Parfum… vous avez dit parfum ? De la rose à la

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Parfum… vous avez dit parfum ? De la rose à la
Dossier | De la rose à la violette
MIP
De la rose
à la
« Même au douloureux moment où le nécessaire fait défaut, je n’envisage pas légèrement
la privation de parfum, le plus indispensable des superflus », disait la romancière Colette.
14 | L’information Agricole - N° 837 Mai 2010
Q Histoire de luxe
Parfum…
vous avez dit parfum ?
D’abord sacré puis profane, l’usage du parfum remonte à la nuit des temps.
Il a suivi l’évolution des hommes et impulsé dans toutes les civilisations
la production d’objets raffinés dont le luxe n’a d’égal que la beauté...
L
es premiers vestiges de vases à parfum,
exhumés au Proche Orient, remonteraient à 7 000 ans. Déjà luxueux et
décorés. Les découvertes archéologiques
indiquent néanmoins que c’est de l’Egypte
antique que le parfum aurait pris son envol.
Les Egyptiens brûlaient couramment racines, résines minérales ou végétales, d’où
le nom de « per fume », par la fumée. Ils
maîtrisaient les compositions aromatiques
à base de plantes par macération (rudimentaire) dans l’huile, et de pétales dans
la graisse pour les cérémonies religieuses
et pour la famille royale. Usage élargi au
quotidien des milieux privilégiés. Au fil des
découvertes, des voyages, des conquêtes et
des nécessités, le parfum passa des vases
en terre à l’albâtre, l’onyx ou le porphyre,
imperméables à l’odeur.
En Grèce, le culte du corps et de la beauté
concerne alors les hommes autant que les
femmes. Le parfum, destiné à honorer les
guerriers morts, passe les barrières du sacré
tout en gardant ses vertus. Il agrémente banquets et bains, préserve de l’ébriété, soigne
D. R.
On a tendance à l’oublier,
mais les odeurs jouent un rôle
primordial dans le domaine
de la séduction. Découvrir
l’autre, c’est aussi s’imprégner
de son odeur, de son parfum,
c’est se frotter à la féerie du
rapprochement des corps,
à l’alchimie des arômes
entremêlés. L’engouement que
suscitent les parfums n’a donc
rien de surprenant. A l’instar
des vêtements, des accessoires
de mode ou de la lingerie, ils
participent au grand ballet de
la séduction, dévoilant quelque
chose de notre intimité et de
notre personnalité en laissant
toujours la part belle au
mystère. A chaque senteur son
lot inépuisable d’interprétations,
de suggestions. Légers et
discrets ou épicés et audacieux,
les parfums éveillent les
sens et la curiosité…
Comment réussir un tel accord
des senteurs ? Que diriezvous d’une mise au parfum ?
« Nelombo », de Gaby Morlay, 1932.
De la rose à la violette | Dossier
la peau, les muscles des athlètes... Effluves
de musc, d’ambre gris, encens, myrrhe... On
ajoute des épices aux macérations de plantes dans des vases spéciaux, en bronze. Le
parfum du « peuple » repose dans la céramique, celui de l’élite préfère la faïence…
Huiles, crèmes, savon…
A Rome, les bains ont le vent en poupe.
Le parfum n’a plus qu’à flotter. Massages,
soins de la peau… Le commerce des plantes, fleurs et graines explose. C’est, dit-on,
sur un lit de pétales de roses odorantes de
45 cm d’épaisseur que César et Cléopâtre
passèrent leur nuit de noce... Les Romains
produisent des pâtes parfumées dont le
sapo, pâte moussante à base de graisse de
chèvre et de cendres de saponaire, ancêtre
du savon. Des onguents, des pommades…
qui ont leur « people ». Néron, l’Empereur,
ne se séparait jamais d’un baume à l’encens
pour effacer les traces de nuits d’orgie sur
son visage… Le verre, inventé par les Grecs,
remplace la terre. Plus léger, il facilite transport et commerce. Les flacons élégamment
travaillés, de formes inventives, s’adressent
aux nantis. Pour la classe moyenne, ils sont
en faïence.
Au Moyen Âge, les Arabes découvrent la
distillation, inventent l’alambic et introduisent la culture des plantes à grande échelle.
