Inspecteur du travail et collectivité territoriale

Transcription

Inspecteur du travail et collectivité territoriale
Inspecteur du travail et collectivité territoriale :
un expert mais pas un contrôleur.
Entre code du travail et statut de la fonction publique territoriale (FPT) les relations sont
compliquées si on ajoute à cela le code de procédure pénale on peut obtenir… un beau mal de
tête. Il n’en reste pas moins que pour les exégètes des textes cela reste un labyrinthe passionnant
et en constant mouvement.
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication permettent actuellement à
n’importe quel praticien de monter en compétence sur son domaine et d’en arriver à contredire
même de brillants avocats. L’objectif est bien de faire progresser les connaissances juridiques des
préventeurs de la fonction publique territoriale, je ne pense pas que brandir des dragons de papier
puisse aider à faire avancer la prévention dans la fonction publique territoriale.
Le code du travail sauf les contrôles et les sanctions
Une partie du code du travail s’applique parce que le statut le spécifie*1. Depuis le 5 juillet 2010,
l’actualisation de notre loi statutaire 84-53 du 26 janvier 1984, précise que les règles applicables en
matière d’hygiène et de sécurité sont celles définies par les livres Ier à V de la quatrième partie du
code du travail. Sont donc exclues les livres VI et VII :
Livre VI : Institutions et organismes de prévention (CHSCT, Service de santé au travail, service social
du travail…)
Livre VII : Contrôle (Documents et affichages obligatoires, mise en demeure et demandes de
vérification, mesures et procédure d’urgence, dispositions pénales…)
Le contrôle
Avec cette mise à jour est enfin levée la houleuse référence au titre III du livre II de l’ancien code
qui comprenait bien les organismes de contrôle qui en étaient pourtant exclus car le décret 85-603
en restreignait l’application contenant lui-même des dispositions de contrôle (ACFI).
Le pouvoir de contrôle de l’inspection du travail ne s’étend pas à nos collectivités parce que :
1) le champ d’application du texte qui fonde son action ne recouvre pas les collectivités
territoriales *2 ;
2) la loi statutaire exclue de fait ces mêmes textes ;
3) la réglementation FPT (Décret 85-603 en attente à ce jour d’une modification importante)
prévoit une fonction de contrôle et d’inspection (ACFI article 5)
4) le code du travaille lui-même prévoit une alternative à l’inspecteur du travail :
Article L8112-3 : Lorsque des dispositions légales le prévoient, les attributions des inspecteurs du
travail peuvent être exercées par des fonctionnaires de contrôle assimilés. (C’est l’armée qui
reprend cet article à son compte, pour la FPT, aucun intérêt, le statut prévaut).
En fait, un peu ironiquement à mon sens, c’est notre décret qui prévoit la possibilité, à défaut d’un
ACFI en interne, de confier la mission d’inspection à l’inspection du travail.
Pour les archéologues, il reste une petite curiosité historique d’un décret de 1905 non abrogé et
reprise quand même dans le nouveau code du travail (R8113-6, 7 et 8) qui parle de constats dans
les établissements de l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs.
De là à en faire découler une compétence de contrôle…
Les sanctions
Le droit pénal s’applique à (presque) toute personne physique mais un juge ne peut condamner
que par rapport à une infraction décrite dans la loi ou le règlement, de plus la loi ou le règlement
doit spécifier les sanctions applicables. Dans le cas de FPT nous avons bien les règles du code du
travail quatrième partie livres de I à V mais les infractions et les sanctions figurent dans une partie
clairement écartée (livres VI et VII).
Il ne reste au juge que la mise en danger d’autrui (article 223-1 du code pénal), pour lui permettre
de sanctionner préventivement (en l’absence d’accident) un élu ou un fonctionnaire de
collectivité territoriale.
L’inspection du travail : une intervention très encadrée ou très…
discrète
En pratique que se passe t-il vraiment ?
Voyons chaque mission et leur application effective à la FPT :
Contrôle et constat des infractions pénales
Dans la FPT nous ne voyons jamais un contrôleur dans nos services. Lors d’accident grave par
contre, il arrive que l’inspecteur du travail réalise une enquête mandaté comme expert par le
procureur.
Pour un accident grave concernant des salariés du privé travaillant dans le cadre de travaux
effectués par des entreprises privées dont la collectivité est maître d’œuvre ou maître d’ouvrage
un membre de l’inspection du travail peut être amené à enquêter. Dans ce dernier cas, il peut se
trouver rapidement confronté à la limite de sa compétence et il devra se tourner vers le procureur
ou le juge d’instruction pour légitimer des investigations plus poussées au sein de nos services.
