par Microscopie `a Effet Tunnel ` - Laboratoire de Physique Statistique

Transcription

par Microscopie `a Effet Tunnel ` - Laboratoire de Physique Statistique
Licence 3, Ecole Normale Supérieure
Rapport de Stage
Etude de la Surface Cu(111) par Microscopie à
Effet Tunnel à Basse Température
Soutenu le 15 Septembre 2006
par
Marc Santolini
Maı̂tre de stage : Roland Coratger
Résumé
L’objet du stage que j’ai effectué au CEMES (Centre d’Elaboration de Matériaux et d’Etudes
Structurales) à Toulouse fut l’étude d’une surface de cuivre et d’adsorbats moléculaires par
Microscopie à Effet Tunnel (MET) basse température sous ultra vide. La première partie de
mon stage a consisté en la préparation de l’observation de la surface et la réalisation d’une
opération de maintenance sur le microscope. J’ai eu à effectuer des cycles de nettoyage de la
surface de cuivre, des remplissages de cryostat à l’azote liquide et l’hélium liquide, et un dépôt
de molécules sur la surface. La deuxième partie de mon stage fut consacrée à l’observation de
la surface préparée, de ses défauts cristallins, puis des molécules adsorbées. J’ai pu observer
des ondes électroniques de surface, dont la prédiction théorique ne date que de 1932.
Summary
The training course that I carried out with the CEMES (Centre d’Elaboration de Matériaux
et d’Etudes Structurales) in Toulouse was about the study of a cupper surface and of adsorbed
molecules with a Scanning Tunneling Microscope Low Temperature Ultra High Vacuum (STM
LT UHV). The first part of my training course consisted of the preparation of the surface’s
observation and of a maintenance action on the microscope. I had to carry out several cleaning
cycles on the copper surface, fillings of cryostat with liquid nitrogen and liquid helium, and a
deposit of molecules on the surface. The second part of my training course was devoted to the
observation of the obtained surface, of its crystalline defects, and then of the adsorbed molecules. I happened to notice some surface electronic waves, a theoretical prediction of which was
only made in 1932.
Table des matières
1 Microscope à effet tunnel
1.1 Principe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.2 Dispositif expérimental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.3 Mode de fonctionnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1
1
2
4
2 Préparation de l’expérience
2.1 Opération de maintenance sur le canon à ions . . . . . . . . .
2.2 Transferts d’azote et d’hélium liquides . . . . . . . . . . . . .
2.2.1 Travail à la température de l’azote liquide (T = 77 K)
2.2.2 Travail à la température de l’hélium liquide (T = 4 K)
2.3 Evaporation des molécules sur la surface . . . . . . . . . . . .
2.3.1 Test préliminaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.3.2 L’évaporation dans le microscope . . . . . . . . . . . .
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5
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6
3 L’observation
3.1 Les états de surface . . . . . . . . . . . . . .
3.1.1 Etats de Shockley . . . . . . . . . .
3.1.2 Densité d’états locale . . . . . . . .
3.1.3 Interaction avec des défauts . . . . .
3.2 Analyse des images obtenues . . . . . . . .
3.2.1 La surface de cuivre . . . . . . . . .
3.2.2 Les différentes formes de la molécule
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Introduction
Depuis sa naissance en 1983, la microscopie tunnel ne cesse d’ouvrir des champs de recherche
en physique : études topologiques et spectroscopiques de surfaces et de nano-objets, manipulation
d’atomes, de molécules, observations d’orbitales moléculaires... C’est cette effervescence de sujets
d’études qui a amené le CEMES à faire l’acquisition en 2004 d’un microscope à effet tunnel basse
température.
Au cours de mon stage, j’ai pu travailler sur cette machine, et participer à un des sujets de recherche
développé au CEMES : l’étude d’une surface de cuivre et le rôle de l’adsorption moléculaire. Mon travail
a été dans un premier temps de préparer l’expérience et d’effectuer les opérations de maintenance sur
le microscope à effet tunnel nécessaires au bon déroulement de l’observation... La deuxième partie
de ce stage fut consacrée à l’observation d’une surface de Cu(111) et de la modification de ses états
électroniques de surface par des molécules adsorbées.
