La romanisation et la question de l`héritage celtique

Transcription

La romanisation et la question de l`héritage celtique
La romanisation et la question de l'héritage celtique
Paunier 2006 : PAUNIER (D.) dir. — Celtes et Gaulois, l’Archéologie face à l’Histoire, 5 : la romanisation et
la question de l’héritage celtique. Actes de la table ronde de Lausanne, 17-18 juin 2005. Glux-en-Glenne :
Bibracte, 2006, 248 p., 43 ill.
(Bibracte ; 12/5).
Les cinq fascicules édités sous le même n° 12 de la collection Bibracte présentent les actes de tables rondes
thématiques tenues au printemps 2005 dans le but d'effectuer la synthèse de vingt années d'acquis
scientifiques sur les Celtes protohistoriques :
-12/1 : Les Celtes dans l'histoire, l'historiographie et l'idéologie moderne
(table ronde de Leipzig, 16-17 juin 2005)
-12/2 : La Préhistoire des Celtes
(table ronde de Bologne-Monterenzio, 28-29 mai 2005)
-12/3 : Les Civilisés et les Barbares, Ve-IIe siècles avant J.-C.
(table ronde de Budapest, 17-18 juin 2005)
-12/4 : Les mutations de la fin de l'âge du Fer
(table ronde de Cambridge, 7-8 juillet 2005)
-12/5 : La romanisation et la question de l'héritage celtique
(table ronde de Lausanne, 17-18 juin 2005).
Sans constituer une somme encyclopédique, les soixante-dix contributions réunies manifestent la diversité
des études contemporaines consacrées aux Celtes protohistoriques, tributaire de la variété des traditions
académiques et des approches du sujet (linguistique, philologique ou archéologique).
Ces contributions font la part belle à l'archéologie ; le développement sans précédent de cette discipline a
en effet bouleversé au cours des deux dernières décennies notre perception des Celtes protohistoriques.
La romanisation et la question de l'héritage celtique
La table ronde de Lausanne avait pour objet de mieux saisir et de réévaluer le devenir de la civilisation des
Celtes après l’intégration politique des peuples vaincus dans l’Empire.
Dans cette perspective, la romanisation est considérée, non comme un phénomène unidirectionnel,
mais, en prenant en compte le temps et les lieux, comme un processus culturel évolutif, complexe et
diversifié, qui concerne les élites, certes, soucieuses de légitimer leur pouvoir par une idéologie nouvelle,
mais aussi toutes les classes sociales.
Les questions abordées sont, entre autres, celles des changements politiques, économiques et sociaux,
entraînés par l’intégration du monde celtique à l’Empire ; la nature, le rythme, le degré et les spécificités de la
romanisation selon les provinces, les domaines d’activité et de pensée et les classes sociales ; l'identité des
acteurs de la romanisation et le rôle des peuples celtiques dans la construction de l’Empire ; le degré
d'originalité de la culture provinciale dans les anciens territoires celtiques et l'importance des survivances
celtiques… Questions d’autant plus difficiles que les réponses devraient impliquer préalablement une
connaissance précise et objective, d’égale valeur, des deux civilisations concernées, une condition
impossible en raison du caractère partiel et inégal de la documentation, mais aussi parce que les cultures
considérées, loin d’être figées, uniformes et fermées sont elles-mêmes marquées par l’évolution, la
diversité et la contamination.
