John Henry Newman - Editions Orizons
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John Henry Newman - Editions Orizons
John Henry Newman Éléments de théologie du dialogue Dans la même collection Monique Lise Cohen, Récit des jours et veille du livre, Orizons, 2008 Jad Hatem, La poésie de l’extase amoureuse, Shakespeare et Louise Labé, Orizons, 2008 Jad Hatem, L’art comme autobiographie de la subjectivité absolue, Schelling, Balzac, Henry, Orizons, 2009 Monique Lise Cohen, Emmanuel Lévinas et Henri Meschonnic, résonnances prophétiques, Orizons, 2011 Riccardo Di Giuseppe, Le Voyage de Parménide, Orizons, 2011 Jad Hatem, Rupture d’identité et roman familial, Orizons, 2011 Jad Hatem, Barbey d’Aurevilly et Schelling, Orizons, 2013 Jad Hatem, Liberté humaine et divine ironie. Schelling avec Luther, Orizons, 2013 Paul Saadé, La demeure du Don, Orizons, 2013 Gianfranco Stroppini de Focara, D’Alexandre à Jésus, Orizons, 2013 Bernard Forthomme, Une logique de la folie, Orizons, 2014 Jad Hatem, Le Vin éternel — Sur Ibn Al-Fâriḍ, Orizons, 2014 Jad Hatem, Un bruit d’avoir été. Sur Qohélet, Orizons, 2014 Laurent Millischer, Heidegger ou la détresse du monde, Orizons, 2014 Roland Vaschalde, À l’Orient de Michel Henry, Orizons, 2014 Nicole Hatem, Raïssa Maritain ou le courage philosophique, Orizons, 2015 Jad Hatem, Messianités — Kafka, Kazantzaki, Böll, Tournier, Kemal, Orizons, 2015 Jad Hatem, Empédocle, Qohélet, Bar Hebraeus, Orizons, 2015 Marek Cieślik s.j. John Henry Newman Éléments de théologie du dialogue La vie pour l’action 2016 I Bienfaisante lumière au milieu de ces ombres, Guide-moi en avant ! La nuit est sombre et je suis loin de ma demeure, Guide-moi en avant ! Veille sur mon chemin ; que m’importe de voir L’horizon lointain ; un seul pas suffit. II Je n’ai pas toujours prié comme aujourd’hui Pour que tu me conduises. J’aimais alors choisir et connaître ma route ; Guide-moi maintenant ! J’aimais l’éclat du jour ; l’orgueil malgré mes craintes Régnait en moi : ne te souviens pas du passé. III Ta puissance a daigné trop longtemps me bénir Pour ne plus me guider, Par landes et marais, rochers et torrents, Tant que dure la nuit ; Et avec le matin me souriront ces anges Que j’ai toujours aimés et qu’un temps je perdis.1 1. Jonh Henry Newman, “The Pillar of the Cloud”, Verses on Various Occasions, London, Longmans, Green and co., 1890, pp. 156-157. À mes parents ; Pour leur cinquantième anniversaire de mariage. Remerciements Nous tenons à remercier vivement tous ceux qui ont collaboré à l’élaboration de cette thèse : Le P. Christoph Theobald s.j., qui a dirigé notre travail et qui nous a aidé à en délimiter le sujet et à mener notre projet à son terme. Le P. Yves Tourenne o.f.m., qui a été le premier au Centre Sèvres à nous avoir indiqué, avec flamme et compétence théologique, l’itinéraire de Newman. Les lecteurs attentifs de notre texte, notamment plusieurs compagnons jésuites. Tous ceux dont la présence et les encouragements nous ont été précieux au long de ce parcours, souvent rude, mais passionnant aussi. Sigles et abréviations L orsque nous mentionnons pour la première fois l’un des ouvrages de J. H. Newman, ou d’autres auteurs sur Newman fréquemment cités, nous donnons son titre complet ; ensuite nous indiquons les abréviations généralement reçues. Ouvrages de Newman Apologia EA CDF EDD EGA FSU HS IU LD PLS SVO VM PS Apologia pro Vita sua Ecrits autobiographiques Certain Difficulties felt by Anglicans in Catholic Teaching Considered: In a Letter addressed to the Rev. E. B. Pusey, D.D., on occasion of his Eirenicon of 1864; And in a Letter addressed to the Duke of Norfolk, on occasion of Mr. Gladstone’s Expostulation of 1874, vol. II An Essay on the Development of Christian Doctrine An Essay in