Divorce et contribution aux charges du mariage

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Divorce et contribution aux charges du mariage
Revues
Lexbase La lettre juridique n˚584 du 25 septembre 2014
[Divorce] Jurisprudence
Divorce et contribution aux charges du mariage : précisions
utiles
N° Lexbase : N3752BUI
par Jérôme Casey, Avocat au Barreau de Paris, Maître de Conférences à l'Université de Bordeaux
Réf. : Cass. civ. 1, 9 juillet 2014, n˚ 13-19.130, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0581MU3)
La décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 juillet 2014 est de celles
qui raviront les praticiens car elle vient combler de fort belle manière un vide important, qui était la source
de nombreuses hésitations dans les dossiers de divorce. Peut-on demander au juge du divorce de statuer
aussi sur une éventuelle contribution aux charges du mariage défaillante, pour une période antérieure à
l'ordonnance de non-conciliation ? La réponse apportée par l'arrêt est des plus claires : c'est non. Le motif ne laisse aucune place au doute : "hors le cas prévu par l'article 267, alinéa 4, du Code civil (N° Lexbase :
L2834DZY), le juge aux affaires familiales ne peut, lorsqu'il prononce le divorce, statuer sur une demande de contribution aux charges du mariage portant sur la période antérieure à l'ordonnance de non-conciliation ; c'est donc à
juste titre que la cour d'appel, qui n'était pas saisie sur le fondement des dispositions précitées, a retenu qu'il ne
lui appartenait pas de statuer sur la demande présentée par Mme Y". Avant d'examiner les deux enseignements majeurs qui peuvent être tirés de la présente décision, on notera que le quatrième moyen du pourvoi
alléguait une violation de l'article 258 du Code civil (N° Lexbase : L2823DZL), qui dispose, notamment,
que "lorsqu'il rejette définitivement la demande en divorce, le juge peut statuer sur la contribution aux charges du
mariage [...]". Pareil moyen était voué à l'échec, puisqu'au cas d'espèce, le juge du divorce a prononcé le
divorce, et non rejeté la demande... Le cas était donc à l'opposé de l'hypothèse de ce texte. Pour accueillir la
critique développée par le pourvoi, il eût donc fallu que la Cour de cassation acceptât d'interpréter l'article
258 a contrario, ce qu'elle n'a jamais fait à ce jour. Il faut donc bien se garder de relier la présente décision
au domaine d'application de ce texte, contrairement au piège tendu par le pourvoi, et dans lequel la Cour
de cassation a eu la sagesse de ne pas tomber.
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Ceci précisé, deux enseignements peuvent être tirés de la présente décision : d'une part, si le juge qui prononce
le divorce n'a pas à statuer sur une demande de contribution aux charges ante ONC, rien n'interdit de former
une demande distincte ne portant que sur l'article 214 (N° Lexbase : L2382ABT) (I) ; d'autre part, l'incidence de la
liquidation doit être bien mesurée, car ce qui est interdit à titre de demande, peut être autorisé à titre de défense
(II).
I — Une demande distincte
Tout d'abord, il apparaît nettement que si l'une des parties entend former une demande de contribution aux charges
du mariage, cela doit se faire avant le prononcé du divorce, et par une instance séparée de l'instance en divorce. En
effet, le motif de l'arrêt ne dit absolument pas qu'une telle demande est irrecevable. Il dit simplement, mais c'est déjà
beaucoup, que c'est à juste titre que la cour d'appel a retenu qu'il n'appartenait pas au juge du divorce de statuer sur
la demande qui lui était présentée. C'est logique : en tant que juge du divorce, le juge saisi n'est pas compétent pour
trancher une demande relative à la contribution aux charges du mariage. Mais attention à ne pas dénaturer l'arrêt.