Je présenterai d’abord dans ce rapport le microscope utilisé, son fonctionnement et les exigences
de manipulation qu’il nécessite. Ensuite, j’expliquerai les différentes étapes du travail de préparation
de l’expérience que j’ai eu à effectuer. Enfin, je terminerai en présentant les images obtenues et les
analyses qu’elles suggèrent.
1
1.1
Microscope à effet tunnel
Principe
L’effet tunnel est un phénomène connu de longue date en mécanique quantique. Sa connaissance
remonte en fait plus loin que celà, puisqu’il tient à la nature ondulatoire des objets manipulés, et se
manifeste lors de la reflexion totale d’une onde lumineuse par exemple. Depuis Louis de Broglie, nous
savons que des particules telles l’électron ou le proton possèdent outre leur nature corpusculaire une
nature ondulatoire. Ainsi, la fonction d’onde d’un électron arrivant à la frontière d’un milieu conducteur
et d’un milieu isolant n’est pas entièrement réfléchie et une ”onde evanescente” exponentiellement
amortie existe dans l’isolant. Ainsi, l’électron a une probabilité de présence non nulle en dehors du
conducteur. En plaçant un autre conducteur suffisamment proche du premier, l’électron peut franchir
la barrière isolante et se retrouver sur ce conducteur ! Mais à l’équilibre, ce processus se fait dans les
deux sens et aucun courant n’est observé : en effet les niveaux de Fermi des matériaux s’alignent à
l’équilibre. Par contre, en imposant un potentiel électrique V entre les 2 milieux conducteurs (fig.1),
le potentiel est rendu asymétrique (en montant ou descendant un des deux niveaux de Fermi d’une
quantité eV , où e est la charge électronique) et on génère un flux d’électrons à travers l’isolant : c’est
le courant tunnel.
Fig. 1 – Courant tunnel entre deux électrodes soumises à une différence de potentiel. φ est le travail
d’extraction du matériau, caractéristique intrinsèque de celui-ci caractérisant le travail à fournir pour
en extraire un électron, supposé ici identique pour les deux conducteurs.
Dans un modèle simple à une dimension, ce courant tunnel est de la forme
I = G0 V exp(−
1
z
)
z0
où G0 et z0 sont des constantes, V est la tension appliquée entre les 2 électrodes conductrices et z est
la distance qui les sépare. z0 est de l’ordre de l’Angström.
C’est ce qui a amené en 1983 Gerd Binning et Heinrich Rohrer, du centre d’IBM à Zürich, à
concevoir le microscope à effet tunnel (”Scanning Tunneling Microscope” ou STM). En effet, si un tel
courant tunnel peut être mesuré, ses variations peuvent nous renseigner sur la topologie de la surface
avec une excellente précision : à cause de la dépendance exponentielle en z, l’intensité du courant
tunnel perd un ordre de grandeur lorsque z augmente d’1Å. Ceci permet d’accéder à des résolutions
subatomiques (de l’ordre de 3 pm). L’idée est donc d’utiliser une pointe conductrice très fine (de façon
à ce que la mesure se fasse très localement) survolant un substrat conducteur porté à un potentiel
différent, et de mesurer le courant tunnel dans la jonction.
1.2
Dispositif expérimental
Fig. 2 – Le STM LT (basse température) du CEMES.
Le microscope utilisé (fig.2) est un STM LT UHV (Low Temperature Ultra High Vacuum) de la
marque Omicron. Il se décompose en deux parties qui sont séparées par une vanne et peuvent fonctionner indépendemment : l’enceinte de préparation et l’enceinte du microscope. La première permet
d’insérer les échantillons et de les nettoyer (comme nous le verrons plus tard), tandis que la deuxième
contient le microscope et l’évaporateur servant à déposer les molécules sur la surface.
