Les écoutes et le secret professionnel de l`avocat
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Les écoutes et le secret professionnel de l`avocat
3 mai 2016 Les écoutes et le secret professionnel de l’avocat La question du secret professionnel qui lie les avocats à leurs clients s’est trouvée portée sur la scène médiatique à l'occasion d’écoutes de conversations entre un avocat et son client, ancien Président de la République et avocat lui-même, écoutes validées par l’arrêt de la Cour de Paris du 8 mai 2015 et l’arrêt confirmatif de la Cour de cassation du 22 mars 2016 (sauf celles entre l’avocat et son bâtonnier). Avant même cette circonstance d’actualité, le comité d'éthique du Barreau de Paris – composé de personnalités indépendantes, étrangères pour la plupart à la profession d'avocat – avait commencé à mener une réflexion prospective, Cette question s’inscrit aujourd’hui dans le contexte d’une culture de la transparence qui paraît animer la société tout entière. Transparence du bas vers le haut – le « droit de savoir » –, du haut vers le bas – le renseignement d’État –, et collatéral – l’exposition de chacun aux autres (réseaux sociaux, Facebook, etc.). La transparence est un désir ambigu qui, tant qu’il vise l’État et ses agents, procède bien du souci des citoyens de le contrôler ; mais quand il vise les citoyens eux-mêmes, peut les laisser désarmés face à la toute-puissance étatique. Et par une sorte d’angélisme sans scrupule ce désir impérieux fait juger archaïques toutes les règles qui s’y opposent. Comme si la transparence était une vertu, alors que le secret protègerait le mal. Cette illusion qui n’a guère qu’une quarantaine d’années reste une illusion. Se régler sur elle aboutirait à abolir le droit de chacun à son intimité, sans pour autant garantir un ordre public qui d’ailleurs disparaîtrait à mesure de la poursuite de cette chimère. Comme il n’y a pas de liberté sans prise de risques, le fantasme de supprimer tout risque en rendant tout transparent est condamné à l’échec car il autorise à détruire, 2 concrètement, sans aucun bénéfice véritable, les libertés de tous. On pourrait dire aussi, et mieux encore, que pour la culture judiciaire française l’idée de perdre un morceau de vérité quitte à violer toutes les règles est acceptable. C’est pourquoi il a fallu attendre 1788 pour abolir la torture. Et que certains ne tolèrent toujours pas l’idée de se priver d’écouter un avocat parler à son client. C’est donc, d’une certaine manière, parce que nous sommes collectivement enclins à exposer nos vies (réseaux, etc.) et collectivement affamés de sécurité et bien passifs, parfois, devant Big Brother, que les principes qui protègent la liberté du citoyen doivent être défendus. La liberté élémentaire de tout homme, sa fragilité devant une transparence absolue, imposent de dresser un rempart à toute lecture contre son gré des pensées qu'il ne divulgue pas spontanément. D’où la nécessité de penser aujourd’hui, et pour l’avenir, le rôle de l’avocat dans sa mission auprès des citoyens, au cœur même de la fabrication quotidienne de la démocratie. L’avocat rend la justice crédible et y fait adhérer le citoyen grâce au secret nécessaire à la confidence. En ce sens, comme le juge, il participe de l’ordre public dont on peut dire paradoxalement qu’il le protège, le citoyen adhérant à la justice parce qu’il aura été pleinement défendu. Le « secret de l’avocat », celui dont bénéficie le justiciable avec son défenseur, n’est pas un privilège mais une obligation visant à garantir que le citoyen ne sera jamais exposé à l’arbitraire de l’État, et ceci dans l’intérêt de la démocratie, donc de l’État lui-même. Sans cette garantie, il n’y a ni État de droit, ni démocratie, ni ordre public. Le secret des sources pour les journalistes, du délibéré pour les juges, de la confession pour les prêtres résistent dans leur principe et dans les faits à ce mouvement général de transparence. Le secret de l'instruction, le secret médical, le secret défense, destinés à protéger les droits de l'État, à protéger l'individu contre l'État ou contre l'atteinte de tiers sont à des degrés 3 divers susceptibles d’être tempérés. Mais la loi confère expressément un caractère absolu au secret professionnel de l’avocat qui ne peut être levé qu’en cas exceptionnel de mise en cause personnelle de l’avocat. Pour assurer sa défense et la protection de ses intérêts, chacun doit pouvoir, sans crainte, rompre sa solitude et trouver dans la société un tiers avec lequel partager ses pensées et le récit de ses actes dans le secret. Dans cette forme de huis clos, l’échange avec un