Aid of a Grammar of Assent Fifteen Sermons preached before the University of Oxford Historical Sketches The Idea of a University defined and illustrated 1873 Letters and Dairies of John Henry Newman A Packet of Letters : a Selection from the Correspondence of John Henry Newman Sermons Preached on Various Occasions The Via Media of the Anglican Church Parochial and Plain Sermons Divers sur Newman Bouyer Bremond Newman : Sa vie. Sa spiritualité, Newman – Essai de biographie psychologique Dawson Dessain Gilley Honore Turner Vaiss Ward Newman et la Modernité : L’épopée du Mouvement d’Oxford Présence de Newman Newman and his age Itinéraire spirituel de Newman John Henry Newman – The Challenge to Evangelical Religion Newman : sa vie, sa pensée et sa spiritualité – première période The Life of John Henry Cardinal Newman Traductions françaises Nous renvoyons le lecteur aux traductions françaises là où nous en disposons. Introduction générale Théologie dialogique E n décembre 1965, au moment d’achever son travail, le Concile Vatican II s’exprimait ainsi à propos du dialogue de l’Église avec le monde actuel : « L’Église, gardienne du dépôt de la Parole divine […] n’a pas toujours, pour autant, une réponse immédiate à chacune [des questions d’aujourd’hui]1 ». « Elle est fermement convaincue que, pour préparer les voies à l’Évangile, le monde peut lui apporter une aide précieuse et diverse par les qualités et l’activité des individus ou des sociétés qui le composent2 ». Incontestablement, une telle affirmation de la constitution pastorale Gaudium et spes par rapport au monde était fondée sur de nouvelles expériences religieuses et de nombreux travaux, tant d’individus que d’écoles théologiques et de mouvements concernant la pastorale et l’action missionnaire, notamment dans la seconde moitié du XIXe et la première du XXe siècles. Mais, bien que prioritaire, cette affirmation pouvait être facilement galvaudée, et recevoir des acceptions souvent fort différentes. Les défis et la nature du dialogue Comment le Concile se représentait-il concrètement cet appel au dialogue ? Comment devait être vécu son défi pour que se réalise l’écoute — dans le même mouvement — des attentes humaines et de la réalité de la foi chrétienne ? à partir des documents conciliaires, il serait trop long de faire ne serait-ce qu’une simple allusion à tous les motifs qui poussaient l’Église au dia1. 2. Gaudium et spes, III, 33, 2. Ibid., IV, 40, 4. 16 John Henry Newman — Éléments de théologie du dialogue logue, à toutes les méthodes à suivre, ou aux buts à atteindre. Nous pouvons néanmoins avoir recours à l’encyclique du Pape Paul VI Ecclesiam suam, parue un an avant la publication de Gaudium et spes et singulièrement consacrée à la question en cause. Logées à son enseigne, trois observations s’articulent : a) les raisons tant épistémologiques et dogmatiques que pratiques et pédagogiques du dialogue entre la communauté des croyants et le monde dans lequel cette communauté vit et travaille ; b) les difficultés qui interfèrent dans le dialogue en le faisant rester en deçà de ce qui achemine l’homme vers la vérité toujours plus entière ; c) les conditions et les exigences qui naissent des raisons et des difficultés propres au dialogue. Raisons du dialogue Une des raisons du dialogue, indispensable dans l’Église, porte tout d’abord sur l’approfondissement de la conscience que celle-ci a d’elle-même, « du trésor de vérité dont elle est héritière et gardienne, et de la mission qu’elle doit exercer dans le monde3 ». Selon Paul VI : Même avant de se proposer l’étude de quelque question particulière, et même avant de considérer l’attitude à prendre en face du monde qui l’entoure, l’Église doit en ce moment réfléchir sur elle-même pour se confirmer dans