Une pieuvre en Méditerranée

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Une pieuvre en Méditerranée
CANARD ENCHAINE
Date : 29 AVRIL 15
Page de l'article : p.6
Journaliste : Didier Hassoux
Pays : France
Périodicité : Hebdomadaire
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Une pieuvre en Méditerranée
Andrea Di Nicola et Giampolo Musumeci., dans "Trafiquants d'hommes"
(Liana Levi), ont enquête sur le très lucratif business de limmigration clandestine.
C
'EST l'histoire d'une
série noire sans fin. Où
chacun des épisodes est
plus tragique que le précédent.
Et où les milliers de morts anonymes, balances avant ou
après les résultats du dernier
match, ne disent rien de l'ampleur du naufrage d'une politique migratoire de part et
d'autre de la Méditerranée.
Andrea Di Nicola et Giampolo Musumeci n'ignorent rien
de ces sinistres statistiques :
3 419 migrants morts en Méditerranée en 2014. Auxquels
il faut ajouter, depuis le début
de l'année 2015, 400 « disparus » le 12 avril, 40 autres trois
jours plus tard, puis 800 au
cours du week-end des 18 et
19 avril. Mais le criminologue
et le journaliste ne se noient
pas dans ces données. Ils ne
méconnaissent rien des drames
humains mais sont allés chercher les « têtes pensantes du
système », entrepreneurs criminels rompus aux lois du
marché. Et ils ont découvert la
«plusgrande agence de voyage
du monde ».
Un business estimé à
150 millions de dollars l'an par
les Nations unies. Plutôt entre
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3 et 5 milliards de dollars,
selon les deux auteurs, au
terme de deux ans et demi
d'enquête. Ils sont formels : le
trafic d'hommes, de femmes et
d'enfants sera bientôt plus lucratif que celui de la coke et
de l'héro. Ceux-là l'ont compris : monsieur est diplomate
français en poste au Sénégal,
madame a ses œuvres. Très
lucratives. Elle vend des
faux papiers entre 5 000 et
6 000 euros l'unité. Lui met un
coup de tampon. En trois ans,
ni vu ni connu, le couple a
gagné plus de 2 millions d'eu-
ros et s'est fait construire deux
villas luxueuses.
Comme ces deux-là, ils sont
des milliers d'« entrepreneurs », de part et d'autre de
la Méditerranée. Le criminologue et le journaliste en ont
rencontre quelques-uns, dont
ils dressent le portrait et recueillent les confidences. ll y a,
par exemple, Taras, skippeur
ukrainien et « passeur de talibans ». Ou encore Félicien, missionnaire congolais, « incroyable tisseur de toiles, de relations,
d'amitiés souvent tarifées ». El
Douly, lui, est spécialisé dans
le transport de clandestins irakiens et libyens vers la Sicile
et Muammer Kùçùk est le roi
de la « cash economy » du côté
d'Istanbul. Etc. Sans se connaître, tous travaillent pour la
même multinationale.
Car une organisation criminelle, aux multiples ramifications, parfaitement huilée,
sous-tend ce trafic. Il y a des
« investisseurs » qui « financent
ou procurent les moyens de
transport », des « directeurs régionaux », installés aux carrefours des routes de l'immigration, qui gèrent un ou plusieurs
pays, des «prestataires locaux »
qui garantissent des services,
des « passeurs » directement
en contact avec la « clientèle »,
sans oublier le blanchisseur
d'argent, le recouvreur de
dettes et le fonctionnaire corrompu qui sert de « protecteur ». Cette entreprise est
constituée comme « un grand
réseau fluide », souvent insoupçonnable, toujours en mouvement. Comme la mer Méditerranée.
Didier Hassoux
• 192 p., 18 €. Traduit de l'ita-
lien par Samuel Sfez.
LIANALEVI 4876383400524

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