Le travail de deuil. L`acceptation profonde et active de son histoire

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Le travail de deuil. L`acceptation profonde et active de son histoire
À LA RENCONTRE DE SES ÉMOTIONS
(Simone Pacot : « Ose la vie nouvelle » p 79 =>
83)
LE PASSAGE DE LA LIBÉRATION DE LA PLAINTE À LA FIN DE LA PLAINTE
Le travail de deuil. L'acceptation profonde et active de son histoire.
La reconnaissance de l'émotion, la mise au jour de sa racine vont permettre d'entreprendre le travail de
deuil qui est long et comprend plusieurs étapes. Le deuil est un trajet qui mène à la vie. Il permet à l'être
humain d'accepter activement la réalité d'une perte ou d'un manque de quelque ordre qu'il soit. Le
premier fruit est l'apaisement de l'émotion, l'acceptation profonde de son histoire, de soi-même, de
l'autre, de l'événement '. Pour certains, certaines, ce consentement est un déchirement qui ne peut se
vivre qu'après un douloureux parcours.
Accepter activement son histoire pour en faire quelque chose, construire de la vie.
Faut-il rappeler que l'acceptation active de son histoire n'a rien de commun avec la résignation, véritable
chemin de mort ? Elle est en fait un consentement profond, total à ce qui a été : c'est vrai qu'il m'est
arrivé telle ou telle chose dans mon histoire ; j'ai réellement eu ce père-là, cette mère-là avec leur poids
d'ombre et de lumière ; je peux en être écrasé, je peux aussi arrêter de me battre contre un mur, de vivre
dans l'illusion ; je reprends ma propre trajectoire : comment construire de la vie à partir de la réalité de
mon passé, des séquelles, des fragilités qu'il m'a laissées ? C'est au cœur de ce terreau-là, de cette véritélà que, dans la grâce de Dieu, je choisis la vie.
C'est le temps où il devient possible d'abandonner la vengeance, les ruminations, les rancœurs, les
regrets, également la colère et la tristesse souvent déposées en soi en couches successives, profondément
enfouies ; on se détache des espérances illusoires, on cesse de rêver à ce qui aurait pu être, on renonce à
vouloir changer le passé.
Consentir à la réalité de son histoire va de pair avec l'acceptation de la vie en son entièreté, dans la
lumière aussi bien que dans les ombres.
La plainte ne peut véritablement prendre fin que si l'on a la certitude d'une issue possible, que l'on
commence à sortir de l'impuissance, à se mettre debout. Tant que l'on demeure, par exemple, encerclé
dans la fusion, en pensant qu'on n'arrivera jamais à en sortir, courbé devant l'emprise, aliéné dans une
dépendance affective excessive, dans la dépréciation de soi-même, dans la comparaison permanente avec
l'autre, on ne peut accepter son histoire.
Mais lorsque l'Esprit nous fait découvrir un chemin de vie, tout change. On sait alors avec certitude que
l'on ne va pas mourir de la négativité, du manque, de la perte ; l'élan de vie est remis en route :
redécouvrir les lois de vie, mettre en mots les chemins de mort que l'on a pu prendre, recevoir du Christ
la potentialité d'y renoncer, s'enraciner dans l'assurance que Dieu appelle à la vie, adhérer de tout son être
à la promesse du Christ qui annonce et vient délivrer les captifs, libérer les opprimés, conduit à
l'acceptation active de la réalité de son histoire, à la fin de la plainte.
Quel que soit le poids du passé, la vie va pouvoir se frayer un chemin. Ce ne sera peut-être pas l'issue
dont on rêvait, mais il est sûr que ce sera un chemin de vie.
L‘ acceptation de soi-même.
L'acceptation de soi-même est à l'évidence essentielle dans ce passage de la fin de la plainte. Se donner
le droit d'avoir eu et d'avoir encore des peurs, de la tristesse, de la colère, de la jalousie... en sachant qu'il
est possible d'orienter peu à peu ces émotions vers la vie, va permettre de développer ses émotions
authentiques et positives. L'acceptation de soi ne saurait aller sans l'accueil total et définitif du pardon de
Dieu pour soi, son passé, ce que l'on n'a pas pu ou su vivre de façon juste.
L'acceptation de l'autre.
