Interdire la consommation de l`absinthe dans la Constitution suisse, l

Transcription

Interdire la consommation de l`absinthe dans la Constitution suisse, l
Interdire la
consommation de
l’absinthe dans la
Constitution suisse, l’une
des deux premières
initiatives populaires
victorieuses de l’histoire
La révision
constitutionnelle de 1891
introduit le droit d’initiative
constitutionnelle qui exige
alors 50’000 signatures et
la double majorité du
peuple et des cantons…
Les initiatives acceptées sont nettement minoritaires
En réalité, l’interdiction de l’abattage est adoptée en 1893 !!!
À cette liste s’ajoutent encore l’imprescriptibilité des actes de pédophilie
et l’interdiction de construire des minarets…
Les rares initiatives acceptées par le peuple
et les cantons concernent des sujets de
société ; celle de 1982 sur la surveillance
des prix était proposée par des milieux
féminins ; il s’agit de thèmes imposés de
l’extérieur aux parlementaires ; il ne s’agit
pas de thèmes sociaux, qui donnent
régulièrement des résultats négatifs ; les
thèmes environnementaux n’apparaissent
qu’en amont de la stabilisation de la
présence des Verts au Parlement fédéral.
Le peuple a rejeté environ 90% des initiatives qui
lui ont été soumises. Parmi celles qu'il a
acceptées, trois ont eu un impact décisif sur
l'évolution du système politique suisse (élection
proportionnelle du Conseil national, référendum
en matière de traités internationaux, retour à la
démocratie directe). Les textes refusés ou retirés
ont aussi une efficacité, dans la mesure où ils
incitent les autorités à élaborer des contre-projets
directs ou indirects. Mais comme ils abordent
souvent des thèmes actuels, on peut se demander
si les réformes nécessaires n'auraient pas été
entreprises de toute façon. (DHS)
Dictionnaire historique de la Suisse,
article « absinthe » (extrait, 2002)
Le peuple suisse accepta en 1908, à une large majorité, une initiative pour
l'interdiction de l'absinthe. Le processus trouva son impulsion dans un
drame survenu à Commugny quelques années auparavant: un jeune
ouvrier vigneron sous l'emprise de l'alcool avait alors tué à coups de fusil
sa femme et ses enfants. Des pétitions cantonales circulèrent. Vaud
introduisit la prohibition en 1906 et Genève en 1907. Le mouvement
antialcoolique lança une initiative populaire qui recueillit le nombre record
de 167 814 signatures. Soutenue par la majorité des parlementaires et des
partis, elle fut adoptée le 5 juillet 1908 par 241 048 voix contre 138 669
(article 32ter de la Constitution fédérale). La Belgique avait interdit
l'absinthe dès 1906, la France suivra en 1915. Le Conseil fédéral
autorisera en 1936 les anisettes à plus faible teneur d'alcool pour soulager
les finances de la Régie fédérale des alcools.
La « Fée verte », une histoire
pittoresque ?
Deux parmi les toutes premières images « Fée verte », google. mai 2010
www.museeabsinthe.com/
Alambics de la Maison Egrot, à Pontarlier, encore utilisés
de nos jours, source : www.museeabsinthe.com/
La thuyone, la molécule qui rend fou
La thuyone, c’est ce qui fit la célébrité de l’absinthe, mais
provoqua aussi sa chute. On la disait hallucinogène dans
les milieux artistiques, toxiques dans les milieux
abstinents. Souvent comparée au THC (une étude menée
en 1999 par Meshler et Howlett dans « Pharmacology
Biochemestery and Behavior » a démonté cette théorie
remontant à 1975), l’absinthe a de tous temps vogué entre
l’alcool et la drogue dans les croyances populaires. La
faute à cette troublante thuyone qui dit-on, rendrait fou,
aveugle, qui tordrait le corps, mais qui soignerait aussi les
dysenteries et même, la malaria…
Source : www.vallon.tv/thuyone-absinthe.html
Force est aujourd’hui de constater que la problématique
de la thuyone fut un élément prioritaire de la lutte des
milieux abstinents contre l’absinthe, qui – volontairement
ou pas – ont apeuré la population en stigmatisant
l’absinthe et sa « molécule folle ». Ils ont aussi donné
naissance à tous les fantasmes qui, malgré l’interdiction,
ont assuré la survie clandestine de la « Fée verte ».
Source : www.vallon.tv/thuyone-absinthe.html
En hommage aux distillateurs clandestins
L’histoire aurait pu en rester là, si...
...si un petit district d’irréductibles distillateurs n’avait osé
braver les lois.
