Jean-Baptiste GILLET - Gestion et Finances Publiques

Transcription

Jean-Baptiste GILLET - Gestion et Finances Publiques
articulation des acteurs
Une nouvelle
fonction financière
à la Défense
Jean-Baptiste GILLET
Directeur des affaires financières
du ministère de la Défense
Ancien élève de l’Ecole nationale d’Administration
(promotion « Denis-Diderot »)
Chef de service, adjoint au directeur général
de la Comptabilité publique
Directeur adjoint à la Direction générale
de la Comptabilité publique,
responsable de la sous-direction
« Etudes, coordination, réseau et budget »
1997-1999
E
n choisissant de « faire la réforme par le budget »,
la LOLF met profondément sous tension
l’ensemble des acteurs du système budgétaire et
financier de l’Etat et en particulier les directions
financières des ministères. Dans le cas de la Défense, la
question de l’articulation des rôles des différents acteurs
a naturellement été très présente dans les travaux de
mise en œuvre de la LOLF. Celle-ci invite à une évolution
très marquée des métiers financiers et appelle la
fonction financière de l’Etat à s’interroger sur sa propre
performance et sur sa propre transformation.
sement de la réforme voulue aux débuts de la Ve République par
le général De Gaulle avec la fusion des ministères de la Guerre, de
la Marine et de l’Air. Mais plus encore qu’une nomenclature descriptive, l’architecture des programmes budgétaires de la défense
établit un cadre dans lequel s’organise non pas la gestion, mais le
pilotage, autour d’un lien fort entre le budget et les objectifs de
performance. Du fait de la taille des programmes comme de la
multiplicité des acteurs impliqués, cette dimension de pilotage
tend à s’incarner, naturellement dans la fonction nouvelle de responsable de programme, mais aussi au travers d’instances nouvelles marquées par la montée en puissance de la collégialité.
La LOLF, outil de transformation
du ministère de la Défense
transformation
La fonction de responsable de programme est une grande
nouveauté permise par la LOLF. A la Défense, elle est venue se
substituer aux fonctions traditionnelles de « gouverneur de crédits », propre à ce ministère, mais qui avait le mérite de bien
distinguer deux types de fonctions dans la mise en œuvre du
budget : d’une part, celle qui relève de la définition des orientations, des choix et du pilotage, d’autre part celle qui relève de la
gestion. Le fait marquant permis par la LOLF est que la nouvelle
architecture budgétaire a conduit à supprimer les attributions traditionnelles des gouverneurs de crédits, qui étaient les chefs
d’état-major de chacune des trois armées. En effet, si le ministère
de la Défense a été unifié au début des années 1960, chaque
armée a conservé une section budgétaire propre jusqu’en 1993,
date de la création de la section budgétaire « défense » ; pour
autant, depuis cette date, chaque chef d’état-major avait
conservé ses attributions de gouverneur de crédits, sur le fondement d’un décret de 1982. Cette situation était en réalité
peu favorable à la prise en compte efficace de la dimension interarmées qui s’impose aux armées modernes. La stratégie ministérielle de réforme avait au demeurant identifié, dès 2003, la question de la clarification des responsabilités comme une ligne directrice majeure de l’évolution du ministère.
La mise en œuvre de la LOLF s’est accompagnée d’un changement en profondeur des grands paramètres régissant la vie budgétaire du ministère. L’effet le plus visible de cette réforme est
naturellement le bouleversement de l’architecture budgétaire
traditionnelle et le passage de la cinquantaine de chapitres des
sections budgétaires « défense » et « anciens combattants » aux
neuf programmes relevant de quatre missions : deux missions
ministérielles (« défense » et « anciens combattants, mémoire et
liens avec la nation » et deux missions interministérielles (« sécurité » et « recherche et enseignement supérieur »).
Cette nouvelle architecture budgétaire recouvre en réalité une
transformation de grande ampleur des chaînes de responsabilité
au sein du ministère, chaînes de responsabilité dont la dimension
budgétaire est naturellement une dimension fondamentale.
