La faillite recouvre deux réalités fort distinctes. La première

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La faillite recouvre deux réalités fort distinctes. La première
Dossier:
Faillite,
comment l’éviter
Dossier réalisé par
Sébastien Bettschart,
Sylvain Jaccard,
Daniel Loeffler et
Frédéric Vormus
La faillite recouvre deux réalités fort distinctes. La première, comptable implacable
froidement statistique concerne les chiffres; la seconde, vivante, sanguine, furieusement
lacrymale correspond au drame humain.
Chaque année, l’Office fédéral de la statistique publie ses résultats. En 2007, il y a eu en
Suisse 10 700 procédures de faillites, 10 500 ont été liquidées, un niveau relativement stable
par rapport à l’année précédente. Cela correspond à une moyenne de 30 faillites ouvertes
journellement. Le montant des pertes liées aux liquidations ordinaires et sommaires est lui
par contre en augmentation de 11% sur celui de l’année passée. Il s’élève à CHF 3,4 milliards.
La répartition canton par canton indique que Zürich et Vaud comptent le plus grand nombre
de faillites (1600), suivi par Berne (1200) et Genève (940). Treize cantons ont vu leurs chiffres
augmenter et 12 baisser. Bâle-Ville a connu la plus forte hausse des faillites + 19% alors
que dans le même temps elles tombaient de 12% à Genève. Voilà pour la vision statistique.
Mais la faillite, c’est avant tout des chocs, des larmes, des douleurs, des vies brisées.
Celles d’individus déjà soumis à d’énormes pressions. Des hommes, des femmes qui par
honte n’osent plus regarder leur famille ou leurs amis en face, se trouvant minables de
n’avoir pas été à la hauteur du défi.
Loin d’être des perdants, ils sont ceux, au contraire qui ont pris des risques, qui ont essayé.
Si nous changions de mentalité et remplacions le «Mort aux vaincus» par un Gloria Victis?
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Créateurs No 7
DOSSIER - Des conseils
Quelques outils pour assurer
la pérennité
de l’entreprise
Pour ne pas subir les événements, mais les prévoir, il est important de
mener une réflexion stratégique qui permettra de fixer des objectifs,
d’arrêter les moyens nécessaires pour les atteindre et de déployer des
actions en fonction des opportunités du marché. Contrôler régulièrement
ces actions en fonction des objectifs fixés et mettre en place des mesures
correctives est essentiel. L’entreprise doit maîtriser en tout temps son
environnement financier c’est-à-dire gérer ses liquidités (voir p.18),
ses débiteurs, ses fournisseurs et sa structure de financement.
Daniel Loeffler
Gestion des débiteurs
Les débiteurs représentent souvent plus de
25% de l’actif et requièrent un suivi tout
particulier. Il faut adapter la gestion des
débiteurs aux exigences du marché et à la
structure de l’entreprise en mettant en place
une gestion dynamique de ceux-ci. En
définissant notamment des contrats cadres,
en négociant des délais courts ou en exigeant
des acomptes. Pour pallier le manque de
liquidités et s’assurer contre les pertes sur
débiteurs, l’affacturage (transfert de créances
commerciales à une société tierce) est aussi
une solution pouvant s’avérer intéressante
Mais la gestion des débiteurs ne se limite
pas à un suivi attentif des encaissements.
Le degré de dépendance vis-à-vis de ses
débiteurs est également un élément clé du
succès de la société. Si seuls quelques clients
garantissent le chiffre d’affaires, la société
peut dépendre du bon vouloir de ceux-ci et
ainsi se trouver dans une position délicate.
D’autre part, un trop grand nombre de clients
peut mener la société à devoir fournir une
large palette de prestations et ainsi conduire
à une dispersion de ses activités. D’où
l’importance de trouver un juste équilibre.
le 80% du produit de la société (principe
de Pareto, ou voir la méthode de
classification ABC des produits selon
l’importance stratégique des fournitures).
