir longuement, bien sûr, sur la conception de l’œuvre d’art qu’esquisse ici – par la négative – Barthes en repoussoir de sa lecture de l’image publicitaire : la possible non-intentionnalité de l’œuvre d’art (qu’entendre par intention, lorsqu’il s’agit d’une œuvre d’art ?), ou l’idée que l’œuvre d’art ne serait pas forcément franche (qu’entendre ici par franchise lorsqu’il s’agit d’image ?). Notons seulement – mais tout de même – que la sémiotique visuelle et la sociologie de l’image se sont plus généralement risquées à analyser les images publicitaires et de propagande, car leur finalité était claire : faire vendre ou inciter à produire une action. Cette finalité éclaircie, le regard sur l’image se révélait une manière de discerner les mécanismes mis en scène afin atteindre un tel objectif. Or, l’œuvre d’art, et peut-être tout particulièrement l’œuvre d’art contemporaine, se révèle au contraire équivoque. L’impossibilité d’en saisir une finalité claire, dans notre culture de la « transparence » et de l’information, amène bien souvent le spectateur à chercher dans le titre de l’œuvre son sens ou une clef de lecture. Et lorsque le « sens-titre » se fait « sans titre », il s’agit bien souvent de l’ultime naufrage de cette volonté d’y Maxime Coulombe Fermer les yeux .... voir quelque chose, et trop souvent aussi le rejet de l’œuvre. Que faire en tant que sociologues d’une œuvre figurative qui n’affirme rien, sinon elle-même, et qui n’exige rien du spectateur ? Une œuvre ■ Complexité donc, ambiguïté, logiques non-verbales, la menace d’un regard : autant de limites à une analyse sociologique ? Il faut voir… Prenons une œuvre de la mouvance posthumaine (illustration ci-contre)8. Il s’agit d’une œuvre de la série Faith, Honor and Beauty Series de Aziz et Cucher (1992). Une photo d’un homme musculeux et nu marchant vers l’objectif, regardant et indiquant de la main droite un point, hors champ, au-dessus de l’angle de prise de vue. Il tient, de sa main gauche, un ordinateur portable dont le couvercle est relevé. Ses organes génitaux et ses mamelons ont été gommés par travail numérique et il est totalement imberbe à l’exception des cheveux. Tout décor est absent et la profondeur du champ est impossible à estimer : tant le sol et que le fond de la représentation étant remplis d’un même bleu sombre. Iconographiquement, on peut affirmer sans trop d’hésitation que l’ordinateur portable au couvercle relevé – signifiant son fonctionnement – tisse un lien direct avec le geste et la marche du personnage. L’ordinateur apparaît comme indiquant un chemin, à l’instar d’une boussole ou, mieux, d’un sextant (le personnage regardant vers le haut). Littéralement, la technologie semble indiquer une voie à suivre. Cette information vient entrer en résonance avec une autre, inscrite dans la nature même de l’œuvre : le corps humain est ici modifié. Et cette modification est loin d’être innocente ; ont été éliminées certaines des principales marques de la « bassesse » originelle (jouant ici sur une expression de Bataille) du personnage. D’une part son sexe, représentant sa capacité à se reproduire, son ultime manque de l’autre, a été remplacé par une peau lisse et blanche. D’autre part les poils, lieu d’inquiétude de la philosophie – rappelons-nous le Parménide de Platon – représentant la nature animale de l’homme, ont été retirés. Tout se passe comme si l’humain n’avait été qu’une étape entre l’animal et le posthumain, le passage s’effectuant par l’effacement des ancrages charnels et existentiels de l’homme. Il se tisse donc une relation, prolongée par la nature de l’œuvre, entre l’ordinateur portable et la posthumanité de l’homme : souvenons-nous qu’il s’agit d’une photo, modifiée numériquement, et impliquant donc – littéralement – une modification du corps par la technologie. Comment dès lors concilier cette lecture, ici très rapide de l’œuvre, avec une quelconque forme d’information sociologique ? La technologie apparaît à la