la science des desseins divins sur elle-même, pour retrouver plus de lumière, une nouvelle énergie et une plus grande joie dans l’accomplissement de sa propre mission et pour déterminer les meilleurs moyens de rendre plus étroits, efficaces et bienfaisants ses contacts avec l’humanité à qui ellemême appartient, bien qu’elle s’en distingue par des caractères propres, sans confusion possible.4 Au plan dogmatique, l’enjeu de l’appel au dialogue lancé par le Pape, puis par Gaudium et spes — appel à la fois humble et courageux — va au-delà d’un simple échange avec les autres ; échange dont la visée principale ne serait que de se comprendre davantage en vue de susciter de nouvelles adhésions ou conversions. L’Église n’a pas à se préoccuper du dialogue seulement pour que l’Évangile ait plus de chances d’être entendu, compris et vécu par tous. Si elle le fait c’est parce que le dialogue honore bel et bien l’exigence d’une Révélation qui n’a de sens qu’en s’auto-communiquant ad extra et hic et nunc. Le dialogue est conforme à la manière même choisie par Dieu pour se révéler aux hommes et pour établir avec eux les rapports religieux dont l’Église est en même temps l’instrument et l’expression. Parce que s’il est vrai que la Révélation divine s’est 3. 4. Ecclesiam suam, no 19. Ibid. La vie pour l’action — Introduction 17 accomplie « à plusieurs reprises et de façons diverses » (He 1, 1) en des actes historiques et incontestables, elle s’est toutefois insérée dans la vie humaine par les voies propres de la parole et de la grâce de Dieu qui se communique intérieurement aux âmes par le moyen de l’audition du message du salut et par le moyen de l’acte de foi qui la suit et qui est à l’origine de notre justification.5 Sur le plan pratique et pédagogique, l’Église reconnaît, d’après Ecclesiam suam, sa responsabilité de faire apparaître l’exigence du dialogue pour contribuer à rendre ce monde plus humain et fraternel et à y faire progresser la justice et la paix « inaugurées par la venue du Christ au monde6 ». Pour cette autre raison, le dialogue est pour l’Église un poids et un stimulant, voire une vocation. « Dûment uni à une formation de pensée apte à découvrir la vérité là où celle-ci coïncide avec la réalité de l’être objectif », il permet à l’exercice de la conscience de révéler « toujours mieux à qui s’y livre le fait de l’existence, de son être propre, de sa propre dignité spirituelle, de sa propre capacité de connaître et d’agir7 ». Difficultés du dialogue La cohabitation et la coopération de l’Église avec le monde semblent toutefois être rarement ouvertes et faciles ; elles sont souvent plutôt délicates et compliquées. Du côté de l’Église, le visage de celle-ci n’est jamais « assez parfait, assez beau, assez saint et lumineux pour être conforme au concept divin qui constitue son modèle8 ». Il est relativement aisé à l’Église, par exemple sur la base de textes bibliques comme Rm 12, 2 ou Jn 17, 15‑16 cités dans Ecclesiam suam, de se fossiliser dans les cadres d’un rapport d’extériorité à l’égard des hommes vivant dans le monde et de devenir une monade qui, sous prétexte d’être du ciel, ignorerait superbement ce qui est de la terre. Paul VI en donne une description en disant que l’Église peut courir le risque de réduire ses relations avec le monde « au minimum, en cherchant à se retrancher du commerce avec la société profane ; comme elle pourrait se proposer de relever les maux qui peuvent s’y rencontrer, prononcer contre eux des anathèmes et susciter contre eux des croisades9 ». Mais pour Paul VI, il peut y avoir la difficulté inverse aussi grave que la crispation sur soi. L’Église « pourrait » également, reconnaîtra-t-il, « se rapprocher de la société profane au point de chercher à prendre sur elle une influence prépondérante, ou même à y exercer un pouvoir 5. 