avocat est de nature à permettre à celui qui le consulte d'évaluer sa situation en dévoilant la vérité de son intimité, sa face cachée, et d'engager une réflexion, recueillir des conseils, bénéficier d'un apport intellectuel, en comptant sur une voix qui puise son discours dans une réelle connaissance de l'autre. La confidentialité des échanges avocat-client est la condition du « procès équitable », et comme le rappelle et le répète d’ailleurs la CEDH, un élément essentiel de la « bonne administration de la justice ». Non seulement, elle garantit que personne ne soit contraint de s’incriminer soi-même ou privé de moyens de défense. Sans citoyens libres il n’y a pas d’État au sens où nous l’entendons depuis les déclarations des droits, mais seulement la « tyrannie », dont nous avons entrepris, dans un effort à renouveler à chaque époque, de nous libérer à jamais. L’enjeu est donc le lien de confiance entre l’avocat et son client. Que ce lien disparaisse et il n’y a plus de défense possible, ni de justice crédible. Pas de défense sans confiance, pas de confiance sans secret. L’État luimême a besoin que la justice soit crédible, que les citoyens la supportent à défaut de l’approuver et qu’ils puissent se rebeller contre une accusation mais à l’intérieur du système. Ainsi, le problème éthique se trouve posé à chaque fois que des normes entrent en conflit. La liberté d’expression, ou le droit de grève ou de manifester, par exemple, peuvent rencontrer des limites. Mais ces restrictions aux principes doivent être justifiées, et 4 proportionnées à l’objectif recherché. Une limitation excessive, même pour de bons motifs, aurait pour effet de saper l’ordre public en dégradant la confiance du justiciable en la justice. L’existence des libertés conditionne, non seulement la qualité de vie des citoyens, mais la démocratie elle-même car elle suppose des citoyens libres pour que l’Etat soit robuste.. Le secret assure donc la protection des intérêts des personnes et de la justice, donc de l’Etat. Toute atteinte, même indirecte, au secret détenu par l'avocat est toujours une incursion dans l'intimité de son client, une violation d'un droit absolu. La conversation entre un avocat et son client ne peut donc donner lieu à aucune écoute, sauf les rares exceptions visées ciaprès. Concrètement En conclusion de ses réflexions, le comité d’éthique rappelle que tout entretien entre un avocat et son client étant donc protégé par la loi et couvert par le secret professionnel (article 66-5 de la loi n° 71-1 130 du 31 décembre 1971), les interceptions de telles conversations doivent rester strictement exceptionnelles et être entourées de garanties légales, adéquates et suffisantes (CEDH, 24 août 1998, Lembret/France, par. 21 – 6 septembre 1978, Klass et autres/ Allemagne par. 50). Pour autant, le droit positif actuel n’offre pas de telles garanties, particulièrement au stade de l’instruction. En effet, en l’état actuel des textes et de la jurisprudence, les principales caractéristiques des interceptions des conversations d’un avocat sont les suivantes : En l’état actuel du droit Durée 5 - au stade de l’enquête la durée d’une interception téléphonique est d’un mois renouvelable une fois (article 706-95 du code de procédure pénale) - au stade de l’instruction, la décision d’interception de correspondances émises par la voie des télécommunications est prise pour une durée maximum de 4 mois, renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée, le nombre de décisions de renouvellement n’étant pas limité (article 100-2 CPP) Décision d’autorisation - au stade de l’enquête, la décision d’autorisation est prise par le juge des libertés sur requête du procureur de la république (article 706-95 CPP). - au stade de l’instruction, la décision est prise par le juge d’instruction, qui agit de sa propre initiative et effectue les opérations « sous son autorité et son contrôle » (article 100 CPP). Ce système dans lequel celui qui ordonne est celui qui contrôle est critiqué par la CEDH qui estime que cela « rend inutile tout recours pour les intéressés » (Matheron/France, 29 mars 2005, par. 40) Motivation et recours Les textes ne prévoient pas la motivation de la décision d’autorisation ni au stade de l’enquête ni au stade de l’instruction. Le recours à son encontre est expressément exclu (article 100 CPP) au stade de l’instruction et n’est pas prévu au stade de l’enquête. Indices de participation à une infraction La Chambre criminelle (cass.crim. 15 janvier 1997, arrêt 96-83753) exige, pour valider l’interception téléphonique d’un avocat, qu’il existe à la date où est prescrite l’interception des indices de participation à une infraction. 