Elle peut négocier des conditions
différentes pour les pièces importantes
(rabais sur quantités). La création de
groupement d’achat permet également
de réduire le prix d’achat.
Structure de financement
Celle-ci doit être cohérente. Ainsi des actifs
immobilisés se règlent par du financement
à long terme. Et les besoins de financement
courant sont assuré par du financement à
court terme. D’où l’importance de disposer
de fonds propres suffisants, surtout en
phase de démarrage car il est relativement
difficile pour une jeune société d’obtenir
des prêts bancaires. Le canton de Genève a
mis en place, à travers la Fondation d’Aide
aux Entreprises (FAE), un dispositif de
soutien aux entreprises, dispositif qui
facilite l’accès aux financements pour les
sociétés en démarrage ou ayant des projets
de développement lorsque les bailleurs
de fonds habituels ne peuvent s’engager,
pour autant que la viabilité de celles-ci
soit démontrée.
Gestion des fournisseurs
L’optimisation des décaissements implique
une gestion dynamique des fournisseurs.
Une classification des achats, selon
l’importance stratégique de la pièce ou
de la prestation, peut être effectuée.
L’entreprise doit se concentrer sur le 20%
des pièces ou prestations représentant
Perte de capital et surendettement
L’entrepreneur doit contrôler en permanence
les données clés de son bilan et prendre
en temps utile les mesures qui s’imposent,
notamment en cas de perte de capital et
de surendettement. L’art. 725 du Code
des obligations est très clair à ce sujet.
L’alinéa 1 de l’article 725 vise à protéger
en premier lieu les actionnaires. Il stipule:
«S’il ressort du dernier bilan annuel que la
moitié du capital actions et des réserves
légales n’est plus couverte, le conseil
d’administration convoque immédiatement
une assemblée générale et lui propose des
mesures d’assainissement.» Ces mesures
d’assainissements peuvent être de
plusieurs natures: augmentation du capital,
restructuration de la société permettant
de corriger la tendance ou postposition
de créance (créance subordonnée qui ne
sera payée qu’une fois que tous les autres
créanciers auront été désintéressés).
L’alinéa 2 de l’article 725, quant à lui, vise à
protéger le créancier. Il stipule: «S’il existe
des raisons sérieuses d’admettre que la
société est surendettée, un bilan intermédiaire
est dressé et soumis à la vérification d’un
réviseur agréé. S’il résulte de ce bilan que
les dettes sociales ne sont couvertes ni
lorsque les biens sont estimés à leur
valeur d’exploitation, ni lorsqu’ils le sont
à leur valeur de liquidation, le conseil
d’administration en avise le juge.»
Le juge prononce alors la faillite lorsque
l’ajournement de faillite n’est pas sollicité.
Dans le cas contraire, le juge ajourne
la faillite lorsque l’assainissement paraît
possible.
Daniel Loeffler
Directeur ad intérim du Service de
la Promotion Economique de Genève
Créateurs No 7
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© Ariane Arlotti
DOSSIER - Des conseils
Gérer sa trésorerie
Pour une start-up, comme pour toute entreprise, la trésorerie est un véritable
trésor qui devrait être géré comme tel par l’entrepreneur. La réussite en création
d’entreprise passe par une gestion quotidienne et avisée de ce butin qui peut
s’appeler liquidité, cash, ou disponible.
Sylvain Jaccard
Rentable, mais pas solvable
Il s’agit de ne pas confondre la rentabilité
et la solvabilité. Les tableaux de pertes &
profits ou le bilan comptable donnent
des informations sur la rentabilité
de l’entreprise et sur sa capacité à
se développer.
La solvabilité, elle, permet de savoir
si l’on risque un jour de ne pas être
en mesure d’honorer ses créanciers et
de lisser les charges sur l’année entière.
Si le paiement de certaines dépenses
intervient bien à la fin de chaque mois,
d’autres n’apparaissent qu’une fois l’an.
