Café philo Demain, tous citadins ? Ville/Campagne au XXIe siècle

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Café philo Demain, tous citadins ? Ville/Campagne au XXIe siècle
Café philo
Demain, tous citadins ? Ville/Campagne au XXIe siècle
Médiathèque adultes
Vendredi 4 mars 2016
Animé par Alain Vallée
Introduction
Remarques étymologiques : Il y a plus de mots pour dire la ville que pour dire la campagne. Quatre filières
sémantiques pour la ville : le latin « villa » donne ville, villa, village, villageois, ce n’est donc pas la racine la
plus pertinente. Le latin « urbs » produit urbanisation, urbanisme ; mais aussi urbain, urbanité. Le latin
« civitas » donne cité, citoyenneté ; mais aussi civil, civilisé. Enfin le grec « polis » est à l’origine de
métropole, mégapole ou mégalopole ; mais aussi poli, politesse, policé ; et bien sûr politique. Pour ce qui est
de la campagne, « rus » est à l’origine de rural, ruralité ; mais aussi de rustique, rustre, rustaud. « Campus »
donne champ, campagne. On remarque que les termes désignant la ville sont positifs et laudatifs, ceux qui
désignent la campagne dévalorisants ou, au mieux, neutres. Ce que nous transmet la langue est donc un point
de vue partiel et partial. C’est le point de vue de la ville, parlant d’elle-même au mélioratif, et de la
campagne de manière péjorative. On ne saurait s’en étonner : dans l’Antiquité, la ville est le lieu de la
culture, celui où l’on parle, juge, écrit. L’étymologie ne reflète donc pas du tout l’importance démographique
de la population rurale jusqu’au XX siècle, et pas davantage son importance humaine pour nous tous.
Remarques historiques : la population mondiale est 25 fois plus importante en 2015 qu’en 1900. Elle est
aussi de plus en plus urbaine. Les statistiques montrent que le monde s’urbanise à une vitesse accélérée ;
depuis 2008, plus de 50% des hommes vivent dans les villes. Les démographes prévoient 70%, en 2050.
C’est un fait récent, en 1900, seulement 16% de la population vivait en ville. Les villes aujourd’hui affichent
un dynamisme permanent, on y trouve travail, services, loisirs. A contrario, les campagnes se dépeuplent et
semblent de moins en moins attractives, pour ne pas dire abandonnées : elles perdent leurs entreprises,
leurs personnels soignants, leurs services publics. Tandis que se développent aussi les banlieues et ces
zones qui ne sont ni de la ville ni de la campagne et qu’on appelle périurbaines.
Problématique : comment expliquer cet attrait de la ville ? Vit-on vraiment mieux en ville ? Que devient
alors notre besoin de nature ? Si l’égalité est une valeur républicaine, comment penser aujourd’hui l’égalité
des territoires ?
Définitions préalables : selon la définition de l’INSEE, une ville suppose une population d’au moins 2 000
habitants, et une « continuité de bâti » : moins de 200 mètres d’interruption entre deux bâtiments. Une
mégalopole compte plus de 10 millions d’habitants, il y en a 40 dans le monde, dont 20 en Asie (Tokyo est la
première d’entre elles) ; la France avec son tissu de petites villes ou de villes moyennes n’en compte donc
qu’une seule.
Synthèse de la discussion
1 Pourquoi cet attrait de la ville ?
La ville est le lieu de la richesse. C’est là qu’on trouve le plus facilement du travail, des transports en
commun, des services (centres commerciaux, crèches et garderies, médecins et hôpitaux) et toutes ces
activités de loisir qui sont devenues pour nous des besoins : cinémas, théâtres, salles de concert, ou de
sport, centres culturels... Les nouvelles technologies y fonctionnent mieux. Aujourd’hui ce sont les grandes
villes qui attirent, disons surtout les villes universitaires. Ce qui y séduit les jeunes, c’est la facilité de la
rencontre : l’âme de la ville, pour eux, c’est l’agora, le forum, la discussion permanente.
Sur le plan politique, la ville a aujourd’hui un rôle de leader : ce que les Etats n’arrivent plus à faire,
beaucoup de villes le mettent déjà en œuvre, à leur échelle. Nous évoquons à ce propos le film (et le livre)
Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent. On y trouve beaucoup d’exemples d’initiatives bienvenues : jardins
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partagés, vie associative, économies d’énergie, économie participative et solidaire, monnaies locales… Il y a
quelque chose de très nouveau et très prometteur dans ce que font aujourd’hui les villes en marge des Etats
et souvent en réseaux.
