La révolution syrienne, de la guerre civile à la crise internationale

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La révolution syrienne, de la guerre civile à la crise internationale
La révolution syrienne, de la guerre civile à la
crise internationale
Jean-Pierre FILIU
Le 17.09.13, au Lycée François 1er, Fontainebleau
Par Monsieur Jean-Pierre Filiu, professeur des universités en histoire du
Moyen Orient contemporain à Sciences Po, membre du CERI.
C’est une conférence-évènement qui réunit élèves de TES1, TES2 et TL1, autour de
Monsieur Jean Pierre Filiu sur un sujet brulant d’actualité : la crise syrienne. Ce
conflit semble être un fait absolument marquant et déterminant pour notre jeune
génération, qui risque de conditionner fortement notre histoire contemporaine, tout
comme les évènements du 11 septembre 2001 ont marqué la génération précédente.
Cet historien au parcours impressionnant débute son exposé par un rappel de
l’histoire de la Syrie, et notamment de l’historique de la relation franco-syrienne
depuis le XVIème siècle. C’est d’ailleurs, comme il le souligne, avec François 1er,
personnage bien connu des élèves de notre lycée, que commence la relation
entre les deux pays. En effet, en 1536, François 1er signe le traité des
Capitulations avec le sultan Soliman le Magnifique, marquant ainsi le début
des relations de la France avec cette partie du monde. Le premier consulat
français
est
alors
installé
à
Alep.
La Syrie est un Etat important du Moyen Orient. La notion de Moyen Orient est
relativement récente. Jusqu’au début du XXe siècle, cette région du monde était
connue sous le nom d’Echelles du Levant. C’est à l’issue de la Première Guerre
Mondiale que l’amiral américain A.Mahan, théoricien des routes maritimes à
l’académie de Westpoint, invente le terme de ‘Middle East’. En effet, selon lui, un
Etat ne peut être une puissance globale que si elle contrôle les routes maritimes. Le
Moyen Orient, à mi-chemin entre les Indes et le Canal de Suez, est une zone
stratégique, située au milieu des routes du commerce international. Ainsi, pour lui,
« qui contrôle le Moyen Orient contrôle le monde ».
Suite à la Première Guerre Mondiale, en 1920, la Syrie devient un mandat français,
mesure qui vise officiellement à conduire le pays vers l’indépendance, mais
contraire aux souhaits de la population qui voudrait mettre en place en Royaume
Arabe. La France divise alors la Syrie en 5 parties : Damas, Alep, un Etat Kurde, un
Etat Druze et un Etat Alaouite. En 1925-1926, des révoltes nationalistes éclatent à
Damas et sont violemment réprimées par l’armée française.
La Syrie obtient une indépendance formelle en 1943, et c’est en 1946 que les
troupes françaises se retirent (détruisant au passage le Parlement). En 1947, le parti
Baas voit le jour. Son nom renvoie à la notion de renaissance et il prône une sorte de
socialisme arabe, avec une vocation d’unification des pays arabes séparés par la
colonisation. Contrairement à la majorité syrienne sunnite, le parti Baas est un parti
laïc, il obtient ainsi le soutien des populations chrétiennes et alaouites. Un certain
Hafez el Assad est alors jeune militant dans ce parti.
La Syrie connait ensuite une période d’instabilité politique ; elle sera
momentanément absorbée par l’Egypte de Nasser en 1958 avant de recouvrer son
indépendance en 1961. Après de nombreux coups d’Etats successifs mais
inefficaces, le parti Baas prend le pouvoir en 1963 et instaure une dictature
militaire. Hafez el Assad devient un personnage de plus en plus influent au sein du
parti, et en 1970, il prend le pouvoir absolu après élimination de tous ses rivaux.
C’est la première (et la seule) République héréditaire du monde arabe, modèle
inspiré de la Corée du Nord, Hafez el Assad étant un proche du dictateur Kim Il
Sung.