fois comme indiquant une voie à suivre, voie encore invisible mais aussi responsable de la déshumanisation du corps. Désirs, science-fiction ou malaise ? Une telle analyse nous montre une trame, un nœud d’équivoques, autant d’entrelacs entre le corps, la technoscience, la sexualité, l’inhumanité, l’immortalité… Un nœud d’équivoques, qu’il faudrait donc défaire, trancher comme Alexandre ? Ce serait pourtant aller à l’encontre du désir même des artistes qui l’ont élaboré, qui ont travaillé à former, nouer ces équivoques. Rappelons la phrase de Jabès : « La mort est un nœud défait » (E. Jabès, Le Livre des Questions). Comprendre, dès lors, n’est peut-être pas défaire, mais saisir le tissage même comme geste, comme volonté expressive. Et si c’était bien là dans ces ambiguïtés mêmes que se logeait la richesse sociologique de ces œuvres. Et s’il fallait plutôt percevoir la nature de l’art visuel non pas comme un facteur limitant l’analyse, mais bien comme une manière de la rendre possible. Et si le visuel nous mettait face à un objet sociologique quelque peu particulier : le doute. Il faut peut-être penser qu’une image, permettant de figurer une contradiction sans l’apaiser, se révèle une manière de donner forme à des non-évidences, à des tissus de doutes, à des questions. L’image aurait donc la plasticité nécessaire pour incarner une tension qui ne sait encore se résoudre. Cette équivoque que soulèvent certaines images ne serait pas à percevoir comme une confusion ou un impossible à lire, mais peut-être davantage comme une sensation difficile à mettre en forme dans le fil d’une narration. Un difficile à dire. Les images d’art posthumain seraient ainsi à comprendre comme l’incarnation de tensions entre le corps et les technologies. L’équivoque comme objet sociologique ■ À penser l’image ainsi, il faudrait certes aussi la regarder autrement. Il faudrait peut-être élargir la notion de « donnée » sociologique et percevoir certaines images moins comme une réponse, que comme une interrogation se cherchant dans sa formulation. En sociologie, Jean Duvignaud a marqué les premiers jalons d’un tel regard9. En tant que signe, l’œuvre d’art, écrit Duvignaud, doit être saisie comme rencontre : « [Si] nous prenons le signe dans son acception concrète, il nous apparaît comme une activité double (et non comme une chose ou une simple dénomination) : la présupposition d’un obstacle à surmonter (participation ou expression) et tentative réelle ou imaginaire pour surmonter cet obstacle » (Duvignaud 1967 : 56). Activité double, à la fois obstacle et tentative pour le surmonter, l’œuvre d’art l’est d’autant plus qu’elle est formée de « tensions contradictoires qui animent la vie collective » (Duvignaud 1967 : 55). Loin d’être apaisée, l’œuvre d’art est le fait d’une « singulière dialectique » ((Duvignaud 1967 : 9) inapaisée, ouverte. Lorsqu’on demandait à Anthony Aziz et à Sammy Cucher d’expliquer leur usage de la technologie et du biologique dans leurs dernières œuvres, leur réponse rendait compte d’une inquiétante étrangeté : « A crossover which is producing a new notion of the uncanny based in what we can call the biotechnological unconscious10 ». Et quant à leur sentiment à cet égard : « And you are ambivalent about it11 ? » La réponse est claire : « Yes, we experience the new biotechnological reality as both something comforting and disconcerting12 » (Aziz et Cucher 2000). La réalité biotechnologique, c’est-à-dire celle qu’ils mettent en scène depuis une dizaine d’années, n’est pas pour eux pétrie d’évidences, bien au contraire, elle est à la fois réconfortante et déconcertante. Percevant la société comme une forme en mouvement, en transformation, perpétuellement animée, Duvignaud soulignait 27 que l’imaginaire, loin d’être à détacher de celle-ci, loin d’être à désincarner, serait bien plutôt à saisir comme là où les questions, les espoirs et les peurs se confrontent et se nouent, s’articulent et s’opposent aux cadres sociaux