Renseignement du public
Questionné sur l’application du code du travail, les unités territoriales de l’inspection du travail nous
répondent comme pour un public lambda. Si nous effleurons le sujet du statut particulier, ils
déclinent leur compétence.
Dérogations à certaines dispositions du code du travail
Concernant les collectivités territoriales (à quelques exceptions prêts) les inspections du travail nous
renvoient dans les cordes (et je crois parfois avec une certaine délectation) même s’il s’agit
d’application du code du travail et même s’il s’agit de contrat de droit privé. Le cas type est la
dérogation à l’interdiction d’utilisation de machine dangereuse par un apprenti.
Autorisations prévues par le code
Essayez donc de faire valider un règlement intérieur de la fonction publique territoriale par
l’inspection du travail… Vous obtiendrez une fin de non recevoir dans la quasi-totalité des cas sous
prétexte (valable) d’incompétence.
Intervention en cas de conflit du travail
Là, si quelqu’un a entendu parler d’un inspecteur du travail faisant de la médiation entre un maire
et ses fonctionnaires, faites-en part, ce serait un scoop.
Délivrance d’avis à d’autres administrations lorsqu’ils sont sollicités
Notre décret 85-603 prévoit bien le recours à l’inspection du travail en deux situations :
1) pour assurer la fonction d’inspection au sein de la collectivité :
Article 5 […] L’autorité territoriale ou le centre de gestion peut demander au ministre chargé du
travail de lui assurer le concours des agents des services de l’inspection du travail, soit pour des
missions permanentes, soit pour des interventions temporaires.
Là encore, si ça se fait quelque part, faites le savoir SVP.
2) en cas de situation de danger grave et imminent si le conflit persiste :
Article 5-2 […] En cas de désaccord persistant, après l’intervention du ou des agents mentionnés à
l’article 5, l’autorité territoriale ainsi que la moitié au moins des représentants titulaires du personnel
au sein du comité mentionné à l’article 39 peuvent solliciter l’intervention de l’inspection du travail.
Ceci est, d’un premier coup d’œil, ambigu.
Doit-on considérer que « ainsi que » se rapproche plutôt de « et » ? obligeant ainsi une volonté
commune de l’autorité territoriale et des représentants du personnel ou que le sens est plus proche
de « ou » ? ce qui en ce cas permettrait l’intervention de l’inspection du travail en dehors de la
volonté de l’autorité territoriale.
La grammaire répond à notre question : Lorsque deux sujets sont unis par « ainsi que » le verbe se
met au pluriel si la locution exprime une addition.(extrait Larousse)
Le verbe « pouvoir » est au pluriel, par réflexivité nous avons donc bien un sens d’addition.
La volonté de l’autorité territoriale reste incontournable.
Délégations de pouvoirs en matière d’hygiène et sécurité dans les
collectivités
La jurisprudence distingue nettement la délégation de pouvoirs du droit administratif et celle du
droit pénal. Je me contenterais de vous renvoyer à l’étude très solide de Samuel Crevel « Etude sur
la responsabilité pénale de l’employeur public » que vous pourrez trouver en téléchargement sur le
site du Fonds National de Prévention et ceux à qui ça ne suffirait pas, le blog de l’avocat Charles
Morel avec son étude sur « la délégation pénale au sein des personnes morales de droit public ».
Je terminerais par la formule célèbre de l’inspection du travail, car tout ceci est « sous réserve de la
décision des tribunaux compétents ».
Jacques Lacabane
Préventeur et ACFI
Mairie de Libourne (Gironde)
[email protected]
*1 – Loi 84-53 du 26 janvier 1984
Article 108-1
Dans les services des collectivités et établissements mentionnés à l’article 2, les règles applicables en matière
d’hygiène et de sécurité sont celles définies par les livres Ier à V de la quatrième partie du code du travail et
par les décrets pris pour leur application, ainsi que par l’article L. 717-9 du code rural et de la pêche maritime.
Il peut toutefois y être dérogé par décret en Conseil d’Etat.
*2 - Code du travail : Champ d'application quatrième partie.
Article L4111-1
Sous réserve des exceptions prévues à l'article L. 4111-4, les dispositions de la présente partie sont applicables
aux employeurs de droit privé ainsi qu'aux travailleurs.
Elles sont également applicables :
1° Aux établissements publics à caractère industriel et commercial ;
2° Aux établissements publics administratifs lorsqu'ils emploient du personnel dans les conditions du droit privé ;
3° Aux établissements de santé, sociaux et médico-sociaux mentionnés à l'article 2 de la loi n°86-33 du 9
janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.
(Remarque : absence de « Aux collectivités territoriales mentionnées à l’article 2 de la loi 84-53 du 26 janvier
1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale »)