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Le sujet
LE TRAVAIL ET LA TECHNIQUE • SUJET
Le plan
La première partie clarifie les termes en se fondant sur la notion de
métier afin de permettre, dans un deuxième temps, de dégager le sens
d’une opposition. La dernière partie propose la définition jugée être la
plus appropriée.
La raison et le réel
L’erreur consiste à faire une simple typologie des formes de travail. Si
des exemples doivent être donnés, ils ne sont pas par eux-mêmes des
arguments. On doit aussi considérer les significations possibles de la
notion d’opposition sans oublier qu’elle présuppose un point commun.
S’opposer n’est pas synonyme d’être indépendant, même si chaque
tâche a sa spécificité.
La culture
■ Éviter les erreurs
Nous sommes habitués à distinguer, et même à opposer le travail manuel et
le travail intellectuel. Ce faisant, nous opérons une division à l’intérieur du
genre du travail. Il est vrai que les parcours scolaires, les cycles d’apprentissage donnent une dimension institutionnelle à ce partage. Le contenu des
études et des diplômes sont différents. Quelle est cependant la valeur de
cette scission ? En nous posant cette question, le sujet nous invite à interroger le fondement d’un état de fait. Est-il légitime ? Quelles sont ses
raisons ? On peut penser qu’elles obéissent à une nécessité, mais celle-ci
est peut-être seulement d’ordre historique. De plus, cette opposition
implique une hiérarchie. Nous savons que le travail manuel est tenu dans
une dignité moindre. Ce classement est-il purement idéologique ? Après
tout, ces deux activités appartiennent au même genre. Au nom de quoi
créer ce contraste, voire cet antagonisme ?
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La morale
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Sujets d’oral
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LE TRAVAIL ET LA TECHNIQUE • SUJET
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1. La notion de métier
A. Métiers manuels
La distinction du manuel et de l’intellectuel est ancienne. Le Moyen Âge
sépare ainsi les arts mécaniques et les arts libéraux. Les premiers impliquent une action de l’homme sur la nature, ils mettent en jeu son corps,
utilisé comme un instrument ou le moyen de manier des outils. Le
manœuvre est, encore aujourd’hui, celui qui agit sur la matière, ce qui
nécessite de l’habileté et de la force physique. Le travail manuel s’associe à
la technique ou plus exactement à la technicité de l’homme, cet être
capable de fabriquer ses outils et d’en varier indéfiniment la fabrication.
Cette opération est, selon Bergson, le propre de l’intelligence. La nature ne
donne pas d’elle-même ce dont nous avons besoin. Il est indispensable de
la transformer, et donc de posséder du savoir-faire acquis par des exercices
répétés. Un apprentissage est donc obligatoire. Le caractère mécanique de
ces arts ne signifie pas qu’ils sont platement répétitifs, mais qu’ils mettent
en œuvre des dispositifs ingénieux pour dominer les éléments naturels. Mais
alors, pourquoi refuse-t-on à ces métiers le qualificatif d’intellectuel puisqu’ils
ne sont pas dénués de pensée ?
B. Métiers intellectuels
Comme l’a montré l’historien Jacques Le Goff, la notion de travail intellectuel
est lié à l’apparition, au XIIe et XIIIe siècles, des universités, elles-mêmes solidaires du développement des villes. Il faut qu’apparaissent des corporations
pour que l’idée de l’intellectuel prenne une forme institutionnelle. Le professeur appartient à un groupe défini par des droits et des devoirs, au point que
l’on peut parler d’un pouvoir universitaire comme il y a un pouvoir monarchique et religieux. Ce travail consiste donc dans l’exercice d’un métier,
tourné vers la recherche et l’enseignement, dont les règles de fonctionnement
étaient précisément codifiées et que sanctionnaient des examens. Cette mise
au point historique nous permet de constater que les ressemblances formelles avec le travail manuel sont frappantes. Nous rencontrons dans les
deux cas l’idée d’apprentissage, qui implique une transmission du savoir
selon des voies hiérarchiques, et des mises à l’épreuve progressives qui
s’achèvent par la reconnaissance d’une capacité. Ce sont des métiers rétribués par un salaire. Il y a certes des différences notables dans le contenu et
l’objet de ces pratiques, mais cela justifie-t-il une opposition ?
2. Les raisons de l’opposition
A. Le rôle de la main
Henri Focillon, dans son Éloge de la main, montre à quel point cet organe
est lié à l’intervention de l’homme sur la nature. La main opère sur le donné
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B. La liberté de l’esprit
Les arts libéraux étaient formés de deux ensembles : le trivium comprenait
la grammaire, la rhétorique et la dialectique ; le quadrivium l’arithmétique, la
géométrie, l’astronomie et la musique. L’ensemble définit un domaine
global, celui de la science, c’est-à-dire du savoir théorique. Les Grecs
parlent déjà de theoria, pour désigner les activités de l’esprit qui cherchent
à connaître la vérité, et non à utiliser la nature au moyen de procédés ingénieux. Le géomètre veut trouver les propriétés éternelles des figures comme
l’arithméticien se passionne pour celles des nombres. Dans la République,
Platon distingue soigneusement la quête du savoir pour lui-même de ses
éventuelles applications pratiques. Si la géométrie peut servir à tracer les
plans d’un camp militaire, on ne dira pas qu’elle trouve là sa plus haute
fonction. Ici prévaut l’idée selon laquelle le travail intellectuel s’oppose par
sa dignité à l’œuvre des mains. En effet, la modification de la nature a beau
manifester notre intelligence, elle reste le signe de notre dépendance à
l’égard de besoins nécessaires que nous partageons avec les animaux,
même si nous les satisfaisons autrement. Le travail manuel reste lié à la
matière, quand le travail intellectuel permet à l’esprit de s’épanouir pleinement dans des activités que seuls les hommes peuvent accomplir. Savoir
user correctement des noms, construire un discours et argumenter de différentes façons sur un même sujet témoigne de la liberté de l’esprit, de son
autonomie, quand la construction de biens utiles nous rappelle notre
dimension d’être naturel voué à consommer et à user ce qu’il produit.