La parfumerie décolle. Les premiers cosmétiques aussi. La montée du christianisme y
met un holà. Les bains ferment. Dans les
couvents fleurissent des jardins de « simples », des plantes odorantes et médicinales
aux vertus spécifiques selon… leur forme et
couleur. En période d’épidémie, elles vont
servir à purifier l’air et/ou à couvrir l’odeur
pestilentielle qui règne. Le retour des Croisés, chargés de potions et autres substances
fleurant bon l’ailleurs, suscite un renouveau
du parfum en Europe. Il devient instrument de séduction. Les femmes glissent des
sachets de poudre d’iris dans leurs vêtements. Les flacons sont en métal émaillé, en
verre soufflé de Venise et de Bohême.
A la Renaissance, l’alambic se perfectionne,
l’alcool éthylique remplace les graisses. L’invention de l’imprimerie facilite la circulation
d’ouvrages techniques, de recettes d’eaux
odoriférantes. C’est le début du grand boum.
Le gant se met
au parfum
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le gant parfumé
est à la mode dans toute l’Europe couronnée. Les gantiers parfumeurs obtiennent du
roi le privilège du commerce du parfum
de leurs gants, dont ils atténuent la puante
odeur de cuir tanné. Ce sont les fragrances
animalo-florales : musc, patchouli…
A la cour de Louis XIV, vêtements, pendentifs et bagues à réservoir, boîtes en écorce
de bergamote, tout est « au parfum ». On
change de vêtements et de parfum tous les
jours, histoire de camoufler une hygiène
rudimentaire. Marie-Antoinette remet au
goût du jour les senteurs fraîches, champêtres. A Grasse, les cultures florales à parfum : roses, jasmin des Indes, tubéreuses
d’Italie se développent et la petite ville
mène le monde par le bout du… nez (voir
encadré). L’eau de Cologne (réputée théra-
GRASSE CAPITALE MONDIALE DU PARFUM
En 1930, Grasse contrôlait 95 % du marché mondial des matières aromatiques naturelles
qui transitent chez elle pour y être transformées. Réfractaires aux progrès de la chimie
organique, les entreprises grassoises, attachées à leur culture naturelle, perdirent la maîtrise
du marché international face à la concurrence des parfums synthétiques (98 % du marché
aujourd’hui) et des importations de plantes. Elles seront peu à peu absorbées par des
multinationales. Grasse, 48 000 habitants, réalise actuellement un chiffre d’affaires de
651 millions d’euros, la moitié du marché français, et 8 % du marché international de la
parfumerie. Et elle a gardé son titre de capitale. Avec 10 000 euros, son revenu par habitant
est un des plus élevés de France. A visiter : son Musée International de la Parfumerie, ouvert
en octobre 2008. Un grand voyage olfactif, visuel et émotionnel à travers l’histoire du parfum.
ਿ
www.museesdegrasse.com
D. G.
peutique) fait fureur. Celle dont se frictionne
quotidiennement Napoléon porte son nom.
Les flacons, en cristal de plomb, sont enserrés dans des montures en or, bois ou cuir.
Les jus (parfums) sont vendus séparément
dans de simples fioles. Sous la Révolution,
« Parfum de guillotine » ou « A la nation »
rencontrent peu d’échos. L’ambiance frivole
du Directoire réveille vite l’enthousiasme
pour les parfums présentés et vendus à prix
de bijoux en écrins précieux.
La chimie chamboule
le marché
Le XIXe siècle voit la découverte de l’extraction
à base de solvants volatils. La chimie organique permet de mettre au point, à un prix intéressant, des produits de synthèse identiques à
certaines plantes naturelles (vanille, fougère,
violette) et Guerlain crée l’événement avec
« Jicky », premier parfum alliant essence naturelle et produits de synthèse. Le parfum s’exhale en trois temps : note de tête (quelques
minutes), note de cœur (éléments essentiels),
note de fond (senteurs persistantes).
