Le fichier de travail autocorrectif : quelques aspects historiques1
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Le fichier de travail autocorrectif : quelques aspects historiques1
Gerald Schlemminger In : Le Nouvel Éducateur, déc. 1994, n° 64, pp. 30 - 31. Le fichier de travail autocorrectif : quelques aspects historiques 1 La discussion des fichiers autocorrectifs remonte à la celle sur l'enseignement programmé et à la pédagogie expérimentale des années 1920 - 30. Elle s'est développée autour des notions telles que "la pédagofiche", "la studiométrie", "le fichier scolaire coopératif", etc. Le mouvement FREINET naissant, c.-à-d. les "Imprimeurs à l'Ecole", a participé activement à ce débat et plusieurs militants du mouvement, dont C. FREINET, se sont attachés à produire des fiches de calcul. La discussion dans le mouvement Freinet est attisée par les positions et travaux de Carl WASHBURNE qui était en train de se faire connaître en Europe à travers les différents congrès pédagogiques internationaux et la publication de quelques articles résumant ses travaux2. C. WASHBURNE, inspecteur - administrateur des Ecoles Publiques de WINNETKA (U.S.A.), expérimenta, à notre connaissance, le premier l'auto-instruction par exercices individuels programmés, il était le premier à publier un programme autocorrectif complet en calcul. Son approche est appelée aussi la "méthode WINNETKA", d'après son lieu d'application. Certes, la discussion autour de cette méthode se situe dans une matière qui peut sembler être loin de nos préoccupations de professeur de langue. Mais ce qui nous intéresse, c'est la méthodologie de ces premiers fichiers, leur conception, leur théorie de l'apprentissage sous-jacente, sur lesquelles se basent encore nos actuelles fiches autocorrectives de grammaire. C'est la raison pour laquelle nous esquisserons l'historique de ce débat. Cela nous permettra de montrer le 2 rejet polémique des apports de CARL WASHBURNE, puis la réception critique de ses travaux, enfin leur adaptation et intégration dans la pédagogie FREINET et dans la conception d'un nouvel outil de classe : le fichier autocorrectif. Du rejet à l'adaptation et à l'intégration d'un concept du travail individualisé La méthode WINNETKA a d'abord suscité de vives réactions, voire des polémiques où un certain anti-américanisme n'est pas absent. Citons C. FREINET de 1931 : "La technique de WINNETKA est, à notre avis, une des dernières et des plus parfaites réalisations de la pédagogie capitaliste qui vise à augmenter le rendement, à accumuler les connaissances sans se soucier d'une façon précise de l'utilisation humaine qui en sera faite. (C. FREINET : L'Imprimerie à l'Ecole n° 49, février 1932, p. 141) Ces diatribes relèvent plutôt du discours idéologique. Mis à part ce ton polémique, les critiques pédagogiques de C. FREINET envers la méthode WINNETKA se situent aussi au niveau des procédés d'enseignement et des actes pédagogiques. Il juge cette nouvelle méthode coupée des centres d'intérêt des enfants, coupée de la vie, ne proposant que des exercices répétitifs et abrutissants3 : "Les livrets de WINNETKA sont secs, rigides et impitoyables comme un travail à la chaîne. Les chiffres, les nombres, les opérations se succèdent sans aucune ligne qui repose l'œil. Il n'y manque pas même les tableaux de contrôle. D'application pratique de ces calculs il n'en est pas trace […]. Nous désapprouvons totalement ce divorce entre la vie et les techniques de travail […]." (C. FREINET in : L'Imprimerie à l'Ecole n° 49, février 1932, p. 141) 3 Le débat sur le fichier se poursuit, il est mené publiquement dans les revues du mouvement (L'Imprimerie à l'Ecole, L'Educateur prolétarien) car "du choc des idées […] sortira la décision à prendre [quant à la construction du fichier]" (C. REINET 1932 ibidem). Comme la relecture des articles le montre, dans ce débat s'affrontent différentes positions, même à l'intérieur