Ensuite seulement, les objectifs de chiffre
d’affaires sont planifiés afin de couvrir
ces futures dépenses. Si les objectifs de
ventes sont réalistes, il y a peu de risque
d’être insolvable. Du moins en théorie car
si les dépenses sont plus ou moins bien
évaluées, les objectifs de revenus sont
souvent surévalués.
D’où la mise à jour mensuel du tableau
en procédant aux corrections entre le
prévisionnel et le réalisé. Les éventuels
risques d’insolvabilité sont ainsi prévenus
au fur et à mesure.
L’insolvabilité est un virus qui guette
l’ensemble des start-up, les vaccins existent
que la précédente. Augmenter le volume
des ventes, le prix (quoique plus difficile)
ou les deux, permet d’obtenir des
liquidités suffisantes et régulières pour
couvrir les charges et se développer.
Ce moyen se révèle efficace que si la
start-up ne doit pas trouver une solution
dans l’urgence.
2° Modifier les délais de paiements
Cette mesure, facile à mettre en place,
a un impact rapide. Souvent les créateurs
d’entreprise, de peur de perdre des
clients, accordent des délais de
paiement trop généreux. Le simple fait
de demander le règlement d’une partie
à la signature du contrat peut permettre
de pallier le manque de liquidités.
Le suivi du délai de paiement (ne pas
laisser de factures impayées sans réagir)
reste l’élément le plus important.
«La trésorerie est gérée par un autre document souvent oublié:
le tableau de trésorerie»
ainsi de se retrouver rapidement aux
poursuites et finalement en faillite.
Le principal danger est de croire que
si l’entreprise est rentable (elle dégage
un bénéfice), elle est forcément solvable.
Et bien non! Trop de liquidités nuisent
à la rentabilité, mais trop peu prétérite
la survie de la start-up. Sa pérennité
est toujours égale à la rentabilité plus
la solvabilité.
La trésorerie est gérée par un autre
document souvent oublié: le tableau
de trésorerie.
Le tableau de trésorerie
Il est l’outil idéal pour planifier et gérer
sa trésorerie. En création d’entreprise,
on parlera de tableau de trésorerie
prévisionnel, car il doit planifier sur
l’année de démarrage les entrées et les
sorties des liquidités.
Concrètement, on commence par énumérer
mensuellement les charges monétaires
sur toute l’année. L’erreur principale est
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Créateurs No 7
pour autant que la maladie ait été décelée
à temps. Sinon, l’issue est généralement
fatale.
Remédier à l’insolvabilité
Après avoir décelé les risques
d’insolvabilité, le créateur d’entreprise
se doit de mettre en place des mesures
préventives:
1° Diminuer les charges ou
augmenter les ventes
Il s’agit-là du premier reflex en
création d’entreprise: il faut diminuer
ou supprimer toutes les charges
pouvant l’être. Cette mesure n’a qu’un
impact marginal sur les problèmes
de trésorerie. Souvent, les charges
ont déjà été calculées au plus juste
lors de la rédaction du tableau de
trésorerie afin de ne pas donner
une image trop mauvaise.
Quant à l’augmentation des ventes, cette
mesure est souvent bien plus pertinente
3° Augmenter les fonds propres ou étrangers
L’entrepreneur ou une tierce personnes
ont bien entendu toujours la possibilité
d’augmenter le capital en injectant de
la trésorerie dans la société. Certains
établissements bancaires proposent
également des lignes de crédits adaptées
à cette situation. Ces deux mesures
doivent néanmoins être réalisées en
temps opportuns.
Le manque de trésorerie n’est donc pas une
cause automatique de faillite mais doit être
anticipé et pris très au sérieux. Dès lors que
des mesures adéquates sont mises en place
à temps, la start-up a de bonnes chances de
poursuivre son aventure.
Un exemple de tableau de trésorerie et des
conseils peuvent être obtenus auprès de
Genilem.
Sylvain Jaccard
Gestionnaire Genilem
DOSSIER - La justice
Perte de capital et surendettement
L’art. 725 du CO règle la phase de pré-faillite des entreprises en définissant les devoirs du conseil
d’administration en cas de perte de capital ou de surendettement. Les administrateurs sont concernés
au premier chef par cette disposition. En cas de surendettement, s’ils n’avisent pas le juge, ils risquent
en effet d’engager leur responsabilité personnelle.
