PRUD`HOMMES COUR DE CASSATION R É

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PRUD`HOMMES COUR DE CASSATION R É
SOC.
CF
PRUD'HOMMES
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 mars 2013
Cassation partielle
M. BAILLY, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt no 556 FS-D
Pourvoi no R 10-28.022
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu
l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par Mme Dominique Lehmann,
domiciliée rue François Leroux, résidence La Colline, bâtiment C, 91400
Orsay,
contre l'arrêt rendu le 14 octobre 2010 par la cour d'appel de Paris
(pôle 6, chambre 7), dans le litige l'opposant à la société L'Adresse des
conseils immobiliers, dont le siège est 8 rue du Saule Trapu, Le Moulin,
91300 Massy,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux
moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
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LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du
code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 13 février 2013,
où étaient présents : M. Bailly, conseiller doyen faisant fonction de président,
Mme Geerssen, conseiller rapporteur, MM. Blatman, Béraud, Gosselin,
Linden, Mme Lambremon, MM. Frouin, Huglo, conseillers,
Mmes Pécaut-Rivolier, Mariette, Sommé, M. Flores, conseillers
référendaires, Mme Bringard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Geerssen, conseiller, les observations
de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat de Mme Lehmann,
de la SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, avocat de la société L'Adresse
des conseils immobiliers, l'avis de M. Weissmann, avocat général
référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme Lehmann, engagée le
28 octobre 2002 en qualité d’assistante régionale par la société L’Adresse
des conseils immobiliers, promue agent de maîtrise le 1er juin 2004, s’est vu
établir un descriptif de poste d’assistante de communication le 30 août
suivant ; qu’après avoir été en arrêt de travail pour maladie du
2 novembre 2005 au 21 mai 2006, elle a été déclarée inapte à tous postes
dans l’entreprise par le médecin du travail le 22 mai 2006 et licenciée pour
inaptitude physique le 21 juin suivant ;
Sur le second moyen :
Attendu que la salariée fait grief à l’arrêt de la débouter de sa
demande en réparation du préjudice subi par elle du fait de la souscription
discriminatoire par la société d’un régime de prévoyance complémentaire
maladie invalidité au profit des seuls cadres de l’entreprise, la condamnant
à ne percevoir que les indemnités journalières de la sécurité sociale durant
son absence pour maladie, alors selon le moyen, que la seule différence de
catégorie professionnelle ne saurait, en elle-même, justifier pour l’attribution
d’un avantage une différence de traitement entre les salariés placés dans
une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant
reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la
pertinence ; qu’il revient ainsi au juge de rechercher s’il existe un rapport
raisonnable entre la différence de traitement mise en oeuvre et l’objectif
qu’elle poursuit ; que la seule « nécessaire distinction opérée au titre du
niveau de cotisation mise à la charge des cadres, eu égard à leur niveau de
rémunération » relevée par la cour d’appel, ne saurait donner une justification
objective et pertinente de la différence de traitement des cadres et des non
cadres au regard du régime de prévoyance ; que dès lors, en statuant
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comme elle a fait, sans rechercher s’il existait un rapport raisonnable entre
la différence de traitement mise en oeuvre et l’objectif qu’elle poursuivait, la
cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard du
principe d’égalité de traitement ;
Mais attendu qu’en raison des particularités des régimes de
prévoyance couvrant les risques maladie, incapacité, invalidité, décès et
retraite, qui reposent sur une évaluation des risques garantis en fonction des
spécificités de chaque catégorie professionnelle, prennent en compte un
objectif de solidarité et requièrent dans leur mise en oeuvre la garantie d’un
organisme extérieur à l’entreprise, l’égalité de traitement ne s’applique
qu’entre salariés relevant d’une même catégorie professionnelle ; que par ce
motif de pur droit substitué à ceux critiqués, après avis donné aux parties,
l’arrêt se trouve légalement justifié ;
Mais sur le premier moyen pris en sa seconde branche :
Vu l’article L. 1154-1 du code du travail ;
Attendu que pour débouter la salariée de sa demande en nullité
de son licenciement pour cause de harcèlement moral de la part de son
supérieur hiérarchique, l’arrêt retient que le supérieur hiérarchique plaçait
l’ensemble du personnel en état de stress sans chercher à exclure la salariée
qui compte tenu de la fiche de poste versée ne démontre pas que les tâches
qui lui étaient confiées ne relevaient pas de ses fonctions, que c’est
vainement qu’elle reproche à la société son absence d’enquête alors qu’elle
ne verse aucune attestation de salarié décrivant des faits laissant présumer
l’existence d’un harcèlement moral à son endroit, l’employeur indiquant dans
une lettre du 21 février 2006 ne trouver aucune personne pour corroborer
ses déclarations ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de dire si tous les
faits présentés par la salariée pris dans leur ensemble, à savoir les lettres au
dirigeant de la société pour se plaindre de la dégradation de ses conditions
de travail du fait de l’obligation qui lui était faite d’accomplir de plus en plus
de tâches annexes au détriment de sa fonction principale, du peu de
considération de son supérieur hiérarchique, du stress imposé à tout le
personnel et à elle-même, les nombreux certificats d’arrêts de travail, le
certificat du médecin du travail faisant état de souffrance morale au travail et
aboutissant à un avis d’inaptitude totale à tous postes dans l’entreprise,
n’étaient pas de nature à faire présumer l’existence d’un harcèlement moral
puis de vérifier si les éléments de preuve versés par l’employeur
démontraient que les agissements litigieux étaient étrangers à tout
harcèlement moral, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
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PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute la
salariée de sa demande en nullité de son licenciement pour cause de
harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique, l'arrêt rendu le
14 octobre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en
conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se
trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour
d'appel de Versailles ;
Condamne la société L’Adresse des conseils immobiliers aux
dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la
société L’Adresse des conseils immobiliers à payer à la salariée, la somme
de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de
cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la
suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et
prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux
mille treize.
