Le triomphe des particularismes dans la société contemporaine

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Le triomphe des particularismes dans la société contemporaine
Le triomphe des particularismes dans la société contemporaine
Philippe Poirier1
Problématique, plan et bibliographie de la conférence du 17 juin 2004
Conférence publique à l’initiative de l’association Pétrusse
1
Pour situer l’auteur dans le « champ scientifique », ce dernier est docteur en sciences politiques,
actuellement chercheur en sciences politiques au sein de la faculté des Sciences Humaines de la
nouvelle Université du Luxembourg. Il est membre associé à l’un des centres de recherche du centre
national de la recherche scientifique français - le centre d’études et de recherches autour de la
démocratie de l’Université de Rennes I- et au standing group on extremism and democracy de
l’European consortium political research,. Ses recherches portent plus particulièrement sur le système
politique européen, notamment les liens qui peuvent être établis entre la transformation des valeurs, les
nouvelles formes de gouvernance éco-politique et les nouveaux mouvements politiques. Dernière
contribution scientifique : «At the Centre of the State: Christian Democracy in Luxembourg”. In,
Christian Democratic Parties In Europe since the End of the Cold War, under the direction of
Emmanuel Gerard and Steven Van Hecke. Leuven : Katholieke Universiteit Leuven Press, chapter 9,
p.179-195, avril 2004. Par ailleurs, il collabore régulièrement au Land et à la Voix du Luxembourg.
2
Problématique
Les Etats membres de l’Union européenne ont le même régime politique. Il s’agit en
l’occurrence du régime démo-libéral. Ce dernier se réfère à deux principes : Le principe
d’universalité et le principe d’intérêt général. Ils ont pour origine aussi bien la philosophie du
droit que la pensée judéo-chrétienne. Plus concrètement, aujourd’hui, tous les gouvernements
des Etats de l’Union- et dans une moindre mesure la Commission européenne - sont
responsables du pouvoir décisionnel, qui leur a été conféré par une constitution ou un traité,
devant un parlement élu au suffrage universel direct ou indirect. Les parlements nationaux
d’une part et le Parlement européen et le Conseil d’autre part sont tous également investis par
les citoyens -ayant des droits politiques semblables- du pouvoir de délégation et du pouvoir
législatif. Enfin, les Etats membres ainsi que l’Union (la Cour de Justice des Communautés
européennes) sont tous munis d’un organe ou de plusieurs organes de contrôle de la
constitutionnalité et de l’efficience réelle des lois et des règlements exécutés par les
gouvernements et la Commission européenne ou votés par les différents organes législatifs et
d’un pouvoir judiciaire autonome. Pour autant le régime politique qui préside à
l’organisation du pouvoir en Europe et en Amérique du Nord depuis le 18ème siècle est
remis en cause- s’il n’est pas déjà caduque- par ce que nous appelons le triomphe des
particularismes.
Que faut-il entendre par « triomphe des particularismes » ? Il s’agit de l’assujettissement
des régimes politiques occidentaux aux revendications communautaires de toute nature
au nom du principe de l’égalité de traitement, indépendamment de toute réflexion sur
les modes d’organisation et sur les « valeurs » desdites communautés2. Autrement dit, la
politique moderne serait de plus en plus déterminée par une conception de la tolérance fondée
sur le relativisme culturel radical où les sociétés ne seraient plus que des ensembles de
«communautés» ou de «minorités» juxtaposées, chacune vivant selon ses valeurs et ses
normes propres. En outre, le « triomphe des particularismes » signifie la reconnaissance
juridique et politique de droits particuliers à des communautés ethniques, religieuses ou
« sexuelles » au nom d’une lecture « réparatrice » de l’histoire et d’une supposition : les
sociétés antérieures n’auraient jamais connu un tel niveau de diversité sociale. Avec de telles
considérations historique et sociologique, les revendications identitaires sont sans limites et
les désirs communautaristes sont insatiables. Elles justifient aussi l’accroissement sans cesse
continuel du domaine d’intervention de l’Etat.