et aux perpétuelles transformations sociales13. Comme il l’écrivait à propos du style dans sa Sociologie du théâtre : « [L]e style mesure l’intensité avec laquelle un artiste s’empare de ‘l’outillage mental’ que lui fournit une époque, le modifie selon les formes propres de sa vie psychique, de son insertion dans un monde et de ce qu’il attend de ce monde, pour formuler une classification sublimée et transposée » (Duvignaud 1965 : 41). Cette notion d « outillage mental » habite toute la pensée sur l’art de Duvignaud et constitue ici l’un des termes clefs d’une réflexion possible sur l’image artistique en sociologie. C’est cet outillage mental qui permet de tracer une relation entre la création artistique comme phénomène généralement personnel et ses échos et racines dans le social. Il importe donc de s’y pencher. Comme l’écrivait Duvignaud : « Mais toujours, et chaque fois d’une manière nouvelle, [la création artistique] brasse, manipule, bricole, ajuste et réajuste tout ce qui compose l’ ‘outillage matériel et mental’ d’une époque – langage, sons, couleurs, instruments, idées communes. Et les détourne de leur fonction coutumière en les ‘donnant à voir’, à lire, à entendre » (Duvignaud 1967 : 7). L’ « outillage mental », de même que l’utilisation du verbe « bricoler » n’est évidemment pas sans rappeler le concept de bricolage élaboré par Lévi-Strauss dans La pensée sauvage (Lévi-Strauss 1962 : 26-44). Pour Lévi-Strauss, le bricolage et la pensée mythique posséderaient des logiques sensiblement similaires. Le bricoleur, travaillant à l’aide d’un répertoire d’objets limités, élaborerait des formes originales ; ces objets, marqués par leur emploi précédent, formeraient ainsi un corpus de signifiés récupérés en tant que signifiants à assembler. Comme l’écrit Lévi-Strauss : « d’anciennes fins sont appelées à jouer le rôle de moyens : les signifiés se changent en signifiants, et inversement » (Lévi-Strauss 1962 : 31). Or, cette nouvelle forme, et telle est bien là la richesse de la pensée Lévi-Strauss, serait révélatrice, par le choix des objets et par leur assemblage, de la personne / pensée mythique l’ayant élaborée14. C’est donc à la fois dans la sélection des signifiés, mais peut-être surtout à la manière dont ceux-ci sont mis en rapport, que les logiques d’une pensée, voire d’une société, apparaissent. Arasse, dans son ouvrage Le sujet dans le tableau, avait emprunté dans une telle voie avec ce qu’il avait nommé « iconographie analytique », c’est-à-dire la manière dont les thèmes iconographiques, dans le tableau, interagissent. « [I]l faut enregistrer cette potentialité associative du figural et tenter de déchiffrer les associations d’idées, d’idées et d’images, que la figuration peut introduire dans le ‘message’ de la représentation. Autrement dit, il faut tenter une ‘iconographie analytique’ seule à même de démêler les enjeux qui sont à l’origine des associations d’idées dont jouent certaines images – et qui motive leur production. […] si ces thèmes ont été associés, c’est qu’ils pouvaient l’être – en particulier à travers les rapprochements virtuels que leurs définitions réciproques autorisent. Employée à démêler ces associations, l’iconographie permet d’identifier des ‘dénominateurs communs’ entre des thèmes objectivement distincts que peut exploiter l’artiste, à des fins intimes » (Arasse 1997 : 11). Arasse souligne que la forme transmet un contenu, et c’est bien en fonction d’un choix de contenus que les formes s’imposent15. Ces « dénominateurs communs » entre ces thèmes structuraux sont envisageables sous la perspective d’un usage intime du sujet. Il faut toutefois demeurer prudent, afin qu’une telle intuition ne tienne pas de la recette, c’est-à-dire d’une logique qui, plaquée sur son objet, le détermine. Qu’il ne s’agisse que d’une recherche de « thèmes », de ce que Arasse, à la suite de Panofsky, appelle iconographie. Une telle lecture, superficielle manquerait à saisir ce qui incite un individu