Dans cette perspective, il n’est pas faux de dire que la LOLF a
été, pour le ministère de la Défense, l’instrument, ou le levier,
d’une transformation, dont les attendus et les objectifs sont
d’une nature tout autre que budgétaire ou comptable : réforme
de la délégation générale pour l’armement (DGA), réforme des
attributions des chefs d’état-major, placés sous l’autorité du chef
d’état-major des armées (CEMA), création de services ou d’établissements communs dans les domaines de la maintenance des
matériels (SIMMAD) [1], de l’approvisionnement (Economat des
armées), des archives (SHD) [2], de l’informatique (DIRISI) [3], ou de
l’infrastructure (SID) [4].
La LOLF a été l’occasion d’une rupture nette avec ce mode
d’organisation, en confiant les responsabilités budgétaires à de
nouveaux acteurs, qui préexistaient naturellement dans l’organisation administrative antérieure, mais qui ne disposaient pas des
leviers budgétaires indispensables. Simultanément, des réformes
Ainsi, bien plus qu’une nouvelle nomenclature, plus ou moins
plaquée sur une organisation stable, la LOLF a entraîné la mise en
cohérence de nouvelles responsabilités budgétaires avec un
schéma d’organisation ministériel sensiblement transformé.
D’une certaine façon, on a pu dire que la LOLF a permis l’aboutis-
(1) Structure intermarmées de maintenance des matériels aéronautiques de la
Défense.
(2) Service historique de la Défense.
(3) Direction intermarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la Défense.
(4) Service d’infrastructure de la Défense.
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priorités ministérielles dans l’élaboration budgétaire, au travers
des grandes politiques menées au niveau ministériel ; il porte aussi
sur le suivi de l’exécution budgétaire et la vérification continue de
sa soutenabilité sur un horizon annuel, mais aussi pluriannuel,
même si cette dernière ambition soulève d’importantes questions
méthodologiques ;
majeures de l’organisation administrative sont venues assurer la
cohérence de l’organisation avec cette architecture budgétaire
rénovée :
– le chef d’état-major des armées (CEMA) s’est vu confier la
responsabilité du programme « préparation et emploi des forces »,
qui regroupe l’ensemble des moyens en effectifs et de fonctionnement des trois armées, et des services interarmées. Simultanément, les décrets des 19 et 21 mai 2005 ont consacré l’autorité
du CEMA sur les chefs d’état-major de chacune des trois armées,
dont il était convenu qu’ils exerceraient la responsabilité sur des
budgets opérationnels de programme ;
– le troisième objectif sera de favoriser l’exercice concret de
la déconcentration financière au sein du ministère. Dans un premier temps, les budgets opérationnels de programme sont de
niveau central : c’est notamment le cas de chacun des « BOP
d’armée ». Il ne fait pas de doute que l’efficacité conduira à rechercher un plus grand niveau de déconcentration, c’est-à-dire de
responsabilisation d’échelons intermédiaires dans la gestion budgétaire et la performance.
– le secrétaire général pour l’administration (SGA) s’est vu
confier la responsabilité du programme de soutien de la politique
de défense, lequel regroupe notamment, outre les moyens de
l’administration centrale, les moyens relatifs à l’immobilier et à
l’infrastructure, les crédits de l’informatique d’administration
générale de l’ensemble du ministère, ainsi que les crédits d’action
sociale ;
Ces préoccupations ont nécessité la création de structures ad
hoc de pilotage des programmes – question particulièrement sensible dans le cas d’un programme « copiloté », mais aussi d’instances ad hoc de « gouvernance » : les programmes se sont ainsi
dotés d’instances collégiales (comité directeur / comité de pilotage), qui garantissent en particulier l’association des chefs d’étatmajor d’armées à l’élaboration des choix, dans le cadre d’une
« collégialité arbitrée ».