6. 7. 8. 9. Ibid., no 20. Ibid., no 17. Ibid., no 30. Ibid., no 11. Ibid., no 80. 18 John Henry Newman — Éléments de théologie du dialogue théocratique, et ainsi de suite10 ». Du côté du monde, les dangers ne sont pas moindres. A commencer par « la contagion de la misère humaine ambiante » et « la séduction de l’éclat mondain11 », ils comprennent des courants philosophiques qui prennent l’homme comme la valeur « définitive et suprême, bien plus, comme la mesure et la source de la réalité, poussant la pensée à des conclusions abstruses, désolées, paradoxales et radicalement fallacieuses12 ». Il n’est pas rare de rencontrer « des systèmes de pensée négateurs de Dieu et persécuteurs de l’Église13 ». Ceux-ci sont « souvent identifiés à des régimes économiques, sociaux et politiques ». Ce qui les caractérise est une radicale opposition idéologique à la transmission de la foi, et même parfois une violente oppression au point de réduire le dialogue au silence de la prière. En dépit de telles difficultés, un contact exigeant avec le monde est pour l’Église indispensable et nécessaire si elle veut demeurer fidèle à ses origines et à sa mission. Sans ce contact, elle court facilement le risque de prétendre à être la seule à indiquer la route du véritable humanisme, ou de se considérer l’unique victime des vicissitudes historiques du monde. À l’inverse, grâce à ce contact elle est susceptible de dessiller les yeux du monde à la vraie nature de la vie et d’en recevoir en même temps de précieux apports de culture qui lui permettent de mieux manifester le dessein salvifique de Dieu pour chaque être humain. Autrement dit, le dialogue de l’Église est en vue de communiquer la volonté salvifique de Dieu à l’égard de l’humanité et d’apprendre de celle-ci ce qu’elle peut lui transmettre car, à travers elle, la volonté divine peut également s’exprimer. « Tous savent », comme le déclare le no 20 de l’encyclique, « que l’Église est plongée dans l’humanité, en fait partie, en tire ses membres » et que 10. 11. 12. 13. Ibid. Ibid., no 63. Ibid., no 30. Ibid., no 105. Là, il ne s’agit pas simplement de constater et critiquer ce qui est dangereux dans le monde. Une telle manière de procéder fera elle-même défaut. Il s’agit plutôt de faire ce qu’a fait le pape Pie XII dans son encyclique Humani generis de 1950, en mettant en garde contre les interprétations erronées de l’évolutionnisme, de l’existentialisme et de l’historicisme : « Les théologiens et les philosophes catholiques, auxquels incombe la lourde charge de défendre la vérité divine et humaine et de l’inculquer à toutes les âmes, n’ont pas le droit d’ignorer ni de négliger les systèmes qui s’écartent plus ou moins de la droite voie. Bien plus, il leur faut les connaître à fond, d’abord parce qu’on ne peut guérir que les maux que l’on connaît bien, puis parce que dans les systèmes erronés peut se cacher quelque lueur de vérité, et parce qu’enfin ces erreurs poussent l’esprit à scruter avec plus de soin et à mieux apprécier telle ou telle vérité philosophique et théologique ». La vie pour l’action — Introduction 19 l’humanité est sur la « voie de grandes transformations, de bouleversements et de développements qui changent profondément non seulement ses manières extérieures de vivre, mais aussi ses manières de penser ». Tous savent que le défi du dialogue consiste pour l’Église à puiser dans la méditation, et dans une source doctrinale qui vient d’ailleurs (Jn 7, 16), « à un moment où aussi bien son expérience spirituelle intérieure que son effort apostolique extérieur évoluent rapidement et laborieusement14 ». Conditions et exigences du dialogue Pour que ces changements puissent s’exprimer par une conversation amicale et