Ce motif ne veut évidemment pas dire qu'il est impossible, avant le prononcé définitif du divorce, de saisir le juge
aux affaires familiales d'une difficulté relative à la contribution aux charges du mariage pour la période antérieure à
l'ONC. Il est, au contraire, parfaitement possible de le faire, mais il faudra pour cela saisir le JAF en qualité de juge
de la contribution, et non en qualité de juge du divorce. Une instance totalement distincte de l'instance en divorce
devra donc être introduite, avec un numéro de RG différent. La pratique révèle que certains JAF y sont hostiles,
estimant que du fait de la requête en divorce il n'y a plus lieu de statuer sur la contribution aux charges. Cette
position est inexacte car s'il est vrai que le devoir de secours, décidé lors de l'audience de conciliation, se substitue
à la contribution aux charges pendant l'instance en divorce, cela laisse intact le problème de la contribution ante
ordonnance de non-conciliation. De sorte que l'une des parties peut parfaitement saisir le juge d'une demande à ce
titre, mais à la condition essentielle de le faire par une procédure totalement indépendante de celle en divorce (peu
importe que le juge soit le même, il sera saisi par deux instances séparées). Bien entendu, plus l'on sera proche de
la procédure au fond, et, pire encore, du jugement, plus la demande passera pour saugrenue. Mais si d'aventure
un époux estimait que son conjoint, avant les mesures provisoires, n'avait pas assez contribué, il peut lui demander
de le faire. En revanche, une fois le divorce devenu définitif, aucune demande de contribution aux charges ne sera
plus recevable, la qualité d'époux ayant disparu. Le défaut d'intérêt et de qualité à agir sera alors flagrant.
La solution est opportune, car elle permet de préserver le juge du divorce, en n'alourdissant pas son instance, tout en
ne sacrifiant pas le demandeur à la contribution aux charges. La Cour de cassation oblige donc ce dernier à prendre
la responsabilité d'un contentieux séparé, qui est toujours plus impressionnant à décider que d'ajouter un chef de
demande dans un jeu de conclusions au fond sur le divorce. Mais la solution est encore opportune pour d'autres
raisons. En obligeant les plaideurs à former une demande distincte, la Cour de cassation préserve leurs droits.
En effet, imaginons que le demandeur à la contribution décède en cours d'instance en divorce. Si la contribution
aux charges était liée à la procédure en divorce, la demande disparaîtrait en même temps que la procédure de
divorce, du fait du décès de l'un des époux. Au contraire, en obligeant à faire vivre ces deux instances séparément,
la Cour permet, en cas de décès, que l'instance en contribution soit reprise par les héritiers du demandeur. Une
autre raison peut être avancée : tant que le divorce n'est pas prononcé, les parties sont... mariées ! Décider que le
dépôt d'une requête en divorce rendrait impossible une demande relative aux charges du mariage pour la période
antérieure, reviendrait à considérer que la requête en divorce créerait une sorte d'immunité en cas d'inexécution de
son obligation de contribuer par un époux.
Par conséquent, nous ne pouvons qu'approuver et applaudir une décision qui affirme le caractère séparé des deux
procédures, et laissant donc intacte la possibilité de saisir le JAF d'une demande concurrente de contribution aux
charges.
II — L'incidence de la liquidation
La Cour de cassation, après avoir affirmé le caractère distinct des deux procédures, émet une réserve qui tient au
quatrième alinéa de l'article 267. Cet alinéa est le fameux texte qui permet le "tranchage" des désaccords persistants
dans l'hypothèse où un notaire a été nommé sur le fondement de l'article 255, 10˚ (N° Lexbase : L2818DZE).
On comprend donc que, dans ce cas, une demande relative à la contribution aux charges du mariage serait de la
compétence du juge du divorce. Mais là encore, gare aux erreurs d'interprétation. De toute évidence, il ne peut s'agir
de demander d'abord au notaire, puis au juge, de condamner l'autre époux à régler une somme de X au titre de
sa contribution défaillante ante ONC. Ce dont il sera alors question, ce sera d'opposer la contribution aux charges
du mariage à une demande de remboursement présentée par l'époux défaillant mais se prétendant créancier. Le
cas est fréquent en séparation de biens, où un époux s'estime créancier de son conjoint ou de l'indivision, tandis
que l'autre lui répond que son paiement procédait de son obligation de contribuer aux charges du mariage et
donc qu'aucune créance n'existe. Le cas se verra d'autant plus fréquemment qu'en 2013 la Cour de cassation a
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spectaculairement clarifié sa jurisprudence sur le financement du logement entre époux séparés de biens (1), et
qu'en conséquence la contribution aux charges du mariage sera à l'avenir encore plus souvent invoquée. Mais
chacun voit bien qu'en pareil cas cette notion est utilisée à des fins de défense, dans le but de s'opposer à une
demande de remboursement. L'hypothèse est donc très différente de celle du présent arrêt, où le demandeur
voulait obtenir une condamnation sonnante et trébuchante à l'encontre de son conjoint. Par conséquent, la réserve
contenue dans le motif de l'arrêt et relative à l'existence d'un notaire "255, 10" constitue en réalité un cas à part, qui
ne constitue donc en rien un démenti, ou une exception, au principe posé.