– le chef d’état-major des armées et le délégué général pour
l’armement (DGA) se sont vu confier la responsabilité du programme « équipement des forces » ; cette coresponsabilité –
longuement débattue tant au sein du ministère qu’en dehors, est
une solution originale qui s’est en définitive imposée, non pas
comme un compromis, mais comme la reconnaissance de la complémentarité de ces deux acteurs dans la définition et la conduite
de la politique d’équipement des armées. En rupture par rapport
à la situation antérieure, les crédits d’équipement ne sont plus
« partagés » entre les armées – situation qui conduisait par
exemple à voir les crédits du programme Rafale partagés selon
des logiques incertaines entre l’armée de l’air et la marine – mais
regroupés et identifiés selon des logiques plus nettes. Ce nouveau
schéma budgétaire est venu accompagner la réforme de la délégation générale pour l’armement ;
Au niveau ministériel, ce bouleversement du mode de fonctionnement budgétaire devait évidemment s’accompagner de la
fixation d’un ensemble de règles propres à assurer un fonctionnement harmonieux et cohérent : une « charte ministérielle de
gestion » a ainsi été élaborée, fixant un ensemble de règles du
jeu, par exemple sur l’organisation des processus du dialogue et
du suivi de gestion. Ces suivis de gestion, organisés trimestriellement sous la conduite du directeur des affaires financières, viennent rythmer la vie financière du ministère et mettre en état le
ministre et son cabinet d’arrêter les décisions de fond relatives à
l’exécution du budget. Là encore, le souci de collégialité a conduit
à la création d’instances dont les attributions sont précisées dans
la charte ministérielle de gestion : un comité de gestion, présidé
par le ministre, ou en pratique son directeur de cabinet, se réunit
quatre à cinq fois par « cycle budgétaire ». Le directeur financier
rapporte devant ce comité pour les questions de son ressort (5),
en s’appuyant sur les travaux d’un comité financier qu’il est chargé
d’animer.
– enfin, le directeur délégué aux affaires stratégiques assume
la responsabilité du programme « prospective et environnement
de la politique de défense », qui regroupe notamment les moyens
des services de renseignement, les crédits d’étude et de
recherche, et les moyens de la diplomatie de défense.
Parallèlement, le directeur général de la Gendarmerie nationale
assume la responsabilité d’un programme spécifique au sein de
la mission « sécurité » et le SGA dirige les programmes de la mission
« anciens combattants, mémoire et liens avec la nation ».
La direction financière est ainsi « l’échelon de synthèse » ministériel dans le domaine budgétaire et financier. Cette responsabilité
comporte évidemment une double responsabilité spécifique, qui
est celle de garantir la bonne fin de la procédure budgétaire pour
ce qui concerne son département ministériel et de donner au
ministre les moyens de maîtriser l’exécution du budget, dans les
limites fixées par la loi de finances. L’émergence de responsables
de programme, qui ont bien entendu également sur ces deux
plans une responsabilité propre, ne fait pas disparaître cette responsabilité exercée vis-à-vis du ministre.
La transformation
des métiers financiers
m é t i e r s
Schématiquement, le directeur financier doit, sans être luimême arbitre, mettre le dossier budgétaire « en état » d’être
arbitré dans sa globalité par le ministre, compte tenu de la multiplicité des contraintes qui l’environnent. Or, si les responsables
de programme peuvent tous légitimement présenter un point de
vue budgétaire, celui-ci est nécessairement « sectoriel ». Les mots
clés de cette étape sont ceux d’exhaustivité, de synchronisme, de
cohérence et, si possible, de collégialité. Celle-ci conditionne en
effet la prise en compte de l’ensemble des points de vue transverses qui doivent concourir à la décision et en particulier les
points de vue capacitaire et opérationnel, portés par le CEMA,
responsable de la programmation militaire.
Ce contexte de profonde évolution devait naturellement
s’accompagner d’une transformation des responsabilités budgétaires exercées par la direction financière au niveau ministériel. Il
s’agit en effet de poursuivre un double, voire triple objectif :
– il était d’abord indispensable d’affirmer de manière concrète
la plénitude des responsabilités des responsables de programme,
sauf à priver la réforme d’une part essentielle de sa substance.