Au XXe siècle, la parfumerie entre dans l’ère
de la modernité. Elle devient un art qui
entraîne l’artisanat : verriers, bouchonniers,
ferblantiers, transporteurs, imprimeurs…
Les futures dynasties de parfumeurs s’implantent : Coty, Guerlain, Roger et Gallet,
Rochas… Les grands nez s’imposent : Aimé
Guerlain (« Jicky »), Edmond Roudnitska
(« Eau sauvage » et « Diorissimo »), Ernest
Beaux (« Chanel N° 5 »). Les flacons sont
prestigieux ; ils sont signés Lalique pour
Coty, Cristalleries de Baccarat pour « Shalimar » de Guerlain. Paul Poiret est le premier
couturier à lancer son parfum, « Rosine ».
Chanel, Lanvin et Patou lui emboîtent le
pas. Grâce à la chimie organique, la palette
d’arômes s’élargit, les prix baissent car
l’automatisation permet de lancer de grandes séries sur le marché ; le parfum s’industrialise, se mondialise et se markétise. Une
dizaine de groupes se partagent aujourd’hui
60 % du marché mondial : Lancaster/Coty,
LVMH, l’Oréal, Procter et Gamble... Q
Danièle Grobsheiser
L’information Agricole - N° 837 Mai 2010 | 15
Dossier | De la rose à la violette
Q Parfum
RENAISSANCE
L’origine des sens
D’une époque à l’autre, le parfum trouve sa place au quotidien : thérapeutique,
hygiénique ou instrument de séduction, il reflète les mœurs et les idées.
Invitation au voyage.
L’ANTIQUITÉ
Les plus anciennes preuves de l’existence de l’utilisation de parfums datent de l’Egypte
ancienne, sur des fresques, vases en albâtre ou en terre cuite... Le parfum était alors
strictement réservé au culte des dieux et des morts, en particulier lors de l’embaumement
et de la cérémonie accompagnant l’arrivée du sarcophage au tombeau.
Son usage se répandit par la suite. Le parfum était alors de plus en plus prisé et
apprécié, devenant même indissociable de la vie de tous les jours. Dans la maison,
il y avait deux pièces pour la toilette : l’une était réservée aux femmes, l’autre aux
hommes. L’hygiène avait une grande importance pour les Egyptiens : ils pensaient
ainsi purifier leur corps, et par conséquent leur esprit. Le parfum était utilisé sous
diverses formes : onguent, baume, pommade, encens, eau et huile parfumée... La
plus grande partie des essences était importée d’Inde : pin, myrte, cinnamome.
La Renaissance améliore considérablement les techniques relatives au
parfum. Dans un premier temps avec
la chimie, ensuite avec l’invention de
l’imprimerie qui permet l’édition et
la circulation des ouvrages techniques. On découvre aussi le Nouveau
Monde, d’où les explorateurs ramènent de nouvelles matières premières
comme la vanille, le poivre, le tabac,
le café... Cependant, alors que le parfum est de plus en plus utilisé, l’hygiène
recule, paradoxalement ; on utilise
beaucoup moins le parfum pour la toilette, que pour masquer les odeurs. On
le retrouve partout et sur beaucoup
d’objets : éventails, gants, masques
de velours... C’est d’ailleurs grâce
au développement du parfum qu’à
la fin du XVIe siècle, la ville de Grasse
devient la capitale du parfum.
page réalisée par Jean-Christophe Luclaise
AU MOYEN ÂGE
Au début du Moyen Âge, l’usage des parfums régresse à
cause de la désapprobation de l’Eglise quant à leur utilisation.
Mais la France découvre alors la distillation, avec les Arabes
qui ramènent l’alambic. De plus, les Croisades favorisent les
échanges et l’importation d’essences et de substances telles que musc, santal, ambre... Le parfum fait alors partie de
l’hygiène et de la toilette. On croit même à ses vertus médicinales ; ce sont donc les herboristes et les apothicaires qui vendent épices et arômes. Mais c’est aux gantiers qu’est attribué
le commerce du parfum puisqu’ils s’en servent quotidiennement pour assouplir et parfumer les peaux. Malgré l’interdiction de pouvoir s’appeler « parfumeur », ils finiront par prendre
le titre de « gantier-parfumeur ».
LA PARFUMERIE MODERNE
Aujourd’hui, l’industrie du parfum a une place importante
dans nos sociétés. Il existe une grande variété de senteurs et
chacun peut trouver son bonheur. Le parfum est devenu un
signe de mode, de séduction, de nouveauté et d’originalité.