à tenter de mettre en forme, en sens, une image. Ainsi, à ce premier terme clef, « bricolage » – certains diraient « structure » –, il importe d’en joindre un second : le désir. Duvignaud l’avait bien compris. Prenant enseignement de la pensée structuraliste et poststructuraliste, il faut les déplacer pour souligner de nouveau que la mise en représentation n’est pas 28 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image” qu’histoire d’épistémè, ou de structure. Il n’est d’outillage mental que compliqué de désirs et de craintes. En cela, l’art posthumain exprime l’imaginaire social, tramant les aspirations et ce qui semble permettre de les combler, les craintes et ce qui pourrait les apaiser. Non pas simple répétition d’une structure symbolique, il constitue un lieu offrant la liberté et la plasticité nécessaire pour l’expérimenter, la modifier, voire jouer son renversement. De telles formulations posthumaines, exprimées moins sous la forme de réponses que de questions ouvertes, s’expérimentant dans leur affirmation même, aboutissent à ces thèmes artistiques parfois contradictoires. Derrida l’écrivait en une formule fulgurante : « Et comme toujours la cohérence dans la contradiction exprime la force d’un désir » (Derrida 1967 : 410). D’où cette tension inapaisée dans l’art posthumain : ces œuvres apparaissant comme d’étranges oxymores où la fatalité de chair se mêle à la puissance de la technologie, la lenteur du corps à la vitesse de la machine, l’épaisseur de l’être à la transparence des réseaux. Où s’éprouve, à la fois, le malaise de la remise en question de ce « véhicule de l’être au monde » (Merleau-Ponty) qu’est le corps et le vertige des possibilités que semble offrir la technologie. Comme l’écrivait Nietzsche : « Croyez-vous que les sciences auraient pu jamais se développer et grandir si elles n’avaient eu pour avant-garde les magiciens, les alchimistes, les astrologues et les sorcières dont les promesses et les mirages devaient d’abord susciter la foi, la faim, l’agréable avant-goût des puissances cachées » (Nietzsche, cité dans Ardenne 2001 : 433). C’est rappeler que l’imaginaire, et celui de la technologie n’y échappe pas, est d’abord histoire de désirs. Et si l’œuvre d’art posthumain est l’incarnation de cette tension inapaisée entre le corps et la technologie, son étude permet d’approcher la manière dont cette tension se spécifie, comment ce corps et cette technologie se nouent. S’attachant tant à l’étude des conceptions du corps qu’au développement de la technologie, la sociologie actuelle est équipée pour se pencher sur ces oeuvres, pour étudier la conception du corps nécessaire à sa mise en rapport avec la technologie, les « manques à être » que cette dernière semble permettre de solutionner l’inquiétude, Maxime Coulombe Fermer les yeux .... la menace qui semble poindre de cette mise en rapport. En effet, si la notion de « corps » est une fiction, si la technologie est d’abord un moyen plutôt qu’une fin, leur mise en rapport est l’affaire de désirs, d’aspirations et de craintes qu’il faut, qu’il faudra, étudier16. L’image sociologique comme objet contingent ■ Toutefois, cette « singulière dialectique », cette mise en mouvement de l’imaginaire technoscientifique actuel, s’incarnant dans l’art posthumain, ne peut s’appréhender qu’à travailler d’abord sur des particularités, celles d’œuvres artistiques d’abord révélatrices d’une intimité. Regardons de nouveau l’œuvre d’Aziz et Cucher. La transformation apportée au corps n’est pas sans remettre en question l’humanité de l’homme. La disparition des organes génitaux, des poils et des mamelons, la peau musclée et glabre, le regard porté au-dessus de l’angle de vue, déshumanise le personnage, et lui donne une froideur quelque peu inquiétante. Mais tout à la fois cette bipolarité n’est pas poussée jusqu’à sa limite. Par exemple, le visage du personnage, siège de l’identité, n’a pas été touché. Plutôt que d’être un questionnement de