Au Val-de-Travers, jamais la production d’absinthe ne
cessera. Les chiffres varient mais entre 60'000 et 100'000
litres de Fée verte clandestine sortent chaque année des
alambics de 60 à 80 distillateurs. Dans tout le pays et à
l’étranger, la réputation de la Fée vallonnière demeure. On
raconte que durant la prohibition, des conseillers fédéraux
venaient déguster la bleue de la Malotte aux Bayards.
Source : www.vallon.tv/thuyone-absinthe.html
Un crime qui déclenche tout.
La fixation du récit
Compte rendu du Conseil national, 4 avril 1908, Gazette de Lausanne.
Chronologie
Août 1905 : Jean Lanfray tue sa femme enceinte et ses
deux enfants à Commugny sous les yeux horrifiés de
son propre père. L’assassin, gros buveur, aurait bu de
l’absinthe ce jour-là. Il se suicidera l’année suivante
juste après sa condamnation.
1906 et 1907 : des initiatives populaires pour interdire
le commerce de détail de l’absinthe sont acceptées
dans les cantons de Vaud et, de justesse, Genève.
1908 : malgré de très fortes oppositions à Neuchâtel,
une initiative fédérale est approuvée en juillet qui
interdit l’absinthe dans la Constitution fédérale.
Pétition d’hommes et de femmes de Commugny
Nous « venons supplier nos autorités de nous protéger contre les
dangers effroyables auxquels nous sommes exposés; nous leur
demandons avec instances d’interdire dans tout le canton de Vaud la
vente de l’absinthe ».
Réaction dans la presse ouvrière socialiste
« Sans doute les bonnes femmes exagèrent un peu et en conjurant au
nom de Dieu le Conseil d’État de ne pas les laisser massacrer par leurs
ivrognes de maris, elles forcent un peu la note ; tout le monde n’est pas
alcoolique à Commugny.
[…]
On ne voit pas bien, en effet, en quo il pourrait être préjudiciable à une
démocratie que tous ses membres aient la tête claire et l’haleine pure. »
Source: Le peuple de Genève, 9 septembre 1905
Le facteur régional
Schnaps ou absinthe ?
Val de Travers :
2535 « non »
contre
531 « oui »
Un rôle apparemment décisif des femmes et
de leurs associations
Sont par exemple actifs à Genève :
une Ligue des femmes suisses contre l’alcoolisme ;
une Union des femmes de Genève ;
une Section genevoise de la Société d’utilité
publique des femmes suisses ;
un Comité des dames de l’Association pour la
protection de l’enfance.
Dans le canton de Vaud, après le crime de Lanfray, ce sont
des associations de femmes protestantes qui prennent la
première initiative (une pétition au Conseil d’État).
Les femmes de Commugny et
l’interdiction de l’absinthe
Source: Journal de Genève, 5 mai 1959
Comment la question se pose du point de vue du
mouvement ouvrier :
JE NE SUIS PAS POUR L’ABSINTHE. MAIS JE SUIS
CLAIREMENT CONTRE LA MISÈRE. OR, DES BOURGEOIS
LUTTENT CONTRE L’ABSINTHE QUI SE FICHENT
ÉPERDUMMENT DE LA MISÈRE
« Tant que nous ne les aurons pas vus du côté des socialistes
dans d’autres réformes, encore plus nécessaires, nous ne
croirons pas à l’absolu désintéressement de ceux qui
poussent des cris d’orfraie à chaque drame de l’alcoolisme. »
Tiré du Peuple de Genève, 8 novembre 1905
Comment la question se pose du point de vue du
mouvement ouvrier :
C’est bien simple; toutes ces libertés qu’on refuse aux
ouvriers viendraient limiter la puissance des capitalistes et
diminuer leurs capacités d’exploitation et d’enrichissement
tandis que la liberté de s’« absinther », que les capitalistes
défendent, les enrichit, et en abrutissant l’ouvrier, lui fait
oublier son émancipation. »
Charles Naine, tiré du Peuple suisse,
1er juillet 1908
Le 8 juillet 1907, commentant le résultat du scrutin, il
évoquera un « acte de solidarité admirable ».
Comment la question se pose du point de vue du
mouvement ouvrier :
À Genève, les commentaires du socialiste antialcoolique Émile Nicolet
sont mitigés (Genève ayant voté « non »).
Il souligne que l’attitude de la police cantonale en ce qui concerne
l’application de la loi cantonale est en particulier en cause.
Ce qu‘il écrit à propos des ouvriers qui ont voté « non » :
« S‘ils mettaient dans la propagande socialiste, dans le travail
d‘organisation de la classe ouvrière, la même ardeur qu‘ils ont apporté à
voter pour l‘absinthe, nous aurions bien tôt fait de mettre à la maison
tous les patrons de la place. »
Source : Le peuple suisse, 8 juillet 1908
Comment la question se pose du point de vue du
mouvement ouvrier, même après l’affaire de l’absinthe :
Si nous n’y mettons pas un frein, dans vingt ans, il sera
impossible de secouer la masse, de la lancer à l’assaut du
capital. Dans cinquante ans, la classe ouvrière sera
complètement empoisonnée, avilie, avachie. Seuls quelques
membres vigoureux et sains émergeront au-dessus de cette
mer des non-valeurs. Eh bien ! Il est grand temps de réagir !
