Un chylopéricarde au décours d`une plastie tricuspide et une

Transcription

Un chylopéricarde au décours d`une plastie tricuspide et une
Un chylopéricarde au décours d’une plastie
tricuspide et une ablation des sondes
de pacemaker
A. Boutayeb*, F. Kenassi, L. Marmade, A. Filal, A. Maghraoui, A. Bensouda, S. Moughil
RÉSUMÉ Le chylopéricarde après chirurgie cardiaque adulte est une complication rare mais redoutable. Nous rapportons le cas d’un chylopéricarde survenu au
décours d’une chirurgie cardiaque associant une plastie tricuspide et une ablation des sondes d’un pacemaker. Le cas illustre les répercussions graves du
chylopéricarde et soulève la problématique de sa prise en charge (modalités et timing).
Mots clés : chylopéricarde postopératoire, thrombose veineuse, ligature du canal thoracique.
ABSTRACT Chylopericardium following tricuspid valve repair and surgical removal of pace maker leads
Chylopericardium following adult cardiac surgery is a rare but serious complication. We report here the case of a postoperative chylopericardium that
occurred after tricuspid valve repair and removal of pace maker leads. This case explicitly shows the serious effects of the chylopericardium and focuses
on the issue of the available therapeutic options as well as their optimal timing.
Keywords: postoperative chylopericardium, venous thrombosis, thoracic duct ligature.
1. INTRODUCTION
Le chylopéricarde après chirurgie cardiaque adulte est une
complication rare, mais redoutable. À cause de ses graves répercussions métaboliques, nutritionnelles et immunologiques, le
chylopéricarde doit être correctement pris en charge. Malheureusement, les stratégies thérapeutiques ne sont pas bien codifiées et varient en fonction de l’expérience des centres.
Nous envisageons, à travers ce cas et à la lumière des données
de la littérature, de discuter aussi bien les mécanismes physiopathologiques de cette complication, que de l’indication et du
timing des différentes modalités thérapeutiques envisageables.
sondes du pacemaker. En effet, les feuillets tricuspides étaient
remaniés, épaissis et adhérents aux sondes avec une restriction
franche du jeu valvulaire. L’anneau tricuspide était dilaté. Les portions intracardiaques des sondes ont été coupées le plus haut
possible au niveau de la veine cave supérieure qui était canulée électivement en regard de l’abouchement du tronc veineux
brachiocéphalique gauche. La partie restante a été extraite de
façon rétrograde. Outre l’annuloplastie, la réparation de la valve
tricuspide a fait appel à une libération extensive des adhérences
associée à une commissuroplastie.
Les suites immédiates étaient parfaitement simples. Au bout de
48 heures, la patiente a été dédrainée après tarissement des
drains (drainage total sur 48 h : 750 ml de sang et de liquide
2. OBSERVATION
Nous rapportons le cas d’une patiente de 81 ans, diabétique hypertendue, ayant bénéficié il y a 25 ans d’une implantation d’un pacemaker double chambre. Le dernier changement du boîtier a été
compliqué d’une infection de la loge et une extériorisation du boîtier.
À son admission, la patiente présentait une insuffisance cardiaque droite ainsi qu’un œdème du membre supérieur droit.
L’échocardiographie transthoracique a objectivé une fuite tricuspide sévère. Les cavités droites étaient dilatées avec une dysfonction ventriculaire droite. La PAPS a été estimée à 60 mmHg.
Aucune végétation n’a été observée. Le doppler du membre supérieur droit a révélé une thrombose extensive s’étendant de la
veine humérale à l’origine de la veine cave supérieure.
L’indication a été retenue devant l’évolution défavorable de l’infection et la fuite tricuspide massive. La chirurgie a été réalisée
sous CEC en hypothermie modérée et a consisté en l’ablation
des sondes intracavitaires, l’implantation de nouvelles sondes
épicardiques et la réalisation d’une plastie tricuspide. Les constations peropératoires étaient conformes aux données échocardiographiques objectivant une fuite tricuspide secondaire aux
Service de chirurgie cardiovasculaire B, hôpital Ibn Sina, Rabat, Maroc.
* Auteur correspondant : [email protected]
Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.
