Hein Verbruggen: Une réforme capitale.

Transcription

Hein Verbruggen: Une réforme capitale.
HEIN VERBRUGGEN:
«UNE RÉFORME
CAPITALE»
Le Président du CIO a inauguré
les nouveaux locaux de l‘UCI en
compagnie de MM. Hein
Verbruggen, président et Michel
Jekiel, secrétaire général.
RENCONTRE AVEC
LE PRÉSIDENT DE
L’UNION CYCLISTE
INTERNATIONALE
Ce Néerlandais de 51 ans, en accord avec le Mouvement olympique, a réunifié le cyclisme. Une nouvelle ère commence.
L
Par Jean-Yves DONOR
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e cyclisme de l’an 2000 est en marche. Il
a pris forme lors du dernier congrès de
I’Union cycliste internationale (UCI) à
Orlando, aux Etats-Unis, fin 1992. Le président en exercice, Hein Verbruggen, 51 ans,
hollandais, a été l’homme de la réunification
sous la bannière de l’UCI des deux secteurs
professionnel et amateur, jusque-là régis par
deux Fédérations autonomes, la FIAC et la
FICP. Une réforme capitale pour l’avenir du
cyclisme.
Jean-Yves Donor - Cette réunification
était-elle vitale pour le sport cycliste?
Hein Verbruggen - Oui, sans hésiter. Elle
était inéluctable pour assurer au cyclisme son
universalité dans le sens où le Mouvement
olympique en a défini les clauses. Il ne s’agit
pas, en fait, d’une révolution sportive mais
politique, liée directement à la disparition du
bloc de l’Est. Le Mur de Berlin symbolisait la
frontière entre un amateurisme d’Etat et le
FÉDÉRATIONS INTERNATIONALES
professionnalisme de l’Ouest. C’est d’ailleurs
le CIO, je le rappelle, qui avait imposé cette
scission il y a vingt-sept ans. C’est le même
CIO, sous la conduite du président
Samaranch, qui, aujourd’hui, entend accueillir, uniformément, sans distinction, les
meilleurs athlètes dans chaque discipline. La
réunification était donc nécessaire. Dans un
camp comme dans l’autre, on l’a très bien
compris. Personne ne s’est opposé au projet,
même si j’ai pu lire, ici et là, que l’Italie
s’était fait tirer l’oreille: c’est faux.
C’est une formidable victoire pour le
cyclisme qui retrouvera son unité, à partir de
janvier prochain, à travers une seule Fédération, dotée de deux conseils, amateur et
professionnel. Ces conseils se composeront
de dix membres chacun.
- Cette réunification constituait une étape
décisive pour l’admission des professionnels
aux Jeux?
Décisive! J’ai rencontré le président
Antonio Samaranch à la mi-décembre, nous
nous sommes mis d’accord sur un certain
nombre de principes pour que les professionnels soient présents à Atlanta en 1996.
Concernant la course sur route, ces principes
sont les suivants: chaque nation sera représentée par cinq coureurs (aux Fédérations
concernées d’établir la sélection).
L’Europe sera, évidemment, le continent
le plus représenté, mais pour conserver
l’esprit olympique, il y aura au départ
quarante pays, soit un peloton de deux cents
coureurs. Toutes spécialités confondues, le
cyclisme sera représenté, à Atlanta, par 520
coureurs. La délégation sera aussi importante
qu’à Barcelone.
NOUVEAU CALENDRIER
- Le vainqueur aura-t-il le droit ensuite
de porter un maillot distinctif qui rappellera
son titre?
- Pourquoi pas? On pourrait prévoir un
logo sur son maillot habituel. C’est une bonne
idée.
Le nouveau siège de l‘UCI
à Lausanne.
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FÉDÉRATIONS INTERNATIONALES
- Autant de coureurs à Atlanta qu’à
Barcelone: cela veut dire que la piste sera
également au programme olympique?
- Elle le sera. Mais le président
Samaranch nous a incités à faire un effort
particulier pour relancer cette discipline.
Nous allons nous battre pour lui redonner
une flamme en Europe et la développer dans
des pays où elle possède un potentiel, comme
l’Australie, l’Afrique du Sud. L’UCI débloquera à cet effet une somme de 300 000
francs suisses, et la Keirin Association subventionnera certaines épreuves en apportant une
contribution de 500 000 francs suisses sur
trois ans. En France, la Société du Tour de
France entend donner de l’éclat à l’Open des
Nations. Il faut que la piste vive. Je l’avoue, je
n’ai pas toujours eu cette position. J’ai cru,
moi aussi, que la piste était morte...
présenté le projet. Pour plusieurs raisons
objectives, notamment à cause de conditions
climatiques souvent détestables, j’ai cru que
le Giro d’Italie serait intéressé pour déplacer
ses dates dans le calendrier.
Seulement, j’ai reçu une fin de nonrecevoir de ses organisateurs au nom de la
tradition. La Vuelta a donc hérité de l’opportunité. L’organisateur est satisfait mais les
groupes sportifs, pourtant favorables à l’échelonnement des tours nationaux, ruent maintenant dans les brancards. Ils ne veulent même
plus que le championnat du monde soit
prévu, ensuite, mi-octobre. De toute façon, la
réforme verra le jour en 1995. Qu’on le
veuille ou non!
