Socialisation et identité - CULTURE

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Socialisation et identité - CULTURE
Socialisation et identité
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Article de la rubrique « Cultures: la construction des identités »
Mensuel N° 110 - Novembre 2000
Cultures : la construction des identités
Socialisation et identité
GENEVIÈVE VINSONNEAU
La psychologie culturelle s'interroge sur les rapports entre la construction du
sujet et la culture. Elle montre que l'identité de chacun dépend de son
environnement social, mais aussi de la position qu'il se donne dans une société
aux références culturelles multiples.
C'est le débat sur l'inné et l'acquis qui fit naître le questionnement à propos des
incidences de la culture sur les modes de production et d'expression des
comportements humains. Au début du xixe siècle, diverses observations, réalisées sur
des petits d'hommes dépourvus de parents et d'éducation humaine (par exemple, «
l'enfant sauvage de l'Aveyron », que décrivit Jean Itard, ou les jeunes Indiens qu'avaient
adoptés des meutes de loups), révélèrent combien la situation de l'homme est originale :
privé de vie sociale, il s'avère en effet incapable d'accéder à la condition humaine.
Le culturel n'est pas seulement quelque chose qui s'ajoute à la nature de l'homme ; il
s'agit d'une dimension essentielle, qui en est constitutive. C'est en effet par sa médiation
que l'individu, au cours de son développement, devient humain. Les modes du devenir
humain ne sont pas uniformes ; ils varient d'un groupe social à l'autre, d'une culture à
une autre.
L'appropriation des significations culturelles
Au cours de son développement, l'individu rencontre nécessairement autrui, tisse avec
lui des liens, au gré des groupes sociaux et des situations traversées. On appelle
socialisation les modifications qui se produisent à cette occasion dans les rapports de
chacun avec son environnement et avec soi-même. Chaque groupe social possède des
significations culturelles propres, auxquelles est confronté le sujet.
D'origine collective, ces significations culturelles sont reliées à des logiques partagées et
elles se transmettent, en perdurant dans le temps, au point d'être confondues avec un
patrimoine consensuel et durable. Le sujet se les approprie donc, les incorpore, en
quelque sorte, sous l'effet du processus d'« enculturation », dynamique procédant de la
socialisation et qui varie largement selon le type de société dans laquelle elle opère .
On peut par exemple naître dans une société rurale où l'autorité paternelle et masculine
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constitue une valeur essentielle et sera transmise par l'ensemble des membres de la
communauté - femmes comprises - au jeune enfant. Cela s'opérera à la fois par les
tâches à accomplir, par les mythes et croyances qu'il intégrera, par les espaces et les
temporalités de la société, etc. On peut aussi naître dans une société urbaine et
postmoderne du nord de l'Europe. La négociation familiale, la tolérance aux différences
individuelles et la démocratie participative y constituent autant de valeurs et de pratiques
généralisées que la socialisation, familiale et scolaire, permettra à chacun d'intégrer
progressivement.
Les structures sous-jacentes aux développements culturels sont loin d'être uniformes. Il
s'avère qu'une fracture sépare, d'un côté les sociétés dites modernes, qui se sont
industrialisées depuis la fin du xviiie siècle, et de l'autre celles qui résistent à ce
processus ou en demeurent plus ou moins à l'abri, et que l'on qualifie de traditionnelles.
Ici, nous nommerons traditionnelle toute collectivité anciennement constituée, préservée
des changements rapides et discontinus qui, depuis deux siècles, secouent les sociétés
en proie aux révolutions techniques. De sorte que ce qui caractérise ces collectivités est
l'incessante répétition de pratiques maintenues identiques à elles-mêmes. Mises au
point par le passé, ces pratiques permettent de faire face à des problèmes inchangés,
ou tout au moins qui évoluent très lentement, ce qui autorise la cristallisation d'un vaste
réseau de traditions.
On observe de tels fonctionnements aussi bien parmi des sociétés à faible degré de
stratification sociale - sociétés « simples », dites primitives par les premiers ethnologues
- que dans certains sous-groupes d'anciennes sociétés asiatiques, arabo-musulmanes
ou européennes. Plus le caractère traditionnel des sociétés est important ou s'accroît,
plus ses membres sont enserrés dans un système culturel cherchant à lui prescrire à la
fois ses pratiques et ses croyances. La culture est alors hégémonique - ses
prescriptions tendent à concerner toutes les situations de l'existence - et elle vise le
détail de chacune des situations.