La question n’est pas de savoir si l’appartenance à une communauté, le désir
d’association ou la volonté de gérer de façon la plus autonome son devenir sont en bons
en soi. Ni même d’accorder des droits certains à des communautés ou à des individus, qui ont
indiscutablement souffert par le passé (les Arméniens par exemple) ou qui sont les laissés
pour compte aujourd’hui de nos sociétés. Le contraire serait même plutôt néfaste à un
individu et au bon fonctionnement du régime démo-libéral si bien sûr on s’inscrit dans
la démarche d’Alexis de Tocqueville. Par exemple, régler, au sens premier du terme la
démocratie, c’est tempérer la liberté par la religion et ses règles morales et inversement;
« c’est aussi modérer l’individualisme de l’homme démocratique en en resserrant le lien
politique par la liberté politique elle-même – l’usage fréquent des droits politiques, les
libertés locales rappellent aux citoyens qu’ils vivent en société, qu’ils ont des intérêts
communs-, en resserrant le lien social par le développement des associations… »3.
2
VOEHRLING, J., «La Justice constitutionnelle, l’Etat de droit et la démocratie libérale au Canada».
In Démocraties, l'identité incertaine, actes des sixièmes Entretiens du Centre Jacques Cartier, Lyon,
décembre 93 / sous la direction de C.MILLON DELSOL et J.ROY. Bourg-en-Bresse : Musnier/Gilbert
éditions, p179, 1994.
3
BENETON, Ph. , Introduction à la politique moderne. Paris : Hachette, collection pluriel, p 236,
1987.
3
Le problème est plutôt qu’avec une telle dynamique communautariste apparemment
« pluraliste », nous risquons en réalité de réduire la politique à un arbitrage permanent
entre des groupes de pression dont les intérêts sont rivaux, incompatibles ou
mutuellement exclusifs tout en s’enlevant la possibilité même d'une référence à un bien
commun4. Ce que ne veulent absolument pas les auteurs communautaristes, du moins
libéraux, comme Charles Taylor ou Michael Sandel. Ces derniers considèrent en effet que
l’anomie actuelle de nos sociétés et la réponse politoco–administrative à caractère
essentialiste ou prétendument a-politique peuvent précisément conduire les individus à
l’isolement, à une plus grande sur-valorisation de leur appartenance communautaire et à une
accentuation des conflits inhérents à toutes sociétés.
De plus, il faut s’interroger, selon nous, si un tel mouvement ne profite pas in fine à des
groupes qui n’ont que pour objectif la transformation des « symboles et des codes sociétaux »
des divers secteurs de la vie sociale et économique, depuis la santé jusqu’à l’éducation, en
passant par les médias, l’environnement et la culture à leur seul profit. Et dont on sait par
ailleurs qu’ils ne sont en rien ou peu redevables du régime démo-libéral5 ? Il faut se
demander également si d’une part la réclamation des droits commmunautaires sur le
modèle des droits individuels ne finit par rompre l’équilibre entre l’oïkos et la polis au
sens arentien ? Et si d’autre part le triomphe des particularismes dans l’espace public ne le
vide finalement pas de sa substance ? C’est à dire les questions proprement politiques
échapperaient au contrôle démocratique car il ne s’exercerait plus qu’au niveau des
revendications relevant de la vie privée qui ne sont pas discutables en soi.
Plan
Introduction
Perspectives historiques et conceptuelles du régime demo-libéral
1) Transformation de l’action collective, du pouvoir et des valeurs
a) La transformation des valeurs ou la suprématie du processus d’individuation
b) La crise et la recomposition de la médiation et de la participation politique
c) Les acteurs
2) Les instruments de l’action
a) Victimisation, violence et vision procédurale du vivre en société
b) Communautarisme et affirmative action
c) Judiciarisation et technocratie du politique
Conclusion
Devenir de l’Espace public
4
PANGLE, T.L. , The Ennobling of Democracy. New York: John Hopkins University Press, 1995.
Nous empruntons cette conception à OAKESHOTT M., The Politics Of Faith And The Politics Of
Scepticism. New Haven. Yale University Press, 1996. Cet auteur oppose la conception de la politique
de la foi à la conception de la politique du scepticisme. La première conçoit la politique comme
l’expression d’un volontarisme politique qui repose sur l’idée que l’individu peut réellement modifier
la société dans laquelle il se meut. La seconde estime que la politique doit être encadrée (par
l’existence d’institutions qui garantissent l’équilibre des pouvoirs (le pouvoir du prince, le pouvoir du
peuple). La politique est conçue comme un moyen de réduire et d’accommoder les tensions justement
grâce à son institutionnalisation et à la création d’un espace public.
5
4
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