COMPRENDRE LES VIOLENCES SEXUELLES AU TRAVAIL Dans
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COMPRENDRE LES VIOLENCES SEXUELLES AU TRAVAIL Dans
COMPRENDRE LES VIOLENCES SEXUELLES AU TRAVAIL Dans la problématique des violences faites aux femmes, le lieu de travail peut connaître à son tour son lot de comportements hostiles. Il en est ainsi notamment d’un phénomène bien condamnable que l’on appelle le harcèlement sexuel. Dans notre pays, qui, il est important de le souligner, est le premier pays européen à disposer d’une législation en la matière, le harcèlement sexuel est défini comme: «Toute forme de comportement verbal, non verbal ou corporel de nature sexuelle, dont celui qui s’en rend coupable, sait ou devrait savoir, qu’il affecte la dignité de femmes et d’hommes sur les lieux de travail »1. Le harcèlement sexuel est pourtant encore souvent banalisé car il porte une étiquette facile et « coquine » sur le dos. En effet, si on regarde le nombre de blagues légères mettant en scène les comportements au boulot entre les sexes, on ne s’étonnera qu’à moitié d’entendre encore dire pour la rigolade que « unetelle » se fait harceler par son collègue masculin. Gros éclats de rire !!! Et pourtant, sans vouloir ici s’attarder sur les conséquences de tels actes, il ne faut pas perdre à l’esprit que le harcèlement sexuel est à condamner car il peut très vite devenir un véritable calvaire pour ses victimes tant il vulnérabilise la personne. Il existe plusieurs explications utiles pour comprendre ce qu’est ce phénomène. Nous allons voir que ces nombreux modèles théoriques peuvent expliquer très différemment les choses. Les trois premiers modèles explicatifs du harcèlement sexuel ont été conçus par Sandra Tangri, Martha Burt et Leanor Johnson2 : on y retrouvent des explications d’ordre biologique, organisationnel et socio-culturel. (1) Selon le modèle biologique naturel, le harcèlement sexuel résulterait d’une simple attraction sexuelle entre les personnes. Ce modèle a été critiqué car le harcèlement sexuel y est envisagé comme normal, individuel, particulier, bénin. Une telle approche minimise le harcèlement sexuel. (2) D’après le modèle organisationnel, un tel phénomène proviendrait du fait d'une structure qui l'y favorise, structure résultant d'un climat organisationnel, de la hiérarchie et de relations d'autorité spécifiques. Pour résumer, le modèle organisationnel lie le harcèlement sexuel aux aspects de l'infrastructure de travail, lequel peut encourager la survenance du phénomène. (3) Enfin, le modèle socio- culturel postule que le harcèlement sexuel proviendrait d’une distribution inégalitaire du pouvoir où l’homme est envisagé comme un être agressif et dominant sexuellement tandis que la femme est appréhendée comme 1 2 Arrêté royal du 18 septembre 1992, publié au Moniteur belge du 7 octobre 1992. Tangri S.; Burt M.; Johnson L.; Sexual Harassment at Work : Three Explanatory Models in Journal of Social Issues; Vol. 38; N°4; 1982, pp. 33-54. © Centre d’Education à la Famille et à l’Amour (CEFA asbl) 2004 1 étant soumise et passive. L’homme et la femme sont socialisés pour jouer un rôle respectif et complémentaire. D’après ce modèle, le harcèlement sexuel est une manifestation du système patriarcal dans lequel les règles masculines et leurs convictions sociales sont légitimisées. La suprématie masculine se maintient par des modèles culturels de relation entre les deux genres et par une superstructure économique et politique. La théorie de la perception erronée Cette approche appréhende le harcèlement sexuel comme résultant des perceptions erronées qu'ont les garçons des intentions des femmes. Les hommes qui ont tendance à confondre le comportement amical, extraverti des femmes comme le signe d'un quelconque intérêt sont plus enclins à recourir au harcèlement sexuel vis à vis des femmes voire de le défendre. Globalement, l’observation des hommes et des femmes diffère : les hommes tendent à observer de plus grands niveaux de sexualité dans les comportements sociaux féminins (et masculins dans une moindre mesure), les femmes quant à elles ont plus de probabilités de voir de la sincérité et de la gentillesse dans les comportements féminins, dans leurs propres comportements. La théorie du pouvoir et de la dominance Issue de la mouvance féministe, ce modèle explicatif a inspiré la majeure partie des recherches entreprises sur le harcèlement sexuel au travail. Fitzgerald (1992) cité par Irène Padavic et James D. Orcutt3 déclare que la plupart des épisodes de harcèlements ont peu à voir avec des considérations érotiques mais qu’ils sont conçus pour insulter, ridiculiser et dégrader les femmes. D’après cette approche, le harcèlement est un moyen utilisé par les hommes pour assurer leur dominance vis-àvis des femmes au sein de la sphère professionnelle et dans la société. Selon