Résumé de l’article
Sous le titre «Perte de capital et
surendettement», l’art. 725 du CO définit
les devoirs du conseil d’administration (CA)
dans les situations de pré-faillite.
Dans le cas d’une perte de capital, c’est-à-dire
lorsque «la moitié du capital-actions et des
réserves légales n’est plus couverte [par les
actifs sociaux]», le CA doit convoquer une
assemblée générale pour lui proposer des
mesures d’assainissement.
exception, le CA doit alors aviser le juge
et celui-ci décidera si la société doit être
retirée du circuit économique pour protéger
les créanciers, c’est-à-dire mise en faillite.
Postposition
Le CA n’est pas tenu d’avertir le juge s’il
parvient à convaincre certains créanciers
de la société à renoncer à demander le
remboursement de leurs créances tant que
dure le surendettement et à placer leurs
de capital ou en cas de crise. S’ils n’avertissent
pas le juge, ils peuvent en effet engager
leur responsabilité personnelle pour tout le
passif qui se créerait dès lors.
Les administrateurs de petites structures,
sans expérience, ne peuvent pas se réfugier
derrière leur ignorance: le test sera de
comparer leur comportement avec ce
qu’aurait fait un administrateur diligent
dans la même situation.
Projet de révision du Conseil fédéral
Sous le titre «Perte de capital et
surendettement», l’art. 725 du CO définit
les devoirs du conseil d’administration (CA)
dans les situations de pré-faillite.
Dans la situation où «il existe des raisons
sérieuses d’admettre que la société est
surendettée» c’est-à-dire «que les dettes
sociales ne sont couvertes [par les actifs
sociaux] ni lorsque les biens sont estimés
à leur valeur d’exploitation, ni lorsqu’elles
le sont à leur valeur de liquidation, le CA
en avise le juge à moins que des créanciers
de la société» n’acceptent de postposer
leurs créances.
créances à un rang inférieur à celui de
toutes les autres créances en cas de faillite.
Si les postpositions permettent de couvrir
l’insuffisance d’actifs, l’avis au juge n’est
alors plus nécessaire. En pratique, c’est
souvent un créancier proche de la société
(par exemple un actionnaire) qui acceptera
de postposer sa créance.
Encore à l’état de projet, la révision du
droit de la société anonyme propose
notamment l’introduction d’un troisième
critère, celui de la solvabilité. Pour l’instant,
on se base sur le bilan, il s’agit donc
d’une analyse rétrospective. Le critère
de la solvabilité qui se fonde sur l’analyse
du cash-flow projeté pour l’avenir est
certainement plus en adéquation avec la
réalité financière des entreprises. Le projet
ne résout toutefois pas tous les problèmes
spécifiques que rencontrent les start-up.
Sébastien Bettschart
Ajournement
Lorsque le juge est avisé du surendettement,
il déclare la faillite. Il peut également
l’ajourner «si l’assainissement de la société
paraît possible.»
Perte de capital
C’est un signal d’alarme qui exige du CA
qu’il propose des mesures d’assainissement
pour protéger les actionnaires et sauver
la société.
Dans la majorité des cas, le juge
prononce la faillite lorsqu’il a été avisé
du surendettement. Il peut toutefois
l’ajourner s’il existe des perspectives
sérieuses d’assainissement. Lorsque le
juge accepte l’ajournement, il prend les
mesures nécessaires à la conservation
de l’actif social et place généralement la
société sous le contrôle d’un curateur.