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D. R.
La fin du XIXe siècle voit la naissance de la parfumerie moderne ;
apparaît alors une véritable industrie du parfum. La chimie
progresse considérablement et donne les premiers produits
de synthèse. Les parfums deviennent de plus en plus élaborés,
avec des senteurs nouvelles, fleuries ou recréées grâce aux
produits de synthèse. On attache de plus en plus d’importance
au flacon et au boîtage, le commerce s’organise et s’amplifie.
Affiche de Bichara, parfumeur syrien, 1930.
De la rose à la violette | Dossier
Q Un trésor de parfum
La Rosa centifolia
Il fait chavirer les sens et son essence vaut son pesant de pétales. Elle, ne fleurit
qu’une fois l’an, en mai. Pourtant Rosa centifolia, la rose aux cent pétales ou
Rose de Mai, est la note plus ultra qui entre dans la composition de nos parfums
les plus réputés. Au compte-goutte mais à prix d’or…
B
ucolique, elle s’épanouit au sommet
de buissons feuillus d’environ 1,50 m,
en petits bouquets rose vif dont le
poids fait ployer les pédoncules. Son nom de
centifolia se réfère à sa quantité de pétales
au point que les Anglais la rebaptisèrent
Rose Chou. Espèce hybride et délicate créée
par des botanistes hollandais au XVIIIe siècle,
elle s’est particulièrement acclimatée dans
la région de Grasse (Alpes-Maritimes). Son
parfum aussi suave que puissant, poudré et
tenace, très recherché, y a été, dès le XVIIIe,
à l’origine de l’essor de sa culture destinée
à la parfumerie.
Aujourd’hui, une trentaine de familles cultivent encore la rose du pays. Ils étaient
5 000 vers 1930. Avec une production de
100 t de roses par an au mieux, les Ets Mul,
une entreprise familiale de Pogomas, représentent plus de 50 % du celle de la région
Grassoise. Associés à la maison Chanel avec
qui ils travaillent depuis 20 ans, ils exploitent 6 ha de champs de Rose centifolia (plus
2 ha pour les nouveaux plants) exclusivement pour le célèbre parfumeur.
Guerre des prix
La région de Grasse fut longtemps la première productrice mondiale de Rose centifolia grâce à son micro climat privilégié.
Jusqu’à l’arrivée massive, au début du
XXe siècle, de roses de Bulgarie, de Turquie
et du Maroc (des Rosa damacena au parfum proche de celui de la centifolia), à des
prix imbattables sur le marché. En 1939, le
kilo de leur concrète (ou essence concrète)1
valait l’équivalent de 1 800 euros, celui de la
centifolia… 4 720 euros2. Et leur production
conjointe de damacena atteignit 13 000 tonnes. Celle de Grasse, les meilleures années,
n’avait jamais dépassé les 3 000 t. En matière
de concrète, les nez ne s’y trompèrent pas
mais seuls les grands parfumeurs continuèrent à payer au prix fort cette fragrance qui
fait toute la différence.
1
La concrète est obtenue par extraction, sous forme de gelée
qui se durcit en refroidissant et sera transformée en absolue,
liquide et soluble dans l’alcool, qui entre dans la composition des parfums. Elle se conserve parfaitement 4 ans.
2
1 kg de concrète coûte actuellement 3 500 euros et donne
environ 600 g d’absolue à 7 000 €/kg.
Concrète de centifolia recueillie après
distillation à vapeur d’eau.
La Rosa centifolia a un pouvoir olfactif
puissant et inégalé.
de 25 kg. Au fur et à mesure de la récolte,
ils sont transportés jusqu’à l’usine d’extraction à deux pas.