Cette responsabilité porte sur les choix d’allocation des ressources, tant au stade de la construction budgétaire qu’en phase
d’exécution du budget, si des événements impliquent des réallocations de ressources en cours de gestion. Cette responsabilité
est le corollaire naturel de la responsabilité sur les objectifs de
performance ;
Cette responsabilité comporte aussi un aspect matériel qui
ne saurait être négligé, parce qu’il est exigeant : s’agissant de la
procédure budgétaire, cela signifie garantir une organisation du
travail au niveau ministériel qui assure le respect des calendriers
– parallèlement, il convenait de garantir le maintien – voire le
renforcement – de la cohérence transverse (au niveau ministériel
c’est-à-dire interprogrammes), dans les domaines financiers,
comme des ressources humaines. En d’autres termes, ne pas
substituer un cloisonnement à un autre ! Ce souci de cohérence
transverse, qui repose d’abord sur la mise en œuvre de la programmation militaire, porte évidemment sur la traduction des
(5) Ainsi que le directeur de la fonction militaire et du personnel civil pour les
questions touchant à la gestion des ressources humaines au niveau ministériel. La GRH,
également profondément touchée par la LOLF, fait l’objet d’une « charte ministérielle
de la GRH en mode LOLF » et les DRH ministériels se réunissent désormais avec les
responsables de programme dans le cadre d’un « comité RH ».
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Deux exemples permettent de mesurer l’importance des données de comptabilité patrimoniale pour la gestion du ministère
de la Défense :
– les stocks ont été évalués au ministère de la Défense à
environ 32 milliards d’euros (valeur non dépréciée), soit l’équivalent de deux fois la valeur du patrimoine immobilier affecté à la
Défense, ou plus de deux années de budget d’équipement militaire. On perçoit aisément que raisonner sur le montant du budget
du ministère de la Défense, sans se poser la question des variations
de stocks, risque de conduire à des erreurs de raisonnement
lourdes de conséquences, tant sur le plan budgétaire que sur le
plan opérationnel. Cette problématique est évidemment très spécifique à la Défense, puisque la Cour des comptes estime que les
stocks de ce ministère représentent 98 % du montant global des
stocks de l’Etat. Or, elle est tout à fait cruciale pour appréhender
la réalité économique de fonctions majeures telles que le maintien
en condition opérationnelle. Cette fonction exige la constitution
et la gestion de stocks importants et l’on voit bien que la connaissance des seuls flux budgétaires – et de leurs à-coups annuels –
ne donne qu’une vision très imparfaite d’une réalité infiniment
plus complexe ;
– les charges à payer (8) à fin 2005 sont évaluées à 2,7 milliards
d’euros, soit environ un mois et demi de paiements de l’ensemble
du ministère. Ici encore, on voit bien que la connaissance du
budget et la maîtrise de son exécution dans le temps requiert
d’intégrer ce type d’élément, aujourd’hui mal appréhendé dans
la gestion budgétaire de l’Etat.
interministériels et la production complète des informations
requises pour l’information du Parlement, spécialement dans les
projets annuels de performance. Le profond renouvellement qualitatif et quantitatif de l’information délivrée au Parlement avec la
LOLF donne évidemment à cette fonction un prisme très particulier, qu’il s’agisse de la justification des crédits, de l’analyse du coût
des actions ou de la documentation de la performance. La direction financière n’exerce pas sur toutes ces informations une responsabilité de même nature ou de même niveau, mais il lui faut
veiller à la présence, mais aussi à la qualité, à la fiabilité et à la
cohérence de ces informations. Dans le même esprit, il s’agit aussi
d’organiser le travail de réponse aux questionnaires parlementaires (6), même s’il faut évidemment souhaiter que la pratique
de la LOLF permette progressivement de simplifier ces questionnaires, notamment en repérant les informations qui font « double
emploi » entre les bleus et les « QP » (7).
A partir de 2007, cette responsabilité s’enrichira de la responsabilité de production des rapports annuels de performance : alors
que les directions financières d’entreprises ont une longue pratique de l’information financière, les directeurs financiers de l’Etat
n’en sont qu’aux balbutiements de cette discipline exigeante du
compte rendu, pour laquelle l’autorité politique attend de la direction financière qu’elle garantisse la qualité et la fiabilité de l’information. C’est un enjeu important de sincérité vis-à-vis du Parlement et de l’opinion, mais c’est aussi pour l’institution un enjeu
important de crédibilité. Le processus de production des RAP – qui
reste à préciser – sera aussi un facteur de transformation de la
fonction financière.