Raisons sérieuses
Surendettement
Les pertes sont telles qu’elles ont
complètement éliminé les fonds propres;
sur la base des bilans dressés à cette
occasion, les actifs sociaux ne suffiraient
plus à payer tous les créanciers. Sauf
Si les créateurs d’entreprise qui sont
membres du CA de leur société doivent
retenir un point essentiel de l’article 725,
c’est bien leur devoir d’aviser le juge s’ils
ont des «raisons sérieuses» de penser que
la société est en situation de surendettement,
en particulier si la société est déjà en perte
Sébastien Bettschart est chargé de cours
«Assainissement et faillite» à l’Université de
Fribourg. Il est avocat, associé de l’Etude
Tavernier Tschanz, à Genève.
Créateurs No 7
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DOSSIER - La justice
A l’Office des Poursuites
et des Faillites
Faillite. Le mot est connu pourtant ses implications réelles le sont moins.
Que se passe-t-il lorsque le processus est engagé? Comment fonctionne
la procédure? Quelles en sont les conséquences?
Alireza Moghaddam, substitut à l’Office des poursuites de Genève, a accepté
d’illuminer les arcanes des dispositions légales.
Alireza Moghaddam
Qu’est-ce qu’une faillite?
Alireza Moghaddam: Le législateur a
estimé, dans le cadre de l’exécution forcée
des dettes dues par les justiciables,
qu’il convenait de prévoir une certaine
organisation. Cette concrétisation s’est
faite en 1889 par la Loi sur la poursuite
pour dettes et la faillite. Il s’agissait de
déterminer et de fixer les paramètres
légaux de cette activité. Il fallait donc
arrêter une procédure pour permettre à
une personne de rechercher son débiteur
en vue de récupérer son dû, en évitant
toute perturbation de l’ordre public,
notamment l’usage de la force physique.
Un organisme étatique devait donc être
chargé d’entreprendre les démarches
idoines, afin de satisfaire un créancier
reconnu en cette qualité. Il existe ainsi
différentes possibilités de recouvrement:
l’exécution spéciale, c’est ce à quoi
procède l’Office des poursuites sous
la forme de saisies et l’exécution
générale, soit l’activité déployée par
l’Office des faillites.
Quelles sont les différences entre
la poursuite et la faillite?
L’Office des poursuites, dans le cadre
de l’exécution de sa mission, va chercher
à connaître l’état des biens de la personne
poursuivie, afin de déterminer si elle est
saisissable, selon des critères déterminés
par la loi. Dans l’hypothèse où elle le
serait, l’Office des poursuites ne lui
ponctionnerait que le montant nécessaire
pour satisfaire les créanciers qui l’ont
mise en poursuite.
En matière d’exécution générale, la
faillite, tous les biens vont être saisis,
indépendamment du montant de la
poursuite qui a conduit à la mise en
faillite; ce qui, dans le cadre d’une
entreprise, signifie généralement sa
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Créateurs No 7
fermeture. La faillite correspond à une
mainmise de l’Etat sur tous les biens de
la personne. Elle est ainsi générale à un
double titre: parce qu’elle embrasse non
pas un nombre déterminé d’objets, mais
la totalité du patrimoine du débiteur; puis
parce qu’elle sert à désintéresser non pas
un ou plusieurs créanciers déterminés,
mais tous les créanciers du débiteur.
La faillite est donc un mode d’exécution
qui a pour but d’obtenir la réalisation de
tout le patrimoine du débiteur au profit
de tous ses créanciers.
Comment se déroule une procédure
de faillite sur le canton de Genève?
L’Office des faillites reçoit du Greffe
du Tribunal de première instance les
jugements de faillites qui sont prononcés.
Chaque cellule qui compose l’Office des
faillites, reçoit un certain nombre de
jugements qu’elle va devoir traiter.
On commence par un inventaire des
biens (actifs) de la personne, physique
ou morale, qui est tombée en faillite:
meubles, immeubles, argent ou créances.
L’inventaire terminé, on passe à la
liquidation de la faillite, pour autant
qu’il y ait suffisamment d’actifs à cet
effet. Ensuite, on lance un appel aux
créanciers pour déterminer l’état des
dettes (passif). Une fois les productions
de la part des créanciers reçues, on
dresse l’état de collocation. C’est un
tableau dans lequel on répertorie
les créances suivant les privilèges:
1re classe, 2e classe 3e classe ainsi
que les gages. On réalise les actifs,
normalement par une vente aux enchères
publiques ou exceptionnellement par
une vente de gré à gré (offre directe qui
correspond à l’estimation et qui doit
recevoir l’aval de tous les créanciers ainsi
que de la Commission de surveillance).