Les fleurs fraîches, vidées dans de grandes
corbeilles en osier, sont pesées (250 kg),
puis plongées six heures dans l’extracteur avec un solvant volatile, l’hexane. Le
pouvoir olfactif des fleurs passe des pétales au solvant. Leur concrète est ensuite
recueillie par distillation à vapeur d’eau. « Il
faut 400 kg de roses pour obtenir 1 kg de
concrète », explique le directeur technique
des Ets Mul, qui en produisent environ 2 kg
par jour. « En fin de récolte, nous pratiquons
le “communage”, en fondant la concrète de
tous les bidons pour maintenir une régularité de qualité, avant d’extraire par un
processus de plusieurs heures un liquide,
l’absolue, qui sera envoyé au nez du parfumeur, en l’occurrence Jacques Polge. »
Ensuite, à lui de jouer… Q
Danièle Grobsheiser
Crédit photos : Danièle Grobsheiser
Matière première
précieuse
Dans leurs champs de roses à perte de vue,
chaque année, de 8 h du matin à 15 h, tous
les jours du mois de mai, une cinquantaine
de cueilleurs, sac à la ceinture, entrent en
action. Ils détachent d’un geste précis et
rapide, qui exige entraînement et dextérité,
les petits bouquets odorants : 2 000 à 3 000
à l’heure… 6 kg environ. Chaque sac est
ensuite déversé dans un plus grand, en jute,
STAR DE PARFUMS MYTHIQUES
La Rosa centifolia entre dans la
composition de parfums mythiques :
N° 5 de Chanel, immortalisé par Marilyn
Monroe, Joy de Patou, l’Air du Temps de
Nina Ricci, Calèche d’Hermès, Madame
Rochas… et d’autres plus récents : Anaïs
Anaïs de Cacharel, Eternity de Calvin Klein,
Cartier N° 5… Son parfum inégalable est
l’un des rares que l’industrie chimique ne
parvient pas à reproduire en synthèse.
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Dossier | De la rose à la violette
Q Fabrication
Les différents procédés
Si les Egyptiens comprirent très vite que les bois et les résines dégageaient de subtils parfums en brûlant,
il fallut en revanche plusieurs siècles avant que l’on puisse transformer fleurs, fruits et plantes en essences et en absolus.
Une fois les matières premières disponibles, commence un long travail d’élaboration de l’essence.
D. R.
Les graisses animales (en général un
mélange de graisse de rognon de porc, de
saindoux et de bœuf), puis la vaseline se
substituèrent peu à peu aux huiles, et des
résines, des épices et quelques gouttes d’essence parfumée viennent enrichir ces pommades odorantes.
Les huiles sont ensuite lavées à l’alcool pur
qui se charge de leur odeur. L’opération
peut prendre jusqu’à une semaine et se fait
à très basse température. On réalise alors
une nouvelle filtration pour éliminer les
résidus de corps gras, et une évaporation
du solvant (on chauffe l’alcool pour qu’il
passe à l’état de vapeur et disparaisse du
mélange), ce qui permet d’obtenir à la fin
un absolu, la forme la plus pure et la plus
concentrée d’huile essentielle connue.
Résine de myrrhe. Produite par l’arbre à myrrhe, elle peut être distillée en une huile
essentielle.
Enfleurage
et macération
Cette technique est peu employée aujourd’hui car elle est très ancienne et très coûteuse. Elle a atteint son apogée en 1860 et a
fait la réputation de Grasse, capitale du parfum, dans les Alpes-Maritimes. On l’emploie
pour des fleurs sensibles, ne supportant pas
un chauffage trop élevé, comme le jasmin,
la violette et la rose.
Les matières odorantes ayant une forte
affinité pour les corps gras, les fleurs sont
mises à macérer dans des graisses ou des
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D. R.
huiles, et chauffées (bain-marie ou soleil) et
étalées sur des châssis en bois pendant plusieurs jours. Une fois gorgés de parfum, les
corps gras sont filtrés au travers de tissus de
lin ou de coton ; on obtient ainsi une sorte
d’onguent parfumé.
La rose, l’une des matières premières
végétales les plus nobles pour fabriquer
du parfum.
Expression
C’est une technique simple où les écorces
des agrumes sont pressées à froid pour
extraire leurs huiles essentielles.
Distillation
D. R.
S
elon sa nature et sa fragilité, plusieurs
techniques sont utilisées pour extraire
le parfum de son support naturel :
Fleur de vanille.
La distillation est la méthode la plus
employée pour extraire les huiles essen-
De la rose à la violette | Dossier
le solvant, qui circule en permanence, se
charge d’odeur et conduit, une fois évaporé,
à une masse quasi-solide de substance parfumée.