fructueuse entre l’Église et le monde, Paul VI rappelle que le dialogue implique plusieurs conditions. La plus pertinente, car elle est à la base de tout amour, est le libre consentement des interlocuteurs, même dans le cas de ceux qui ne veulent pas s’y engager ou qui s’y engagent sans être suffisamment libres d’entamer un dialogue « désintéressé, objectif, loyal », « en faveur d’une paix libre et honnête », excluant « simulations, rivalités, tromperies et trahisons », et dénonçant « comme un crime et comme une ruine la guerre d’agression, de conquête ou de domination ». Un tel dialogue devrait pouvoir répandre « dans toutes les institutions et dans tous les esprits le sens, le goût, le devoir de la paix15 ». Il devrait aussi adapter aux exigences et aux dispositions spirituelles de ses auditeurs la quantité (Mt 12, 28 et suiv.) et la force démonstrative des signes (Mt 13, 13 et suiv.), afin de leur faciliter le libre consentement à la révélation divine, sans toutefois leur ôter le mérite de ce consentement. De même si notre mission est annonce de vérités indiscutables et d’un salut nécessaire, elle ne se présentera pas armée de coercition extérieure, mais par les seules voies légitimes de l’éducation humaine, de la persuasion intérieure, de la conversation ordinaire, elle offrira son don de salut, toujours dans le respect de la liberté personnelle des hommes civilisés.16 Une autre exigence serait la patience et la persévérance dans le processus même du dialogue. Celui-ci consiste souvent en une lente et progressive marche sujette à de nombreux développements s’enracinant dans de modestes débuts. Ainsi le Pape demandera, en pensant avant tout au dialogue de l’Église, d’avoir égard aux lenteurs de la maturation psychologique et historique et [de savoir] attendre l’heure où Dieu le rendra efficace. Ce n’est pas à dire que 14. 15. 16. Ecclesiam suam, no 5. Ibid., no 110. Ibid., no 77. 20 John Henry Newman — Éléments de théologie du dialogue notre dialogue remettra à demain ce qu’il peut faire aujourd’hui ; il doit avoir l’anxiété de l’heure opportune et le sens de la valeur du temps (Ep 5, 16). Aujourd’hui, c’est-à-dire chaque jour, il doit recommencer ; et de notre part, sans attendre nos interlocuteurs.17 Enfin, une troisième et dernière condition au dialogue est « l’aggiornamento ». Paul VI reprend cette expression, popularisée au début du Concile par Jean XXIII, pour exprimer une volonté qui stimule « dans l’Église la vitalité toujours renaissante, l’attention constamment éveillée aux signes des temps, et l’ouverture indéfiniment jeune qui sait “vérifier toute chose et retenir ce qui est bon” (1 Th 5, 21), en tout temps et en toute circonstance18 ». En tout cela, il faudra veiller à garder, comme l’exige l’Évangile, la droiture de la pensée et de l’action et à sauvegarder la vérité que le dialogue veut exposer, la charité qu’il veut répandre et l’exemple qu’il veut proposer.19 Le but de notre travail et la demande théologique du dialogue John Henry Newman (1801‑1890) est l’un de ceux qui ont indirectement mais aussi indéniablement contribué à la conception du dialogue, tel que proposé par Gaudium et spes et esquissé dans Ecclesiam suam.20 Il y a contribué 17. 18. 19. Ibid., no 79. Ibid., no 52. Ibid., nn° 22 et 83. Comparer avec Jean XXIII qui dira à l’ouverture du Concile : « Nous devons nous mettre joyeusement, sans crainte, au travail qu’exige notre époque, en poursuivant la route sur laquelle l’Église marche depuis près de vingt siècles » (in Discours à l’ouverture du Concile [11 octobre 1962], in Jean XXIII/Paul VI Discours au Concile, Paris, Centurion, « Documents Conciliaires no 6 », 1966, p. 63 [pp. 55‑70]). 