RENCONTRE SUR LE FILM MON ONCLE de Jacques TATI Le

Transcription

RENCONTRE SUR LE FILM MON ONCLE de Jacques TATI Le
RENCONTRE SUR LE FILM
MON ONCLE de Jacques TATI
Le mercredi 7 octobre 2009, l’association Collège au Cinéma 37 a invité le spécialiste de Jacques Tati,
Stéphane Goudet, professeur à Paris I – Panthéon - La Sorbonne et exploitant du cinéma Le Méliès à
Montreuil pour parler du film Mon Oncle programmé pour les élèves de 6ème/5ème au premier trimestre
2009/2010.
I - IMPRESSIONS DES ENSEIGNANTS PRESENTS A LA FORMATION
Les filles de Guillaume Adde, enseignant de Mathématiques au collège Gaston Huet de Vouvray, ont
trouvé le film très drôle même si des explications ont été nécessaires.
Sylvie Bazola, enseignante d’Education Musicale au collège Gaston Huet de Vouvray, a été
époustouflée par la bande son. Elle a trouvé le film plus drôle aujourd’hui que lorsqu’elle l’avait vu il y
a 15 ans. Thierry Moizard, enseignant d’Education Musicale au collège Ste Jeanne d’Arc de Tours, fait
observer qu’il s’agit presque toujours de la même musique, mais présentée à chaque fois d’une façon
différente (principe de variation).
Lucie Jurvillier, enseignante d’Histoire Géographie au collège La Rabière de Joué-lès-Tours, a trouvé
intéressant de voir la manière dont les personnages bougent dans ce décor.
Au cours de sa formation à l’agrégation, Dominique Jury, enseignant au collège René Cassin de Ballan
Miré, a travaillé sur ce film en étudiant les thèmes de l’eau, les deux mondes qui se côtoient et
l’opposition entre les deux mondes qui ont du mal à entrer en contact. Pour lui, c’est un film qui met mal
à l’aise.
Nathalie Simonneau, enseignante au collège Roger Jahan de Descartes, fait remarquer que les chiens
font la transition entre les deux mondes.
II – ETUDE DU FILM PAR STEPHANE GOUDET
1. LA PLACE DES ENFANTS :
Les enfants :
Mon Oncle est supposé être un récit à la première personne (le jeune garçon). Mon Oncle est le seul
film de Tati à avoir été exploité et adapté dans de nombreux livres.
Pierre Etaix : Dessin de Mon Oncle
L’école du regard : Mon Oncle Jacques Tati / Il était une fois Mon Oncle de Gilles Delavaud
La première personne est supposée être centrale mais cette impression est démentie par le film.
L’enfant est omniprésent mais il n’y a pas de caméra du point de vue de l’enfant. Les quelques
séquences tournées avec les enfants vont contaminer le film et le monde des adultes.
Deux mondes :
Adultes/Enfants > transition par Hulot
Monde ancien / Monde nouveau > transition par les chiens
Hulot n’appartient ni au monde des enfants, ni au monde des adultes, Mon Oncle est une suite des
Vacances de Monsieur Hulot.
Dans les Vacances de Monsieur Hulot, les complices de Hulot, ce sont des enfants, jeu de substitution
entre le corps de l’enfant et le corps de M. Hulot. A la fin de ce film, tout le monde lui tourne le dos et
se retrouve sur la plage.
Hulot est un adulte ayant un corps trop grand mais appartenant encore au monde de l’enfance.
Les corps parlent pour nous :
Tati ne s’occupait pas de la psychologie de ses personnages ; pour lui le regard fondamental est
essentiellement corporel.
Le thème de l’enfance :
Tati est influencé par l’enfance, par les dessins d’enfants : Usage fréquent du plan d’ensemble,
caractérisation graphique des personnages.
Dans son intérêt pour l’enfance, il y a aussi une recherche d’un esprit décalé par rapport au monde des
adultes. Tati a l’obsession de « trouver la juste distance avec le réel » : cette distance permet au
personnage de ne pas être « broyé par le réel », comme Chaplin dans les Temps Modernes,
littéralement absorbé par la machine.
Dominique Jury fait remarquer que la jeune fille est le seul personnage qui grandit ; il y a une
véritable métamorphose en jeune femme.
Hulot ne peut être perçu avec une femme que si elle apparaît comme une jeune fille.
Pour Gérard Lafite, enseignant au collège Raoul Rebout de Montlouis sur Loire, ce qui change au long
du film, c’est le rapport au père. A la fin du film, Charles Arpel est devenu un digne représentant de
l’oncle, il a retrouvé sa place de père. Comment un enfant retrouve son père ? Pour Jacques Tati, on ne
peut être père que si on assume une part d’enfance en soi.
2. LE SON / LA MUSIQUE
Le son et la musique sont la question centrale pour comprendre Mon Oncle.
Jacques Tati a commencé comme rugbyman et est ensuite devenu mime en mimant les sports ce qui fut
son premier spectacle.
Dans ses spectacles, un accessoiriste « hors-champ » produit des sons, bruite ses numéros de mime. Ainsi,
par sa formation, son parcours, Tati est très vite sensible à l’idée de la séparation des sources. Il
transposera ensuite ce procédé, dont il a éprouvé l’effet comique, à son cinéma : il est en quelque sorte
l’inventeur de l’inadéquation entre le son et l’image. Cette conception, là-encore, renvoie à sa façon de
percevoir le monde, et à sa volonté « d’être dans le décalage ».