Il existe enfin d’autres opérations que ces
techniques telles que la rectification, la dis-
tillation fractionnaire, la décoloration… qui
améliorent et raffinent les nombreuses matières premières utilisées pour les mélanges,
et donc pour concevoir les parfums. Q
Jean-Christophe Luclaise
© Rainer Zenz.
LA NATURE EST LE PARFUM
Graines de cardamome, utilisées
aussi en parfumerie.
tielles. Les extraits végétaux sont chauffés
jusqu’à ébullition, l’huile essentielle s’évaporant alors avec les vapeurs dégagées, puis
elle est re-condensée (elle redevient liquide
lorsqu’on la refroidit) et séparée de l’eau.
5 à 6 tonnes de fleurs sont parfois nécessaires
pour obtenir un kilo d’huile essentielle.
Le parfum des fleurs est dû à des substances très élaborées, que les végétaux synthétisent
par métabolisme des corps gras (lipides). Ces substances sont stockées dans différentes
parties de la plante (base des pétales, ovaires...). De ces organes sont d’ailleurs
extraites ces substances que nous connaissons sous le nom d’« huiles essentielles ».
Donc, le parfum des fleurs vient du corps de la plante lui-même qui le synthétise.
Mais quel est l’intérêt pour les fleurs d’avoir un parfum ? Leur parfum est
un exemple de « coévolution », c’est-à-dire d’évolution conjointe entre les
plantes et les animaux. Les fleurs (ou inflorescences) sont parmi les tout derniers
appareils « inventés » par les conifères (gymnospermes) et les plantes à fleurs
(angiospermes). Les fleurs des premiers (les cônes des conifères, par exemple)
sont discrètes et peu ou pas parfumées ; les fleurs des plus « avancées » des
plantes à fleurs (angiospermes) sont voyantes, nectarifères et odoriférantes.
Il faut donc voir dans l’odeur (pas obligatoirement le parfum : l’odeur des arums1,
parfois cadavérique, n’a plus grand-chose à voir avec du parfum !), une disposition
très « avancée » des plantes. L’odeur d’une fleur est à mettre en relation – ainsi que
la couleur, la forme, le nectar de la fleur, les couleurs et les sécrétions des fruits – avec
les agents de pollinisation (pollen) et de dispersion (fruits) de la plante. D’où la notion
de co-évolution. En d’autres termes, l’odeur des fleurs est susceptible de participer
à l’attirance des pollinisateurs. C’est très net dans le parfum (pour nous très discret)
des « orchidées-bourdon », dont le parfum est l’imitation végétale du parfum du
partenaire sexuel du bourdon pollinisateur. Il est fascinant de voir que, bien entendu,
l’insecte est à chaque fois leurré par la plante : ni bourdon femelle avec lequel se
reproduire, ni charogne à déguster : de la fleur et que de la fleur ! Le nectar est alors
présent dans la fleur pour « récompenser » les insectes qui ont été bernés, afin qu’ils
se rassasient et reviennent. Leur appétit sexuel ou alimentaire les a faits s’agiter et ils
repartent de la fleur énervés et, dans le meilleur des cas, repus de nectar, avec une
cargaison de pollen qui leur permettra, à la prochaine escale sur une autre fleur, de la
polliniser sans le savoir. C’est très net aussi pour les odeurs cadavériques des fleurs des
arums : ces odeurs attirent typiquement des mouches, qui prennent l’inflorescence
pour une charogne à déguster et qui, ainsi, deviennent vecteurs du pollen.
Extraction via
des solvants volatils
Cette technique est, elle aussi, utilisée avec
des fleurs ne supportant pas la chaleur ;
des substances diverses, par exemple l’éther,
qui s’évaporent rapidement, sont employées
en parfumerie moderne pour dissoudre les
huiles essentielles de plantes et d’animaux.