Avant propos du responsable de la table ronde
Depuis une trentaine d’années, conséquence de la multiplication des découvertes archéologiques, mais
aussi des progrès méthodologiques et du perfectionnement des modes d’interrogation et d’interprétation des
sources, nos connaissances relatives à l’évolution de la civilisation celtique et aux transformations
consécutives à la domination romaine, se sont considérablement renouvelées. Si les tables rondes de Leipzig,
Bologne, Budapest et Cambridge concernent essentiellement des situations, des circonstances ou des
événements antérieurs à la conquête, il revient à celle de Lausanne, qui a pour titre « La question de la
romanisation et de l’héritage celtique », de mieux saisir et de réévaluer le devenir de la civilisation des Celtes
après l’intégration politique des peuples vaincus dans l’Empire. Avant d’aborder un thème à la fois complexe
et délicat, peut-être convient-il de préciser brièvement le sens que nous entendons conférer au terme de
romanisation, un vocable et un concept variables selon les époques, les idéologies et les modes, aujourd’hui
fortement remis en question par plusieurs chercheurs. En renvoyant à une synthèse récente consacrée au
sujet et en faisant nôtres les conclusions de son auteur, nous pensons que cette notion reste un outil
méthodologique utile, sinon indispensable, pour décrire et mieux comprendre les mutations qui ont affecté les
peuples soumis par Rome, aussi bien dans les provinces qu’en Italie même (Le Roux 2004). À condition,
toutefois, d’abandonner toute lecture univoque et simpliste de l’histoire, de se débarrasser de tout préjugé
culturel, de s’affranchir de l’idéologie colonialiste héritée du XIXe siècle et de renoncer à toute interprétation
romano-centriste et irénique des événements. De plus, s’il est vrai que chaque culture possède sa valeur
propre, on aura garde de minimiser, voire d’exclure la part de Rome et de l’Italie, elles-mêmes soumises à de
profondes transformations. La romanisation, loin de constituer un phénomène unidirectionnel, doit être
considérée, en prenant en compte le temps et les lieux, comme un processus culturel évolutif, complexe et
diversifié, qui concerne les élites, certes, soucieuses de légitimer leur pouvoir par une idéologie nouvelle, mais
aussi toutes les classes sociales. Quant aux notions d’acculturation, de perte d’identité, de rupture ou de
continuité, d’assimilation ou de résistance, ce dernier terme pouvant renvoyer, tour à tour, au conservatisme,
à une réinterprétation ou à un refus, délibéré ou inconscient, des nouvelles valeurs, elles devraient, en raison
de leur complexité, inciter à la plus grande prudence.
Les principales questions auxquelles nous devrions tenter de répondre pourraient être les suivantes :
– Quels changements politiques, économiques et sociaux, l’intégration du monde celtique à l’Empire a-t-elle
entraîné ?
– Quels ont été la nature, le rythme, les degrés et les spécificités de la romanisation selon les provinces, les
domaines d’activité et de pensée et les classes sociales ?
– Dans quelle mesure les peuples celtiques ont-ils participé activement à la construction de l’Empire ; quel
a été respectivement le rôle de l’État romain et la part d’autonomie et d’initiative laissée aux peuples
conquis ?
– Quels ont été les acteurs et les facteurs de la romanisation ?
– L’intégration politique a-t-elle entraîné une intégration culturelle ou a-t-elle favorisé l’émergence d’une
culture provinciale originale ?
– Quelles sont les limites de l’unification due à l’action de Rome ?
– Que reste-t-il réellement du monde celtique sous l’Empire ? Faut-il parler du naufrage d’une civilisation,
dont seuls quelques membra disjecta flotteraient à la surface des eaux romaines, et considérer la
civilisation provinciale comme originale et entièrement nouvelle ?
– Les survivances que l’on croit pouvoir discerner, relèvent-elles toutes de traditions authentiquement
celtiques, d’une forme de conservatisme, ou au contraire d’un modèle culturel redéfini, voire recréé par les
indigènes ?
Questions d’autant plus difficiles que les réponses, en bonne méthode, devraient impliquer préalablement
une connaissance précise et objective, d’égale valeur, des deux civilisations concernées, une condition
impossible, on ne le sait que trop, en raison du caractère partiel et inégal de la documentation, mais aussi
parce que les cultures considérées, loin d’être figées, uniformes et fermées, sont elles-mêmes marquées par
l’évolution, la diversité et la contamination.
Malgré un parcours truffé d’obstacles qui pourrait inciter au découragement, tout en leur souhaitant la
plus cordiale des bienvenues et en les remerciant vivement de ce qu’ils ne vont pas manquer de nous
apporter, nous invitons les participants de cette table ronde, archéologues et historiens, à relever ensemble et
résolument le défi. Puissent ces journées, sinon apporter des réponses définitives, du moins permettre un
premier bilan et suggérer de nouvelles pistes de recherche, aussi riches que stimulantes !
Lausanne, mai 2006
Daniel PAUNIER
Daniel PAUNIER est Professeur émérite d’archéologie des provinces romaines à l’université de Lausanne
et Professeur associé d’histoire ancienne à l’université de Genève, émérite depuis 2001. Il a exercé notamment
les fonctions de Doyen de la faculté des Lettres de l’université de Lausanne, de Directeur de l’institut
d’Archéologie et des Sciences de l’Antiquité, de président de la Division des Sciences humaines et sociales du
Fonds national suisse de la recherche scientifique, d’expert pour l’Office fédéral suisse de la Culture et le
Conseil de l’Europe ; membre ou président de nombreux comités scientifiques suisses et étrangers ; Directeur
des recherches archéologiques de l’université de Lausanne au Mont Beuvray (PC 1) de 1988 à 2001.
Il est l’auteur de plus de 200 ouvrages et articles scientifiques.