La précision requise dans ce travail impose de travailler sous de nombreuses contraintes :
• Stabilité du dispositif : La manipulation de la pointe avec une précision subatomique nécessite une
stabilisation mécanique très importante. Il faut d’abord palier au bruit acoustique, dû aux vibrations
du bâtit suite à une porte qui claque, un train qui passe a proximité, ou encore un choc sur l’appareil.
Aussi le microscope repose-t-il sur une dalle de béton indépendante du batı̂ment pour l’isoler des
vibrations du sol. Le dispositif interne est quant à lui protégé des vibrations par deux armatures
stabilisées par un système de ressorts et par des courants de Foucault (freinage par induction). Mais
il y a aussi le bruit thermique qui peut faire osciller la pointe si elle n’est pas exactement à la même
température que l’échantillon. Le travail à froid permet d’y palier. Autour du microscope se trouvent
en effet un cryostat interne et un cryostat externe tous les deux indépendants. Un premier circuit à
l’azote liquide dans le cryostat externe permet un travail à T = 77 K puis un circuit à l’Hélium liquide
2
dans le cryostat interne amène la température à T = 4, 5 K.
Il arrive malgré tout que des bruits indésirables, dûs à l’électronique par exemple, gênent légèrement
l’observation. Souvent périodiques, de tels bruits peuvent alors être traités par transformée de Fourier
dans le logiciel de traitement d’image utilisé pour être enlevés.
• Réalisation du vide : le travail sous vide est essentiel pour éviter tout problème de contamination
de l’échantillon. Pour réaliser l’ultravide, trois systèmes de pompages successifs sont mis en place. En
premier lieu, une pompe à palettes permet d’atteindre un vide primaire de 10−3 mb. Ce vide étant
atteint, une pompe turbo-moléculaire permet d’atteindre une pression de 10−8 mb dans les deux enceintes (préparation et microscope). Enfin, lorsque ce vide est obtenu, les pompes ioniques peuvent
être enclenchées, assurant dans l’enceinte de préparation un vide de l’ordre de 10−10 mb et dans l’enceinte du microscope (à basse température) un vide de 10−11 mb. L’étanchéité est assurée quant à elle
par des joints en cuivre entre les pièces constituant les enceintes. Il est à noter que les deux parties du
STM étant indépendantes du point de vue du vide, l’enceinte de préparation peut être ouverte sans
pour autant agir sur le vide dans l’enceinte du microscope.
• Surface d’observation : elle doit être conductrice pour permettre le passage du courant tunnel.
L’échantillon utilisé durant le stage est une surface Cu (111), où les 3 chiffres sont les indices de Miller
du plan de coupe.
Cette surface nécessite au préalable plusieurs cycles de nettoyage, réalisés dans l’enceinte de
préparation. En effet, il faut éviter toute contamination de la surface par des molécules étrangères
qui auraient pu se trouver en phase gazeuse dans le microscope et s’adsorber sur la surface. Un tel
cycle se décompose en trois temps.
D’abord, la surface est bombardée par des ions argon pendant 10 minutes sous pompage turbomoléculaire (la pompe ionique serait endommagée par l’argon). L’argon est inerte et ne réagit pas
avec la surface : il ne fait qu’évacuer les impuretés de surface en les expulsant. Les ions sont accélérés
avec une énergie de 500 eV et un courant ionique de 2 µA (ces deux paramètres étant contrôlés par
l’expérimentateur). La pression atteint alors 5 10−6 mb dans l’enceinte.
Ensuite vient l’étape de chauffage. En effet, l’argon a réalisé un travail de ”décapage ionique”, il
faut maintenant chauffer pour évaporer les impuretés et reconstruire la surface. Ceci dure environ 50
minutes, la température est de 500 degrés Celsius au niveau de la surface. Lorsque la température
monte, la pression passe par des pics pour certaines valeurs particulières de température : ce sont des
dégazages d’impuretés portées à leur température d’ébullition. Le vide est maintenu à 10−9 mb par
une pompe ionique.