Les extraits végétaux (ou animaux) sont
déposés sur des plats en métal perforés,
placés dans un récipient appelé extracteur ;
D. R.
Mais pourquoi chaque fleur a-t-elle son propre parfum ? La réponse pourrait être
parce que chacune a son pollinisateur. L’évolution des animaux et l’apparition de
nouveaux groupes, insectes, oiseaux, chauves-souris, etc. (qui ont parfois des rôles
de pollinisateurs), a induit certaines transformations chez les plantes à fleurs ; elles ont
évolué avec eux, et leur parfum avec elles. Mais l’évolution des insectes pollinisateurs,
par exemple, a-t-elle induit l’évolution du parfum des fleurs ou est-ce l’inverse ? Dans les
deux cas, il existe des explications. Il semble établi que le succès évolutif d’une plante
(le fait que cette espèce se maintienne dans la nature et qu’elle colonise les milieux)
passe par le succès de sa reproduction sexuée, qui repose à son tour grandement sur
le succès de sa pollinisation ; c’est la raison pour laquelle les plantes ont tout intérêt à
s’adapter à tout changement dans l’évolution de leur pollinisateur... et inversement.
L’une des variétés de narcisse.
J.-C. L.
1
Genre d’environ 25 espèces de plantes.
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Dossier | De la rose à la violette
Q Reine des plantes
Lavandes
de Haute-Provence
Cultivée plein champs, la lavande est en Provence la reine des plantes à parfum,
aromatiques et médicinales. La production se concentre sur le plateau de Valensole
et celui d’Albion. Témoignages.
d’Albion. » Elle cultive aussi du blé tendre,
de l’orge et des prairies naturelles. Mais
sur les petites parcelles arides du plateau
vallonné, la lavande est ce qui pousse le
mieux. Les pieds produisent pendant 10 ans
et demandent de l’attention tout au long de
l’année : passer le greffon trois à quatre fois,
préparer les boutures, planter les pieds d’un
an, traiter si des insectes attaquent…
Lavandin
Sur le plateau d’Albion, le village d’Aurel (Vaucluse).
A
l’ombre d’un vaste hangar, Thierry
Barjot surveille les étapes de la distillation. Au cœur du mois de juillet,
trois personnes l’aident à enfourner dans la
cuve des monceaux de lavandes séchées.
Une fois pris leur bain de vapeur, elles
alimenteront le fourneau. En contrebas,
l’alambic fait son œuvre : un mince filet de
liquide doré et odorant coule paisiblement.
La cheminée crache une épaisse fumée qui
EN CHIFFRES…
embaume tout le vallon situé au pied de
Sault (Vaucluse).
Sylvie Barthée-Barjot a repris l’exploitation
agricole de ses parents en 1996. Tandis que
son mari extrait l’huile essentielle, Sylvie
passe 7 à 8 heures par jour sur son tracteur, à couper et ligoter les précieux brins
bleu mauve. « Nous avons 45 ha, plantés
pour moitié de lavandes et de lavandin. Ces
variétés sont bien acclimatées à l’altitude
(800 m), au sol pauvre, caillouteux et aux
fortes variations de température du plateau
Départements de production : Alpes-deHaute-Provence, Drôme et Vaucluse.
Nombre de producteurs : 1 500.
Superficie cultivée en lavande : 3 800 ha.
Superficie cultivée en lavandin : 15 000 ha.
Rendements et prix des huiles essentielles :
20 à 30 kg/ha – 100 €/kg (lavande),
Le couple vend 95 % de sa production
d’huiles essentielles (environ 2 tonnes) à un
grossiste de Montbrun-les-Bains. Le lavandin – puissant – est surtout utilisé pour
parfumer les lessives. La lavande – subtile
et rare – sert la parfumerie, la cosmétique
et l’aromathérapie. Le restant est mis en
flacons pour le plus grand plaisir des visiteurs de passage. Ces essences parfument la
maison et le linge, mais ont aussi des vertus antiseptiques, apaisantes sur les piqûres,
cicatrisantes sur les brûlures. Elles aident à
la relaxation, à la digestion et peuvent être
employées en cuisine.
Sur le plateau de Valensole (Alpes-deHaute-Provence), les gigantesques parcelles sont plantées à 90 % de lavandin. Les
conditions d’exploitation offrent un rendement deux fois supérieur à celui du pays
de Sault. La famille Angelvin1 a choisi, il y a
30 ans, de se concentrer sur la vente directe.
« Nous valorisons nous-mêmes notre production en vendant nos huiles essentielles
et nos sachets parfumés. Nous ne dépendons pas des cours du marché de gros »,
explique Michèle Angelvin. Si le lavandin
français est roi, la lavande de Provence est
en déclin. « En 2005, la production était
de 90 tonnes, en 2009 de 40 tonnes. Les
surfaces diminuent de 6 % chaque année.