La réalisation des actifs effectuée, on
distribue l’argent en fonction des classes.
Les créanciers colloqués en 1re classe
sont désintéressés en premier lieu,
viennent ensuite ceux colloqués
en 2e classe et après ceux en 3e classe.
Si ceux de la 1ère classe venaient à ne
pas à être désintéressés complètement,
alors la distribution se ferait au prorata.
Les autres classes, ainsi que ceux en
1re classe pour le solde non honoré,
se verraient alors délivrer des actes de
défauts de biens.
Combien de temps dure une faillite?
Cela peut s’étendre sur une période
allant de 4 à 5 mois à plus de 3 à 4 ans,
en fonction de la complexité de la faillite.
Cette complexité peut s’exprimer
notamment par le nombre d’intervenants.
En outre, faut-il rappeler que chaque
décision de l’Office des faillites peut
faire l’objet d’une contestation devant
différentes instances judiciaire (Tribunal
de première instance ou Commission
de surveillance). Ces contestations sont
des procédures qui peuvent incidemment
engendrer un retard dans le traitement
de la faillite.
Un conseil à donner à de jeunes entrepreneurs?
Il faut être très attentif aux règlements
des dettes de nature privée. On peut
effectivement tomber en faillite pour ne
pas avoir payé une facture de téléphone!
Pour éviter une faillite, il est important
d’avoir un service de comptabilité
performant qui tirerait tout de suite la
sonnette d’alarme en cas de problème.
Propos recueillis par
Frédéric Vormus
DOSSIER - Des exemples
Comment ABB a évité la faillite
Procès des victimes de l’amiante, endettement colossal, une action qui flottait autour du franc, la peau du géant
helvético-suédois ABB ne valait pas très chère en 2002. Au bord de la faillite, l’entreprise a pris des mesures
radicales qui lui ont permis de se relever et d’occuper encore la place de leader des technologies d’énergie et
d’automation. Entretien avec M. Thomas Schmidt, responsable de la communication d’entreprise.
En 2002, ABB a connu des difficultés,
de quoi s’agissait-il?
Thomas Schmidt: Il s’agissait de
plusieurs types de difficultés. L’une des
filiales d’ABB aux Etats-Unis avait été
attaquée pour un problème d’amiante.
Le procès avait pris de l’envergure et
pouvait s’avérer ruineux.
A cela se sont ajoutés des problèmes
financiers qui résultaient de notre
politique d’acquisitions des années 80-90.
Le bilan 2001 indiquait une part très
élevée de dettes qui devaient être
remboursées à court terme. De plus en
2001-2002, les secteurs industriels et
les marchés financiers traversaient une
mauvaise passe.
Lesquelles se sont avérées les plus efficaces?
Les mesures doivent être considérées dans
leur contexte. La solution aux problèmes
de l’amiante a permis de retrouver de
bonnes bases à court terme. A plus long
terme, les changements dans le portefeuille
d’entreprises, les mesures d’améliorations
de l’opérationnel et les transformations
dans la culture d’entreprise ont été
déterminants dans le succès définitif.
Est-ce que la gestion d’ABB s’en est
trouvée modifiée?
ABB a utilisé cette crise aiguë pour
instaurer des changements importants
pas seulement dans la culture d’entreprise.
Le management s’est profondément
amélioré. De la même manière, ABB s’est
«ABB a utilisé cette crise aiguë pour
instaurer des changements importants pas
seulement dans la culture d’entreprise»
Quelles mesures avez-vous prises
pour vous en sortir?
ABB s’est recentrée sur son marché
historique de la technologie de l’énergie
et de l’automation. Elle s’est séparée du
reste de son portefeuille. Grâce à cette
mesure les dettes ont reculé.