Enfin, l’échantillon refroidit dans l’enceinte à température ambiante une heure pour redescendre
en-dessous de 100 degrés Celsius (le bombardement ne doit pas être fait à chaud pour être efficace).
Ce cycle, long mais indispensable, est à renouveler plusieurs fois pour avoir une surface parfaitement propre.
• La pointe : c’est l’un des éléments essentiels du microscope. Elle doit d’abord être très fine à
son apex (dans le cas idéal elle devrait se finir par un atome unique). Mais sa réalisation est très mal
contrôlée et ne permet pas d’atteindre ce cas idéal : elle est obtenue en électrolysant le bout d’un fil de
tungstène (matériau rigide) dans une solution de soude, le ménisque se chargeant de donner la forme
à l’apex de la pointe... Ceci permet d’atteindre un rayon de courbure en bout de pointe de l’ordre
de 5 nm. Néanmoins, il arrive que la pointe ne soit pas unique en son apex, mais soit double voire
plus : c’est l’effet de pointe multiple. Chaque pointe participe alors à l’image (fig.3). Cet effet peut être
corrigé en soumettant la pointe à une haute polarisation pendant un temps court (c’est un ”pulse” de
tension). Bien que mal contrôlé, ceci permet à la pointe de se restructurer et améliore souvent l’image.
3
Fig. 3 – Effet d’une pointe multiple sur l’observation : chaque molécule est reproduite en plusieurs
exemplaires sur sa droite. Image 25×25 nm2 à une polarisation Vt = 1 V et un courant de consigne
It = 0.04 nA.
Son mouvement doit bien entendu pouvoir être contrôlé avec beaucoup de précision, ce qui nécessite
l’utilisation de céramiques piézoélectriques. Ces céramiques réagissent à une tension en s’allongeant
ou en se contractant. Avec des amplitudes plus petites que l’Angström, elles nous offrent une précision
remarquable pour contrôler dans les 3 directions spatiales le mouvement de la pointe.
Enfin, il est à noter que la pointe peut avoir un autre effet que la simple observation des molécules :
elle peut les déplacer sous l’action de forces de Van der Waals. L’observation montre selon le cas
plusieurs fois la même molécule (la pointe repassant au-dessus de la molécule une deuxième fois si
elle l’a déplacé dans son sens de parcours), ou une molécule très bruitée (pour une molécule ”flexible”
autour de son point d’ancrage). Ceci est d’autant plus fréquent que la polarisation est faible (autour
de 100 mV) car la pointe se rapproche alors de la surface...
1.3
Mode de fonctionnement
Il est nécessaire, avant l’observation, d’approcher la pointe de l’échantillon. Cette partie est quelque
peu délicate. L’approche se fait d’abord macroscopiquement à l’aide d’une caméra nous retranscrivant
l’image de la pointe s’approchant de la surface ; il y a alors risque de heurter la pointe sur la surface.
Puis une interface électronique, contrôlée par le logiciel SCALA, termine l’approche à l’aide de pas
microscopiques. Il faut prendre garde au taux d’humidité dans la salle qui, s’il est trop important,
peut bloquer ce travail de l’électronique.
Une fois approchée, la pointe parcourt la zone étudiée en effectuant des aller-retours suivant un
certain axe x suivis d’un léger décalage suivant un axe orthogonal y à chaque aller-retour. Le fait
d’avoir deux images pour l’aller de la pointe et pour le retour nous permet de les comparer pour
minimiser les erreurs d’observation. La méthode d’observation utilisée est dite ”à courant constant” :
une valeur de l’intensité tunnel IT est fixée en consigne, et la pointe monte ou descend au cours de
l’observation pour maintenir ce courant constant (nous avons une boucle de réaction gérée par le
logiciel). Ceci nous renseigne alors directement sur la topologie de la surface.