20. Certains décrivent le Concile Vatican II « comme “le concile de Newman” », voir Charles S. Dessain, Présence de Newman (Dessain), Paris, Cerf, 1993, p. 152. Voir aussi Jean Honoré qui, en parlant du divorce entre les idées de Newman et celles de Vatican II, dit : « C’est tout le contraire qui est vrai. De bons critiques n’ont pas hésité à reconnaître en Newman l’un des précurseurs du Concile et à le saluer comme “l’expert invisible” ». Et il ajoute au détour d’une note en bas de page : « Mentionnons, dans le discours de Jean-Paul II à l’occasion du centenaire de la mort de Newman, le lien que le pape établit entre les grandes intuitions de Newman et les enseignements majeurs du Concile. Voir Osservatore romano du 22 mai 1990 », in Jean Honoré, Fait paraître ton jour : Newman poète et prophète de l’au-delà, Paris, Cerf, 2000, p. 121. En passant, nous pouvons indiquer l’article « L’étonnante modernité de Newman » dans La Croix du 5/6 janvier 2002 où il y a sans doute une erreur lorsque l’article fait dire à Ian Ker, l’un des plus grands spécialistes sur la vie et la pensée newmaniennes, que : « Les deux premiers chapitres de Gaudium et spes [sic !], sur l’Église-sacrement et sur l’Église-peuple de Dieu, sont directement La vie pour l’action — Introduction 21 indirectement, n’ayant jamais abordé la thématique du dialogue comme l’a fait le dernier Concile. Il serait vain de chercher chez Newman la lettre de l’enseignement de Paul VI. Mais il en est indéniablement le précurseur selon son esprit, c’est-à-dire par la manière d’entrer en contact avec les autres, par son rapport à la conscience et au mystère de Dieu, par la façon dont il envisageait les difficultés et les succès dans sa poursuite personnelle d’une position universelle, par ses qualités et son activité dans le domaine de l’éducation. C’est ainsi que Newman a montré comment on pouvait et devait se représenter l’appel au dialogue et comment pouvait et devait être vécu son défi pour que soit respectée et réalisée l’écoute des attentes humaines et de la foi chrétienne. Pour en vérifier le bien-fondé, nous pourrions nous rapporter à l’hypothèse, déjà formulée par Roman Siebenrock du point de vue méthodologique.21 Cette hypothèse semble confirmer la contribution de Newman au dialogue en la rattachant à sa méthode inductive (illative) qui repose sur « la conscience devant l’exigence de la vérité […] avant de procéder à une interprétation de l’histoire universelle […] et d’entrer dans un dialogue universitaire avec la prétention de vérité, telle qu’elle est véhiculée par les sciences22 ». Les trois concepts-clés du titre de l’ouvrage de Siebenrock — vérité, conscience et histoire — présentent une constante montée vers la vérité. Dans cette montée, la biographie du théologien anglais est prise en compte comme « le principe herméneutique d’une théologie qui pense l’existence chrétienne pour une “époque nouvelle de l’histoire du monde” ». Dans cette montée est aussi communiqué le sens spirituel de Dieu de « celui dont l’itinéraire devait passer par des ruptures qui restent pour nous paradigmatiques23 ». Sans prendre cette hypothèse comme le fil rouge de notre essai, ni diverger d’avec elle, mais plutôt pour y apporter un éclairage nouveau, notre propos est d’introduire à une recherche qui permette en priorité de préciser et formuler le contenu du dialogue selon Newman et les modes qui traduisent la manière existentielle dont il le vivait. Le ton de ce contenu et de ces modes 21. 22. 