- Pourquoi n’avoir pas échelonné le
calendrier des classiques, dont tout le monde
s’accorde à dire qu’elles sont trop rapprochées?
- Chaque chose en son temps. Il est clair
que l’histoire du vélo se confond d’abord
avec l’épopée des trois grands tours.
Commençons par l’essentiel. Si les directeurs
sportifs ont des idées pour espacer les classiques, qu’ils viennent me voir. Pour l’instant,
ils ne m’ont fait aucune proposition dans ce
sens.
- A propos du championnat du monde,
l'UCI prendra en charge la totalité de son
organisation en 1995?
Dans son nouveau siège, l‘UCI
expose les bicyclettes célèbres,
l’une date de 1886 l’autre de
1992. Quelle évolution!
- Vous avez dû, aussi, batailler ferme
pour une modification du calendrier. Le
déplacement du Tour d’Espagne après le Tour
de France à partir de 1995 constitue une
révolution!
- Une révolution qui ne fait pas l’unanimité, surtout du côté des groupes
espagnols. Mais c’est de ma faute! J’ai mal
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- C’est exact. Dans une première phase,
I’UCI s’est réservé les droits de retransmissions télévisées en signant pour 5 ans un
contrat de 14 millions de francs suisses avec
l’UER. Nous voulons aller plus loin: exploiter
les droits de marketing du Mondial en nous
attachant des partenaires pour plusieurs
années. Ainsi, nous ne le vendrons plus à une
Fédération pour un prix d’environ 400 000
francs suisses, mais, au contraire, l’UCI
octroiera une subvention à la Fédération du
pays choisi. Cela a deux avantages. Le
premier: éviter les scandales et autres
problèmes, comme à Chambéry et Stuttgart
par exemple; le second: ça renforcera le
pouvoir financier de l’UCI et permettra I’amélioration de ses structures.
À CHACUN SON CYCLISME
- C’est le seul événement que l‘UCI se
propose d’organiser?
- Bien sûr. Nous ne voulons surtout pas
nous substituer aux habituels organisateurs.
- La refonte du calendrier paraît, en
revanche, en terrer la mondialisation du
cyclisme.. .
- Ne me parlez pas de mondialisation, je
n’y crois plus! Toutes les initiatives prises en
ce sens ont échoué. Pourquoi? Parce que le
calendrier des courses est européen à 95 %.
Commençons par le commencement: allons
d’abord organiser de nouvelles courses en
Allemagne, en Angleterre, au Portugal,
c’est-à-dire dans d’autres pays que la Belgique, la France, l’Italie et l’Espagne. Ne
pensons plus à exporter, par exemple, notre
cyclisme aux Etats-Unis, ça ne tient pas
debout. Laissons les Américains développer
leur cyclisme et finissons de railler leurs
organisations. C’est un autre continent, c’est
un autre cyclisme! Si la Fédération américaine veut, demain, organiser une course par
étapes en mountain bike, j’applaudis!
Laissons-la gérer son vélo. Je dis la même
chose pour l’Afrique, l’Asie. Aidons-les,
naturellement, mais n’imposons pas nos
règles européennes.
- Mais la Coupe du monde existe...
- Oui. Elle continuera d’exister. Je ne
doute pas que le cyclisme européen soit le
meilleur au monde. Mais ça n’empêche pas
d’apporter au système quelques aménagements. Par exemple, de supprimer la dernière
épreuve contre la montre. On a vu l’an
dernier ce que cela donnait à Palma: c’était
ridicule. Mais faut-il mieux essayer quelque
chose et se rendre compte que c’est une
erreur ou ne rien faire? On a trop décrié le
vélo pour son immobilisme.
- L’important, c’est l’image du vélo?
- C’est quelque chose de capital. Toutes
les décisions prises par l’UCI le sont dans ce
sens-là. Les dirigeants doivent agir comme
des professionnels responsables, même si
le monde du vélo s’appuie dans son
ensemble sur une grande majorité de
bénévoles. Le cyclisme n’échappe pas à la
règle des grandes disciplines sportives: il
dégage beaucoup d’argent; et il faut savoir
l’utiliser d’une manière pragmatique et dans
un but d’amélioration permanente. Au
niveau des organisateurs, en dix ans le
changement est considérable, sous l’impulsion, je dois le reconnaître, de la Société du
Tour de France.
Au sujet de l’UCI, j’entends dire qu’elle
pense beaucoup à l’argent. Eh bien, oui: plus
l’UCI aura de revenus, plus elle sera forte.
Qui peut me dire le contraire?
- Pour vous, le cyclisme est-il devenu un
sport propre?
- C’est l’aspect le plus important. Et pour
moi un combat permanent. Il faut que les
parents disent à leur enfant: «Oui, tu peux
faire du vélo si tu en as envie.» Vous savez, le
vélo était confronté à deux grands fléaux: les
combines et le dopage. Les combines ont
disparu. Des intérêts peuvent toujours se
rejoindre dans une course, mais c’est tout. Le
dopage? C’est une question d’éducation.
Nous le combattons avec acharnement, nous
le traquons chez les jeunes. Il a beaucoup
régressé. Mais transformer les mentalités
demandera des années. C’est un problème
que nous ne maîtriserons jamais parfaitement,
on le sait bien. Notre credo, c’est prévenir,
éduquer.
Ce texte est reproduit du quotidien Le Figaro en date du
22 février 1993 avec son aimable autorisation.
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