L’intensité du courant tunnel est de l’ordre du picoampère. Après filtrage et amplification, ce courant est visualisable sur un oscilloscope, et l’importance du bruit sur le signal permet au manipulateur
de contrôler la qualité de la pointe et de l’échantillon.
4
2
Préparation de l’expérience
2.1
Opération de maintenance sur le canon à ions
Lors de la phase de préparation à l’observation, nous avons eu à effectuer une opération de maintenance sur le canon à ions. Ce canon est utilisé, comme nous l’avons vu, dans la première étape du
cycle de préparation de la surface, et son bon fonctionnement est primordial à la bonne conduite de
l’expérience. Le canon est essentiellement composé de deux électrodes soumises à une haute tension
(4 kV) servant à ioniser l’argon et d’une autre électrode servant à accélérer les ions produits. Au bout
d’un grand nombre de cycles, les céramiques isolantes qui séparent les différentes pièces du dispositif (fig.4) se métallisent et provoquent un court circuit l’empêchant de fonctionner. Ces céramiques
doivent alors être changées. Cette opération nécessite l’ouverture de l’enceinte de préparation. Lorsque
les céramiques neuves sont mises en place, le canon est replacé et l’enceinte est remise sous vide. Celà
nécessite un étuvage du microscope : ce dernier est recouvert de bandelettes chauffantes puis de
couvertures isolantes. Ceci permet de désorber les parois du STM. En laissant sous pompage turbomoléculaire pendant 3 jours, le niveau de vide redescend à sa valeur typique de 10−10 mb.
Fig. 4 – Canon à Argon ionisé. Les pièces défectueuses sont les rondelles blanches.
2.2
2.2.1
Transferts d’azote et d’hélium liquides
Travail à la température de l’azote liquide (T = 77 K)
Durant le stage, j’ai eu à réaliser plusieurs transferts d’azote. Le remplissage de la bombonne se fait
au CEMES où se trouve une citerne d’azote liquide. Il faut prendre garde à la pression résiduelle lors
de l’ouverture de la bombonne et à utiliser des gants pour la manipulation des pièces froides. Lorsque
la bombonne est remplie, il faut attendre une demi-journée pour que la pression interne monte afin de
permettre le transfert. Cette pression est celle de la partie gazeuse surplombant l’azote liquide : c’est
elle qui va pousser le liquide dans le tuyau de sortie. Lorsqu’elle atteint 0, 5 b, le transfert peut se
faire. Si la pression n’est pas suffisante, il faut alors rajouter de l’azote gazeux dans la bombonne pour
la remonter. Pour un travail à la température de l’azote liquide, nous remplissons cryostats interne et
externe. Selon la température du microscope, ceci peut prendre de 30 à 90 minutes. Cette opération
doit être renouvelée tous les jours, car ce travail se fait en circuit ouvert.
5
2.2.2
Travail à la température de l’hélium liquide (T = 4 K)
Le travail à la température de l’azote liquide est suffisant pour l’étude de surfaces propres. Pour
l’étude de molécules adsorbées, il est préférable de travailler à la température de l’hélium. En effet,
l’énergie de diffusion des molécules sur une surface est de quelques meV. Or, à la température de l’azote
liquide, l’énergie thermique est kB T ≈ 6, 6 meV. Cette énergie descend à 0, 3 meV à la température
de l’hélium liquide. Nous voulons que les molécules restent ”figées” sur la surface lors de l’observation,
il est donc préférable de travailler à la température de l’hélium liquide.
Cette fois, le remplissage des bombonnes ne se fait pas au CEMES mais à l’Université Paul Sabatier, proche du laboratoire. En effet, le circuit d’Hélium est fermé et l’hélium gazeux est récupéré pour
ensuite être compressé à l’université. Le cryostat externe est d’abord rempli à l’azote liquide. Nous remplissons ensuite le cryostat interne d’hélium liquide. Ce travail est aussi à renouveler quotidiennement
pour rester à 4 K.