On comprend que la ville séduise les jeunes, mais aussi les familles qui ne veulent pas prendre trop souvent
la voiture ; et encore les personnes âgées qui ne peuvent plus conduire, entretenir le jardin et qui ont besoin
de soins médicaux. Y aurait-il alors un âge pour vivre en ville, un autre pour vivre à la campagne, quels sont
les avantages de ces deux genres de vie ?
2 Vie à la ville versus vie à la campagne : de quoi avons-nous besoin ?
Nous nous livrons d’abord à quelques comparaisons ; vivre en ville n’a pas le même sens selon qu’on est
français, américain, africain. En Afrique, l’attraction de la ville peut se révéler un miroir aux alouettes :
ceux qui migrent dans les zones périurbaines passent le plus souvent de la pauvreté à la misère. Aux EtatsUnis, à l’exception de certains quartiers, les centres-villes sont investis par des populations relativement
modestes ; ce sont les banlieues qui attirent les plus riches ; les Américains ont en effet la culture de la
voiture individuelle, les transports en commun sont moins développés qu’en France. L’efflorescence des
banlieues américaines avec leurs kilomètres de maisons est comme un hymne à l’individualisme. En France,
l’immobilier des centres-villes est onéreux, rejetant les plus modestes vers les banlieues ou le périurbain.
Ces quelques remarques comparatives nous conduisent à nous interroger sur nos besoins.
- La mode du périurbain nous montre que nous avons, ou aurions, tous besoin de posséder une maison : un
espace, à la fois intérieur et extérieur, autour duquel on puisse tourner, avec un sentiment de propriété et
sans être dérangé par les voisins. La maison correspond au besoin d’avoir un espace vital suffisant et d’avoir
un jardin.
- Nous avons donc tous besoin d’un contact avec la nature (qu’on trouve mieux à la campagne) ; mais nous
avons aussi besoin d’un lien avec nos semblables ; les deux sont nécessaires. Le besoin de lien social semble
plaider pour la ville : les jeunes par exemple, avides de contacts sociaux peuvent se sentir mal à la
campagne. Méfions-nous toutefois des généralisations hâtives. On est souvent plus seul en ville qu’à la
campagne où on est inséré dans un réseau de voisinage. Et ce qu’on appelle la nature peut se révéler …
dénaturé. Notre rapport à la nature a beaucoup changé au cours des siècles : dans l’Antiquité, elle était un
modèle, au Moyen-âge elle faisait peur. Depuis le XVIIème siècle (voir Descartes), elle est mise au service
de l’homme, cultivée, domestiquée, dominée. Avant d’être, depuis l’ère industrielle, surexploitée : les abeilles
des villes se portent mieux que celles des campagnes arrosées de pesticides. La montagne peut n’être belle
que dans la chanson et il y a plus de diversité végétale à Paris qu’autour de Pithiviers !
- Enfin, nous n’avons pas seulement besoin d’être logés quelque part, nous avons besoin d’habiter. La
distinction entre « loger » et « habiter » a été théorisée per Heidegger. Habiter suppose une richesse de
relations, ressentis, et souvenirs qui fait sens ; Heidegger cite Hölderlin : « c’est poétiquement que l’homme
habite sur la terre ». « Poétiquement » est à prendre ici au sens étymologique de « création » : l’espace où
nous vivons nous fabrique et nous crée. Nous créons un espace habitable et en retour celui-ci nous crée : la
personne qui par sa fenêtre voit un lilas ne se comportera pas de la même manière que celui qui ne voit qu’un
mur. Ceux qui sont logés dans des tours ou des banlieues sinistres ne courent pas seulement le risque de
devenir claustrophobes, ils peuvent aussi se comporter de manière inhumaine.
De ces besoins humains, découlent trois exigences qui feront le corps de notre discussion : construire des
villes habitables ; ne pas abandonner les campagnes ; mettre un peu de la ville à la campagne et un peu de la
campagne en ville.