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MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat
aux Conseils, pour Mme Lehmann
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’avoir débouté Madame LEHMANN,
salariée de la société L’ADRESSE, de sa demande tendant à voir juger
qu’elle avait été victime d’un harcèlement moral de la part de son supérieur
hiérarchique et de l’avoir, en conséquence, déboutée de sa demande
tendant à voir constater la nullité de son licenciement ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE Madame LEHMANN verse les courriers
qu’elle a adressés au Président de L’ADRESSE et les réponses qui lui ont
été faites ainsi que des messages électroniques échangés avec d’autres
salariés ; qu’il ressort de l’ensemble de ces pièces que Monsieur REDON,
directeur du Réseau l’Adresse plaçait l’ensemble du personnel dans un état
de stress sans chercher à exclure Madame LEHMANN de la communauté
du travail ; que compte tenu de la fiche de poste versée aux débats, Madame
LEHMANN ne démontre pas que les tâches qui lui étaient confiées ne
relevaient pas de ses fonctions ; que Madame LEHMANN reproche
vainement à la société de n’avoir diligenté aucune enquête alors qu’elle ne
verse aucune attestation de salarié décrivant des faits laissant présumer
l’existence d’un harcèlement commis à son endroit et que dans un courrier
du 21 février 2006, l’employeur indique n’avoir trouvé aucune personne
corroborant ses déclarations ; que Madame LEHMANN n’établit pas de faits
qui permettent de présumer de l’existence d’un harcèlement moral dont elle
aurait été la victime ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE la salariée apporte
la preuve qu’elle a déclaré à un médecin qu’elle subissait une souffrance
morale au travail ; qu’elle rapporte également s’être plainte de la situation à
la direction de L’ADRESSE ; qu’elle produit encore un courrier électronique
qu’elle a envoyé à une collègue « Sylvie », dans lequel elle rapporte les
termes d’une réunion avec « SR » et déclare qu’on l’a chargée de changer
la moquette ; que la réponse de cette collègue évoque à propos de « SR »
une « situation inadmissible », déclare être « prise en otage par un
terroriste » ou encore « la dictature continue » ; qu’elle produit un courrier
collectif émanant de Serge Redon demandant que le courrier lui parvienne
trié et donnant des instructions pour ce tri ; que ce courrier n’est pas insultant
ni particulièrement autoritaire ; que le seul courrier de Monsieur Redon dont
les termes sont excessifs et qui est produit au dossier est un courrier du
17 septembre 2004 adressé à Dominique Trichereau, qui sur un problème
parle de situation « anormale, scandaleuse et criminelle », en gras souligné
avec point d’exclamation, menaçant de sanction ; qu’il résulte de l’examen
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de ces pièces que la demanderesse ne produit pratiquement que des
documents qu’elle a elle-même établis ou rédigés, à l’exception d’un courrier
d’une collègue qui reste assez vague sur les reproches faits à « SR », dont
on peut supposer sans certitude qu’il s’agit de Monsieur Redon et d’un
courrier de Monsieur Redon adressé à un tiers, la demanderesse n’en ayant
que la copie ; qu’en conséquence, le Conseil considère que la
demanderesse ne rapporte pas la preuve de faits permettant de présumer
l’existence d’un harcèlement moral ;
ALORS QUE aux termes de l’article L 1125-1 du Code du travail, aucun
salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont
pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail
susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé
physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que le
salarié qui subit de tels actes est fondé à s’en plaindre, peu important qu’il
s’agisse dans l’entreprise d’une méthode générale appliquée à de nombreux
autres salariés, la généralisation du harcèlement ne le privant pas de son
caractère fautif ; qu’en excluant le harcèlement au motif que le directeur
plaçait l’ensemble du personnel dans un état de stress sans chercher à
exclure Mme LEHMANN sans exclure que cette salariée soit placée par lui
dans un état de stress, caractérisant le harcèlement, la Cour d’appel a violé
les articles L 1152-1 et L 1154-1 du Code du travail
ET ALORS en tout cas QUE le salarié qui invoque des faits de harcèlement
moral doit rapporter la preuve de faits permettant de présumer l’existence
d'un tel harcèlement, le défendeur devant alors établir que ces agissements
sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que
le juge doit tenir compte de l'ensemble des éléments matériels établis par le
salarié ; qu'en l'espèce, Madame LEHMANN avait versé aux débats les
courriers qu’elle avait adressés au Président de la société L’ADRESSE pour
se plaindre du comportement à son égard de son supérieur hiérarchique,