2.3
Evaporation des molécules sur la surface
2.3.1
Test préliminaire
Nous avons avant tout testé que le chauffage de la molécule ne crée pas un dégazage rédhibitoire
pour le vide. En effet, si la molécule se comporte mal lors de l’évaporation (si le composé est très impur
par exemple), le vide peut être deterioré pour une semaine ! Pour ce faire, nous utilisons une petite
cuve d’essai dans laquelle le vide peut être fait et qui permet de tester la façon dont il se maintient
lors de l’évaporation de la molécule.
Nous fabriquons d’abord un filament de tungstène (en lui faisant prendre une forme de ressort)
sur lequel nous déposons quelques gouttes de la molécule dans son solvant (dichlorométhane CH2 Cl2 ).
Le solvant s’évapore bien et la molécule cristallise sur le filament (si celui-ci est assez petit). C’est en
faisant passer un courant dans ce filament que la molécule va s’évaporer...
Le filament, relié à deux électrodes, est placé dans la cuve soumise à un vide de 6.10−7 mb. Un
courant de plus en plus fort est alors imposé. Dès 250 mA la molécule s’évapore mais le niveau de vide
initial est rapidement retrouvé. En continuant à chauffer le fil seul, il dégaze de lui-même (impuretés),
sans danger néanmoins pour le vide.
2.3.2
L’évaporation dans le microscope
C’est lors de cette étape que les molécules sont déposées sur la surface. Le test préliminaire a
montré que nous pouvions les évaporer avec confiance dans l’enceinte du microscope. Le filament où les
molécules sont déposées est donc placé face à l’échantillon, mais de l’autre côté du bouclier thermique.
Ce dernier, que l’on peut faire tourner, est percé, ce qui permet de laisser passer ou non les molécules.
Dans un premier temps, nous empêchons le passage des molécules : un léger chauffage préliminaire
permet d’évaporer les impuretés indésirables. Dans un deuxième temps nous laissons passer le flux
de molécule. Le filament est alors soumis à une intensité de 1,6 A pendant 15 minutes. Ce dispositif
permet de déposer les molécules uniquement sur le substrat sans influer sur la température ni polluer
la tête du microscope. Cependant, seule l’observation au microscope permet de juger si les molécules
ont bien été déposées, et si leur densité en surface est suffisante.
3
3.1
L’observation
Les états de surface
Il convient avant tout de comprendre quelques aspects théoriques du problème, dont nous ne
livrerons ici que les résultats majeurs.
6
3.1.1
Etats de Shockley
Nous connaissons depuis longtemps les états électroniques de volume des cristaux, base de la
théorie des bandes. Mais, bien qu’ils furent prédits théoriquement dès 1932 par Igor Tamm [1], il fallut
attendre 1975 pour mettre en évidence expérimentalement la présence d’états électroniques de surface
sur du cuivre monocristallin. De tels états, appelés ”états de Shockley”, sont confinés en surface dans
les premiers plans du cristal, et l’ensemble des électrons qui les composent se comporte comme un
gaz bidimensionnel d’électrons libres (on peut en effet négliger l’interaction coulombienne entre ces
électrons, car elle est écrantée par les électrons de volume).
3.1.2
Densité d’états locale
En 1983 [2], Tersoff et Hamman développent un modèle de l’interaction pointe-surface ayant comme
hypothèses une température nulle (même si le modèle reste valable à la température de l’Hélium
liquide) et une polarisation faible. Ils calculent que le courant tunnel est de la forme :
→
r , E )ρ (E )
I ∝ ρ (−
T
S
F
0
T
F
−
→
F ) est la densité d’états locale (LDOS : Local Density Of States définie par ρ(E, x, y) =
P où ρS ( r0 , E
→
2 δ(E − E )) de la surface au niveau de Fermi au point −
|Ψ
(x,
y)|
r0 situé au centre de courbure
k
k
k
du bout de pointe, et ρT (EF ) la densité d’états au niveau de Fermi de la pointe. Cette dernière est
généralement supposée être constante selon la pointe utilisée, ce qui est expérimentalement justifié
pour des pointes bien préparées. Le courant est alors directement proportionnel à la densité d’états
de surface.