3 Construire des villes habitables, « à échelle humaine »
Cette dernière expression est de Jan Gehl, architecte danois associé au réaménagement de Copenhague et
auteur du livre Cities for people (2010). Pour lui, l’échelle humaine est la clef de tout ; cela signifie d’abord
un certain nombre d’habitants. Un rapport sur la violence rédigé par Alain Peyrefitte, après les émeutes
urbaines de la fin des années 70, montre que construire des villes de moins de 200 000 habitants avec des
immeubles de moins de 6 étages réduirait la criminalité. La ville idéale compterait moins de 70 000
habitants : au-delà, on y perd trop de temps en transports ; en deçà, on peut ne pas trouver suffisamment
de services. Jan Gehl insiste sur l’importance de ne pas sur-dimensionner les places de nos villes : la place
est le lieu de la rencontre et au-delà de 50 mètres on ne peut plus s’entendre. Une vile comme Brasilia où la
place fait 800 mètres sur 500 mètres n’est pas à échelle humaine. Brasilia est sans doute une merveille
d’architecture mais ce n’est pas « une ville pour les gens », « a city for people ».
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Pour Le Corbusier, une ville habitable doit comporter des « conditions de nature », des éléments comme le
soleil ou l’espace sont indispensables aux êtres vivants. Il y a un droit à l’air pur, un droit au soleil : au moins
trois heures par jour, pour le célèbre architecte.
4 Ne pas abandonner les campagnes
Les grandes villes sont en train de prendre le pouvoir sur le territoire. La France périphérique qui compte
les campagnes, les banlieues, les petites villes est comme oubliée. En campagne, les services publics
(aujourd’hui largement privatisés, un changement sans précédent) tendent à disparaitre. L’exigence
française d’égalité territoriale semble hélas dépassée car elle coûte trop cher. Il reste toutefois une
discrimination positive en faveur des campagnes (l’Etat par exemple a négocié avec la SNCF qui prélève une
taxe sur les TGV pour financer les trains Corail) ; mais on arrive au bout de ce modèle : en notre temps
d’individualisme triomphant, il y a une évidente crise de la solidarité et de la redistribution. Il nous faut
donc inventer de nouvelles solidarités : des solidarités horizontales entre communes comme le fonds
national de péréquation des ressources intercommunales.
Un bon moment de notre discussion est alors consacré au problème des déserts médicaux. Le serment
d’Hippocrate qui impose aux médecins de soigner tout le monde (le miséreux comme le riche, le criminel
comme l’homme de bien) ne comporte pas la notion de territoire. Comment y remédier et attirer à la
campagne les personnels de santé ? Nous évoquons plusieurs pistes : les maisons de santé pluridisciplinaires,
les communes qui réussissent à salarier des médecins, les mesures incitatives comme des bourses en
échange d’un certain nombre d’années d’exercice dans des lieux délaissés… La médecine nous semble en tout
cas comporter une dimension de service public, elle ne peut être entièrement livrée au libéralisme
triomphant d’aujourd’hui.
Ce qui nous préoccupe enfin c’est la disparition des zones rurales ; dans nos campagnes, les sous-bois, les
forêts progressent là où les champs disparaissent. Il y a de moins en moins de paysages car il y a de moins
en moins de paysans (65% de la population en 1880, seulement 1,6% aujourd’hui) ; nos voisins suisses ont su
mieux que nous conserver leurs terres agricoles et leurs paysages ; à nous maintenant de soutenir
l’agriculture paysanne.
5 Urbaniser la campagne, ruraliser la ville
Une bonne part de notre discussion a consisté à prendre au sérieux la célèbre boutade d’Alphonse Allais :
« il faut construire les villes à la campagne » ; et bien sûr, réciproquement. Malgré les apparences cela n’a
rien d’impossible. Urbaniser la campagne, c’est y développer des transports en commun, des lieux de loisir et
de culture ; et des services tels les relais services publics ou les plates-formes multi services.
Le mouvement écologique a beaucoup contribué à ruraliser nos villes : les grandes villes sont de plus en plus
vertes et agréables à vivre, avec des parcs, des pistes cyclables, des murs végétaux, des potagers sur les
toits, des jardins partagés, des voies douces ou vertes… Des initiatives comme les paniers des AMAP ou
« brins de paille » permettent aux citadins de manger bien et sainement.
Au final, notre café-philo fut sans nostalgie excessive, résolument tourné vers l’avenir et une fois n’est pas
coutume marqué par un certain optimisme.
Catherine Vallée & Béatrice Scola (notes)
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