D’une manière générale, on peut estimer que la Défense
regroupe une très grande part des problématiques comptables
rencontrées par l’Etat (9) et présente certaines questions bien
spécifiques, telles que celles liées à la valorisation des équipements
militaires. Cet état de fait et les enjeux que recouvre l’information
comptable à la Défense exigent un investissement tout à fait
considérable dans un métier largement nouveau et pour lequel
les compétences sont relativement peu présentes dans les ministères. Or, si la comptabilité traditionnelle de l’Etat pouvait être
raisonnablement maîtrisée par le comptable public, en situation
de quasi-monopole sur la circulation de l’information en cash,
l’information de comptabilité générale trouve fondamentalement
sa source dans l’activité du ministère : en grande partie dans l’activité des services gestionnaires (notamment s’agissant des processus d’achat), mais pour partie également dans le fonctionnement général du ministère, où se produisent de multiples « faits
générateurs », par exemple en matière de dépréciation d’actifs.
D’une certaine manière, la défense s’est préparée à ce nouvel
exercice, du fait de l’initiative prise par la Commission de la
défense de l’Assemblée nationale. Depuis 2003, la Commission de
la défense est en effet reçue au ministère, par le cabinet du
ministre et les grands responsables du ministère, pour un compte
rendu d’exécution budgétaire. En cela, la commission manifeste
un intérêt du Parlement qui se déporte progressivement de la
phase de discussion du prochain budget pour s’intéresser à la
réalité de l’exécution du budget en cours et au compte rendu de
l’exécution du budget passé. Cette échéance trimestrielle, qui est
l’occasion pour la commission d’interroger directement les chefs
d’état-major, le directeur général de la Gendarmerie nationale ou
le délégué général pour l’armement sur tel ou tel aspect de leur
action, donne lieu à la communication préalable d’un dossier établi
par la direction des Affaires financières selon une méthodologie
concertée entre les services et les parlementaires. La force de
l’exercice réside dans son côté systématique et dans le respect
d’un formalisme rigoureux quant aux informations ainsi rassemblées et qui ont été mises « au format LOLF » début 2006. L’austérité apparente de l’exercice n’a pas entravé la tenue de ce
rendez-vous selon le rythme annoncé depuis le début de la législature, qui préfigure d’une certaine manière le renforcement du
rôle du Parlement dans le contrôle de l’exécution du budget.
Le ministère de la Défense peut indéniablement s’appuyer sur
des processus maîtrisés et contrôlés, par exemple en matière
d’inventaires : d’une manière générale, les stocks d’armes et de
munition, les équipements militaires font l’objet, pour d’évidentes
raisons, d’inventaires minutieux et rigoureusement contrôlés.
Les règlements militaires prévoient d’une manière générale des
dispositions rigoureuses en matière de préservation du patrimoine de l’institution (10) et confient à certains agents – notamment les commissaires des trois armées – des responsabilités particulières en matière de contrôle et de surveillance. En revanche,
ces mêmes processus s’avèrent largement déficients en matière
de valorisation des actifs, parce que ce n’était pas leur objet.
Le domaine des passifs – par exemple la question sensible des
provisions pour démantèlement ou dépollution de terrains ou
de matériels militaires – soulève également des questions très
délicates.
Trait marquant et commun de ces différents exercices : ils
reposent sur une capacité de centralisation de production et de
garantie de l’information. Cette fonction sera au cœur de la rénovation et de la transformation du métier financier. A court terme,
il faut constater que si les systèmes du palier 2006 ont tant bien
que mal permis d’assurer le redémarrage de l’exécution de la
dépense, ils sont encore – au mois de mai 2006 – défaillants dans
la production de l’information strictement nécessaire au suivi de
l’exécution budgétaire, situation qui ne saurait perdurer sans
dommages.