Le gouvernement Assad met en place une promotion de la paysannerie pauvre, qui
dispose à présent de prestations telles que l’éducation ou la santé, entrainant ainsi
une baisse de la mortalité infantile et une explosion démographique. La Syrie
compte aujourd’hui plus de 20 millions d’habitants (sans compter les quelques 2
millions de réfugiés ainsi que les 5 millions de déplacés). Ce développement de la
paysannerie s’opère au dépend des élites urbaines sunnites. Ainsi entre 1979 et
1982, le gouvernement assiste à un soulèvement des Frères Musulmans, qui conduit
à l’écrasement de la ville d’Hama, faisant entre 7 000 et 25 000 morts. Ce bilan
humain très imprécis est l’image de la politique du régime qui entretient le doute
sur les pertes humaines, faisant ainsi régner l’opacité et la terreur. Le régime
compte des dizaines de polices politiques en plus de son armée. (Le sociologue
Michel Seurat parle alors de « l’Etat de la barbarie »). Hafez el Assad disait d’ailleurs
lui-même : « Si quelqu’un me veut du mal, je le sais avant qu’il ne le pense ».
En 2000, après la mort de Hafez el Assad, son fils Bachar lui succède. Cet ancien
docteur en ophtalmologie est nommé général dans l’armée, puis il est promu à la
tête du parti Baas, malgré son illégitimité, humiliant ainsi l’armée et le parti. Il
cherche à donner une image de libéralisation du pays en privatisant de nombreuses
entreprises publiques, mais on parle de « capitalisme des copains » ; la direction de
ces entreprises est en fait confiée à des proches de Bachar el Assad. A titre
d’exemple, Rami Makhlouf, cousin du président, est actionnaire majoritaire de 9
grandes banques.
Les tensions se font petit à petit plus fortes, mais la peur de renverser le
gouvernement est renforcée par l’invasion de l’Irak par George W. Bush en 2003. En
effet, cet échec Irakien créé un précédent qui dissuade les opposants au régime
d’agir. En outre, près d’1,5 millions de réfugiés irakiens en Syrie relatent les
horreurs de la guerre qu’ils ont fuie, semant la peur parmi la population syrienne.
Néanmoins, depuis mars 2011, entrainée par les mouvements dits du Printemps
Arabe, la population syrienne se soulève contre le régime. Ses actions initiales sont
non violentes mais réprimées par le gouvernement. En juillet est annoncée la
création de l’Armée Syrienne Libre (ASL), qui lutte contre le régime Assad perçu
comme étranger, dans la continuité des luttes pour l’autodétermination au
lendemain de la Première Guerre Mondiale.
La situation actuelle oppose un gouvernement surarmé aux révolutionnaires peu
équipés. A ce jour, entre 110 000 et 120 000 morts ont été recensés. Les banlieues
des grandes villes sont devenues le théâtre de guérillas rurales en milieu urbain.
C’est toute une génération de Syriens qui est sacrifiée.
La révolution syrienne, qui était au départ une guerre civile, est devenue une
crise internationale. En effet, le régime Assad est soutenu par la Russie au Conseil
de Sécurité de l’ONU, par opposition aux USA ou encore à la France, qui se
définissent plutôt ‘prorévolutionnaires’. Certains voient le conflit syrien comme une
crise de la Néo-Guerre froide, un enjeu USA-Russie, vision erronée pour Jean Pierre
Filiu. Selon lui, le régime Assad est illégitime à l’intérieur de son propre pays, il
cherche donc sa légitimité à l’international en faisant passer la révolte pour un
mouvement islamiste : il déclare dans une interview au Figaro : « Nous combattons
des terroristes. 80 – 90 % de ceux que nous combattons appartiennent à al Qaida »,
il invoque la lutte contre les djihadistes pour justifier la répression.
Les attaques chimiques au gaz sarin sont qualifiées par l’ONU de crime contre
l’humanité, bien qu’elle ne précise pas l’auteur d’un tel crime. Cette crise syrienne
souligne d’après Jean Pierre Filiu la faiblesse de cette organisation internationale.
Selon lui, les accords Karry-Lavrov signés ce samedi 14 septembre entre les USA et
la Russie établissant un plan d’élimination des armes chimiques du régime Assad ne
parviendront pas à régler le conflit. Si les pays européens et les USA n’épaulent pas
rapidement les révolutionnaires, la crise syrienne pourrait aboutir à une partition de
la Syrie aux conséquences désastreuses, ou encore à l’arrivée au pourvoir des
islamistes.
Joséphine MAITRE, TES2