La seconde décision déterminante a été
de mettre notre succursale américaine
incriminée dans le procès sur l’amiante
en faillite selon le chapitre 11 de l’United
States Bankruptcy Code (le droit américain
sur les faillites) afin de la protéger des
actions judiciaires présentes et futures.
Nous avons constitué un trust au capital
libéré à la hauteur des demandes
formulées par les plaignants afin qu’ABB
retrouve un niveau de risque normal.
La troisième mesure a été d’améliorer
l’opérationnel en réduisant les coûts
et induisant une transformation à long
terme. Quand les résultats ont été visibles
en 2003, ABB a pu avec succès augmenter
son capital et améliorer ainsi son bilan
de façon durable.
Dans quelle mesure la taille de l’entreprise
influe-t-elle sur les risques qu’elle encourt?
Comme le montre les exemples actuels,
n’importe quelle entreprise peut se
retrouver en faillite.
Où en est ABB aujourd’hui?
ABB est aujourd’hui exceptionnellement
positionnée. Nous profitons beaucoup de
la demande à long terme pour de l’efficience
énergétique et une productivité accrue.
La demande mondiale d’électricité va
doubler entre 2005 et 2030. Dans les
marchés émergents comme ceux de l’Asie,
de nouvelles infrastructures vont être
bâties et dans les pays occidentaux,
les infrastructures existantes vont être
modernisées. De nouvelles sources
d’énergie comme l’éolienne vont
être intégrées. En tant que leader
technologique et leader du marché de
la technologie électrique, nous allons
profiter mondialement de ce
développement.
Propos recueillis et traduits de l’allemand
par Frédéric Vormus
recentrée sur ces deux activités à succès.
Aujourd’hui nous poursuivons notre politique
conservatrice du bilan par un financement à
long terme ce qui, dans la crise financière
actuelle, se révèle d’une grande aide.
D’ailleurs, est-ce que la crise actuelle
vous inquiète?
Personne ne peut actuellement estimer les
conséquences de la crise. Notre carnet de
commande est plein et nous observons
attentivement les développements futurs.
Nous sommes persuadés que la tendance
à long terme va rester identique.
Est-ce que les problèmes que peuvent
rencontrer une entreprise sont toujours
liés à sa trésorerie?
Non, les difficultés peuvent provenir de
différentes origines à commencer par une
direction stratégique fausse. Dans notre cas,
ça a été un portefeuille d’entreprises trop gros
pour les ressources financières disponibles.
Souvent les mauvais développements sont
dus à un déficit de la culture d’entreprise de
même qu’à un management de projets ou
de risques hasardeux.
Thomas Schmidt
Créateurs No 7
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DOSSIER - Des exemples
Juggers Sécurité
Paul-Henri Levin a fondé sa société de sécurité par nécessité.
Etudiant en physique à l’EPFL, il a dû seul subvenir à ses besoins.
Travail de qualité et engagement total, lui ont permis d’assurer le
développement de sa société jusqu’au jour où son banquier lui annonce
que sa ligne de crédit a été coupée. Là, tout s’est précipité…
Quelles mesures avez-vous prises?
Je ne voulais pas aller chercher une autre
banque. Cela représentait une perte de
temps.
Paul-Henri Levin et Lucifer
Où en était Juggers Sécurité dans son histoire
au moment de ce coup dur?
Paul-Henri Levin: La société existait
depuis 1993. Fin 95, j’ai réussi à réunir
un capital pour passer en SA. Le capital à
l’époque, c’était la famille et l’argent que
j’avais pu mettre de côté en me serrant
la ceinture. La proto-entreprise s’est
transformée en entreprise. Les problèmes
ont surgi à ce moment: trésorerie,
démarchage client, gestion d’entreprise,
pénétration du marché. C’est à cette époque
que Genilem a commencé à nous soutenir.
Comme les affaires commençaient à
entrer, je suis allé solliciter une ligne
de crédit auprès d’une banque cantonale.