Au-delà des travaux considérables entrepris pour la constitution du bilan d’ouverture, des efforts importants et soutenus
devront donc être durablement consentis, notamment dans le
domaine des systèmes d’information.
Avec la LOLF, et en admettant cette difficulté surmontée,
l’information devient à la fois plus complète, mais aussi plus diffuse et plus complexe à traiter et à interpréter : cette évolution
n’est qu’à ses débuts. En effet, alors que la fonction budgétaire
reste très marquée par la comptabilité budgétaire en engagements et en trésorerie, la comptabilité générale doit devenir progressivement une source essentielle de l’information de gestion.
l’information en trésorerie – qui ne peut évidemment être
négligée – est fortement réductrice de la réalité.
(6) Approcher le taux de 100 % des réponses à 1 300 questions dans le délai organique exige une organisation et une discipline ... toutes militaires !
(7) Ce qui pourrait se traduire par un enrichissement des PAP, mais ceux-ci doivent
rester des documents maniables.
(8) Y compris dettes envers les fournisseurs d’immobilisations.
(9) Y compris la question de la comptabilisation des instruments de couverture sur
marchés financiers.
(10) Il s’agit sans doute d’un héritage très positif de l’époque de la conscription,
repris dans le nouveau statut général de militaires.
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C’est une des responsabilités primordiales de la direction financière que d’animer ces travaux au sein du ministère, en mobilisant
de très nombreux acteurs de terrains, avec l’appui du département comptable ministériel, qui doit être à la fois, dans cette
mission, l’auxiliaire du directeur financier et le garant vis-à-vis de
la Cour des comptes de la qualité des processus mis en œuvre. La
qualité de la collaboration qui s’est instaurée avec le DCM Défense
depuis sa préfiguration en 2004 doit à cet égard être soulignée.
renforcements, au profit des nouveaux métiers liés à la LOLF, ne
pourront probablement être assurés en partie que par redéploiement, c’est-à-dire par des gains de productivité à réaliser sur
l’ensemble de la chaîne financière.
La maîtrise de l’information doit en effet pouvoir s’appuyer sur
des processus qualité maîtrisés. Force est de reconnaître que les
systèmes d’information disponibles sont loin d’offrir aujourd’hui
toutes les garanties nécessaires. Plus généralement, les directions
financières devront être parties prenantes très actives des processus de contrôle interne et d’audit, en relation tant avec les
comptables qu’avec les corps de contrôle.
Le projet de réingénierie des macroprocessus initié par la DGME
a été l’occasion pour le ministère de la Défense de s’approprier
une démarche novatrice, en y associant largement les services
concernés sous l’impulsion de la direction financière. Le premier
trimestre 2006 a été l’occasion de définir le positionnement du
ministère au regard de la « cible interministérielle » et d’identifier
un programme d’expérimentations couvrant la quasi-totalité des
macro-processus identifiés. C’est naturellement dans le domaine
de la chaîne de la dépense que les expérimentations les plus significatives seront lancées, avec des expérimentations du service facturier ou l’extension de la carte d’achat, y compris à des unités
militaires (notamment une ou deux bases aériennes, ainsi vraisemblablement qu’un régiment). Des expérimentations seront
également menées dans le domaine des recettes, avec la mise à
plat dans un service volontaire de l’ensemble de chaîne de gestion
des recettes, y compris le traitement des facturations internes.
Les nouvelles exigences de la LOLF, et notamment l’inscription
dans le projet de loi de finances des évaluations de recettes rattachées à chaque programme, rendent en effet cette fonction,
aujourd’hui quasi inorganisée, tout à fait critique.
Des acquis ont déjà été obtenus, par exemple en regroupant
les assignations de dépenses du ministère sur une dizaine de pôles
comptables, contre plus d’une trentaine de trésoreries générales
auparavant.