La culture peut être ici considérée comme un ensemble, cohérent et précis, qui forme un
système, c'est-à-dire une philosophie ordonnée de l'existence, à forme habituellement
religieuse. Les communautés rurales chrétiennes médiévales, certaines minorités
ethniques de Chine contemporaine, quelques communautés rurales d'Asie centrale ou
du Moyen-Orient peuvent par exemple relever d'une telle compréhension.
Sociétés industrialisées et subcultures
Dans les sociétés industrialisées modernes, l'accélération du changement induit des
transformations structurelles, rendant délicate, voire impossible, la cristallisation en
traditions des représentations, valeurs, savoirs, savoirs-faire... Simultanément à la
diversification des activités et à l'accroissement de la complexité sociale, les sousgroupes sociaux se multiplient et tendent à exister pour eux-mêmes. Les modèles qui
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les gouvernent suscitent alors une diversification sous forme de subcultures.
Disparates et conflictuelles, ces subcultures introduisent une problématique dans la
culture d'ensemble, au sein de laquelle elles se distinguent. Si dans les contextes
traditionnels, la socialisation prescrit les comportements et les valeurs dans le détail,
dans les sociétés industrielles modernes, elle tend en revanche à proposer des
principes de conduites généraux et des valeurs morales globales. Les difficultés qu'a
connues l'Eglise catholique en matière de prescription d'une morale sexuelle, et son
retrait pratiquement complet de la prescription politique ou sociale dans les sociétés
européennes actuelles, illustre par exemple ce fait. L'Eglise a dû s'adapter aux
modifications de la culture et suivre des pratiques sociales réelles. On peut ainsi parler,
pour nos sociétés, de « socialisation-cadre ».
Par ailleurs, en société complexe, l'individu peut être soumis tout au long de sa vie à des
opérations de désocialisations et resocialisations successives, qui ne sont pas
totalement différentes de ce que vivent les membres des minorités étrangères à
l'épreuve de l'immigration.
Dans les sociétés contemporaines, l'existence de sub-cultures disparates offre aux
acteurs sociaux la possibilité de développer des comparaisons et, par voie de
conséquence, de prendre des distances par rapport à leur propre culture d'origine. Ainsi
ne sont-ils plus en situation d'immersion socioculturelle ; les individus acquièrent la
possibilité de se poser comme sujets « émergés », face à des éléments culturels qu'ils
peuvent traiter comme des objets de conscience, en les manipulant à leur convenance
personnelle. Il est de fait que la connaissance de la diversification socioculturelle est
renforcée par les médias : ceux-ci installent désormais les individus dans des réseaux
planétaires, où circule un corpus d'informations mondialisées. De sorte que les acteurs
sociaux peuvent être amenés à juger les propositions de la collectivité, à les évaluer,
pour choisir finalement parmi différentes « socialités divergentes ». Autrement dit, les
acteurs sociaux peuvent, dans une certaine mesure, édifier eux-mêmes leurs projets de
socialisation.
Dans ce contexte, le maintien de l'unité de l'être ne se réalise qu'au prix de gros efforts.
La problématique identitaire s'inscrit précisément à ce niveau.
On appelle identité la dynamique évolutive par laquelle l'acteur social donne sens à son
être : en reliant le passé, le présent et l'avenir, ce qui procède des faits et des
prescriptions sociales, ou ses propres projets. Elle en constitue une totalisation, adaptée
au monde, tout en procurant à l'acteur social un sentiment d'unité et de constance. La
psychologie fournit aujourd'hui d'abondantes études qui nous éclairent sur la question
de l'identité. Les recherches sur le Soi, en particulier, analysent la façon dont chacun se
définit (concept de soi), s'estime (estime de soi) et se présente tant à autrui qu'à soi-
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même (présentation de soi). Les facteurs culturels peuvent infléchir à la fois les
conceptions possibles de soi, les manières de se porter estime et les divers modes de
présentation de soi qui sont également liés aux processus cognitifs. Le sujet n'est pas le
créateur exclusif du sens de son être, dont l'existence se déploierait en toute liberté
dans un vide social. La culture interagit avec le développement cognitif du sujet et donne
elle aussi forme à l'esprit.
Si la psychologie a coutume d'éclairer des procédés individuels, susceptibles de
présenter des régularités, la psychologie culturelle s'efforce d'expliquer la spécificité des
productions des acteurs sociaux dans des contextes culturels particuliers. Dans ces
circonstances, elle cherche à comprendre la manière dont opèrent les cadres de
référence, les grilles d'interprétation du réel, les positions que l'on se donne dans le
monde.
Geneviève Vinsonneau
Présidente de l'Association internationale de psychologie scientifique pour l'étude des
contacts de cultures (AIPSECC), enseigne la psychologie culturelle à l'université ParisV. Dernier ouvrage paru : Identitaires, Armand Colin, 1999.
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