du mouvement FREINET : C. FREINET parle de ceux qui se soucient davantage de la gradation du matériel et ceux plus soucieux de "la liaison du calcul avec la vie" (C. FREINET in : L'Educateur prolétarien n° 3, décembre 1932, p. 143) Les militants Freinet discutent à partir des exemples concrets de calcul; des questions de méthodologie sont abordées, précisées. Ce foisonnement de la critique pratique et théorique débouchent sur les premières moutures de fichier propre à la pédagogie Freinet. Entre temps, ce travail concret a fait rapprocher les positions de C. WASHBURNE et de C. FREINET. Sur le terrain le plus controversé, c'est à dire la question la motivation des élèves pour le calcul et l'intégration de celui-ci dans des réelles "techniques de vie", persistent néanmoins quelques différences. Malgré cela, les relations entre les deux protagonistes deviennent franches… et commerciales comme le montre le propos élogieux de C. FREINET en 1934 : "[…] Il s'agit ensuite d'acquérir le mécanisme des opérations. Pour cette partie, une réalisation précieuse, collective et d'ailleurs unique au monde a été mise au point sous la direction de WASHBURNE à WINNETKA. Nous avons obtenu l'autorisation - exclusive pour la France - de la reproduire. Et nous l'amenderons en faisant une édition sur fiches qui facilitera le travail libre." (C. FREINET in : L'Imprimerie à l'Ecole n° 10, juillet 1934, p. 537) Les livrets de calcul de C. WASHBURNE seront alors adaptés aux techniques FREINET : les exercices seront mis sur 4 fiches auto-correctives, la fiche d'exercices étant séparée de la fiche de correction, etc. Puis le classement suivant est adopté : - fiches documentaires : elles partent d'un centre d'intérêt révélé par la classe et qui a nécessité l'appel à une opération précise - fiches-mère : elles proposent d'une manière systématique les différentes opérations de base en calcul - fiches d'exercices : elles servent à l'entraînement des opération de base - fiches de correction : elles permettent l'autocorrection de l'élève - fiches de contrôle : elles sont corrigées par le maître pour suivre la progression de l'élève. Cette classification permet à l'élève plusieurs entrées : - par centre d'intérêt pour arriver à travailler une question de mathématiques - par les fiches d'exercices progressifs pour aborder directement un problème de calcul - etc. Les fiches d'exercices et documentaires renvoient à des fiches-mère pour aider l'élève en cas de difficulté. Cependant la résistance à l'intérieur du mouvement face à la méthode WINNETKA reste assez importante. Les tenants de la méthode naturelle prétendent que grâce aux activités vivantes et variées de la classe, les enfants pourraient acquérir, sans aucun entraînement particulier, les bases du calcul. Ils imputent aux défenseurs des travaux de C. WASBURNE de faire "œuvre réactionnaire" en les publiant. L'édition des fiches est suspendue et C. FREINET doit monter plusieurs fois au créneau4 pour défendre C. WASHBURNE et bien préciser la complémentarité entre la méthode 5 naturelle de la pédagogie FREINET et la méthode WINNETKA : la véritable initiation à la mathématique se fait selon la première; cette intuition réalisée, il s'agit d'en acquérir la technique nécessitant sûreté et rapidité, cet entraînement est assuré par la méthode WINNETKA5. Après huit ans de travaux, de débat et d'expérimentation, le "fichier WASBURNE - C.E.L. (multiplication division)", contenant 350 fiches demandes et 350 fiches de réponses avec au total 5000 opérations, tirées sur carton léger, verra en 1936 le jour, publié par la Coopérative de l'Enseignement Laïque (C.E.L.). S'y ajouteront bientôt d'autres fichiers pour les différents niveaux d'orthographe, pour l'histoire-géographie, pour les sciences, etc. Ils sont régulièrement mis à jour et aujourd'hui édités par les P.E.M.F. (Cannes). Les fichiers : behaviorisme contre constructivisme ? Les principales critiques