Eloge de l`ivresse

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Eloge de l`ivresse
Eloge de l’ivresse
« APRES trois coupes on est accordé au grand processus
Après une mesure on se fond à la nature »
Signé Li Po, poète chinois du VIIIe siècle (701-761). Qui posait en devise de vie :
« Il faut sans hésiter boire (...)
Une coupe égalise la vie et la mort
Comment distinguer alors entre les dix mille choses ?
Ivre je perds notion du ciel et de la terre (...)
Ma joie est alors à son apogée »
Le taoïsme était et reste cette religion (ou philosophie ?) qui appelle son adepte à s’harmoniser au
cours naturel des choses. A cette fin, la méditation est recommandée. Mais certains prosélytes ont,
l’expérience aidant, découvert qu’une autre discipline permettait aussi de supprimer hier et demain
afin que ne subsiste plus qu’un maintenant susceptible de dissoudre le moi dans un cosmos
bienveillant et accueillant. « Eloge de l’ivresse » (1) en apporte maints témoignages, tous recueillis
entre le VIe et le XIe siècle. Son sous-titre est sans ambiguïtés : « le Tao du vin et ses vertus »...
Si l’on en croit Li Po et ses disciples, une bonne biture vaut une bonne méditation. Transcendance
garantie dans les deux cas. L’ineffable contemplation poétique du monde est au bout du vin de
céréales (riz glutineux, sorgho ou millet), qu’il soit bu trouble (non filtré) ou clair (filtré). Le vin de
raisin n’est, et pour cause, pas évoqué, mais rien n’autorise à penser que s’ils l’avaient connu, nos
rimeurs éthylico-mystiques auraient porté sur lui un jugement différent.
Ecoutez Su Tung Po (1037-1101) chanter le vin trouble :
« Il disperse les soucis du coeur comme des rêves d’hier
Si l’on contemple alors on arrive à la compréhension de l’univers »
Beurré, le barde taoïste ne se casse pas la figure : il « s’écroule devant les fleurs ». Et, si l’on en
juge par la cinquantaine de traductions reproduites dans ce ô combien juteux recueil, la gueule de
bois du lendemain matin lui est chose inconnue. La menace de cirrhose ? n’en parlons même pas...
Parfois, la métaphysique peut être chose merveilleuse.
(1) « Eloge de l’ivresse. Le tao du vin et ses vertus » (Moundarren éditeur, chemin des Bois,
Millemont, 78940).
JEAN CHATAIN.