Ainsi, outre sa capacité à obtenir des images de la topologie de surface, le STM, via la mesure
du courant tunnel à très basse température (4 K) et à basse polarisation (100 mV au lieu des 1 V
habituels), nous renseigne aussi sur l’occupation des états électroniques de surface (les fameux états
de Shockley). Il a donc aussi un rôle spectroscopique.
3.1.3
Interaction avec des défauts
La présence de défauts sur la surface du cristal va provoquer des reflexions des ondes électroniques
de surface (les électrons du gaz bidimensionnel sont libres et se comportent donc comme des ondes
planes), et donc des interférences menant à des ondes stationnaires.
Ainsi, à proximité d’un bord de marche
(c’est-à-dire d’un défaut de surface du cristal
en forme de marche d’escalier, dont la hauteur est, pour une couche monoatomique, de
2 Åenviron), il y a une réflexion quasi totale de
l’onde de surface et création d’ondes stationnaires atténuées en s’éloignant de la marche.
La densité d’états a la forme
cos(2k0 x − π/4)
√
k0 x
où k0 est le vecteur d’onde des ondes
stationnaires ainsi formées (égal au vecteur
Fig. 5 – Oscillation des ondes électroniques de surface d’onde des électrons tunnels),et x la distance
à proximité d’un bord de marche. Le contraste étant à la marche.
important, le plateau du bas est totalement noir. Image
15×15 nm2 (Vt = 0.05 V et It = 0.5 nA).
ρS (E, x) ∝
7
Si le défaut est un centre diffuseur (une molécule
sur la surface par exemple), il y a alors création d’ondes
stationnaires circulaires autour du point d’adsorption
du défaut :
cos(2k0 r)
ρS (E, r) ∝
r
où r est la distance au centre diffuseur. L’analogie
avec des ondes de surface sur l’eau est évidente.
Ce phénomène a ouvert une perspective intéressante
pour étudier l’adsorption des molécules sur une surface
en regardant les ondes circulaires produites autour de
celle-ci. C’est un sujet de recherche propre au CEMES.
Le travail en collaboration avec l’équipe des chimistes
Fig. 6 – Ondes circulaires stationnaires au- permet ensuite de mieux comprendre le comportement
tour de défauts ponctuels, ici deux trous et un de la molécule sur la surface. C’est le travail de base
adatome. Image 15×15 nm2 (Vt = 0.04 V et nécessaire à l’étude ultérieure de plus gros composés,
It = 0.1 nA).
tels les moteurs moléculaires.
3.2
3.2.1
Analyse des images obtenues
La surface de cuivre
L’observation de la surface de cuivre permet dans un premier temps d’estimer la qualité du travail
de préparation effectué. Des marches bien dessinées et des grands plateaux (zone plane située entre
deux marches) sont autant d’éléments appréciables reflétant la qualité des cycles de préparation. En
effet, l’observation des molécules adsorbées doit être réalisée de préférence loin d’une marche pour
éviter les problèmes d’interférences avec les ondes électroniques produites par celle-ci.
Fig. 7 – a) Image des marches sur la surface Cu(111), 150×150 nm2 (Vt = 1 V et It = 0.04 nA). b)
Profil de ces marches : ici une marche triatomique et deux marche diatomiques.
La faible rugosité des plateaux (typiquement 0.1 Å) est le signe de recuits (chauffage lors d’un
cycle de préparation) efficaces.
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Les autres types d’éléments rencontrés sur la surface de cuivre sont les défauts ponctuels (fig.8).