toutes les dynamiques et lieux de rencontre entre le corps et la technologie, cette œuvre dialectise leur rapport sous une forme bien précise : c’est ici la vulnérabilité, mise en tension avec la déshumanisation qu’elle pose comme corollaire, qui est soulignée. Aziz précisait, dans sa réponse concernant son ambivalence à propos des développements biotechnologiques, l’un des forts ancrages personnels qu’avait ce thème chez lui : « I was diagnosed with HIV in 1989, and was very ill for a couple of years. Yet, I owe my current active life to the fact that there were medicines developed out of recent research in bioengineering which allowed scientists to study the AIDS virus and design these very particular drugs that attack or inhibit its replication. It’s an example of how our ability to tamper with the biomolecular world through technology has produced Protease Inhibitors which have literally changed the relationship of my body to the AIDS virus. Whereas once my body was just deteriorating before my very eyes, now it’s a body that functions very well. It’s an active body17 » (Aziz et Cucher 2000). Le rapport du corps et de la technologie, dans le cas de Aziz et Cucher, se tisse d’un rapport direct à la sexualité : rappelons-nous que dans l’œuvre analysée ici, les organes génitaux avaient été lissés. La technologie, permettant de prolonger la vie, bouleverse la manière que Aziz a de percevoir son corps. Mais, à même ce regard, une inquiétude naît. Une inquiétude perceptible dans leur production artistique et dans leur discours, une inquiétude liée aux limites de telles technologies et à leurs possibles incidences : « we experience the new biotechnological reality as both something comforting and disconcerting » (citée précédemment). L’art est, et en tant même qu’expression d’un sujet, expression du social. Rappelons-nous Elias : « la forme de commande psychique du comportement d’un individu est, du fait même qu’il a grandi au sein d’un certain groupe […] absolument ‘typique’ de ce groupe, et elle est en même temps, du fait qu’il a grandi en occupant un position relationnelle unique dans le réseau de sa société, absolument individuelle, c’est une version unique de ce caractère ‘typique’. » (Élias 1987 : 102-105). L’image artistique est un lieu significatif de la culture. Non pas qu’elle délivre une vérité plus profonde ou plus vive, mais elle s’offre comme une illustration de la manière dont les structures et les imaginaires de notre culture sont parcourus de désirs. De tels imaginaires, dans une culture de plus en plus encline à être normalisée par les images (songeons entre autres à la publicité, à la télévision et au cinéma), n’empruntent pas forcément le discours verbal. Pourtant, leurs incidences sur la consommation, sur la recherche scientifique – songeons aux technosciences et à la biologie –, sur le rapport aux corps, n’en sont pas moins considérables (Le Breton 1998). Il s’agit donc de laisser s’exprimer toute la complexité de l’image d’art, de la même manière que sociologue reste sensible, lors d’une interview, aux nuances et aux silences de l’interviewé. Il doit rester sensible aux paradoxes comme des moments particulièrement denses et riches, pour difficiles qu’ils soient à sai- sir, où se joue la signification. Il doit laisser parler les images comme il donne la parole aux gens rencontrés. On le sait, donner la parole suppose un corollaire indispensable : celui d’écouter ; et écouter implique de laisser le discours filer même – et peut-être surtout – s’il paraît contradictoire, le relancer au cœur du silence tout en étant empathique à cette parole qui s’exprime là où les mots manquent. C’est d’abord à partir d’une telle complexité que peuvent prendre sens les récurrences sociologiques. Et si une telle sensibilité est bien au cœur de la recherche sociologique, le sociologue possède l’essentiel pour saisir ce qui se joue au cœur de l’art posthumain. 