Margaret S. Stockdale 4, ce modèle explique le harcèlement sexuel par les manières suivantes : (1) les individus recherchant un pouvoir personnel ou ayant une nature plus dominante et présentant des attitudes négatives envers les femmes seraient plus enclins à devenir auteurs de harcèlement sexuel; (2) une distribution déséquilibrée du pouvoir au niveau des relations inter- personnelles intervient aussi dans la compréhension du harcèlement sexuel. Kipnis (1990), cité par Margaret S. Stockdale, a observé que les individus disposant d'un pouvoir disproportionné sur les autres tendent à considérer les autres personnes comme étant faibles, bonnes à rien, méritant d'être traitées de la sorte, envieuses des détenteurs du pouvoir ; (3) Enfin, une discussion sur le pouvoir ne peut ignorer le patriarcat. Dans nos sociétés comme dans la plupart des sociétés, les hommes bénéficient d'un statut et d'un pouvoir plus important uniquement parce qu'ils sont des hommes. Etre éduqué dans une culture patriarcale peut créer chez les hommes le sentiment qu'ils ont le droit de harceler sexuellement une femme. Cette perspective basée sur le pouvoir peut expliquer pourquoi des collègues masculins harcèlent sexuellement leurs collègues féminines ou pourquoi des subordonnés masculins ou des élèves peuvent harceler sexuellement leurs patrons ou professeurs. Par exemple, les femmes jeunes, célibataires peuvent être envisagées comme des personnes pouvant être dominées 3 4 Padavic I. ; Orcutt J.; Perceptions of Sexual Harassment in the Florida Legal System. A comparison of Dominance and Spillover Explanations in Gender and Society; Vol 11 N° 5;October 1997; p. 683. Stockdale M. S. ; What We Know and What We Need to Learn About Sexual Harassment in Sexual Harassment in the Workplace ; Edited by Margaret S. Stockdale; Women and Work Volume 5; 1996; p. 11. © Centre d’Education à la Famille et à l’Amour (CEFA asbl) 2004 2 plus facilement par des personnes ayant un grand besoin de pouvoir personnel. Si le pouvoir, rappelle Margaret S. Stockdale, a servi de cadre organisationnel au harcèlement sexuel (Tangri et consorts, 1982), il a toutefois fait l'objet de peu d'intérêt de recherche et d'examen théorique. La théorie du symbole Cette théorie évoque la discrimination et la marginalisation des membres d'un groupe ayant une position minoritaire. Selon cette approche, les représentant d’un groupe social feront l'objet d'une discrimination si leur groupe représente moins de 15 % au sein d'une organisation. Le modèle de l’excitation sexuelle Ce modèle a un lien avec d'autres modèles explicatifs, notamment la théorie de la dominance. En effet, les facteurs encourageant les motifs de pouvoir et de dominance peuvent en même temps s'appliquer à l'excitation sexuelle. Bargh et Raymond (1995), cités par Margaret S. Stockdale 5, ont développé un modèle reliant la dominance et des motivations liées à la sexualité. Ils déclarent que les hommes sexuellement agressifs associent à tel point le pouvoir et les signaux liés au sexe qu'ils n'ont plus conscience d'abuser d’une position dominante. Cette théorie en lien avec les théories de la dominance notamment ne devrait pas être écartée dans l'étude des causes du harcèlement sexuel. La théorie du « Sex-Role Spillover » Décrite en 1982 par Barbara Gutek et Bruce Morasch6, cette théorie envisage le harcèlement sexuel par un transfert du "rôle sexuel " vers le "rôle travail ". En d'autres termes, il y a un transfert dans la sphère professionnelle d'attentes de comportements inhérents à chaque sexe, ces comportements étant inappropriés ou inopportuns au travail. Si dans un groupe de travail donné, les hommes ou les femmes prédominent, le "débordement du rôle sexuel" survient. Cela peut se produire lorsqu’on s'attend à ce que les femmes, plus que les hommes dans le même "rôle travail ", soient des objets sexuels, ou projettent une image sexualisée par leur apparence, leurs comportements ou des vêtements. Un homme peut attendre d'une travailleuse qu'elle soit un objet sexuel, de même, les travailleuses peuvent s'attendre à être considérées comme un objet sexuel. Jackie Krasas Rogers et Kevin D. Henson estiment qu’il convient de ne pas se limiter à l'étude du taux de répartition homme- femme (symptôme d'une organisation du travail influencée par le genre), mais d'étudier comment ces organisations influencées par le genre peuvent avoir un rôle sur le harcèlement sexuel. 5 6 Stockdale M. S. ; What We Know and What We Need to Learn About Sexual Harassment in Sexual Harassment in the Workplace ; Edited by Margaret S. Stockdale; Women and Work Volume 5; 1996; p. 12. Gutek B.; Morasch B. ; Sex-Ratios, Sex-Role Spillover, and Sexual Harassment of Women at Work in Journal of Social Issues; Vol. 38; N°.4;1982; pp. 55-74. © Centre d’Education à la Famille et à l’Amour (CEFA asbl) 2004 3