23. inspirés des grandes intuitions de Newman pour qui l’Église était d’abord le Corps du Christ », p. 12 [12‑13]. Evidemment, il ne s’agit pas là de Gaudium et spes, mais de Lumen gentium. Dans le bulletin « II. Approches épistémologiques » (in Recherches de Sciences Religieuses, 87/4, octobre-décembre 1999, p. 597), Christoph Theobald dresse un bilan du texte de Roman Siebenrock, Wahrheit, Gewissen und Geschichte. Eine systematischtheologische Rekonstruktion des Wirkens John Henry Kardinal Newmans, Internationale Cardinal-Newman-Studien XV. Foge, Regio Verlag Glock und Lutz, Sigmaringendorf, 1996, en disant : « On trouvera difficilement une étude mieux documentée et mieux fondée d’un point de vue méthodologique ». Ibid. Ibid., pp. 596‑597. 22 John Henry Newman — Éléments de théologie du dialogue est donné dans « la vie est pour l’action24 » (life is for action), d’où le titre de notre travail. C’est là une locution de synthèse car le dialogue de l’Église, en dernière instance, ne se vérifie et ne s’affine que dans l’action, d’où l’affirmation : « l’Église n’est pas faite pour le spectacle, mais pour l’action25 » (the Church aims not at making a show, but at doing a work). C’est donc dans l’action que le dialogue newmanien prévient l’objection d’un discours éthéré, avec des mots beaux mais irréels. C’est de là aussi que vient le besoin de la prise en compte du récit de Newman, récit qui nous met non seulement au plus près de certaines de ses réalités vécues, de ses attentes et de ses espoirs, mais également de ce qui est représentatif pour tout homme lorsque sa conscience est placée devant l’exigence de ce qui est le plus vrai et le plus adapté à tel moment de son histoire.26 Face à ce but, certains diront peut-être que les affirmations concernant le dialogue ne sont qu’un aspect de l’ensemble de l’enseignement consigné dans la constitution pastorale Gaudium et spes et précédé par Ecclesiam suam et que beaucoup de questions qui existaient encore dans l’Église et dans le monde il y a cinquante ans — pour ne pas parler de l’époque de Newman —, avaient déjà été résolues ou se posent actuellement avec moins d’acuité. Dans cette argumentation, il faut le reconnaître, il y a du vrai, mais aussi beaucoup d’erreurs. Outre le fait que de telles affirmations ont été jugées indispensables aussi bien dans la situation spécifique de l’Église catholique des années soixante que de l’époque qui a suivi, le travail de dialogue de l’Église commence et ne finit jamais, parce que le caractère dialogique de la Révélation chrétienne lui est inhérent, et que l’Église ne peut qu’être envoyée vers ceux au milieu desquels elle a été appelée.27 24. John Henry Newman, An Essay in Aid of a Grammar of Assent (EGA), Longmans, Green, and co., 1903, New York and Bombay, p. 95, tr. fr. Grammaire de l’assentiment, trad. par M.-M. Olive, Paris, Desclée de Brouwer, 1975, p. 155. 25. Cité du récent livre de Jean Honoré, Les aphorismes de Newman, Paris, Cerf, 2007, p. 145. 26. Les réflexions de Paul Beauchamp sur le récit biblique et les cultures corroborent cette démarche : « Le récit n’est que pour la décision. Représenter le passé, c’est faire la décision. Le récit se déroule autour des enjeux de ce monde, de cette vie et de cette mort. Il transforme en signes les choses autour desquelles il rassemble le passé, le présent et la communauté elle-même. Le récit est cette parole qui porte la communauté entre la vie et la mort, entre un et tous. L’analyse du récit lui-même devrait illustrer comment, dans toute culture, il s’agit de l’homme universel […] Tout récit, biblique ou non, est une suite de disparitions d’états ou d’objets qui ne s’enfuiraient pas si facilement, en effet, s’ils étaient universels […] Le récit ne nous attire que parce qu’il nous promet de dénouer l’angoisse que notre existence nous cause », in Paul Beauchamp, Le récit, la lettre et le corps, Paris, Cerf, « Cogitatio Fidei 114 », 1992, pp. 237‑238. 27. Sur la pertinence des enseignements du Concile Vatican II, noter par exemple le livre de Philippe Bordeyne, L’homme et son angoisse. La théologie morale de « Gaudium