J’ai été très bien reçu. J’ai demandé
un montant qu’ils m’ont accordé très
rapidement.
Et ensuite?
Ensuite, sans doute en raison des
difficultés que la banque cantonale
traversait en 1999, on m’a subitement
coupé la ligne de crédit. Là, je me suis
retrouvé mal. Juggers avait un volume
10 fois supérieures à son année de
lancement mais aucune marge de
manœuvre.
Je suis allé voir le banquier avec lequel
j’ai discuté. Sa réponse est restée
identique. Il m’a demandé si j’avais
un plan de sauvetage auquel il pourrait
participer.
La seule chose que je voyais, d’autant
plus que le chiffre d’affaires mensuel
dépassait nettement le capital, c’était
la recapitalisation de l’entreprise.
Le banquier m’a pratiquement ri au nez
en me souhaitant bon courage.
22
Créateurs No 7
Je suis donc allé voir des organismes
institutionnels et je peux dire que c’est
une grande expérience. Quand on n’a
jamais fait l’opération, aller les voir sans
savoir ce qu’implique la recapitalisation
d’une entreprise, c’est quelque chose.
Il fallait en plus demander l’accord des
autres actionnaires. Cela nécessite du
culot et de se fixer des échéances.
De toutes façons, je n’aurais pas laissé
beaucoup de plumes dans l’histoire,
à part l’investissement initial et le temps
de travail fourni.
J’ai rapidement trouvé des investisseurs
car, mine de rien, ce que j’avais monté
était solide. De plus, l’investissement au
niveau de la recapitalisation, n’était pas
«énorme, énorme».
Aujourd’hui, où en êtes-vous?
Je n’ai pas de dettes, je n’ai pas de ligne
de crédit mais si je devais en avoir
une je m’y prendrais très en avance.
Je contacterais l’établissement bancaire
pour lui expliquer ce que je veux et
pour connaître sa politique. Il faut se
renseigner sur sa vision de l’avenir. Même
avec les bons clients, les établissements
bancaires vont restreindre leur risque
(baisse des plafonds, hausse des taux et
réduction des octrois).
Je suis pessimiste, les dangers sont réels
pour 2009, surtout pour les PME
endettées à moyen et court terme.
La sécurité pour certain est une nécessité
mais pas un besoin absolu. Je prévois une
baisse de volume dans certains secteurs
mais d’autres clients ne pourront pas s’en
passer. Prévoyant, j’ai pris de mesures.
Selon vous, quelles sont les raisons
à l’origine d’une faillite?
Qui étaient vos actionnaires?
Des actionnaires individuels qui
étaient d’accord d’investir plus et des
institutionnels, notamment le Centre
patronal vaudois qui m’a aidé et qui
continue à le faire.
Le Centre patronal a, parmi ces activités,
l’investissement dans des structures.
J’ai consulté sa direction pour demander
conseil et ils m’ont dit: «Attendez,
attendez. On peut commencer à regarder
chez nous mais il faut élire un conseil
d’administration sérieux avec un avocat,
quelqu’un du marketing, d’autres
spécialistes et trouver d’autres
investisseurs.»
J’ai trouvé des personnes qui ont
accepté de siéger au conseil
d’administration, non pas pour toucher
des jetons de présence mais pour y
être utiles. Ils sont très motivés et
toujours présent aujourd’hui.
Les problèmes commencent à se poser
quand les commandes n’entrent pas
et quand les flots de trésoreries sont
fluctuants, ou que les associés ne tirent
plus à la même corde et que rien n’a
été prévu au départ.
Il faut aussi faire attention à une
croissance trop importante. Si vous
engrangez trop, vous allez avoir des
difficultés de gestion de ressources
humaines, de gestion d’entreprise.
Vous n’aurez plus le temps de gérer
l’entreprise.
La trésorerie à elle seule n’est pas à
l’origine d’une faillite, elle n’est souvent
qu’un symptôme ou un résultat de
difficultés purement structurelles.
Frédéric Vormus