Au-delà de la mise en œuvre de ces processus comptables, la
maîtrise de l’information exige aussi de pouvoir s’appuyer sur une
capacité d’analyse et d’interprétation, mise au service des processus de décision, notamment en matière budgétaire et d’allocation des ressources. Ce doit être l’ambition de la fonction financière que d’être de moins en moins impliquée matériellement
dans les processus d’exécution des opérations et de reporter de
plus en plus sa valeur ajoutée vers la mobilisation de l’information
au profit des processus de décision. De ce point de vue, le rapprochement entre la fonction financière et la fonction de contrôle
de gestion est sans doute une orientation de fond qui devra être
encouragée.
La fonction financière ne répondra aux nouveaux enjeux de la
LOLF, qui exigent des renforcements quantitatifs et qualitatifs
dans de nouveaux domaines, qu’au prix d’une démarche soutenue de réorientation du procédural vers l’informationnel : c’est
cette orientation qui a, par exemple, conduit la DAF du ministère
de la Défense à se retirer totalement du processus traditionnel
d’ordonnancement dès 2004 (mise en œuvre du progiciel
ACCORD 1 bis), afin de dégager des ressources au profit de la
maîtrise de l’information.
Dans certains cas, les travaux ainsi menés ont conduit le ministère à formuler des propositions d’aménagement réglementaires.
D’une manière générale, force est de constater que la modernisation fondamentale des processus financiers reste liée à l’arrivée
des futurs systèmes d’information. Le projet CHORUS est totalement structurant à cet égard.
Plus généralement, le ministre de la Défense a demandé la mise
au point d’un « plan d’action » en faveur de la performance de la
fonction financière : Il s’agit, en capitalisant sur la dynamique de
la LOLF de promouvoir et de rechercher activement la performance au sein des fonctions financières. Après cartographie des
fonctions couvertes par ce plan d’action, il s’agira d’identifier des
actions précises autour d’un certain nombre d’axes de travail tels
que : la simplification des circuits, des réseaux et des procédures,
l’amélioration de la qualité et de la fiabilité des prévisions, la qualité
des délais d’exécution des opérations, notamment en matière de
délais de paiement, etc. Il s’agira aussi de connaître – pour agir –
les ressources effectivement allouées aux fonctions financières
(effectifs, coûts), de mettre au point un tableau de bord de la
performance de la fonction financière et de s’en servir comme
outil d’animation des réseaux financiers.
La performance
de la fonction financière
f o n c t i o n
La fonction financière dans un ministère repose sur un
ensemble de processus, dont les fondements sont largement juridiques et réglementaires et dont la conception correspond à un
état des techniques, marqué par l’écrit et le cheminement physique de l’information entre acteurs. Philosophiquement, il correspond aussi à une approche fondée sur la méfiance a priori, se
traduisant par la multiplication des étapes et des contrôles interruptifs. Il faut absolument veiller à ce que la LOLF ne se traduise
pas par le redoublement de dispositifs de contrôle et de comptes
rendus sans valeur ajoutée, même s’il existe une tendance naturelle à aller dans ce sens.
0
Parmi les multiples défis que doit relever la fonction financière
des ministères, la transformation des métiers est un des plus
redoutables, alors que les métiers financiers au sein de l’Etat sont
paradoxalement confrontés à une forme de crise des vocations.
Le risque de lassitude devant des réformes encore mal outillées,
ou face à la surcharge de procédures nouvelles, donne parfois
des métiers financiers l’image de la « mine de sel » (12), alors que
les calendriers de travail s’avèrent de moins en moins réalistes.
Cette question ne pourra pas être résolue sans un effort puissant
de simplification, dont nous devons avoir l’audace collective !
Or, la fonction financière de l’Etat est confrontée, comme les
autres fonctions, au défi de sa propre performance. Cette question revêt une sensibilité particulière au ministère de la Défense,
dont l’activité opérationnelle est largement dépendante de l’efficacité de ses chaînes financières. En termes de coût également,
la fonction financière, entendue dans son sens le plus strict (11),
est évaluée à quelques milliers d’emplois dans l’ensemble des services et entités du ministère. L’enjeu de productivité sur cette
fonction de soutien est donc d’autant plus significatif que les
쏋
(11) Hors fonctions telles que la paie, les achats, etc.
(12) Il s’agit malheureusement d’une citation rigoureusement authentique.
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