pédagogiques face à la méthode WINNETKA, mais aussi aux fichiers autocorrectifs de la pédagogie FREINET se situent au niveau du modèle d'apprentissage soupçonné sous-jacent à ces techniques pédagogiques. C'est le behaviorisme et son conditionnement répondant - opérant, c'est-à-dire l'imprégnation par des procédés d'imitation et d'automatisation, qui est visé. Ce comportementalisme, c'est la critique la plus fréquente6, institue l'élève comme un apprenant passif : ses acquis antérieurs ne sont pas mis au profit des faits nouveaux présentés; l'élève subit les empreintes qui lui viennent de l'extérieur. Il n'y aurait donc pas de "construction des connaissances". Le problème se situe à notre avis moins au niveau de l'outil lui-même. Personne ne peut empêcher une utilisation behavioriste, par exemple, d'un fichier de grammaire. La question est 6 donc plutôt de savoir comment l'enseignant intègre cet outil dans l'ensemble de ses actes pédagogiques, et comment il le met en place dans sa classe. L'insertion de cet outil dans une classe coopérative, basée sur les techniques de vie, telles l'enquête, l'expression libre, l'imprimerie, le journal, etc. nous semble être un garant contre l'aspect abrutissant d'exercices répétitifs. Dans ce cadre-là, où le travail, le rythme et les objectifs d'apprentissage sont individualisés ("plan de travail", "couleurs de compétence", etc.), des procédés d'imitation et d'automatisation à l'aide d'un fichier autocorrectif peuvent tout à fait avoir leur place. Ceci dit, en langues (premier et second cycle), le terrain est encore en friche. Il y a peu d'outils de travail autocorrectif autonome. Pour l'anglais, le mouvement FREINET allemand, la "Pädagogik - Kooperative" a publié deux fichiers ludiques d'apprentissage autocorrectif des verbes et des adjectifs lesquels nous présenterons dans ce numéro. Nous-mêmes sommes en train de construire pour l'allemand un fichier de révision grammaticale. Beaucoup reste encore à faire pour que nos collègues de langue puissent introduire d'une manière efficace le travail individualisé en grammaire dans les classes de langue. 1 2 3 4 Nous remercions l'association des "Amis de FREINET" d'avoir mis à notre disposition les articles de la revue L'Imprimerie à l'Ecole de la période de novembre 1931 et mars 1939 qui reflètent ce vive débat. Ce fichier autocorrectif de calcul verra le jour en 1939. Entretemps, au début des années trente, un fichier d'orthographe est publié par le C.E.L. Il s'agit du premier outil autocorrectif du mouvement. Ses principales publications en anglais constituent les livres suivants : WASHBURNE, C. / STEARNS, M. M. (1928) : Better Schools. A Survey of Progressive Education in American Public Schools, The John Day Compagny, New York. WASHBURNE, C. (1932) : Adjusting the School to the Child. Practical First Steps, World Book Company, New York. WASHBURNE, C. (1940) : A Living Philosophy of Education, The John Day Compagny, New York. C. FREINET n'est pas le seul à critiquer l'enseignement programmé et son modèle d'apprentissage du conditionnement répondant - opérant propre au paradigme comportementaliste. La critique de C. FREINET rejoint celle du courant constructiviste. Cf. les articles de C. FREINET dans : L'Educateur prolétarien n° 2, 9, 10 de 1932 et dans : L'Educateur prolétarien n° 17 de 1936. 7 5 6 Nous paraphrasons ici les propos de C. FREINET tenus dans : L'Educateur prolétarien n° 18, de juin 1936. Ces critiques se réfèrent aux travaux des cognitivistes et des constructivistes, en l'occurrence de J. PIAGET dont les recherches commençaient à être reconnus. Son modèle de structuration cognitive se situe, en effet, à l'opposé du concept behavioriste. Le constructivisme prône un apprentissage actif mettant l'élève dans une position qui lui permet de construire lui-même son savoir. L'argumentation de C. FREINET, dans la défense de CARL WASHBURNE repose sur cette même argumentation.