6 L’information du Bâtonnier Elle est exigée au stade de l’enquête et au stade de l’instruction (articles 100-7 et 706-95 CPP). On observe que le régime des interceptions téléphoniques des avocats ne se distingue pas du régime général des écoutes, sauf trois exceptions : l’information du Bâtonnier (article 100-7 CPP), l’interdiction de transcrire, à peine de nullité, les conversations qui relèvent de l’exercice des droits de la défense (article 100-5 CPP) et enfin, l’exigence de la Chambre criminelle qui impose qu’un avocat ne peut faire l’objet d’écoutes que s’il existe des indices de sa participation à une infraction. Les lacunes La possibilité d’un recours contre les décisions qui ordonnent l’interception des correspondances écrites ou orales de l’avocat est une exigence de la CEDH qui estime que les articles 6 et 8 de la Convention protègent la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients et qu’une ingérence de l’exécutif dans les droits d’un individu doit être soumise à un contrôle efficace. Ce recours n’existe pas en France pas plus que l’autorisation préalable, le respect de la proportionnalité et l’intervention nécessaire d’un juge extérieur. Ainsi les nouvelles garanties qu’il est nécessaire de mettre en place doivent être très rigoureuses et complètes. En effet, l’interception téléphonique est en elle-même une violation grave de la liberté individuelle, aggravée par le fait que chaque interception de cette nature conduit nécessairement à une deuxième violation en ce qu’elle conduit au-delà des faits visés par l’enquête ou l’instruction, à écouter des tiers, et à prendre connaissance de faits étrangers à la poursuite. 7 Le droit futur Considérant d’une part la gravité des écoutes au regard du secret professionnel de l’avocat et d’autre part, l’état actuel du droit positif, le comité d’éthique émet l’avis suivant : une réforme du code de procédure pénale s’impose afin de donner aux procédures d’interception des correspondances orales des avocats, qui doivent rester exceptionnelles, les garanties nécessaires. Le comité d’éthique propose que ces garanties, applicables tant à l’enquête qu’à l’instruction, reposent sur les principes suivants : 1/ Une décision préalable autoriserait les interceptions téléphoniques ; elle serait rendue, sur requête du Procureur de la République ou du juge d’instruction, par un magistrat du siège n’exerçant pas les fonctions d’instruction, Président du tribunal ou Premier président de la cour d’appel ; 2/ Cette décision serait motivée, précisant les faits et l’infraction poursuivie, les indices sérieux qui conduisent à la mesure envisagée, sa nécessité, et la proportionnalité entre d’une part, la gravité des faits et de l’infraction poursuivie et d’autre part, le fait que l’écoute caractérise en ellemême une violation du secret de l’avocat ; 3/ La durée de l’interception téléphonique serait limitée par la loi. L’autorisation initiale pourrait être renouvelée pour la même durée, par la même autorité, une fois, par une nouvelle décision, également motivée ; 8 4/ Seuls les faits visés dans la décision d’autorisation pourraient donner lieu à une retranscription susceptible d’être transmise au magistrat requérant ou à tout autre magistrat ; 5/ Un recours sera prévu par la loi après le versement au dossier des retranscriptions. Ce recours pourrait être exercé par l'avocat concerné, la personne à qui il parle et le Bâtonnier, garant du respect de la déontologie et du secret professionnel ; 6/ Serait interdite, conformément à la jurisprudence de la chambre criminelle, la retranscription de toute conversation entre un avocat et son client relevant de l’exercice des droits de la défense ; et, afin de mise en œuvre de ce principe, serait interdite toute interception d’une conversation entre un avocat et son client dès lors que l’avocat aurait communiqué sa désignation et ses coordonnées téléphoniques aux magistrats ou enquêteurs en charge de la procédure pénale visant ou susceptible de viser son client. Enfin, le comité d’éthique recommande de compléter le serment par la phrase suivante : « je jure de respecter le secret professionnel » afin de souligner le caractère essentiel du secret professionnel de l’avocat, Ces modifications permettraient à la France d’être en harmonie avec les principes édictés par la Cour européenne des droits de l’Homme et la Cour pénale internationale (arrêt du 14 novembre 2014 et la pratique de la plupart des pays de l’Union européenne). Pour le comité d’éthique du Barreau de Paris son président Daniel Soulez Larivière