L'accueil de l'autre, tel qu'il est, conduit au lâcher-prise, à la potentialité de le laisser aller librement son
chemin, dans la bénédiction de Dieu, sans tomber dans l'indifférence ; cet accueil ne supprime pas la
vérité de la relation, la nécessité d'une bonne distance, condition d'un amour vrai, l'impérieuse nécessité
de ne pas se laisser détruire. Il permet de ne pas s'immobiliser dans une attente illusoire et épuisante, prépare l'acte de pardon dont il est l'une des étapes.
L'acceptation de l'événement.
Elle nous mène à la responsabilité, à la nécessité de nous situer face à des circonstances difficiles,
d'apprendre à les vivre, quelles qu'elles soient, comme des enfants de lumière, des serviteurs de la vie,
mais dans le respect de ce trajet de traversée des émotions.
Trajet.
Patrice perd sa maman à trois ans. Jean, son père, fait alors venir sa mère chez lui pour s'occuper de ses
deux enfants. Peu après, la petite sœur de Patrice tombe gravement malade et est hospitalisée. Jean se
rend chaque jour à l'hôpital après son travail pour entourer l'enfant. À l'adolescence, Patrice se plaint
amèrement et avec violence à son père de l'avoir abandonné : « Tu ne t'es occupé que de ma sœur et moi
tu m'as abandonné. » II revoit toute son histoire dans cette interprétation. Jean se justifie : il a fait ce qu'il
a pu : la mort de la maman, la maladie de l'enfant, Patrice n'est jamais resté seul, la grand-mère était
toujours là. Mais les reproches s'amplifient et l'atmosphère devient pesante.
Jean n'entend pas la plainte de Patrice. Elle est dirigée à tort contre lui. Il se vit accusé, ce qui l'empêche
d'entendre ce que son garçon exprime. Un petit enfant qui perd l'un de ses parents se vit quasi
obligatoirement abandonné par lui, et comme, immédiatement après cet événement, l'autre enfant a eu
besoin de soins constants, il est impossible que Patrice ne se soit pas senti abandonné. Aucune
justification n'arrêtera sa plainte car il est nécessaire que soit entendu ce que lui a réellement vécu. Jean
finit par comprendre ce processus ; il rétablit très rapidement la situation : « J'entends ce que tu dis, je
comprends ta plainte, je sais que tu as vécu un véritable abandon. » Le simple fait de dire que la plainte
est entendue et comprise a rétabli la situation.
Patrice n'a plus eu besoin de l'exprimer et de se répandre en reproches amers contre son père.
Le temps de la fin de la plainte suppose un discernement très sûr. La tentation est grande d'arrêter la
plainte trop tôt pour avancer plus vite. L'expérience montre que, si cette étape de libération de la plainte
est manquée ou raccourcie, on risque ensuite de piétiner. D'un autre côté, à un moment donné, il faut
bien arrêter de se plaindre et réorienter les forces vives pour construire de la vie.
C'est finalement à soi-même qu'il appartient de discerner où l'on en est, d'apprendre à écouter ce qui se
passe en soi, d'essayer d'être vrai, de sentir quand le moment est venu d'arrêter la plainte ou d'aller plus
loin dans l'expression.
Adhérer, consentir à la réalité est une façon d'arriver au port après avoir beaucoup ramé, essuyé de
nombreuses tempêtes. C'est un moment charnière : on est arrivé au fond de la descente et on se pose là,
longuement, dans ce temps de pacification, de repos du cœur. On peut alors à ce moment déposer la
lourdeur du passé dans le cœur du Christ : Venez à moi vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau et
moi je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et
humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. Oui mon joug est aisé et mon fardeau
léger (Mt 11, 25-30).
L'accueil de la vie du Ressuscité.
Le travail de deuil n'est pas complet s'il s'arrête à l'acceptation de son histoire, à la fin de la plainte. Il
doit se poursuivre par l'accueil de la vie du Ressuscité, de la forme de résurrection qui est proposée à
chacun.
Il nous appartient de permettre au Dieu vivant de faire en nous et avec nous le travail de la Pâque, ce
passage du chemin de mort au retour à la vie. Il devient alors possible de choisir de repartir de ce qui est,
de faire produire de la vie à ce qui est arrivé.
C'est ainsi que nous sommes sans cesse appelés au trajet de la Pâque. Dans la grâce de Dieu nous
pourrons le vivre.