Chez Tati, le son est soit inadéquat, soit « hyper redondant » (cf. le son du poteau qui tombe dans Jour
de fête).
Pour ses mimes, un accessoiriste double ses spectacles. Il cherchera les sons qui font rire et le décalage
entre le son et l’image.
Dans le cinéma de Jacques Tati, il y a un décalage même dans les paroles. Le son n’est pas une
évidence de l’image.
Tati et Fellini étaient amis et avaient un projet ensemble. Jacques Tati avait envie d’être le successeur
de Charlie Chaplin et de Buster Keaton. Ce dernier aurait proposé à Tati de sonoriser ces films.
La question du son est décisive et renvoie à la manière dont Tati perçoit le monde.
Sur le décalage son/image, Jacques Tati refait toutes les bandes sons.
Par exemple, Jacques Tati emmène Jacques Maumont en 1962 à 4h du matin pour aller réveiller un
coq !
Pour Jacques Tati, le son redonne de la vie, c’est pour cela qu’il y a un décalage entre le son et l’image
dans la scène de Jour de fête où le facteur (Pierre Etaix) imite la poule pendant que la femme la
déplume.
Jacques Tati était un obsessionnel total du son, il refaisait tous les sons. Dans l’insertion très précise de
la musique dans le film, c’est la naissance de la musique. Tati veut une ritournelle, une musique que l’on
retient car pour lui, le spectateur doit quitter la salle de cinéma avec la musique qui lui reste en tête ;
la musique a pour fonction de prolonger le temps du film : ainsi Playtime se termine par 4 minutes de
noir, seulement avec de la musique, pour laisser au spectateur « le temps d’atterrir ». Par la musique,
mais aussi par l’enchevêtrement entre la musique et les autres sources sonores, Tati transforme notre
regard sur le réel. Ainsi, en considérant la parole « comme un bruit parmi d’autres » (Sadoul), il va
provoquer un bouleversement dans la hiérarchie interne du cinéma sonore : Chez Tati, le sens ne passe
pas par le langage. Il se situe ainsi dans la continuité du genre burlesque. Le langage fait partie de
l’illusion sociale : c’est sûrement pour cela que Hulot a toujours sa pipe à la bouche : elle a pour fonction
de lui « clouer le bec ». De la même façon, Le bruit devient de la musique car le bruit est partout dans
le quotidien. La musique a aussi pour fonction de faire vivre les accessoires en dehors de leur présence.
La question du bruit va devenir centrale dans le cinéma. Chaplin a inspiré Tati dans la musique et le
son. Dans un sens, Tati faisait son cinéma contre Chaplin, il ne voulait pas reconnaître sa filiation avec
Chaplin alors qu’il lui est redevable sur le plan sonore. Par exemple, la séquence de l’usine et du
dérèglement de la machine peut apparaître comme une réponse de Tati à la scène inaugurale des
Temps Modernes.
Le cinéma comprend trois grands cinéastes du bruit : Robert Bresson, Jacques Tati et David Lynch.
David Lynch a d’ailleurs dit que Tati « l’a aidé à entendre ». Le son guide l’image.
Le son et la couleur vont guider Mon Oncle. Pour Tati, la couleur est dangereuse car elle détourne le
spectateur des gags.
3. PARALLELE ENTRE DEUX MONDES
Mon Oncle est un film binaire opposant le Paris à l’ancienne et le Paris de demain avec une dimension
futuriste (maison des Arpel).
Avec les collégiens, les enseignants peuvent leur demander de décrire les éléments qui caractérisent les
deux mondes (couleurs, rayures verticales…).
A contrario, le village de St Maur a des couleurs pastel, des couleurs harmonieuses. Le film montre un
monde qui va disparaître. Pour Stéphane Goudet, la femme est comme aspirée dans la scène de
l’aspirateur et dans le village, le balayeur ne veut pas balayer.
Jacques Tati a demandé à Jacques Lagrange, co-scénariste, une villa absurde mais belle.
Bien que ce soit une belle maison, elle n’est pas faite pour les Arpel. Dans le film, ils ne mangent jamais
à l’intérieur. Cette maison n’est pas faite pour y vivre ; d’ailleurs, ils n’y vivent pas.
A St Maur, le spectateur ne rentre jamais chez Hulot et lui-même n’invite personne, ni même la caméra.
4. ANALYSE DE SEQUENCE : SCENE DE L’ENTRETIEN
Il y a le bruit de l’horloge comme un compte à rebours avant qu’il soit remercié. La spécificité de Mon
Oncle fait de ce film le plus classique de Jacques Tati. M. Hulot est un personnage inadapté qu’on
essaye de faire rentrer dans le rang.
Un burlesque ne sourit jamais. Pour faire rire, il ne faut pas rire. Dans une scène, il remet une pierre sur
un bâtiment détruite alors que d’habitude le burlesque produit du désordre. Tati va annuler cela en ne
cassant rien, il ne détruit rien.
Dominique Roy, présidente de l’association Collège au Cinéma 37, remercie Stéphane Goudet pour sa
venue à Tours et pour son analyse du film Mon Oncle.
Compte rendu réalisé par Claire Tupin avec ses notes ainsi que de celles d’Antoine Macarez,
enseignant d’Education Musicale au collège Rameau de Tours
et relu par Antoine Macarez et Dominique Roy

Documents pareils