29 Bibliographie Arasse, Daniel, 1997. Le sujet dans le tableau, Paris, Flammarion. Ardenne, Paul, 2001. L’image corps : figures de l’humain dans l’art du XXe siècle, Paris, Éditions du Regard. Aziz et Cucher, 2003. « Conversation by Thyrza Nichols Goodeve ». Barthes, 1964. « Rhétorique de l’image », in Communications, n° 4, Paris, Seuil. p. 40-51. Bataille, Georges, 1957, L’érotisme, Paris, Minuit. Bourdieu, Pierre, Raisons pratiques, Paris, Éditions du Seuil, 1994. Coulombe, Maxime, 2004. « L’identité violente », Visio, vol. 9, n° 1-2, p. 333-346. Damisch, Hubert, 1972. Théorie du /nuage/ : pour une histoire de la peinture, Paris, Éditions du Seuil. 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Art, création, fiction, Entre sociologie et philosophie, Paris, Jacqueline Chambon Heinich, Nathalie, 1999. « Les histoires des fantômes relèvent-elles de la sociologie », in Vers une sociologie des œuvres, t. 2, Paris, L’Harmattan. Heinich, Nathalie, 2001. La sociologie de l’art, Paris, Éditions La Découverte. Joly, Martine, 1993. Introduction à l’analyse de l’image, Paris, Nathan. Joly, Martine, 2002. L’image et les signes, Paris, Nathan. Le Breton, David, 1999. L’adieu au corps, Paris, Métailié. Lévi-Strauss, 1962. La pensée sauvage, Paris, Plon. Saint-Martin, Fernande, 1987, Sémiologie du langage visuel, Sillery, Presses de l’Université du Québec. Saint-Martin, Fernande, 2000. « Le Je entre rythme et sabbat », Visio, Vol 5, n° 1. p. 43-54. Tisseron, Serge. 2000-2001. « Les images du tactiles aux fonctions de la peau », Visio, Vol 5, n° 4, p. 21-31. Warburg, Aby, 1990. « La divination antique et païenne dans les écrits et les images à l’époque de Luther », in Essais Florentins, Paris, Klincksieck. Notes 1. Nous renvoyons ici le lecteur intéressé à ces questions à l’ouvrage d’introduction Sociologie de l’art (Heinich 2001). 2. Nous prenons à témoin, ici, la sociologie de l’art de Nathalie Heinich. Représentante d’une conception passablement positiviste de la sociologie (c.f. infra et Heinich 2001 : 100), elle a un fort écho – et tonne d’une voix cherchant le débat – dans la sociologie de l’art. Elle se fait l’exemple-limite des difficultés, perdurant en sociologie, à penser l’objet artistique. 3. Elle écrivait ailleurs : « Un premier enjeu [de la sociologie de l’art] réside dans la nécessaire autonomisation de la sociologie de l’Art par rapport à son objet même : tant que la fascination pour ‘l’art’ et le désir de concurrencer l’histoire ou la critique d’art tiendront lieu de programme, il y aura peu de chances de dépasser le stade d’une ‘esthétique sociologique’ à la fois arrogante et peu productive, riche de programmes mais pauvre en résultats, parce qu’enfermée dans les problématiques lettrées – privilège accordé de facto aux œuvres, apories normatives et manies interprétatives » (Heinich 2001 : 101). 4. Il faudrait, mais l’espace nous manque, nous pencher sur la distinction que Heinich semble instituer entre les arts visuels, d’une part, et le théâtre et la littérature, d’autre part. En effet, si la sociologue de l’art a bien analysé des œuvres littéraires et pièces de théâtre dans le cadre de travaux d’enquête (Heinich 1999), prêchant, pour ce faire, sur une sociologie tenant compte, dans une trichotomie fort lacanienne, tant de l’imaginaire, du symbolique, que du réel (Heinich 1999 : 179), si elle prône une rupture avec l’hégémonie du réflexe causaliste en sociologie (Heinich 1999 : 178), ces arguments semblent, dans son argumentaire, difficilement s’étendre aux arts visuels. 5. La partie qui suit, mettant de l’avant la densité et la complexité de l’image, mettant de l’avant, autrement dit, sa nature, est bien loin d’être exhaustive. Elle ne présente pas non plus tous les auteurs clefs. Introductive et illustrative plutôt qu’exhaustive, elle vise surtout à montrer 30 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image” l’ampleur d’une telle complexité. Nous renvoyons le lecteur à la bibliographie commentée de l’ouvrage de Martine Joly, Introduction à l’analyse de l’image, qui constitue un bon survol des ouvrages fondamentaux sur certaines de ces questions et sur la sémiotique visuelle (Joly 1993). 