Enfin, il est à souligner que la position ici retenue par la Cour de cassation en présence d'un notaire "255, 10" est
parfaitement cohérente avec la position retenue par une autre décision récente, relative au partage judiciaire (2), qui
décide que le juge du partage doit faire masse de l'ensemble des créances que les époux se doivent éventuellement
(contributions aux charges du mariage, pensions alimentaires, dommages-intérêts, prestation compensatoire (3)). Il
ne saurait être question pour le juge du partage de condamner un époux à une contribution aux charges qui n'aurait
pas encore été fixée ; mais si celle-ci a déjà été jugée, ou si l'article 214 est opposé en défense face à la revendication
d'une créance, alors le juge du partage pourra statuer sur l'ensemble des demandes financières pour procéder à
un règlement d'ensemble. Il est aisé de voir que c'est la même logique qui prévaut dans l'arrêt commenté, lorsqu'un
notaire "255,10" a été désigné. Cette désignation crée une sorte d'avant-poste de la procédure de partage, et permet
d'ailleurs de considérer que l'assignation en divorce vaut assignation en partage (4), rendant possible un règlement
d'ensemble des créances dues entres les époux. Mais comme précédemment, il s'agit alors d'utiliser la contribution
aux charges du mariage à titre de défense, certainement pas pour former une demande de condamnation.
Voici donc une décision qui est très utile au plan pratique, et très logique au plan des principes. Que demander de
plus ?
(1) Sur l'ensemble et pour les références des arrêts, v., notre étude, Le sort du logement indivis entre époux séparés
de biens, Gaz. Pal., 24 août 2013, n˚ 236, p. 19 et Gaz. Pal., 29 octobre 2013, n˚ 302, p. 19 ; v., également nos
commentaires : Financement du logement indivis en séparation de biens : une jurisprudence désormais fixée,
Lexbase Hebdo n˚ 543 du 10 octobre 2013 — édition privée (N° Lexbase : N8851BTY) ; et Le financement de la
résidence secondaire entre dans le champ de l'article 214 du Code civil..., Lexbase Hebdo n˚ 561 du 6 mars 2014
— édition privée (N° Lexbase : N1061BUT).
(2) Cass. civ. 1, 14 mai 2014, n˚ 13-14.087, F-D (N° Lexbase : A5668MLI).
(3) Le motif de l'arrêt est particulièrement net : "Pour débouter Mme Y de ses demandes relatives aux pensions
alimentaires, contributions aux charges du mariage, prestations compensatoires et dommages-intérêts, l'arrêt retient que les arriérés relatifs à ces créances ne relèvent pas des opérations de liquidation de la communauté ; en
statuant ainsi, alors que, la liquidation à laquelle il devait être procédé englobant tous les rapports pécuniaires entre
les parties et ayant été ordonnée par une décision passée en force de chose jugée, il appartenait à la cour d'appel
de statuer sur les créances invoquées par Mme Y à l'encontre de M. X selon les règles applicables à la liquidation
de leur régime matrimonial lors de l'établissement des comptes s'y rapportant, la cour d'appel a violé l'article 1351
du Code civil, par refus d'application".
(4) V., les arrêts très controversés, Cass. civ. 1, 7 novembre 2012, 3 arrêts, n˚ 12-17.394, FS-P+B+R+I, (N° Lexbase :
A4319IWU), n˚ 11-10.449, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4311IWL), n˚ 11-17.377, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4313IWN).
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