Monsieur REDON, ainsi que plusieurs documents médicaux établissant que
l'altération de son état de santé résultant d’une souffrance morale au travail,
avait nécessité deux arrêts de travail prolongés dont le dernier avait abouti
à une déclaration d’inaptitude physique à tout poste dans l’entreprise par le
médecin du travail qui avait constaté une situation de danger immédiat pour
la salariée ; que pour débouter la salariée de sa demande au titre du
harcèlement moral la Cour d’appel s’est bornée à affirmer qu’il résultait de
l’ensemble des pièces que Monsieur REDON, directeur du réseau
L’ ADRESSE, plaçait l’ensemble du personnel dans un état de stress sans
chercher à exclure Madame LEHAMNN de la communauté du travail ; que
cette dernière ne démontrait pas que les tâches qui lui étaient confiées ne
relevaient pas de ses fonctions, qu’elle ne versait aucune attestation de
salarié décrivant des faits laissant présumer l’existence d’un harcèlement
commis à son endroit et que dans un courrier du 21 février 2006, l’employeur
indiquait n’avoir trouvé aucune personne corroborant ses déclarations ; qu’en
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se déterminant ainsi sans rechercher si les courriers adressés par la salariée
à son employeur ainsi que les certificats médicaux produits par elle et l’avis
d’inaptitude à tout poste dans l’entreprise, n'étaient pas de nature à faire
présumer l'existence d'un harcèlement moral ce dont elle aurait alors dû
déduire que c'était à l'employeur de prouver que ces agissements n'étaient
pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision était justifiée par des
éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la Cour d'appel n'a pas
donné de base légale à sa décision au regard des articles L 1152-1 et L
1154-1 du Code du travail ;
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’avoir débouté Madame LEHMANN de
sa demande tendant à voir juger que le fait pour l’employeur d’avoir souscrit
un régime de prévoyance complémentaire « maladie invalidité » au profit des
seuls cadres de l’entreprise était discriminatoire et de l’avoir déboutée, en
conséquence de sa demande en réparation du préjudice subi correspondant
à la différence entre les salaires qu’elle aurait dû percevoir pendant son
absence pour maladie et les indemnités journalières versées par la sécurité
sociale ;
AUX MOTIFS PROPRES QU’il est constant que L’ADRESSE a souscrit au
bénéfice de ses salariés deux contrats de prévoyance, l’un pour les cadres,
l’autre pour les non cadres et que Madame LEHMANN relevait du statut des
non cadres ; que la différence de traitement au titre du régime de prévoyance
complémentaire santé entre les non cadres et les cadres ne saurait laisser
en tant que tel supposer l’ existence d’une discrimination indirecte dès lors
qu’une telle différence ne procède exclusivement que de la nécessaire
distinction opérée au titre du niveau de cotisation mise à la charge des
cadres, eu égard à leur niveau de rémunération ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QU ‘ en application de la
convention collective de l’immobilier, article 26 et de l’article VIII du contrat
de travail, l’employeur n’est tenu d’organiser un système de prévoyance
complémentaire que pour les cadres ; que L’ADRESSE n’a jamais organisé
de prévoyance pour les non cadres ; que la distinction entre les cadres et les
non cadres, faite par la convention collective n’est pas une discrimination
injustifiée, ces deux catégories de salariés se trouvant dans des situations
différentes et pouvant donc être soumis à des régimes juridiques différents ;
ALORS QUE la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait, en
ellemême, justifier pour l’attribution d’un avantage une différence de
traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard
dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives
dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence ; qu’il revient ainsi au juge
de rechercher s’il existe un rapport raisonnable entre la différence de
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traitement mise en oeuvre et l’objectif qu’elle poursuit ; que la seule
« nécessaire distinction opérée au titre du niveau de cotisation mise à la
charge des cadres, eu égard à leur niveau de rémunération » relevée par la
Cour d’appel, ne saurait donner une justification objective et pertinente de la
différence de traitement des cadres et des non cadres au regard du régime
de prévoyance ; que dès lors, en statuant comme elle l’a fait, sans
rechercher s’il existait un rapport raisonnable entre la différence de
traitement mise en oeuvre et l’objectif qu’elle poursuivait, la Cour d’appel n’a
pas donné de base légale à sa décision au regard du principe d’égalité de
traitement.

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