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Mercredi des Cendres
Frère Pierre-Marie
Matthieu 6, 1…18
5 mars 2003
La triple conversion
Abba Poemen, un des pères du désert parmi les plus saints, aimait à dire :
«Une voix crie à l’homme jusqu’à son dernier souffle :
Aujourd’hui, convertis-toi !»
Dans la même ligne, le petit livre, fameux entre tous,
de l’Imitation de Jésus-Christ se plaît à noter :
«Il faut chaque jour renouveler notre bon propos,
réveiller notre ferveur,
comme si nitre conversion datait de l’instant même.»
C’est bien ce que la liturgie de ce premier jour de carême
redit à l’envi, en nous donnant à chanter, comme un inlassable refrain,
cet appel pressant de Dieu dans le psaume :
Aujourd’hui, si vous entendez ma voix,
n’endurcissez pas votre cœur ! (Ps 94,7-8)
*
Ce retournement nous réoriente d’abord vers Dieu.
Quand le prophète Joël propose un rassemblement,
c’est un rassemblement autour du Seigneur.
Et le regroupement ainsi organisé se fait dans le Temple
et constitue par là même une assemblée sainte (Jl 2,16-17).
Revenez à moi de tout votre cœur, déclare le Seigneur,
car je suis un Dieu de tendresse (2,12).
Faisant écho au prophète Joël, s’adressant au peuple d’Israël,
Paul parlant aux Grecs de Corinthe,
relance le même appel en disant :
Nous vous en supplions au nom du Christ,
laissez-vous réconcilier avec Dieu (2 Co 5,20).
Le Christ Jésus lui-même n’hésite pas à nous dire à chacun,
nous venons de l’entendre dans l’évangile :
Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre.
En d’autres termes, retourne-toi vers Dieu.
Et ton Père qui voit dans le secret, te le rendra (Mt 6,6).
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Frères et sœurs, nous voici bien instamment invités, en ce jour,
à nous tourner vers Dieu.
Posons-nous donc sincèrement la question :
vers quoi, vers qui notre vie est-elle orientée ?
De fait, elle vient de Dieu et retourne vers lui (Jn 13.1).
C’est donc vers notre vraie source de vie
et notre véritable terme de joie, de paix, de lumière et d’amour
que l’Église et Dieu nous appellent à nous tourner en ce jour.
Si nous comprenons d’abord ainsi la conversion,
elle ne reste plus quelque chose d’ennuyeux ou de pénible ;
mais au contraire une exigence pleine de vérité,
une marche libre et joyeuse vers Celui qui nous aime
et dont le prophète Joël déjà nous dit
qu’il veut nous combler de bienfaits.
La conversion au Seigneur ne devient effective en notre vie
que lorsque ce grand désir de lui,
ce pressant appel à revenir vers lui habite notre cœur.
Non pas comme une contrainte ascétique ou une attitude rébarbative,
mais comme une marche pleine d’espérance.
L’espérance des enfants qui se mettent à courir
vers la Maison du Père où le vrai bonheur,
enfin reconnu à l’horizon de la vie,
les appelle et les attend.
*
Le carême nous invite ensuite
à nous tourner vers les autres.
L’assemblée que Dieu convoque dans le livre du prophète Joël,
c’est l’assemblée de tout le peuple ;
jeunes filles et jeunes gens, époux, vieillards, enfants (3,1-2),
sont tous invités à former, autour des prêtres du Seigneur,
une assemblée liturgique (2,14).
Une assemblée où se vive le jeûne qui plaît à Dieu,
c’est-à-dire se produisant par une vie de stricte justice
et d’authentique charité (Is 58,7-8).
Nous sommes les ambassadeurs du Christ, renchérit l’apôtre Paul (2 Co 5,20).
C’est donc vers nos frères et sœurs
que, tous, il nous envoie.
La vraie conversion nous tourne aussi vers les autres
en nous demandant de partager avec eux
le meilleur de nous-mêmes, à savoir l’Évangile du salut (Ep 1,13).
Et Jésus en personne n’habite pas à nous dire
que cet amour de charité, très concrètement,
nous invite aussi à partager.
Pour toi, quand tu fais l’aumône,
que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite…
Ton Père voit ce que tu fais en secret, il te le revaudra (Mt 6,3).
3
Frères et sœurs, l’Évangile et la Bible entière nous le disent partout à l’envi :
il n’est pas de conversion possible à l’amour de Dieu
sans un retournement quotidien vers l’amour des hommes.
On peut même noter que dans les propos de Jésus,
cet exercice de la charité passe avant celui de la prière.
Nous n’en finirons donc jamais de nous convertir
un peu plus chaque jour le cœur
à plus de compassion, d’entraide, d’esprit de service, d’écoute,
de bienveillance, de miséricorde.
«Là où est l’amour, là est Dieu en vérité.»
Sa présence elle-même est alors rendue vivante, perceptible, manifestée.
*
Ce double amour qui nous oriente ainsi tout à la fois
vers le Seigneur et vers notre prochain,
nous tourne enfin, paradoxalement mais réellement,
au plus profond et au plus vrai de nous-mêmes.
Car le carême est aussi ce temps de grâce
où tout nous invite à l’intériorité
dans l’accueil comblant de ses bienfaits, comme dit Joël (2,13).
Dan l’attention à l’aujourd’hui de sa grâce, comme dit Paul,
car nous avons à travailler avec lui, nous est-il rappelé,
de façon à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de Dieu (2 Co 6,1).
Cette grâce actuelle et sanctifiante
que la prière active en notre âme
et qui nous conduit, un peu chaque jour,
à sacrifier quelque chose pour lui,
pour apprendre à mieux se maîtriser
et à aimer dans la liberté et la vérité.
Pour toi, quand tu jeûnes,
parfume-toi la tête et lave-toi le visage…
Ton Père voit ce que tu fais en secret, il te le revaudra.
«La révolution qui doit changer le monde commence par soi-même»,
écrit à juste titre Maurice Zundel.
Ainsi le carême nous invite bel et bien à nous ré-orienter vers nous-mêmes ;
non pas égoïstement ou petitement,
mais librement, véritablement,
pour devenir, chacun et chacune de nous, ce que nous sommes de mieux,
c’est-à-dire de vrais enfants de Dieu (Rm 14,16).
Nous découvrons alors, émerveillés, enthousiasmés
au dedans de ce cœur plus vaste que l’univers,
puisque contenant Celui qui l’univers ne contient pas,
la présence même du Dieu trois fois saint
nous donnant d’avoir part à sa propre divinité !
«Ô Dieu qui scrutes les reins et les cœurs, écrit saint Anselme,
tu pénètres les secrets de ma pensée.
Devant toi est à découvert ce que tu as semé
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dans mon âme et qui peut t’être offert ;
tu connais aussi ce que moi-même
ou l’homme ennemi avons répandu.
Ce que tu as semé, nourris-le,
fais-le croître jusqu’à son achèvement.
De même que je n’ai rien pu
commencer de bon sans toi,
de même je ne puis l’achever loin de toi.
Ne me juge pas, ô Dieu de miséricorde,
d’après ce qui te déplaît en moi,
mais ôte de moi ce que tu n’y as pas mis.
Je ne puis me corriger moi-même sans toi.»
*
Oui, Seigneur, convertis-moi !
Fais-moi revenir, Seigneur, que je revienne.
Convertis-moi à ta Présence et apprends-moi à prier.
Convertis-moi à mes frères et donne-moi de les aimer.
Convertis-moi au plus intime de moi-même
et dis-moi comment t’y trouver pour t’y adorer.
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