Quelles sont les limites de la construction européenne ?

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Quelles sont les limites de la construction européenne ?
Quelles sont les limites de la construction européenne ?
Le contexte européen actuel suscite tensions et inquiétudes entres les divers
partenaires de l'Union. Le citoyen européen a toujours regardé les institutions d'un
oeil éloigné mais avisé. Il tend à identifier six facteurs qui caractérisent les limites de
la construction européenne: la fragilité de l'Union, l'inéquitabilité de traitement,
l'absence d'une vision commune, le danger des règles européennes pour les
travailleurs, les carences démocratiques du système européen, l'absence d'une
stature internationale assez imposante.
Une Union fragile :
Tout d’abord, le citoyen estime que l’élargissement à des pays tiers n’est pas une
mauvaise chose mais que le processus est trop rapide. L’Union européenne devrait
prioritairement consolider ses acquis et amoindrir les disparités sociales et
économiques entre les divers Etats membres avant de poursuivre son élargissement.
Elle doit consolider son unité et freiner les mouvements centrifuges d’Etats membres
qui désirent une Europe « à la carte ». L’Union européenne doit par ailleurs travailler
à se doter d’une structure cohérente, compréhensible pour le citoyen lambda et
beaucoup plus démocratique. Donner plus de compétences au Parlement européen
est une piste de démocratisation des institutions européennes.
Une Europe à deux vitesses :
Une autre limite pointée par les citoyens est celle des particularismes nationaux.
Même si ceux-ci sont enrichissants sur de nombreux aspects, ils sont à l’origine de
manières de penser et d’agir différentes. Il arrive donc que des pays ne conçoivent
pas certaines directives ou réformes européennes dans leur intérêt et décident d’en
bloquer la mise en œuvre. Naît alors une Europe à deux vitesses, avec des Etats
prêts à substituer plus de compétences à l’échelon européen et à approfondir
l’intégration européenne, et d’autres biens moins enclins à se départir de certaines
de leurs compétences nationales. Il existe alors une fracture entre des Etats satisfaits
d’une Europe configurée comme un vaste marché et d’autres Etats appelant à la
construction d’une Europe politique et sociale.
Aussi, d’un point de vue politique, les citoyens pointent la tendance des « grands »
pays à vouloir imposer leurs orientations aux pays de moindre envergure. Alors
même que ces orientations ne sont peut-être pas adaptées aux réalités
sociologiques ou économiques de ces derniers pays. Le particularisme que certains
Etats tentent d’imposer peut donc être ressenti comme un obstacle à l’évolution
collective vers le bien-être économique et social européen.
L’absence d’une vision commune :
En cette période de crise, suscitant des replis identitaires nationaux, le modèle
économique européen est sérieusement questionné et remis en cause. Une certaine
partie de la population européenne se tourne vers des mouvements politiques
fascisants, remettant en cause le principe d’une communauté européenne. La crise
financière montre à quel point l’intégration politique des Etats européens par la seule
voie des marchés est insuffisante. Plus particulièrement, la crise grecque a montré
que la solidarité européenne peut être remise en cause. Une limite importante de la
construction européenne est l'absence de politique économique commune.
Le phénomène du dumping social :
Par ailleurs, le citoyen se fait aussi du souci pour la question du dumping social. La
libre circulation des travailleurs devient problématique lorsque la concurrence entre
eux devient telle que les conditions de travail générales sont tirées vers le bas. Or,
une Europe qui s’occupe prioritairement d’économie et non de social aura de
grandes difficultés à résoudre ce type d’iniquités. La libre circulation des travailleurs
dans l’Union permet le détachement de travailleurs d’un pays vers un autre. Dans ce
cadre, les Etats où les travailleurs bénéficient de conditions de travail favorables
subissent une double sanction :
 Les travailleurs « détachés » ne cotisent pas effectivement au profit de la
sécurité sociale du pays où ils se rendent ;
 Les travailleurs nationaux subissent la concurrence d’un personnel externe
moins onéreux pour l’employeur.
Le déficit démocratique :
Le système institutionnel européen est dominé par une instance cumulant des
pouvoirs législatifs et exécutifs, le Conseil de l'Union européenne, ainsi que par une
institution sans véritable légitimité démocratique, la Commission européenne.
Le Parlement désigne le président de la Commission et approuve la nomination des
Commissaires européens, il vote également le budget. Cependant, son pouvoir
législatif est fortement réduit. Il a surtout la capacité de bloquer les directives
émanant de la Commission et du Conseil. La Commission, fait office de
gouvernement sans assumer l’entièreté de ce rôle.
La séparation des pouvoirs n’est pas pleinement assurée au sein de l’Union
Européenne. Le Conseil exerce à la fois des prérogatives ressortissant de l’exécutif
et du législatif. Les pouvoirs du Parlement sont donc bien moindres et bien différents
de ceux en vigueur dans les régimes parlementaires nationaux.
Une voix peu audible sur le plan international :
Finalement, sur la scène internationale, la principale limite de l’Union européenne
réside dans le fait qu’elle ne s’exprime pas d’une seule voix. Ainsi, elle n’est pas en
mesure d’affirmer son positionnement sur certaines questions globales et certains
conflits internationaux (le cas de la Syrie par exemple, où la France, l’Allemagne et
l’UE adoptent des positions différentes). Du moins, sa voix ne porte pas autant que
celle des Etats-Unis, de la Chine ou de la Russie. Pourtant, une Union Européenne
envisagée comme un Etat, c’est-à-dire unie politiquement, constituerait de fait, par
l’agrégation des économies européennes, la première puissance économique
mondiale. Ce qui freine l’émergence de l’Union sur la scène internationale est la
volonté des « grands » Etats constitutifs de celle-ci de continuer à être des acteurs
majeurs et à part entière des relations internationales. Cependant, une empreinte
plus marquée de l’Union dans les discussions internationales et dans les principales
instances mondiales (au conseil de sécurité de l’ONU par exemple) permettrait de
défendre les intérêts de l’Union européenne en tant que telle et de tous les Etats qui
la constituent.
On le voit, sur les plans économique, social, institutionnel et international, les
principales limites de la construction européenne oscillent dans le choix qui doit être
fait par certains Etats entre la défense d’un intérêt européen collectif et la défense de
leur intérêt national.
Julien Desiderio
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