La lavande subit un dépérissement dû à
un phytoplasme2. Des recherches sont en
cours », souligne Michel Krausz du Comité
interprofessionnel Huiles essentielles françaises (CIHEF). Q
Alexie Valois
100 à 120 kg/ha – 16 €/kg (lavandin).
Autres pays producteurs de lavande :
Ukraine, Moldavie, Bulgarie, Chine.
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Crédit photos : Alexie Valois
Distillerie de la famille Barthée-Barjot
à Sault (Vaucluse).
1
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Pour en savoir plus : http://lavandesangelvin.site.voila.fr.
Bactérie qui s’attaque aux plantes.
De la rose à la violette | Dossier
Q Séduire
Packaging,
tout un art !
Le packaging a pour fonction de communiquer : c’est le premier échange entre
le produit et le consommateur. Il est un élément déclencheur pour l’achat d’un
parfum et doit donc être attrayant, pour se démarquer des produits concurrents.
Guerlain) et l’Oréal (avec Armani, Cacharel, Lancôme, Lanvin, Ralph Lauren, Paloma
Picasso).
Le marketing fait partie intégrante du
processus de commercialisation. Avant, on
ciblait les cœurs, désormais on a des cœurs
de cible.
Technologie
et esthétisme
Le flacon doit être original et attrayant, la
publicité d’une grande qualité artistique et
la marque souvent représentée par une star.
La distribution d’échantillons, de miniatures
et de cartes parfumées font la joie de collectionneurs et retiennent le consommateur. Le
parfum est entré dans l’ère du zapping où
les créations, parfois très éphémères, prolifèrent pour une consommation de masse
et non d’exception. Il n’y a plus de réelle
tendance, la grande diversité olfactive permet aux femmes d’adapter leur parfum à
leurs envies.
Et les flacons... ? Emballés par l’habillage de
produits de luxe, habillés d’emballages aux
mille visages, nous évoluons désormais dans
un univers d’objets packagés. Le packaging
accompagne chacun de nos mouvements.
Précieuse célébration du contenu, il a donné
naissance à une nouvelle industrie, stimulant
tout à la fois technologie et esthétisme !
Chanel
L
es grandes marques de parfum ont
bien compris la stratégie du packaging
et se donnent les moyens d’innover
et de se faire remarquer avec des emballages toujours plus valorisants pour leurs
produits. L’aspect design et créatif est très
important pour toutes les sortes de parfums
haut de gamme. Mais certaines marques se
font remarquer par leur originalité toujours
plus débordante.
Dans les années 1990, la parfumerie est
entrée dans l’ère de la mondialisation : 10
groupes représentant 80 marques se partagent 60 % du marché mondial : Lancaster/
Coty qui, en rachetant Unilever, est devenu
leader mondial de la parfumerie (avec des
griffes comme Elizabeth Arden, Cerruti, Calvin Klein, Chopard, Joop...), LVMH (avec
Dior, Givenchy, Kenzo, Loewe et surtout
Chanel N° 5, parfum mythique.
belle parure ne s’offre pas dans un sac en
papier. Les parfums les plus précieux appellent à leur tour un emballage raffiné. De
cette exigence est née une nouvelle industrie : le packaging et ses différents métiers.
Le packaging fait partie intégrante du parfum, élaboré, il va stimuler la vue et le touché, ce qui va pousser à la consommation.
Néanmoins, certains jugeront futiles tous les
artifices déployés autour de ces produits de
consommation, quand d’autres pourront
être réticents à tester des produits hors du
commun. Et vous, êtes-vous influencé par
les packagings ? Ces produits deviennent
bien plus que des cosmétiques grâce à leur
habillement… de véritables petits bijoux.
Du grand luxe… Q
Jean-Christophe Luclaise
Parfum de Bourjois, « Soir de Paris », 1950.
© Alfredo Piola/Artlist
D. R.
La première
impression…
It’s the packaging that makes the first impression. Maintenant, comment se débrouiller
pour que l’habillage soit le meilleur ? La plus
L’information Agricole - N° 837 Mai 2010 | 21