Tiré de « L’alcoolisme », par « Jean Sociale »,
La voix du peuple, 27 mai 1911
En 1900, introduire un congé spécial
le samedi pour les ouvrières, auraitauraitce été une mesure progressiste ?
Source :
Le Peuple de Genève, texte de pétition
publié en deuxième page des éditions des
15, 22 et 29 décembre 1900.
La syndicaliste Margarethe Faas-Hardegger
en a probablement été à l’origine.
« Fédération ouvrière suisse. Le congé du samedi pour les ouvrières
Avant toutes choses, la plupart des ouvrières ne jouissent pas encore d’un véritable repos du dimanche.
C’est là un fait qui a été absolument mis en lumière par l’enquête des inspecteurs de fabrique et par les déclarations des ouvrières devant la
commission du Conseil national.
À ce point de vue la femme, qui, à côté de la fabrique doit s’occuper aussi d’un ménage est celle qui se trouve dans les conditions les plus
défavorables.
Durant la semaine, il lui faut préparer les aliments et s’occuper des enfants.
Pour cela, il faut compter au moins une heure avant le travail, une heure après et le repos de midi ; ainsi son temps de travail vrai, sans
compter ce qu’il faut pour aller à la fabrique et en revenir, est d’au moins 14 heures, quand ce n’est pas plus encore.
Les travaux domestiques qui exigent plus de temps, tels que l’entretien et le raccommodage des vêtements, le lavage, le nettoyage de
l’appartement, ne peuvent être faits les soirs des jours ouvrables ; on les renvoie au dimanche.
[…]
Dans ces circonstances le foyer de l’ouvrier devient le dimanche un centre d’agitation laborieuse et aussi de mécontentement.
L’homme aussi perd son repos du dimanche ; il est chassé de l’appartement restreint qu’il occupe et dans lequel il ne trouve pas de repos,
pour aller au cabaret, à son grand détriment et à celui de sa famille.
[…]
Si on ne diminuait le travail du samedi que pour les ouvrières mariées, celles-ci auraient grand peine à trouver du travail.
Peut-être leur serait-il même complètement supprimé.
Les fabricants renverraient les femmes mariées ou ne les engageraient plus.
Malheureusement le travail en fabrique, de la femme, est devenu pour beaucoup de familles ouvrières une nécessité de l’existence et elles
ne peuvent plus s’en passer.
Dans beaucoup de branches de l’industrie, le salaire de l’homme ne suffit plus pour la famille.
Quelles que soient les conséquences désastreuses pour la famille ouvrière du travail de la mère à la fabrique, cette occupation ne peut
cependant pas être rendue impossible ou traversée d’obstacles.
On entend si souvent dire - justement par les ouvriers qui se plaignent que leur salaire ne suffit pas - que les femmes d’ouvrier ne savent
pas tenir un ménage, pas apprêter les mets, qu’en faisant la cuisine elles dépensent plus qu’il ne faut, sans cependant que les mets
préparés par elles soient plus réparateurs et de meilleur goût, qu’elles ne savent entretenir ni linge, ni vêtements, de telle sorte qu’il faut
acheter du neuf à des intervalles beaucoup trop rapprochés. Dans beaucoup de cas, ces récriminations ne sont que trop fondées ; mais y at-il de la faute même des femmes ?
Ont-elles eu le temps et les moyens de compléter leur éducation après qu’elles ont eu quitter l’école pour aller à la fabrique ?
Non : jusqu’à maintenant elles n’ont pas eu le temps de se préparer à leur occupation primordiale : celle de mère et de ménagère.
Qu’on leur accorde le temps et que durant les heures libres du samedi on leur donne le moyen de fréquenter les écoles ménagères, de
cuisine, de raccommodage.
De cette façon on aura également rendu un service éminent à l’économie de la classe ouvrière, économie qui en dernier ressort se traduira
pour le plus grand bien de toute la collectivité. »
Pour conclure :
Éviter l’anachronisme et la téléologie
Prendre en compte les problèmes tels qu’ils se
posent réellement dans chaque contexte
Par exemple :
- l’importance du fléau de l’alcoolisme ouvrier au
tournant des XIXe et XXe siècles ;
- la violence de genre, surtout contre les femmes,
minimisée hier, un peu mieux prise en compte
aujourd’hui ;
- la longue absence de droits politiques pour les
femmes qui n’empêche pas pour autant qu’elles
agissent ponctuellement.

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