242
Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire 2014 ; 18(4) : 242-244
Figure 1. Vue opératoire montrant le clipping du canal thoracique
juste en dessus de la coupole diaphragmatique droite.
cas clinique
Tableau 1. CAT devant un chylopéricarde.
Traitement médical
(Régime alimentaire, nutrition parentérale, somatostatines, mesures adjuvantes de réanimation…)
État du patient
Complications de la fuite chyleuse
Stable
–
Stable
–
Dégradation
+
Drainage de chyle
Diminue puis disparaît
Diminue mais persiste
Diminue mais persiste
Rien
Chirurgie
différée
Après 2-3 sem.
Possibilité d’instaurer
un traitement médical
optimal/complet*
Oui
Non
Chirurgie précoce
Avant 2 sem.
Chirurgie précoce
Avant 2 sem.
* Traitement médical complet/optimal : instauration des différentes options thérapeutiques décrites dans la littérature et ayant
fait leur preuve.
hématique) et a quitté la réanimation avant d’y être réadmise
quatre jours plus tard pour tamponnade. Un drainage péricardique chirurgical en urgence a été réalisé par voie sous-xiphoïdienne. Le liquide était laiteux. L’étude chimique a confirmé sa
nature chyleuse avec des taux de lipides, de cholestérol et de
triglycérides respectivement à 600 mg/dl, 110 mg/dl et 300 g/dl.
L’étude bactériologique était par ailleurs négative.
La patiente a été mise sous, d’une part, une alimentation orale
hyperprotidique et hypolipidique et, d’autre part, une perfusion
intraveineuse continue d’étiléfrine à la dose de 5 mg/h. Au bout
de 15 jours, la quantité de chyle drainée a diminué sans pour
autant s’estomper (débit quotidien passé de 1 200 ml à 400 ml).
La patiente a été reprise au bloc opératoire en vue d’une ligature
du canal thoracique. Cette ligature a été réalisée juste au-dessus de la coupole diaphragmatique à travers une thoracotomie
postérolatérale droite [figure 1]. Malgré la disparition de la fuite
chyleuse, les suites ont été marquées par une dégradation de
l’état clinique de la patiente en rapport avec une pneumopathie
nosocomiale à germe multirésistant. L’évolution était fatale.
3. DISCUSSION
Le chylopéricarde postopératoire est une situation rare en
chirurgie cardiaque. Son incidence varie entre 0,2 et 1 % [1].
Habituellement, ces collections chyleuses – intéressant plutôt
le thorax – sont en rapport avec des traumatismes directs du
canal thoracique, et s’observent au décours de certaines interventions telles que les fermetures du canal artériel ou les cures
de coarctation. Lors des interventions menées par sternotomie,
le chylopéricarde est généralement secondaire à des lésions
du thymus et se voit plus fréquemment chez l’enfant puisque
cette glande s’atrophie après la puberté. L’éventualité d’un traumatisme direct du canal thoracique reste controversée [2]. En
raison de l’état critique de la patiente, aucune exploration (lymphangiographie, lymphangioscintigraphie, IRM…) n’a été réalisée
afin de déterminer la cause et l’origine de l’écoulement chyleux.
Tout de même, la thrombose veineuse semble avoir un rôle crucial. En fait, si de nombreuses connexions existent entre le péricarde et le canal thoracique [3], toute obstruction à son niveau
est susceptible d’engendrer une hypertension lymphatique et un
reflux de chyle à travers les vaisseaux péricardiques sectionnés
au cours de l’intervention. Dans notre cas, la thrombose veineuse
était du côté droit, néanmoins, les variations anatomiques du canal thoracique sont fréquentes [4]. Faute d’explorations, ces variations ne peuvent être exclues.
Après la levée de l’urgence (tamponnade), la prise en charge
des chylopéricardes est généralement médicale, et vise à traiter
la cause favorisante ou sous-jacente, réduire la production de
chyle, et compenser les pertes. Dans leur papier résumant l’expérience de dix ans dans la gestion des chylopéricardes et chylothorax postchirurgie cardiaque, Nguyren et al. [5] estiment que
84 % des cas peuvent être traités uniquement par des mesures
conservatrices avec un délai moyen de traitement de 15 jours.
Des résultats similaires ont été obtenus par Campbell et al. [6].