6. Comme l’écrivait Derrida : « Or, dans tout espacement silencieux ou non purement phonétique des significations, des enchaînements sont possibles qui n’obéissent pas à la linéarité du temps logique, du temps de la conscience… du temps de la représentation verbale » (Derrida cité dans Saint-Martin 2000 : 47) Toute l’œuvre de Fernande Saint-Martin vise d’ailleurs à explorer les logiques non-verbales de l’image, principalement à travers la sémiotique topologique qu’elle a fondée. Voir d’ailleurs à cet effet l’ouvrage fondamental Sémiologie du langage visuel (Saint-Martin 1987). 7. L’expression du « devant-dedans » est en voie de passer dans le langage commun de la recherche sur l’image pour rendre compte de cette double distance (c.f. entre autres, Didi-Huberman 1990 : 188 ; Didi-Huberman 1992 : 14 ; Tisseron 2001-2002 : 29). 8. L’espace ici imparti nous force à nous limiter à une seule œuvre, toutefois le présent travail constitue, en quelque sorte, la trame de notre thèse de doctorat où cette démonstration bénéficie d’un développement plus complet. 9. On pourrait toutefois souligner la proximité de ces analyses avec les notes personnelles d’Aby Warburg, anthropologue des images et historien d’art du début du XXe siècle. Voir à cet égard l’excellente étude de Georges Didi-Huberman, L’image survivante, Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Éditions de Minuit, 2002. 10. « Un croisement qui produit une nouvelle notion de l’étrange à partir de ce qu’on pourrait appeler l’inconscient biotechnologique. » 11. « Et êtes-vous ambivalent à propos de cela ? » 12. « Oui, nous éprouvons la nouvelle réalité biotechnologique comme quelque chose d’à la fois rassurant et d’inquiétant. » 13. Il faudrait, répétons-le, faire dialoguer les travaux d’Aby Warburg, tels que les présentent Georges Didi-Huberman, et la conception de l’art de Duvignaud. Qu’on songe seulement : « comme si les images avaient précisément, selon Warburg, la vertu – peut-être la fonction – de conférer une plasticité, intensité ou réduction de l’intensité, aux choses les plus affrontées de l’existence et de l’histoire » (DidiHuberman 2002 : 183). Maxime Coulombe Fermer les yeux .... 14 Nous récusons à la suite de Derrida la distinction que Lévi-Strauss instaure entre œuvre d’art et bricolage. Nous croyons en effet que toute œuvre d’art est fondamentalement bricolage (Derrida 1967 : 418). 15. Significatif en fait de certaines des structures d’une société, telle que pouvait les concevoir le Foucault de Les mots et les choses et de L’archéologie du savoir. Duvignaud le rappelait d’ailleurs : « Michel Foucault n’a tort de dire, dans Les mots et les choses, que nous ne connaissons que cela même que nous permet de concevoir la structure mentale d’une époque. […] Au point que toute image de ‘ce qui est naturel’, de la ‘nature’ ou du ‘réel’ rejoint les ‘normes’ relatives qui définissent la ‘normalité’. C’est pourtant à cette image-là de la nature socialisée que se réfère nécessairement un artiste. » (Duvignaud 1967 : 33). 16. Comme l’écrivait Deleuze : « nous ne trouverons jamais le sens de quelque chose (phénomène humain, biologique ou même physique), si nous ne savons pas quelle est la force qui s’approprie la chose, qui l’exploite, qui s’en empare ou s’exprime en elle » (Deleuze 1962 : 3). 17. « J’ai été diagnostiqué comme ayant le HIV en 1989 et j’ai été très malade pendant quelques années. Depuis, je dois ma vie au fait que se sont développés des médicaments à partir des récentes recherches en biologie moléculaire qui ont permis aux scientifiques d’étudier le virus du SIDA et de créer des drogues spécifiques qui attaquent et bloquent sa réplication. Alors que mon corps se détériorait sous mes yeux, c’est maintenant un corps qui fonctionne très bien. C’est un corps actif. » 31