Ces défauts sont de deux types : les adatomes, qui sont des atomes de cuivre supplémentaires situés
sur un plateau, et les trous positifs, qui sont soit des atomes de cuivre manquant en surface (lacunes),
soit des impuretés atomiques (soufre, antimoine issus du processus de fabrication de la surface) ne
participant pas au courant tunnel. Le fait d’observer de tels défauts est révélateur d’une pointe de
qualité offrant une bonne précision.
Fig. 8 – Image de trous positifs sur une surface Cu(111) 15×15 nm2 (0.1V et 0.5nA)
3.2.2
Les différentes formes de la molécule
La molécule que nous souhaitons observer, dont je ne peux donner la formule exacte pour cause de
confidentialité (le résultat sera soumis à publication par l’équipe), est linéaire et présente en ses deux
extrêmités des pyridines (ce sont des benzènes où l’un des carbones est substitué par un azote).
Nous sommes à présent en mesure de discerner les molécules que l’on souhaite étudier des défauts
tels les adatomes. Nous devons ensuite savoir si ce qui est observé est une molécule ou une impureté.
L’analyse statistique sur un grand nombre d’images (au moins 100) nous montre que la molécule (celle
que l’on retrouve statistiquement le plus souvent) se présente globalement sous deux formes d’adsorption différentes : l’une présentant deux lobes (fig.9) et l’autre un lobe allongé (fig.10).
Fig. 9 – a) Image d’une molécule à deux lobes. Image 4×4 nm2 (Vt = 1 V et It = 0.04 nA. b) Profil
de cette molécule. Les deux maxima sont séparés de 7 Å.
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Fig. 10 – Molécule ne présentant qu’un maximum. Image 4×4 nm2 (Vt = 0.5 V et It = 0.04 nA).
Ce résultat doit ensuite être confronté aux modèles théoriques pour en tirer de réelles conclusions.
Nos premières hypothèses seraient que la première rendrait compte d’une configuration plane où les
deux lobes seraient les deux pyridines (zone riche en électrons), la distance mesurée entre les lobes
collant bien avec la distance théorique entre les deux centres des pyridines. La deuxième serait une
configuration ”courbe” où la molécule s’adsorberait sur un cycle pyridine et aurait le deuxième cycle
relevé.
Conclusion
La première et plus importante partie de mon travail durant ce stage fut de réaliser la préparation
de l’observation des molécules sur la surface. J’y ai appris à quel point l’expérimentation sur un matériel
si exigeant demande de la rigueur et de la patience : une quelconque négligence dans n’importe quelle
étape de la préparation peut être fatale et coûter des jours d’immobilisation de travail sur le microscope.
Dans un deuxième temps, nous avons pu procéder à l’observation des molécules adsorbées sur
la surface. Ici aussi, il faut apprendre à être patient : impuretés, défauts sont autant d’embûches à
comprendre et à contourner. Nous pouvons alors voir ce que l’expérience dit sur ces molécules, et
confronter avec les modèles théoriques pour mieux comprendre l’essence des phénomènes observés.
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Remerciements
Je tiens à remercier Roland Coratger de m’avoir accueilli dans son équipe pour ce stage, et je
salue sa bonne humeur qui m’a soutenu même dans les moments difficiles. Je remercie aussi Nicolas
Estrampes, jeune thésard, qui a pu répondre à nombre de mes questions sur le sujet. Merci aussi
à Christophe Coudret, qui m’a permi de découvrir ce laboratoire et qui fut notre ”fabricant” de
molécules. Enfin je remercie Xavier Bouju pour ses explications sur le microscope à effet tunnel et sa
disponibilité.
Bibliographie
Thèse
Propriétés électroniques locales de nanostructures métalliques : Etats de surface et effets de confinement, présentée et soutenue publiquement le 30 Septembre 2002 par Stéphane Pons.
Publications
[1] I. Tamm, Physik. Z. Sowjetunion 1, 733 (1932)
[2] Theory and Application for the Scanning Tunneling Microscope, J. Tersoff, D.R. Hamann, Phys.
Rev. Lett. 50, 25 (1983)
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