[Transition]
La raison de l’opposition résiderait donc dans la capacité des métiers à permettre à l’esprit d’exercer sa puissance de façon plus ou moins forte. Une
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naturel, ce qu’atteste l’étymologie du mot « chirurgie » : elle sert à prendre,
à séparer, à repousser, quand les yeux, le nez et les oreilles sont d’abord
réceptifs. Aristote soulignait déjà que la main est « l’outil universel »
puisqu’elle permet de tout tenir et qu’elle fait parfois office de marteau, de
pince ou de griffe. Le travail manuel est donc par essence destiné à répondre
à la satisfaction de nos besoins naturels. L’homme n’ayant pas reçu de la
nature des moyens de protection et de subsistance suffisants, il doit les produire par son ingéniosité technique. Main et intelligence forment un couple
indissociable puisque celle-ci ne pourrait se réaliser sans la polyvalence de
celle-là. Cette analyse permet de voir que le travail manuel apparaît dans le
cadre d’une séparation de l’homme et de la nature, qu’il entend surmonter
par son activité de transformation et de production. Or dans le cas des intellectuels, le rapport aux besoins naturels n’est pas premier.
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Sujets d’oral
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difficulté subsiste cependant. Ces activités sont-elles vraiment contraires si
elles appartiennent toutes les deux au genre du travail ?
3. La nature de la relation
A. Une opposition idéologique ?
La Grèce antique n’a pas produit le concept de travail au sens où nous
l’entendons aujourd’hui car elle repose sur la thèse d’une inégalité fondamentale des hommes. Dès lors, il n’y a pas de commune mesure entre le
labeur d’un esclave et les spéculations du savant. C’est pourquoi l’idée du
travail comme une grande fonction sociale et économique englobant tous
les métiers ne peut naître, selon Marx, que dans un contexte philosophique
soutenant l’égalité de tous les hommes devant un Dieu ou selon un droit
naturel universel. De fait, nous avons vu que l’intellectuel du Moyen Âge se
perçoit déjà comme un professionnel qui mérite une rétribution en fonction
de son enseignement. L’extension du salariat explique que le travail manuel
et intellectuel puissent être englobés dans une même exécration ou un
même enthousiasme. L’idéologie marxiste veut voir dans l’intellectuel un
travailleur comme les autres, quand certains artistes marginaux manifestent
leur dégoût : « J’ai horreur de tous les métiers. […] La main à plume vaut la
main à charrue. Quel siècle à mains ! Je n’aurai jamais ma main », écrit
Rimbaud dans Une saison en enfer. Nous pourrions donc parler d’une division du travail, mais il serait contradictoire d’admettre une opposition à
l’intérieur de ce genre. Le travail ne pourrait s’opposer qu’au jeu, à la
dépense gratuite ou à la création d’un artiste qui refuse l’embrigadement
dans le rang des tâches utiles.
B. Une relation analogique
Nous sommes devant une double difficulté. La négation de l’opposition
revient à identifier le travail manuel et intellectuel, avec le risque de perdre
leurs différences spécifiques. Inversement, l’affirmation d’un contraste et
d’une hiérarchie dissimule le fait que l’intellectuel exerce lui aussi un métier
rémunéré qui a un statut marqué dans l’ensemble des fonctions sociales. Ne
faut-il pas alors repenser l’idée d’opposition, de façon à conserver la notion
de travail tout en marquant des différences qui ne se contrarient pas ?
Dans un ouvrage intitulé D’un ton grand seigneur adopté naguère en philosophie, Kant revendique le nom de travail pour le philosophe dans la
mesure où certains s’imaginent pouvoir philosopher sans faire d’efforts. Ces
penseurs, qui s’estiment géniaux, croient avoir le droit de se fier à leur
propre intuition pour obtenir immédiatement ce que d’autres acquièrent
avec peine. Kant y oppose ceux qui, philosophant sur un mode scolaire,
commencent par examiner le pouvoir de leurs facultés afin de n’obtenir que
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Conclusion
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Il nous est apparu que l’idée d’une opposition entre ces deux formes de
travail est complexe. Les dimensions manuelle et intellectuelle ne sauraient
être globalement identifiées sous peine d’effacer leurs spécificités. Toutefois, leur relation n’est pas celle de deux contraires qui chercheraient à
s’annuler en se contredisant. Elle nous semble reposer sur une analogie due
à la présence de l’effort méthodique où nous reconnaissons l’activité de la
raison sous des modes différenciés.
La culture
des connaissances certaines. L’opposition n’est donc pas entre les manuels
et les intellectuels, mais entre ceux qui se donnent du mal pour acquérir un
savoir ou un savoir-faire et ceux qui se jugent dispensés d’apprendre à faire
usage de leurs capacités. Le grand seigneur bénéficie du fruit du labeur des
autres, le philosophe « génial » se laisse griser par la prétention démesurée
de ne pas avoir à justifier ce qu’il dit. Dans les deux cas, un argument
d’autorité remplace illégitimement la nécessité rationnelle de prouver ce que
l’on dit ou fait. Au final, Kant n’identifie pas le travail manuel et intellectuel,
pas plus qu’il ne les oppose. Il s’agit de faire une analogie à l’intérieur du
genre du travail entendu comme une activité volontaire, patiente mais seule
apte à fonder la valeur de ce que l’on avance et dont on jouit. Les disciplines intellectuelles et manuelles impliquent toutes deux un travail de la
raison.
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