Il importe tout de même de souligner que ces deux études se
sont intéressées à une population pédiatrique et que les résultats chez l’adulte (indépendamment de l’origine postopératoire)
semblent être moins bons avec un taux d’échec qui avoisine
les 60 % [4,7]. La grande question demeure sans doute le délai
maximal au-delà duquel la chirurgie s’impose. La plupart des auteurs s’accordent à dire que la chirurgie est indiquée, si malgré
les mesures conservatrices, le débit dépasse un litre par jour ou
persiste plus de deux ou trois semaines [1]. Nous pensons que ce
délai doit être fonction de plusieurs paramètres, certains relatifs
à l’état du patient, d’autres liés à la structure médicale. Aussi, une
dégradation de l’état clinique du patient doit elle conduire à une
intervention précoce [4,8]. De même, des interventions précoces
nous semblent plus adéquates dans des centres où le manque
de moyens ou de certaines options thérapeutiques rend la prise
en charge médicale suboptimale et compromet davantage les
chances de son succès. Dans de telles situations, la chirurgie
précoce limiterait les complications, raccourcirait l’hospitalisation et atténuerait les coûts [tableau 1].
En matière du traitement chirurgical, la ligature du canal thoracique juste en dessus de la coupole diaphragmatique droite paraît une technique sûre et radicale car malgré certaines astuces
(administration de repas gras ou de colorants), il serait difficile
de repérer l’origine de la fuite chyleuse dans un médiastin redux.
Dans notre cas, la fuite chyleuse s’est complètement tarie après
la ligature du canal thoracique, néanmoins, la thoracotomie chez
une patiente âgée, immunologiquement affaiblie et porteuse
d’une sternotomie récente, a précipité l’infection pulmonaire
et aggravé son évolution. La ligature sous vidéothoracoscopie,
malheureusement indisponible, aurait été l’option de choix [4].
4. CONCLUSION
Le chylopéricarde constitue une complication postopératoire
exceptionnelle de la chirurgie cardiaque, en particulier adulte.
La thrombose veineuse semble être un facteur favorisant. Si les
Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire 2014 ; 18(4) : 242-244
243
A. Boutayeb et al. | Chylopéricarde au décours d’une plastie tricuspide et une ablation des sondes de pacemaker
modalités de prise en charge demeurent mal codifiées, des attitudes agressives et radicales doivent être proposées précocement après la survenue des complications métaboliques, nutritionnelles et immunologiques. La ligature thoracoscopique nous
semble une option de choix particulièrement chez des terrains
fragiles ou multitarés.
4. Wurnig PN, Hollaus PH, Ohtsuka T, Flege JB, Wolf RK. Thoracoscopic
direct clipping of the thoracic duct for chylopericardium and chylothorax. Ann Thorac Surg 2000;70:1662-5.
5. Nguyen DM, Shum-Tim D, Dobell ARC, Tchervenkov CI. The management of chylothorax/chylopericardium followingpediatric cardiac
surgery: a 10- year experience. J Card Surg 1995;10:302-8.
6. Campbell RM, Benson LN, Williams WW, Adatia I. Chylopericardium
After Cardiac Operations in Children. Ann Thorac Surg 2001;72:193-6.
RÉFÉRENCES
1.
Mood G, Shaaraoui M, Allareddy R et al. Chylous Pericardial Effusion After Minimally Invasive Mitral Valve Repair. Ann Thorac Surg
2006;82:1892-4.
2. Karabay BC, Ugurlucan M, Ziyade S, Isik O. Is the thoracic duct injury the cause of chylopericardium after cardiac surgery performed
through median sternotomy? (letter). Ann Thorac Surg 2010;90:360-1.
3. Itkin M, Swe NM, Shapiro SE, Shrager JB. Spontaneous Chylopericardium: Delineation of the Underlying Anatomic Pathology by CT Lymphangiography. Ann Thorac Surg 2009;87:1595-7.
244
Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire 2014 ; 18(4) : 242-244
7. Dib C, Tajik AJ, Park S, Kheir MEL, Khandieria B, Mookadam F. Chylopericardium in adults: A literature review over the past decade (1996–
2006). J Thorac Cardiovasc Surg 2008;136:650-6.
8. Soon SY, Hosmane S, Waterworth P. Chylopericardium after cardiac
surgery can be treated successfully by oral dietary manipulation: a
case report. J Cardiothor Surg 2009;4:44.